Résumés
Résumé
Le terme Ridicule Politique désigne une mutation de la culture politique à grande échelle. L’hypothèse de cet article est que cette mutation se situe à un niveau esthétique fondamental pour la politique. Le tragique comme fondement de la politique a été remplacé par le comique. Une autre hypothèse est que le passage au fascisme aujourd’hui se fait par l’utilisation méthodologique du ridicule politique transformé en capital surtout dans des processus électoraux marqués par le populisme. L’article propose donc d’introduire le concept de ridicule par le biais d’une analyse du risible en tant que forme psycho-politique de contrôle et de catharsis sociale.
Mots-clés :
- Ridicule,
- Esthétique,
- Politique,
- Tragédie,
- Culture politique
Abstract
The term Political Ridiculous refers to a large-scale change in political culture. The hypothesis of this article is that this mutation is at a fundamental aesthetic level for politics. The tragical as the foundation of politics has been replaced by the comical. Another hypothesis is that the transition to contemporary fascism is made through the methodological use of the political ridiculous transformed into capital, especially in electoral processes shaped by populism. The article therefore proposes to introduce the concept of ridicule through an analysis of the laughable as a psycho-political form of control and social catharsis.
Keywords:
- Ridiculous,
- Aesthetics,
- Politics,
- Tragedy,
- Political Culture
Corps de l’article
L’hypothèse du Ridicule Politique
Ce travail a un double objectif. Premièrement, celui de situer le concept de « Ridículo Político » (Tiburi 2017)[1] en tant que catégorie d’analyse valable pour la compréhension de la politique contemporaine. Deuxièmement, il cherche à répondre à la question du passage au fascisme des démocraties contemporaines ou, en termes plus sociaux, de la fascisation des sociétés dans notre histoire politique récente. D’un point de vue esthético-politique, l’hypothèse soutenue est que le « Ridicule Politique » est l’opérateur effectif et procédural du tournant autoritaire qui se présente de manière séduisante aux masses dans cette phase du capitalisme mondial. Le Ridicule Politique est devenu le calibreur d’un métabolisme esthético-politique qui accompagne un projet économico-idéologique. Le populisme d’extrême droite, aux succès affolants dans la décennie qui s’achève, se révèle dans ce processus non seulement comme un utilisateur astucieux de cette dimension esthétique marquée par des performativités et des théâtralités, mais comme sa raison d’être véritable.
L’expression Ridicule Politique signale l’intersection des domaines de l’esthétique et de la politique. Elle met au jour ce qui peut être considéré comme une mutation de la culture politique, dont les avatars les plus notables renouent avec le contexte des fascismes qui se sont emparés de l’Europe voici cent ans. La question peut être ramenée aux fondements de l’histoire du pouvoir, tout en ayant une vaste portée géopolitique. Contrairement à une brèche, cette mutation est tissée dans l’histoire, et observable dans l’irruption décisive et originale du plan esthétique comme un plateau fondamental de l’expérience du politique. Dans la recherche de la vérité qui caractérise les efforts philosophiques, comprenons que l’esthétique est aussi inséparable de la politique que la politique l’est de l’esthétique. La mutation politique en jeu est elle-même une mutation esthétique qui dérangeante qui établit une autre qualité du politique.
Le plan esthétique, en tant que caractère plastique de la politique, est façonné selon les besoins des pouvoirs en jeu – considérant le jeu politique dans sa dimension compétitive, mimétique et théâtrale – et se distingue plus ou moins selon les situations et les conditions historiques. Ce qu’on appelle aujourd’hui l’antipolitique est précisément la politique qui se dissimule en tant que telle pour réapparaître comme une farce, mais seulement pour ceux dont la condition cognitivo-affective permet de percevoir les nuances d’une telle farce. Beaucoup entrent dans le jeu sans s’en rendre compte, précisément parce que leur perception en est affectée.
Le non-politique est l’un des principaux tropes rhétoriques de l’antipolitique. Les personnages politiques qui se définissent comme apolitiques opèrent certainement comme des cyniques au niveau du discours. C’est une ruse utilisée par les candidats, en période de campagne, qui profitent politiquement de l’opération de destruction générique de la politique. Avant de développer la question de la différence entre le politique (le contexte général de la condition humaine, de l’être générique dans l’action linguistique et intersubjective) et la politique (des institutions bureaucratisées), essayons de mettre en évidence que la position paradoxale, peu perçue par l’électorat, reflète surtout un effet du pouvoir à l’époque de sa ridiculisation. Ce qui émerge comme une haine de la politique vient d’une dégradation qui s’opère au cœur même de la politique. La suppression fétichiste du caractère politique de l’élection est une tactique courante dans le cadre de l’abandon des scrupules qui caractérise la morale désinhibée des candidats et des masses impliquées dans les jeux politiques. Le cynisme est la règle de cette discursivité qui nie le lieu dans lequel elle se déroule. Certes, plus le personnage qui incarne ce paradoxe d’être politique tout en niant la politique, tente d’utiliser l’effet du pouvoir, plus il devient grotesque. Mais son succès provient de cette négation même.
À l’ère de la perception manipulée, il devient impossible pour la majorité de la population de comprendre le jeu joué, en d’autres termes, de percevoir la performance à laquelle elle participe. Comme dans le conte classique de H. C. Andersen, dans lequel les sujets ne peuvent pas voir la nudité du roi[2], nous sommes confrontés à un grave problème de discernement et de perception. L’image du conte nous confronte à la question du plan politico-esthétique. Ce qui est supprimé dans ce qu’Eduardo Grüner (2002, 34) a défini comme une « suppression fétichiste du politique par les opérations de la politique » est précisément l’image de la nudité du roi. En d’autres termes, elle empêche la perception de la vérité et de sa charge tragique. L’impression de prestidigitation dans la politique contemporaine provient de la production d’illusions. C’est la stratégie même de la politique dans le contexte du capitalisme. Le politique, l’instance tragique, disparaît, comme nous le verrons plus loin, par le fonctionnement de la politique en tant qu’instance bureaucratique.
Il faut maintenant prêter attention à la structure de la suppression liée à la politique transformée en une opération de dissimulation du politicien. Le pouvoir doit cacher la nudité du roi – son maintien dépend de cette dissimulation. De plus, non seulement le roi est nu, mais ses habits n’existent pas. Comment ont-ils disparu, car ils ont bien existé. Même si nombre de personnages ne les portent pas, ils sont rangés quelque part.
Cela signifie que l’instance rituelle propre à la politique, au temps du tragique, cède la place à une simple simulation au temps du comique. L’ordinaire – le vêtement que nous devons tous voir ou dont nous devons tous percevoir l’absence – qui naît du rituel qui, à son tour, désigne une célébration en groupe, est vidé. La fantaisie est courante – et même le délire[3]. Ce qui chez Kojève (1947) apparaît comme « l’animalisation de l’homme », le « snobisme » comme un rituel vide de contenu, comme une pure formalisation de la vie humaine, peut être une clé pour comprendre ce qui est en train de se passer. Ce que nous entendons par comédie, qu’on a beaucoup moins théorisé que la tragédie jusqu’à ce jour, c’est le lieu politique de l’époque post-historique de Kojève, où l’être humain entrerait dans un devenir animal. Or, la comédie relève du lien avec l’animal, avec ce qui rampe, avec l’humain lorsqu’il est lié à l’univers des êtres inférieurs, par opposition au tragique, lié à la transcendance, au monde des dieux et, donc, à la mort.
En ce sens, la mutation dont traite cet article concerne l’élévation du comique au niveau d’un paradigme politique dans lequel le politique est lui-même nié, tandis que l’on nie le tragique et, pour tenir compte de ce que nous dit Kojève, l’historique. Il n’y a donc aucune utopie dans tout cela, comme il semble être le cas pour les impressions de Kojève sur les rituels vides de sens de l’aristocratie japonaise et de l’American way of life. C’est la nature même, là où l’animalisation pourrait signifier une réconciliation, qui est niée au temps de la farce. Au lieu de la vérité, ou de la recherche du lien entre la politique et la vérité, l’être humain doit maintenant s’adapter au simulacre politique. Il n’est pas surprenant que les discours de la post-vérité, des Fake News, ou de la désinformation, fassent tous partie d’un programme linguistique présenté comme une nouvelle façon de faire de la politique. La post-vérité ne pouvait émerger que dans la posthistoire de Kojève et représente un nouveau métabolisme de l’économie linguistique.
Avec une telle approche, l’image de la politique sous les conditions du capitalisme est certes en jeu, mais notamment cette image dans le contexte de la performativité politique générale, où les effets recherchés par le capitalisme servent l’autoreproduction du pouvoir[4]. L’opération rituelle et/ou symbolique qui caractérise le pouvoir est ce que nous appelons ici sa performativité, et elle est vide. Elle implique maintenant de prétendre que le pouvoir lui-même n’est pas sur la scène, que la violence pratiquée au nom du pouvoir n’est pas de la violence. La suppression fétichiste du politique est aussi la suppression de la vérité. En même temps, un lien immédiat est simulé entre le peuple et le souverain ou le personnage politique en période électorale, à travers ce vide caché.
Le vide est aussi celui de la démocratie qui réapparaît comme une sorte de « cause perdue » (Grüner 2002, 22)[5]. Elle n’a pas d’autre rôle que de servir de spectacle fané d’un rituel vidé. Elle devient aussi le signifiant vide (Laclau et Mouffe 1985) utilisé même par l’extrême-droite. En ce sens, on pourrait dire que la démocratie devient en quelque sorte spectrale. Elle est effacée au moment où elle est mise en œuvre pour reproduire le pouvoir et valider ce qui, chez Adorno (1973), est la réalité elle-même comme idéologie et qui renvoie au thème de la transparence, présent dans l’allégorie des habits neufs du roi[6]. C’est l’écran de fumée, les habits neufs du roi qui ne peuvent pas être considérés comme absents précisément parce qu’ils n’existent pas, et doivent donc être tenus pour un fantasme collectif ayant valeur de vérité absolue. C’est la dimension esthétique du populisme, l’accord de tous autour d’un mensonge, qui se confond avec sa dimension sociale.
La dimension esthétique, en ce sens, n’est pas une force ou une qualité de pouvoir. C’est le pouvoir lui-même comme un signifiant vide exposé dans les vêtements inexistants du roi. On peut dire que moins il y a d’esthétique, dans le sens de rechercher des effets, moins le pouvoir est autoritaire. Et, en ce sens, il n’est pas surprenant que le capitalisme soit une dictature esthétique qui cherche à tout prix à cacher son caractère autoritaire par la séduction et l’adulation des masses. Tel est le scénario dans lequel se déroule le jeu de Ridicule Politique.
Foucault a mentionné le ridicule comme une caractéristique de certains personnages liée à la dimension du « grotesque »[7], caractéristique de la mécanique du pouvoir. Dans son cours sur Les anormaux, il affirme que l’on pouvait déjà percevoir dans des personnages comme Néron et Héliogabale le fonctionnement du caractère « ubuesque », expression utilisée à partir de la pièce Ubu Roi, d’Alfred Jarry[8], mise en scène à la fin du XIXe siècle en France. Foucault insiste sur le fait que le grotesque doit être traité comme une catégorie d’analyse et non pas comme une simple injure. Son intention est de comprendre le « discours grotesque », à la fois « statutaire et disqualifié » exercé par les juges et les médecins dans le contexte de la production d’un « effet de pouvoir ». Foucault pose la question du « souverain infâme », un personnage dans son ensemble « infâme, grotesque, ridicule », et de la « souveraineté grotesque » définie par la « maximisation des effets du pouvoir à partir de la disqualification de celui qui le produit » (Foucault 1999, 12)[9].
Compte-tenu de l’affirmation de Foucault selon laquelle la théorie de « l’infamie du souverain »[10] n’a jamais été formulée, le moment est venu d’investir moins dans cette possibilité que dans le problème soulevé par la question. Est-il possible de raconter l’histoire des vils souverains, l’histoire des acteurs politiques honteux par leur violence, leur stupidité, leur idiotie lorsque ce qui est défini comme pouvoir n’est peut-être que la forme de la violence qui dissimule son grotesque et utilise, dans ce processus, de trucages esthétiques, à la fois discursifs et imagétiques ? Bien que Foucault n’ait pas repris la théorie de l’infâme souverain, son potentiel d’illumination ne peut être négligé, surtout à une époque où les exemples de personnages et de discours grotesques prolifèrent sur la scène politique mondiale. Le texte qui suit se veut une compréhension du scénario général, du style politique auquel les populations sont soumises esthétiquement et politiquement et, souvent, en pleine réjouissance de cette condition.
Le choix de développer le thème du ridicule, dont la spécificité doit être analysée au-delà du grotesque[11], est dû à l’hypothèse que c’est le rire qui se trouve au cœur de l’opération esthétique du pouvoir autoritaire dans sa phase actuelle. Une analyse du grotesque impliquerait d’autres recherches et d’autres portées. Analyser le rire comme un aspect central de la dimension esthético-politique devrait nous aider à comprendre le mouvement par lequel une certaine image de la politique en vigueur dans l’imaginaire de la société a subi des transformations dramatiques.
Le concept de Ridicule Politique fait référence à un scénario, un environnement ou une atmosphère publique. Des personnages qui se présentent comme des caricatures, et sans aucune honte de l’être, au sein d’une industrie de la communication souillée par le mensonge et les Fake News, représentent une sorte de nouveau capital politique largement produit et consommé à une époque de la politique réduite à la publicité comme c’était déjà le cas sous le nazisme allemand. La dévalorisation de la politique au profit de la publicité a produit une sorte d’image, celle de la politique comme marchandise. L’image de la politique professionnelle exercée par les représentants parlementaires est une image sans valeur éthique et morale. Cette image combine le moralisme, la religiosité et la rhétorique de la haine qui, petit à petit et selon les besoins, font une transition vers le discours ouvertement fasciste. Les discours grotesques dont parle Foucault sont voués à la destruction et à la mort dans les régimes autoritaires, mais au début, les populations touchées par ces discours ne prennent pas ou peu au sérieux ce que disent les porteurs de discours de haine, précisément parce qu’ils n’en comprennent pas le contenu ou, en le comprenant, pensent qu’il s’agit de purs flatus vocis. De tels personnages politiques sont considérés comme exagérés, caricaturaux, en un mot, grotesques et/ou ridicules, mais, en même temps, divertissants. Ils mériteraient des voix et des victoires électorales pour diverses raisons, telles que la vengeance et le ressentiment des électeurs contre les politiciens de gauche[12].
Par Ridicule Politique nous pouvons donc définir à la fois la performance particulière d’un individu et la performativité elle-même, une sorte de méthode à laquelle tout le monde – groupe, mouvement, parti – peut adhérer. La qualité de la publicité est la garantie d’un profit politique immédiat sous forme de votes. La performativité personnelle se déroule dans une scène, une atmosphère construite, une sorte d’ambiance sur une scène où l’acteur n’a besoin que d’être spontané et cathartique, et où la stupidité, la grossièreté, la bêtise servent d’impulsion pour le texte verbal à délivrer. Sur cette scène, qui a la dimension d’un tout dans la perception collective, une Gestalt des personnages politiques est établie. La perception de la forme politique comme quelque chose de désagréable qui peut survenir pour certains spectateurs n’exclut pas l’extase générée au niveau scénique pour les masses par de tels personnages. Il y a, au Brésil et dans le monde, des cas de personnes qui auraient pu être victimes des scènes ridicules auxquelles elles ont participé, mais qui, au contraire, ont été primées, figurant parmi les plus plébiscités par les urnes[13].
Le Ridicule Politique est devenu un capital politico-esthétique Il s’agit du retour de quelque chose d’archaïque, d’une image qui survit dans le temps pour composer, dans de nouvelles conditions technologiques, un environnement dans lequel la politique donne lieu à une simulation spécifique de la barbarie. C’est la politique comme le théâtre du grotesque par le ridicule. On pourrait parler d’une inversion des critères éthiques ou moraux, mais il s’agit plutôt d’évaluer quelque chose de plus ancien, lié à ce qui, selon les mots d’Adorno et Horkheimer (1984), est le fascisme, lorsque « ce qui était caché apparaît à la lumière du jour », au moment où « l’histoire se révèle aussi dans son rapport avec ce côté nocturne et ignoré tant dans la légende officielle des États nationaux que dans sa critique progressiste ».
Ce phénomène devient encore plus complexe dans le contexte d’une société du spectacle ou d’une société excitée. Les électeurs, des individus qui pourraient potentiellement exercer une citoyenneté critique, ont été réduits à des spectateurs – ou téléspectateurs[14] – à des robots de la politique, elle-même transformée en pur spectacle. Cela signifie que le rapport que les citoyens entretiennent aujourd’hui avec la politique est médiatisé par des pratiques esthétiques et technologiques qui modifient la qualité des anciennes perceptions et des rituels qui définissaient, jusqu’alors, l’expérience de la politique.
Avant de procéder à cette analyse, il est toutefois nécessaire de comprendre le cadre conceptuel, épistémologique et historique de la relation entre l’esthétique et la politique.
La dimension intersectionnelle entre l’esthétique et la politique
Pour approfondir notre réflexion sur le Ridicule Politique, il sera des plus utile de rappeler la centralité de l’esthétique dans l’analyse politique. Nous présenterons cette relation fondamentale d’un domaine par rapport à l’autre en nous référant à des penseurs comme Jacques Rancière (2000) et Eduardo Grüner (2002).
Jusqu’ici, les concepts du politique et de la politique, de l’esthétique et de l’esthétique(comme discipline) sont restés presque indifférenciés. Il s’agit à présent d’établir des définitions propres à fonder des rapprochements ou des distinctions entre le politique et la politique, l’esthétique et l’esthétique, la tragédie et la comédie, et ainsi de comprendre l’idée d’une mutation de la culture politique appelée par le concept de Ridicule politique.
Tout d’abord, définissons le politique comme le territoire concret où s’articulent les différentes sphères de la vie humaine : éthique, morale, économique, religieuse, individuelle, le monde de la vie, le privé, le public, le psychique, le social, l’idéologique, le symbolique et l’imaginaire. Nous devons y inclure les articulateurs de la « mésentente » (Rancière 1995) et de « l’agoniste » (Mouffe, Wagner, et Mouffe 2013). Le Politique se référe à l’ensemble des actions humaines qui adhèrent à l’ordre ou le contestent. Cet ordre étant lui-même un effet de relation, le Politique sera l’expérience du social où s’articulent le rituel et le fondement de l’État, comme nous le voyons chez Grüner (2002) pour qui les trois éléments (État, Rituel, Société) constituent une seule action fondatrice (p.18). Chez Grüner, nous constatons que l’État bourgeois moderne ne peut s’articuler que sur la base, précisément, de la négation du politique, qui équivaut à la négation du tragique[15]. Pour le philosophe argentin, Le Politique (lo politico) est séparé de la politique (la politica). Le Politique est :
Compris comme une instance, c’est-à-dire comme l’espace d’une ontologie pratique de l’ensemble des citoyens, comme on peut trouver dans la notion aristotélicienne de zoon politikón, dans laquelle la « politique » doit être comprise comme le l’exercice d’une « profession » spécifique dans les limites institutionnelles définies par le domaine « statique » de l’État de droit .[16]
(Grüner 2002, 21, notre traduction)
La démarche de Grüner permet de penser le moment précédant l’avènement du ridicule et d’anticiper le problème des rapports entre l’esthétique et la politique en termes ontologiques au-delà du temps historique-chronologique. Pour Grüner (Grüner 2002, 20, notre traduction), « ce conflit fondateur du politique entre le chaos de la jouissance sans limite et l’ordre de la règle, qui s’articule dans le rituel du sacrifice, a déjà sa “théorie” : elle s’appelle Tragédie ».[17] Bien que ce ne soit pas l’objet de cet article, indiquons que Grüner commence son texte par l’analyse d’un rituel funéraire balinais, commenté par Clifford Geertz, dans lequel les jeunes épouses du roi se jettent, sans hésitation, dans le bûcher où le mari royal est incinéré. Ce sacrifice nous rappelle le texte de Nicole Loraux (1985) sur le meurtre des femmes dans la tragédie grecque, nous confrontant au problème de la place occupée par les femmes dans la tragédie et, par conséquent, dans la politique. Le plaisir esthétique en question, dans la tragédie, n’est pas séparé du sens du politique et de la politique comme structurellement patriarcale[18] et définie sur une base tragique dans laquelle les femmes ont pour unique rôle celui du sacrifice.
Dès lors, en cherchant une définition de l’esthétique, nous nous voyons qu’il est moins une partie du politique qu’il n’en est le fondement. La tragédie n’est pas qu’un genre théâtral, comme dans le monde contemporain. La tragédie est le rituel politico-esthético-social qui définit une certaine relation de l’individu avec l’ensemble. Le tragique est, à son tour, l’élément constitutif du politique et qui est absent de la politique comme institutionnalisation du rituel vidé, en tant que pouvoir pur et simple qui se maintient lui-même. En tant que forme artistique, la tragédie est un rituel qui établit la cohésion sociale et dont les poètes tragiques ont fait une œuvre d’art. Ce n’est pas par hasard qu’elle apparaît au même siècle que la démocratie, et que Nietzsche (1992) en arrive à dire que la philosophie – qui, à la même époque, devient elle-aussi une institution avec Socrate – sera la dissolution de la tragédie.
On pourrait dire que l’esthétique serait la toile de fond du Politique si tous les deux n’étaient pas entrelacés. Cadre inconscient pour la grande majorité des populations, l’esthétique est l’univers de perception dans lequel s’établit le monde des relations défini comme propre au plan politique.
L’esthétique est donc un plan, un plateau, et non pas seulement une qualité esthétique des choses. L’esthétique ne sera pas non plus un domaine ou une discipline du champ philosophique. Ce n’est pas la théorie de « l’apparaître » (Schein) qui fonderait l’art ou le « bel art », comme chez Hegel (1835). La distinction entre l’esthétique comme espace d’expérience de la perception en général et l’esthétique comme discipline est aussi importante que la distinction entre le politique et la politique. Hegel lui-même, au début de ses Leçons d’esthétique[19], soulève le caractère problématique de l’utilisation du terme esthétique, prétendant être préoccupé de faire une philosophie de l’art ou une « philosophie du bel art » plutôt qu’une esthétique, bien qu’il ne trouve pas de meilleur terme pour son entreprise. Il renonce au problème des sens et des sensations (Wissenschaft des Sinnes, des Empfindens), dont le rappel est nécessaire en ce moment. Au-delà d’une philosophie de l’art, il est possible de définir l’esthétique comme la philosophie des sens, de la perception, de la sensibilité elle-même[20]. De même, l’esthétique peut être pensée comme une philosophie du corps, elle-même une catégorie qui ne peut être comprise en dehors des relations et donc en dehors des rapports de force inhérents à la politique. Le corps est donc l’un des thèmes esthético-politique par excellence. Le contrôle des corps, objet très étudié depuis les travaux de Foucault (1993) et qui avait déjà été mis en scène par des penseurs comme Adorno et Horkheimer,[21] est sans aucun doute un problème typiquement esthético-politique.
Même chez les penseurs peu attachés au thème du corps et qui ne voulaient qu’une analyse du goût, comme Kant (Santos 2010), la dimension collective et la dimension de la cohésion sociale et de la construction de la sphère publique présentes dans ce propos (Kyndrup 2018), placent sur le plan politique les thèmes propres à l’esthétique. La bande de Mœbius entre les plans esthétique et politique se manifeste plus clairement chez divers penseurs contemporains[22], mais aussi chez des penseurs modernes, notamment les théoriciens du goût[23] qui ne pouvaient pas nier la dimension sociale et la construction culturelle liée à leur thème.
Il est important à l’heure actuelle d’avancer vers la pensée de Kierkeggard (1969). Dans l’œuvre du philosophe danois, l’esthétique est certainement une discipline fondamentale, mais ce qu’il appelle « esthétique » concerne un « stade » de l’existence au sens le plus immédiat d’une expérience. Ce stade est un espace-temps suivi par ce qu’il a défini comme le stade éthique et, ensuite, par le stade dit religieux. Le philosophe s’intéresse à l’évolution de la subjectivité initialement ancrée dans la connaissance sensible. Bien qu’il soit devenu courant d’analyser le philosophe danois comme un penseur non politique, on peut parler de « politique indirecte » (Ryan et Kierkegaard 2014)[24] pour Kierkegaard qui mène une réflexion sur l’être humain en tant qu’être spirituel et en même temps engagé dans le monde humain. En gardant cette possibilité à l’esprit, on pourrait peut-être aussi dire qu’il existe une « esthétique indirecte » chez les intellectuels qui ont une pensée politique au sens strict. Compte tenu de la place du corps chez des penseurs comme Spinoza, on peut parler d’une crypto-esthétique. Mais, de Platon à Hobbes, la négativité même de l’art nous amène à réfléchir sur l’importance de l’esthétique comme un domaine à contrôler lorsqu’une certaine conception du pouvoir – et la politique comme négation du politique – entre en jeu (Grüner 2006). La critique ou la négation de l’esthétique relève de l’esthétique, tout comme la critique ou la négation du politique relève de la politique.
A Kierkegaard, comme pour toute une tradition d’esthétique dite philosophique, l’esthétique se référerait à l’univers de la perception, aux désirs et aux aspirations moins réfléchis et plus, pour ainsi dire, sensoriels de l’être humain. C’est en ce sens que la notion kierkegaardienne de « stade » nous aide à penser le « politique » comme un arrière-plan, comme un environnement, pas nécessairement un champ autonome (Bourdieu 1991), où on pourrait supposer un mouvement d’entrée et de sortie, d’action et d’inaction, mais plutôt un scénario, également au sens d’un environnement numérique, de vie quotidienne ou de « vie quotidienne virtuelle »[25], sur lequel une sensibilité se crée et une vision du monde se manipule à partir du contrôle de la perception.
Bien que l’esthétique philosophique de Baumgarten (1993)[26] visait à rendre la métaphysique plus complète, le domaine de l’esthétique en tant que discipline est devenu de plus en plus indépendant et a fini par trouver son propre développement, créant les conditions pour l’émergence de nouvelles disciplines telles que la psychanalyse et aussi ce qui a été plus tard appelé l’iconologie[27]. Malgré l’origine rationaliste de la dénomination de la discipline et la puissance philosophique de Kant qui a contribué à sa consolidation, qu’il l’ait voulu ou non, éclipsant de nombreuses pensées originales de son temps, le fait est que les penseurs associés au domaine de la recherche sur la sensibilité se sont éloignés du rationalisme générique et du positivisme dominants au XIXe siècle. Schopenhauer et Nietzsche ont attiré l’attention sur le désir, le corps et le caractère tragique de l’existence qui n’ont été que tardivement intégrés dans la philosophie politique voire dans les disciplines qui prétendaient rompre avec son abstraction même, comme la sociologie, l’anthropologie et les sciences politiques, et même dans le féminisme et les études de genre. Schelling, parmi beaucoup d’autres, est l’un des penseurs oubliés dont le travail esthétique est essentiel à la compréhension des bases de la philosophie dans son ensemble. Schelling est cité dans un texte essentiel de Freud, intitulé Das Unheimlich (2012)[28], fondamental pour saisir le lien entre esthétique et politique.
Les penseurs relevant de la Théorie critique étaient attentifs aux rapports entre l’esthétique et la politique, à la mesure du lien qu’ils établissent entre la pensée de Freud et celle de Marx. La grandeur d’une promesse de bonheur par l’art marque l’œuvre de Marcuse (1977), et Adorno porte la question jusqu’à ses dernières conséquences dans sa Théorie esthétique. C’est peut-être cependant dans la Dialectique des Lumières rédigé par Adorno et Max Horkheimer, que le lien entre esthétique et politique que nous élaborons est le plus clairement exposé. Leur approche de l’industrie culturelle, publiée en 1947, voit les dimensions esthétique et politique se fondre dans une analyse générale de la formation des masses par sa mystification.
En tout cas, l’esthétique philosophique, ou la théorie esthétique, est l’espace d’élaboration théorique sur le vaste champ que nous appelons esthétique par son rapport au politique, à la fois plan de l’expérience et objet d’investigation. En même temps, on peut appeler esthétique, au-delà de la discipline, l’opération et même la ruse bureaucratique qui en fait un organe de pouvoir, par son rapport à la politique. Dans ce cas, nous comprenons que l’art est une question esthétique, au même titre que la publicité. On peut aussi dire que l’art est à la tragédie en tant que paradigme du politique, ce que la publicité est à la comédie comme nouveau paradigme de la politique. Et cela parce que la politique est sous le signe de sa propre dissolution, à laquelle elle collabore comme une instance de pouvoir vidée de tout autre sens que celui de se maintenir et de se reproduire.
S’il est vrai que l’esthétique – prise ici comme le plateau de l’expérience humaine où le capital joue avec le corps et la perception – porte une « promesse de culture » (Roelofs 2015), c’est-à-dire la promesse d’un monde meilleur, elle-même une promesse éthique et politique, quelle promesse l’esthétique soutient-elle dans les conditions de l’industrie culturelle, elle-même une machine esthétique, une machine qui agit sur la sensibilité et le corps ? L’esthétique, réduite à la publicité, serait-elle une machine de destruction de l’esthétique ?
Pour Kant, le monde de l’esthétique correspondrait aux formes du jugement sur les sentiments du beau et du sublime en tant qu qu’expressionsde la sensibilité. Pour lui, l’expérience esthétique serait une expérience de l’ordre du plaisir. Aujourd’hui, le domaine du politique, et la politique en tant que telle, ont été pris d’un phénomène esthétique lié à l’irruption de quelque chose de désagréable, une inquiétude. On se souviendra de ce « quelque chose de pourri » dont parle Shakespeare dans son Hamlet[29], qui commence à puer et risque d’éclater à tout moment sous forme de peur, de terreur, de panique. Le « pourri » de l’expression de Shakespeare est le moment esthétique de la politique, et il se rattache au « dégoût »,[30] un sentiment où Kant (2009) signalait l’annulation du plaisir esthétique. Kant a entrepris une théorie de la limite de l’expérience esthétique en ne considérant que les sentiments constructifs du commun, mais pas les sentiments perturbateurs du commun, ce qui semble être l’entreprise de Freud avec ses recherches sur Unheimliche. L’art contemporain s’est écarté de la mesure établie par Kant et les théories ont suivi le phénomène plutôt dans lacondition de mimétiques de la procédure des arts qu’en tant qu’analyses du phénomène.
L’autonomie esthétique face à la morale, aux impositions politiques et au capital comme grand jeu de pouvoir faisait en ce sens partie des promesses de l’art comme jeu du langage. De la poésie à la peinture, de la littérature au cinéma, les œuvres portent à travers l’histoire la promesse de cette autonomie et d’un monde meilleur. La discussion autour de la mimesis chez Platon et Aristote, où s’inaugure la réflexion sur ce que nous entendons par fiction aujourd’hui, porte sur la possibilité de présenter artistiquement ce qui était difficile à comprendre dans la réalité ou dans le cadre de la vie. Or, le lien entre esthétique et politique se trouve aussi au moment où les idéalisations et les positions utopiques constituent à la fois l’histoire de la pensée politique et celle de la pensée et de l’activité artistiques. Toutefois, dans le contexte de la mutation politique en cours, cette promesse a été modifiée : à rebours de cette tradition, l’art aujourd’hui présentela dystopie comme une évidence du pire. L’utopie est au beau et au sublime ce que la dystopie est au dégoût et à l’inquiétante étrangeté de Freud.
Ce que des artistes comme Sigmar Polke[31] ont appelé le « réalisme capitaliste », ce que le critique de cinéma et penseur culturel Mark Fischer (2009) a défini comme la célébration de la destruction de l’espace public[32] , est l’image de ce nouveau monde dans lequel l’esthétique, tout comme la politique, joue un rôle différent. « L’esthétique de la déréglementation » (Türcke 2010, 51) du marché promet autre chose que des idées et des utopies communautaires, elle promet des utopies farfelues et caricaturales contre lesquelles l’art offre de l’ironie et de la dystopie. Si une certaine esthétique reste prometteuse de civilisation contre son propre mal-être, il en est une autre qui intègre et reproduit sur scène l’état des choses, ce qui confirme qu’il y a une lutte esthétique, elle-même politique.
Ce qui éclate dans le domaine de l’esthétique maintenant, c’est la machine esthétique avec une nouvelle promesse qui, bien analysée, se révèle comme une menace. À savoir, celle de la guerre culturelle anti-intellectuelle, anti-art, anti-autonomie, anti-réflexion, dans laquelle, par exemple, l’extrémisme de droite agit contre la critique de manière hallucinée (Adorno et Horkheimer 2019), le conservatisme religieux contre le genre, le néolibéralisme contre toutes les valeurs qui ont été consacrées comme droits de l’homme.
Le glissement de la tragédie à la farce
Avec la déclaration de Marx (2011) dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte[33] que l’histoire se présente une fois comme tragédie et ensuite se répète comme farce, le terrain du Ridicule Politique est à nouveau présent. Une telle position, lue par beaucoup comme du simple mot d’esprit, renvoie à un modèle tragique concernant la politique qui aurait été frelaté. Dans Grüner (2002), on retrouve le thème récurrent du glissement de la tragédie à la farce, mais l’auteur n’explique pas clairement comment se déroule ce glissement. L’indice se trouve dans le modèle marxiste : les personnages du présent seraient des imitations caricaturales des héros du passé. L’opération est esthétique : l’imitation, ou mimesis, qui, depuis la controverse entre les positions de Platon et d’Aristote, implique une falsification dans le premier cas, tandis que, dans le second, elle implique une fiction[34]. Chez Platon, la mimesis ne se réfère pas seulement aux œuvres d’art, mais à tous les êtres, y compris les discours et les institutions[35]. Platon critique le procédé mimétique, cet artifice par lequel les idées qui habitent un monde supra-sensible sont comme souillées sous forme de simulations, un problème que l’on ne retrouve pas chez Aristote. Platon se préoccupe de l’expérience formatrice, de l’éducation, alors qu’Aristote serait plus condescendant avec la dimension du divertissement propre aux arts imitatifs. Pour les besoins de cette argumentation, il est important de savoir que la mimesis est un concept qui implique une méthode, un mouvement entre des idées et la réalité, analogue au sens d’Eros dans le domaine de la connaissance tel que nous le voyons dans le Banquet (Platon 2002).
La perspective d’Aby Warburg (2015; 2017 ) aide à comprendre cette idée de glissement entre tragédie et farce à travers laquelle devient claire l’intimité entre esthétique et politique. Grüner perçoit cette intimité dans l’œuvre d’Aby Warburg[36], un chercheur devenu important dans le monde de l’histoire de l’art, mais dont la dimension politique est rarement observée. Grüner (2017, 9) perçoit dans la « dualité sinistre de la culture (la unheimliche Doppelheit) » entre terreur et beauté, entre chaos et harmonie, la relation entre tragédie et politique. La notion de sinistre dualité est proche de la notion d’inquiétante étrangeté de Freud. Il est possible d’élargir cette notion pour comprendre la relation entre la tragédie et son couple esthétique habituel, la comédie. Comme la tragédie, la comédie n’est pas seulement un style, ou une forme, au sens d’un genre littéraire ou théâtral, mais surtout une certaine façon d’articuler la politique.
En ce sens, l’opération du glissement n’implique pas la fin du rituel politique, mais l’apparition d’un autre rituel, celui dans lequel ce qui est en jeu n’est plus la vie des dieux et la transcendance, mais l’animalité de l’être humain. Si la tragédie fait rire, la comédie rend le rire impératif. À un autre niveau de comparaison, on peut dire qu’au lieu du beau et du sublime, qui constituent le champ de la tragédie, ce qu’il y a dans le champ de la comédie c’est le dégoût et le sinistre et la sensation de dystopie. La tension entre le conscient et l’inconscient en jeu dans l’univers du comique remet en scène la « sinistre dualité[37] » dans une éternelle répétition du glissement introjeté et transformé en opération mentale. Les procédures de la culture sont subjectives. La comédie implique le rituel du carnaval dans lequel les signes habituels sont inversés, mais ils peuvent être vécus subjectivement et individuellement. Il y a, dans la comédie, une destruction formelle de la loi précédemment établie qui, dans la tragédie, était tendue et problématisée, mais toujours respectée. La dualité sinistre implique un mouvement de bascule dialectique. La comédie devient une tragédie dans le fascisme.
Avec Warburg naît la possibilité d’une histoire des images à partir de l’hypothèse de la survie de ces images dans le temps historique, de leur retour temporel. Le terme utilisé par Warburg est « nachleben ». Eduardo Grüner (2017)[38] a vu dans les « nachleben » de Warburg l’idée d’une « survie des zombies » qui se combine très bien au moment politique des nations dominées par des tyrans fascistes. Face à cette observation, le glissement aurait à voir avec la détérioration, avec le processus de la mort. Ce serait l’instinct de mort ou le refoulement (Verdrängung) freudien, ce serait la décadence nietzschéenne, voire un processus par lequel la sublimation, qui aurait dû avoir lieu dans la tragédie en tant qu’œuvre d’art, se mue en fantasmagorie dans la comédie comme fake news.
Le glissement auquel Grüner fait référence implique la police (la bureaucratie) détruisant le politique (l’univers du zoon Logikon). De la même manière, l’esthétique en tant qu’Industrie Culturelle détruirait l’esthétique en tant que royaume des arts, tout comme la comédie détruit le tragique. La formule vaut donc selon laquelle l’industrie culturelle est à la bureaucratie ce qu’est la politique pour le politique. La politique elle-même devient vide et fait place à la farce comme pure forme, comme pure émulation sans contenu, comme « pouvoir sans qualification », comme thème d’Ubu Roi et non de Macbeth (étant l’un la continuité de l’autre). Au moment où la politique s’imite elle-même et devient son propre simulacre, le monde semble dupliqué et, dans des moments catastrophiques, même inversé. Le passage de la tragédie à la farce est une constante, une bascule dont le lien est l’intersection entre l’esthétique et la politique. La sensation actuelle du sinistre freudien dans l’expérience politique, la tragédie et la farce marxiste, la survie des zombies incarnée par les personnages politiques de notre temps ne nous permettent pas d’oublier la stupeur paralysante des peuples indigènes face aux chercheurs d’or espagnols dont parle Silvia Cusicanqui (2010)[39]. De tels exemples font partie de la même expérience politico-esthétique des peuples qui ne cesse de se répéter.
En faisant un saut dans le temps et en dépassant une certaine idée de continuité épistémologique, il est important d’ajouter un autre indice pour penser au Ridicule Politique dans la ligne de réflexion sur le glissement de la tragédie à la farce. Ce que Deleuze a défini comme « l’ordre de la surface » (1969) peut favoriser la compréhension du glissement, ce moment de passage vers l’autre côté, car il s’agit de plans et de formes narratives, de ce qui est caché de ce qui apparaît, de ce qui aurait dû rester caché et pourtant apparaît. Dans la bande de Mœbius, il s’agirait de comprendre ce qui se trouve de l’autre côté. Néanmoins, chez Deleuze, c’est dans cet ordre de la surface que s’établit ce qu’il appelle une fissure. La fissure est le trou, la fente par laquelle la subjectivité s’échappe par les processus de désubjectivation propres au capitalisme. Si nous inversons simplement la bande, d’un côté la tragédie, de l’autre la comédie, nous trouverons un autre ordre de surface, ce qui n’élimine pas la fissure. Selon Deleuze (1969, 171), « la vraie différence n’est pas entre l’intérieur et l’extérieur. La fissure n’est ni intérieure ni extérieure, elle se trouve à la frontière, insensible, incorporelle, idéale ». La fissure produit « entre l’extérieur et l’intérieur, des relations complexes d’interférence et de croisement ». Son effet est une « jonction sautillante ». Le complexe commentaire de Deleuze sur Fitzgerald permet de considérer le « crack-up », la fissure, comme un événement externe et interne. Chez Deleuze, il s’agit d’une réflexion sur la logique du sens, mais nous pouvons baser le thème du glissement dans ce processus où deux univers sont conjugués précisément par l’abîme qui les sépare. L’intérêt de Deleuze pour la subjectivité nous permet de comprendre comment se déroule le fonctionnement de la fascisation de cette même subjectivité. Comment l’adhésion subjective au fascisme est-elle obtenue par un processus dans lequel l’intérieur et l’extérieur sont reliés dans le choc ou là où, chez Fitzgerald, est le coup qui vient de l’intérieur ?
La subjectivité a ici le sens d’une expérience partagée. Le vide est partagé (et on peut parler de vidage de la pensée). Ce qui émerge de la fissure est un matériau psychique partagé, une énergie psychique, dans laquelle le ridicule est pathosformel, comme dans Warburg. Le Ridicule Politique est une plasticité, un matériau imaginaire, qui implique la construction d’une scène, une théâtralité également partagée, qui ne devient plus une œuvre d’art, mais vient composer la sphère publique. Les masses participent à cette théâtralité, dans la condition d’adulatrices et adulées dans un rituel fondateur de l’État, non plus dans le paramètre de la tragédie, mais dans celui de la comédie. Tous sont reliés par la fissure, par la fente qui les unit alors que, en même temps, cela ne signifie pas une brèche, mais une continuité dans l’abîme.
L’idée d’une fissure concerne l’extase des masses en direction du leader autoritaire qui enchante précisément par sa performance pathétique qui, imitant la grâce, promet la catharsis. En ce sens, le Führer est la substance, il a le rôle de dieu[40], qui est l’objet de toute fixation et de toute dépendance, qui concentre l’effet de l’extase, l’effet de la dépendance, la sensation narcotique, la fascination de l’horreur lorsque, par son intermédiaire l’on exerce la libération. Le glissement de la tragédie à la farce ne se fait pas sans un élément de l’ordre de la catharsis des masses promues par de tels personnages. C’est par la fissure que la catharsis peut se produire.
Renforcé par les médias de masse et par l’avancée de la sphère numérique, le ridicule prête au pouvoir une image populaire, une image dont la fonction est de produire de l’adulation par la production d’identification avec le leader et de promouvoir ainsi le lien, l’attache irréductible entre le leader et les suiveurs. Les masses sont satisfaites, non seulement par les images avec lesquelles elles peuvent se sentir contemplées de manière narcissique, mais aussi à un niveau plus profond, physio-théologiquement (Türcke 2010), comme nous le verrons ensuite.
Le rire comme catharsis dans le contexte de l’industrie culturelle
Dans l’imaginaire populaire, la politique est un concept de plus en plus associé à la farce qui est, techniquement parlant, une forme théâtrale de l’ordre de la comédie, mais qui porte aussi le sens de mauvaise qualité, de tromperie. La forme générale de la farce s’est emparée de l’ensemble du rituel politique et est devenue l’image générale de la politique. Il s’agit donc ici de comprendre les opérations liées au rire – et au comique par opposition au tragique – qui font ressortir les formes de la souveraineté infâme, selon l’expression de Foucault, qu’il faut comprendre au moment où elle refait surface dans de nouvelles conditions, se présentant comme la reproduction du chaos dans le sens contraire de la cohésion nécessaire pour le soutien d’une société.
Dans le scénario de l’éloge abstrait de la liberté d’expression, elle-même mystifiée par des techniques de communication d’extrême droite qui la réduit à au relativisme néolibéral du langage, la critique du rire succombe facilement à une accusation d’autoritarisme, tant les esprits sont subjugués par l’idéologie néolibérale qui colonise les idées. Considéré comme une valeur dans des endroits comme le Brésil, qui se voit comme le pays des blagues toutes faites, le rire appelle une réflexion critique, dans le sillage d’Adorno et Horkheimer. C’est ce que l’on trouve dans le texte sur l’industrie culturelle :
Dans la fausse société, le rire a attaqué – comme une maladie – le bonheur, l’entraînant dans la totalité indigne de cette société. Rire de quelque chose (Lachen), c’est toujours se moquer (Verlachen), et la vie qui, selon Bergson, rompt avec le rire la consolidation des coutumes, est en fait la vie qui éclate de façon barbare, l’affirmation de soi qui ose célébrer dans une occasion sociale sa libération du scrupule.
(Adorno et Horkheimer 1988, 147)
Les auteurs soulignent la continuité entre le rire et la ridiculisation, l’acte particulier ou le fait du rire et l’action qui l’oriente vers l’autre. Cette action enlève le simple naturel ou la spontanéité du rire et le place dans un lieu politique, médiatisé par des relations de pouvoir. Prendre de prime abord le rire comme une vertu ou un avantage est le danger que la culture s’est habituée à courir jusqu’à ce que ce danger devienne naturel. C’est précisément celle-là l’utilisation du rire faite dans une culture autoritaire.
La critique du rire d’Adorno et Horkheimer s’inscrit dans une critique esthétique de la beauté comme une sorte de forme idéologique résultant d’une « reproduction mécanique de la beauté » comme « exaltation réactionnaire de la culture ». Les auteurs parlent d’un « triomphe sur la beauté » qui se fait par l’humour, comme dans une guerre où l’on s’attaque à l’élevé, au tragique, au transcendant. Les auteurs ont une vision dialectique de ce jeu de forces, mais ne considèrent pas le rire comme une victoire. Ce n’est pas non plus la beauté ce sur quoi il aurait l’intention de triompher.
Le rire est une fausse victoire. C’est en ce sens qu’ils affirment que « nous rions du fait qu’il n’y a pas de quoi rire » (Adorno et Horkheimer 1988, pp. 148-149). Le rire est devenu un moyen de tromper le bonheur, qui serait, lui, un paramètre éthique de la culture. En ce sens, nous voyons dans un tel processus la méthode d’avilissement et de renversement qui est propre à la comédie en tant que structure artistique.
Le rire et l’action de ridiculiser sont au cœur de l’opération de fascisation de la culture. La fascisation fonctionne comme un jeu de langage où la catharsis n’indique pas la purification des passions négatives, mais le vidage de la subjectivité. La catharsis est perpétrée par le capitalisme qui domine toutes les sphères de la vie, y compris la politique. La performance de celui qui, le sachant ou non, imite le clown, est maintenant beaucoup plus proche du kitsch compte tenu des conditions historiques du capitalisme lui-même, de la mode, du style et de la création de canons plastiques. C’est dans ce sens qu’Adorno dira dans Théorie Esthétique que « le kitsch parodie la catharsis » (Adorno et Horkheimer 1988, 268).
L’inflexion qui nous permet de percevoir l’actualisation et l’intensification du ridicule par rapport à d’autres formes grotesques devient alors évidente. Si l’on se souvient que les nazis visaient, dans la lignée de Wagner[41], la politique comme une « œuvre d’art totale », on peut comprendre ce qui se passe avec les styles et dans quel sens la question de la parodie renvoie au thème de la farce.
Le rire a été aplati. En perdant son caractère critique et dérangeant, il s’est transformé en un simple et pur divertissement comme c’est le cas des formes linguistiques sous le signe de l’Industrie Culturelle. Le rire qui pouvait être critique a ouvert la voie à une débauche superficielle et au cynisme. Qu’il s’agisse du rire de la réconciliation ou de la terreur, le premier pour se libérer des « dangers physiques » et le second des « griffes de la logique », ce que l’on attendrait du rire serait une libération plus profonde. Les philosophes francfortois diront que la « libération promise par le plaisir est la libération de la pensée comme déni » (Adorno et Horkheimer 1988, 153)[42]. En ce sens, le divertissement sera, pour les auteurs, la nouvelle catharsis (Veloso et Rashed 2018). « L’industrie culturelle révèle la vérité sur la catharsis » (Adorno et Horkheimer 1988, 152)[43] car si « la catharsis est une action purgative des émotions qui s’harmonise avec la répression » (Adorno 2008, 267), cela signifie qu’elle trouve de nouvelles voies d’expression qui ne sont pas toujours liées à quelque chose de meilleur.
Le trait social implicite dans le rire, comme on le voit chez Bergson, implique quelque chose proche de cette catharsis et du caractère esthético-politique du rire. Selon lui,
Le plaisir de rire n’est pas un plaisir pur, je veux dire un plaisir exclusivement esthétique, absolument désintéressé. Il s’y mêlé une arrière-pensée que la société a pour nous quand nous ne l’avons pas nous-mêmes. Il y entre l’intention inavouée d’humilier, et par là, il est vrai, de corriger tout au moins extérieurement. [44]
(Bergson 1924)
Dans ce cas, le rire implique une action sur l’autre qui est celle de l’humiliation, du déclassement qui garantit une sorte de souveraineté, celle de la supériorité subjective dans un bref jeu de langage, comme le mot d’esprit. Sur le plan institutionnel, cela impliquerait la supériorité du souverain maléfique, qui humilie le peuple et est idolâtré par le peuple. Dans les contextes de polarisation, le peuple humilie le peuple avec le chef infâme comme médiateur de l’humiliation. La catharsis est dans ce cas liée à une opération par laquelle le tragique a été perdu de vue. Bergson a réalisé la proximité du champ du rire avec la vie. Selon ses propres termes :
(…) la comédie est bien plus près de la vie réelle que le drame. Plus un drame a de grandeur, plus profonde est l’élaboration à laquelle le poète a > dû soumettre la réalité pour en dégager le tragique à l’état pur. Au contraire, c’est dans ses formes intérieures seulement, c’est dans le vaudeville et la farce, que la comédie tranche sur le réel : plus elle s’élève, plus elle tend à se confondre avec la vie, et il y a des scènes de la vie réelle qui sont si voisines de la haute comédie que le théâtre > pourrait se les approprier sans y changer un mot.
(Bergson 1924, 61 version numérique)
La comédie imite la réalité – tandis que la tragédie, selon la définition classique d’Aristote (2008), imite le mythe – à un autre niveau. Parfois, on en arrive à l’eschatologique, comme dans les concepts de bas matériel et corporel dans Bakhtine (2010, 323). L’élément autoritaire du rire est lié à un abaissement non dialectique des valeurs du tragique. Ce qui vaut pour le dicton latin castigat ridendo mores, c’est-à-dire le rire « punissant » les coutumes, change absolument lorsqu’il s’agit du ridicule contemporain, lui-même devenu un modèle hégémonique, donnant à tout cela cet air de ressemblance dont Adorno et Horkheimer parlaient à propos de l’industrie culturelle. Si, comme le dit Bakhtine (2010, 325), « le bouffon est le roi du monde à l’envers », il s’est reproduit technologiquement et publicitairement jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de différences entre les mondes.
L’image de bouffonnerie politique qui apparaît à profusion dans les médias provient d’une sorte de déformation des aspects du comique. Historiquement, le carnaval avait pour fonction politique d’égaliser les classes, de relativiser les vérités, de mettre les autorités à leur place, de créer ce qui, selon Bakhtine (2010, 14), était l’un des moments les plus fondamentaux de l’humanisme, celui où les gens pouvaient vivre une relation intense entre l’utopie et la réalité par l’annulation des inégalités. Selon Bakhtine, le déclassement est un principe topographique, corporel, matériel, qui n’a pas d’aspect moral abstrait.
Si la logique de la vision carnavalesque du monde était celle des choses à l’envers, d’un monde dans lequel tout était inversé, nous avons un paramètre à partir duquel nous pouvons penser au ridicule politique contemporain. Il ne s’agit pas, dans le ridicule, de créer un deuxième monde, une deuxième vie, comme dans le carnaval, où chaque mise en scène cherche et mène à une sorte de désordre, mais d’un monde à l’envers dans lequel la deuxième vie a pris la place de la première, où le sérieux et le non-sérieux se sont confondus, sous la forme d’une juxtaposition de scènes qui peut produire des effets hautement destructeurs de la subjectivité et de l’objectivité. En ce sens, le rire est le piège, l’appât que l’Industrie Culturelle jette pour les hordes de consommateurs dévorés par le consumérisme.
Une société politiquement excitée
Le concept du rire comme catharsis nous aide à comprendre l’adhésion des masses au fascisme. D’une part, la banalité prend le contrôle de tous les processus et toutes les expériences sociales et communautaires. D’autre part, la banalité mène à l’extase. La catharsis dans l’industrie culturelle a ce rôle stupéfiant. C’est la perception humaine qui est affectée dans des conditions esthétiques qui, à notre époque, comprennent la microtechnologie, le numérique et les médias comme l’expose Christoph Türcke dans Erregte Gesellschaft (2002) où le caractère extatique des médias prend le dessus sur le monde de la vie. Ces conditions définissent la production de la langue et sa diffusion. Les conditions de notre époque impliquent l’industrie culturelle dans son ensemble, mais aussi l’industrie culturelle de la politique qui nous amène à réfléchir sur la création de stéréotypes politiques qui réussissent, qui font sensation. Ce sont des acteurs politiques qui, comme des stars, hypnotisent les masses en mettant tout le monde sous l’effet de leurs discours et de leurs performances. L’hypnose et la production de l’extase deviennent des méthodologies politiques. Ce n’est pas par hasard que la religion, l’économie et la politique se rapprochent de plus en plus, du fait qu’elles utilisent des méthodes similaires.
La société de la « sensation » dont parle Türcke est une société dans laquelle un contrôle des corps s’exerce au niveau de la stimulation de la perception par une stratégie de chocs à différentes intensités[45]. Les chocs agissent sur les sens et sur toute la sensibilité des individus dont la capacité de perception, dans une vie définie par les conditions numériques, ne peut être négligée. Pour Christoph Türcke (2002, 85), la sensation est un nouveau paradigme[46] dont l’histoire doit être comprise. Türcke parle d’une culture dans laquelle les conditions microtechnologiques déterminent l’expérience. Selon lui, il y a un affaiblissement de ce qu’il appelle « le sens théologique et politique de ce qui “nous frappe nécessairement” ». Le processus est « physiologique », c’est-à-dire qu’il touche non seulement la rationalité ou la sensibilité (catégories qui traitent le corps humain de manière dualiste), mais aussi le « sens physiologique de l’expression ». Selon ses propres termes :
Ce qui frappe, touche et bouge, c’est ce qui, par injection, agite notre système nerveux et, même si ce n’est que pour un instant, attire l’attention. La sensation aujourd’hui, dans le langage familier, signifie simplement « ce qui fait sensation ». Lorsque le mot est passé du latin aux langues nationales européennes, il représentait bien en général la primauté physiologique du sentiment ou de la perception – sans aucune connotation spectaculaire. Et le plus remarquable est que précisément la forte pression médiatique du présent, qui associe presque automatiquement « sensation » à « faire sensation », non seulement recoupe l’ancien sens physiologique de la sensation, mais la déplace d’une nouvelle manière. En d’autres termes, si tout ce qui n’est pas capable de provoquer une sensation tend à disparaître sous le flux d’informations, n’étant pratiquement plus perçu, cela signifie, à l’inverse, que la direction est celle où seul ce qui provoque une sensation est perçu .
(Türcke 2002, 20)
Si, en fait, la perception de ce qui produit la sensation devient la « sensation tout court », tous les corps y sont soumis. La soumission à la sensation comme forme d’excitation est esthétique et politique. Elle modifie le domaine de la politique et de l’esthétique, ainsi que les pratiques esthétiques et politiques du monde de la vie. Ce qui provoque la « sensation » est une farce. La qualité de cette sensation, à son tour, dépendra de facteurs liés aux conditions culturelles des individus et des groupes. La comédie atteindra plus facilement les masses dont les subjectivités ont été longtemps configurées pour les performances comiques et la catharsis de l’industrie culturelle. Le style est le kitsch. On constate que les députés les mieux élus dans des pays comme le Brésil sont ceux qui font rire, ou qui captent les électeurs par la grâce. Jair Bolsonaro lui-même, avant de devenir un fasciste plus sérieux, n’était considéré que comme un simple homme drôle, un clown un peu bizarre qui faisait des grossièretés. De nombreux intellectuels ne croyaient pas en son potentiel jusqu’à la veille des élections. Il y a quelque chose de fictif dans le fascisme (Adorno et Horkheimer 2019, 13). La propagande en tant que machine de guerre est le travail consistant à transformer le ridicule en quelque chose de « sensationnel ».
Face à la dégradation de la politique en publicité, on peut comprendre que certains élus, dans la vague d’extrémisme de droite, manquant de compétence pour gouverner, continuent à agir comme s’ils étaient encore en campagne, adeptes d’une rhétorique de propagande verbale et visuelle, comme l’ont montré l’activisme de Trump et Bolsonaro dans les réseaux sociaux bien après leur prise de fonction. La logique commerciale typique d’une campagne politique est devenue la méthode. Dans cette optique, la politique peut être définie comme une marchandise au sens de ce qui est présenté comme un « événement esthétique » (Türcke 2010, 189)[47] dans lequel la publicité est « la nouvelle forme de communication et de perception ». Nous sommes poussés par une « forte pression » d’information à la fois économique, esthétique et physiologique.
Le corps est frappé par des chocs qui fonctionnent comme des injections qui dominent physio-théologiquement l’existence à travers un circuit où sont manipulées l’anesthésie et la dépendance. L’usure du système nerveux viendra plus tard. Avant, le corps s’accoutumera au jeu entre plaisir et déplaisir et restera vivant et, pour rappeler Foucault, sera un corps docile. Par la sensation, ce corps est exploré économiquement, physiquement et esthétiquement. Türcke(2010, 268) nous dira : « l’esthétisation de tous les rapports de production et de vie est aussi une esthétisation de l’expropriation et de l’exploitation ». C’est en ce sens que les « chocs audiovisuels » appliqués aux corps comme des « coups » font « sonner la caisse enregistreuse quelque part » et, quand on est accro à la mode, aux séries télévisées, aux réseaux sociaux, personne ne se rend compte d’être exploité.
L’abus du corps est le moteur même de l’économie capitaliste. Nous ne devons pas oublier le rapport avec l’histoire de l’exploitation des femmes, et la centralité du corps dans ce processus, en tant qu’exploitation à la fois « économique, physique et esthétique » et qui est le modèle basé sur l’exploitation et la violence du capitalisme en vigueur jusqu’à aujourd’hui[48].
De l’exploitation du système sensoriel, du système nerveux lui-même, peu ont la chance de s’échapper. Ainsi de la « compulsion d’émettre » qui devient un comportement universel. Elle a la structure d’une dépendance qui devient à la fois banale[49] et universelle. La docilité des corps est explicite dans ce que Türcke définit comme la « caractéristique essentiellement conformiste de la dépendance : la volonté d’un nombre colossal d’êtres humains de se placer devant le compte-gouttes d’un appareil multimédia et de se laisser exploiter sur les plans neurologique et esthétique ». Ce questionnement nous aide à comprendre pourquoi des présidents comme Jair Bolsonaro ou Donald Trump et tant d’autres personnages du Ridicule Politique, ainsi que l’ensemble de leurs gouvernements, appliquent quotidiennement des chocs à la population avec des mots et des actes linguistiques. Ces chocs sont favorisés par les réseaux sociaux. Leur contenu vient dominer l’actualité et la mentalité quotidiennes. Des actions liées à l’anéantissement des droits se cachent derrière les gros titres et les scènes quotidiennes de ridicule politique, cette nouvelle forme de totalitarisme intériorisée par les citoyens dont nul ne voit comment la surmonter socialement, esthétiquement et politiquement.
L’avancée du Ridicule Politique profite de sa propre naturalisation. Les masses dépourvues de ressources subissent la rhétorique visuelle et verbale du ridicule, mais même la perplexité des intellectuels et des universitaires face au phénomène est une des qualités produites par le phénomène et qui constitue sa force. Tous sont saisis par le caractère extatique de la scène. Le populisme de l’extrême droite navigue tranquillement dans cette production et reproduction de l’extase, qui est due à sa propre nature.
La naturalisation du ridicule est la plus grande ruse du capital dans une société excitée. Le ridicule s’impose comme capital et comme nouvelle médiation. Ce n’est plus la simple image ou scène, mais l’image capitalisée par son excès, par sa démesure, par son potentiel d’inversion. Cette image n’est pas seulement considérée comme une fiction ou un divertissement, mais bien plus comme une extase politico-économique et religieuse.
Le Ridicule Politique est une relation sociale médiée par des scènes. Ces scènes sont le capital spectaculaire, exhibitionniste et ostentatoire lui-même. La subjectivité impliquée dans ce processus est celle du pervers, du sujet sans la dimension de l’autre (Alberti 2005; Lebrun 2007) et qui, malgré tout, vit avec l’autre. Celui pour qui l’autre n’est pas un semblable, mais seulement un ennemi et, en tant que tel, doit être traité comme une chose, ou comme un pigeon dans un jeu cynique. Celui qui doit être humilié et rabaissé alors même qu’il est incapable de se percevoir comme un objet dans un jeu, parce que les conditions qui lui permettraient de le reconnaître lui ont été enlevées avant même qu’il ait pu choisir d’y participer.
Parties annexes
Notes
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[1]
Le concept de Ridicule Politique a été présenté dans un livre du même nom publié en 2017 par Ed. Record. Dans cet article, je présente les aspects soulevés dans la poursuite de la recherche sur le sujet.
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[2]
Les habits neufs de l’empereur a été publié en 1837 par Hans Cristian Andersen. Dans ce cas, la perception d’un enfant qui voit le roi nu est une métaphore de la conscience qui ne se soumet pas à la vanité et à l’orgueil du pouvoir.
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[3]
En 2019, j’ai publié Delírio do poder, psicopoder e loucura coletiva na era da desinformação (Ed. Record), où je cherche à établir des liens entre des catégories transdisciplinaires qui permettent de comprendre les jeux politiques.
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[4]
Le concept de performativité utilisé dans cet ouvrage est le concept classique de la théorie du langage du penseur anglais J. L. Austin, pour qui parler, c’est faire. Voir Austin et Urmson (2009).
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[5]
Original : La democracia, pues, en este sentido « sustancial », « ontológico », es el Objeto Imposible de la Política: es lo político vuelto « causa perdida » de la Política (Grüner 2002, 22).
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[6]
« L’idéologie contemporaine est l’état de conscience et de non conscience des masses en tant qu’esprit objectif, et non les petits produits qui imitent cet état et le répètent, pour le pire, afin d’assurer sa reproduction. L’idéologie, à proprement parler, se déroule là où sont régis des rapports de force qui ne sont pas intrinsèquement transparents, médiés et, en ce sens, même atténués. Mais pour tout cela, la société actuelle, accusée à tort d’une complexité excessive, est devenue trop transparente. Cette transparence est précisément ce que l’on admet le plus à contrecœur. Moins il y a d’idéologie et plus les produits qui lui succèdent sont grossiers… » (Adorno et Horkheimer 1973).
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[7]
Foucault évoque le rapport entre vérité et justice et affirme que c’est précisément à l’intersection de ces énoncés que naissent les discours vrais, avec des « effets judiciaires souhaitables » et qui ont la curieuse propriété d’être étrangers à toutes les règles, même les plus élémentaires d’un discours scientifique, aux règles du Droit et qu’ils sont « grotesques ». Voir Les Anormaux (Foucault 1999, 12) et La vérité et les formes juridiques (Foucault 2011). Je remercie Bertrand Ogilvie de m’avoir signalé ce texte de Foucault. Voir aussi : Ruben Casara (2018), Sociedade Sem Lei : Pós-democracia, personalidade autoritária, idiotização e barbárie.
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[8]
Voir Ubu Roi (Jarry 1896).
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[9]
« En montrant explicitement le pouvoir comme abject, infâme, ubuesque ou simplement ridicule, il ne s’agit pas, je crois, d’en limiter les effets et de découronner magiquement celui auquel on donne la couronne. Il me semble qu’il s’agit, au contraire, de manifester de manière éclatante l’incontournabilité, l’inévitabilité du pouvoir, qui peut précisément fonctionner dans toute sa rigueur et à la pointe extrême de sa rationalité violente, même lorsqu’il est entre les mains de quelqu’un qui se trouve effectivement disqualifié. » (Foucault 1999, 12)
-
[10]
« Ce problème de l’infamie de la souveraineté, ce problème du souverain disqualifié, après tout, c’est le problème de Shakespeare ; et toute la série des tragédies des rois pose précisément ce problème, sans que jamais, me semble-t-il, on ait fait de l’infamie du souverain la théorie » (Foucault 1999).
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[11]
Le grotesque est une vaste catégorie qui apparaît dans d’autres scénarios avec une multiplicité de sens et de richesses qui nous détourneraient de la cible à laquelle le ridicule nous permet d’accéder plus précisément. Je me réfère au livre de Francis Barasch : The Grotesque – a study of Meanings (1971).
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[12]
Voir les recherches de Rosana Pinheiro-Machado et Lucia Mury Scalco (2020), From hope to hate : The rise of conservative subjectivity in Brazil ainsi que le livre de Rosana Pinheiro Machado Amanhã vai ser maior (2019) et la recherche d’Esther Solano La bolsonarización de Brasil (2019).
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[13]
Il y a plusieurs cas, mais nous pouvons mettre en évidence certains députés qui méritent d’être analysés : Tiririca, Janaína Pascoal, Alexandre Frota, Kim Kataguiri. Ils s’élèvent au pouvoir à partir de postures qui correspondaient à ce que Foucault appelait grotesque. Malheureusement, les spécificités de chacun de ces personnages ne peuvent être analysées dans le contexte de cet article. Je fais cependant référence à des membres du Congrès plus âgés que ceux cités lors de la célèbre scène du Congrès national brésilien, au moment du vote de destitution de Dilma Rousseff en 2016, qui a choqué population. Les députés qui s’y trouvaient ont été réélus en 2018. L’un d’entre eux, qui a prononcé le discours suivant, le plus grotesque de tous, est devenu président du Brésil : « En ce jour de gloire pour le peuple brésilien, il a un nom qui restera dans l’histoire à cette date, pour la façon dont il a mené les travaux ménagers. Félicitations, Président Eduardo Cunha. Ils ont perdu en 64, ils perdent maintenant en 2016. Pour la famille et pour l’innocence des enfants à l’école, que le PT n’a jamais eue, contre le communisme, pour notre liberté, contre le Forum de São Paulo, pour la mémoire du colonel Carlos Alberto Brilhante Ustra, la terreur de Dilma Rousseff, pour l’armée de Caxias, pour nos forces armées, pour un Brésil avant tout et pour Dieu avant tout, mon vote est oui ». Bolsonaro était connu pour n’avoir jamais fait adopter de loi. Parmi ses projets présentés à la chambre législative figure celui de la castration chimique des violeurs. Malgré ses piètres performances à la chambre, il a toujours été l’un des mieux élus du pays. Le gouvernement de Bolsonaro suit aujourd’hui la ligne de sa campagne, qui s’est développée et intensifiée depuis.
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[14]
Je me suis efforcée de jeter les bases d’une théorie de la télévision, dans un livre publié en 2011 et intitulé Olho de Vidro : a televisão e o estado de exceção da imagem Ed. Record), dans lequel j’essaie de montrer comment la télévision est l’univers des écrans auxquels nous sommes soumis et qui fonctionnent comme un mécanisme de désubjectivation.
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[15]
Como la referencia originaria proviene de Totem y Tabú, y por lo tanto de una teoría sobre el origen de la Ley que hace posible la existencia misma de la ecclesia, de la comunidad social, tenemos derecho a hipotetizar - apoyándonos un poco « abductivamente » en los ejemplos de Geertz o de Victor Turner - que la función central del ritual comunitario, y en especial del ritual de sacrificio, es « fundadora » : instaura (o re-instaura, en su periódica y calculada repetición) la Ley, pero de una manera que recuerda, con fines por así decir « preventivos », el conflicto primario entre el Orden (de la Ley) y el Caos (la violencia primera y primaria que hizo necesaria la Ley). La repetición ritual del crimen originario no sólo reafirma la Ley, sino que re-anuda el pacto de los « hermanos » para asesinar al « padre » : la astucia simbólica del ritual consiste en rticular la p recedencia lógica de la transgresión respecto de la Ley, y por lo tanto la amenaza permanente de la violencia fundadora, que debe ser conjurada con la asunción universal de la Ley vía « culpa retroactiva ». Sí, pero ¿ qué hay del acto originario, del asesinato « real » del « padre terrible » ? ¿ De dónde salió la Culpa si en ese entonces no había, estrictamente hablando, Ley ? (no es Ley, « estrictamente hablando », el mero arbitrio autoritario, impuesto por la fuerza, del « padre terrible », quien, justamente porque encarna la Ley, impide su « simbolización »). (2002, 18)
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[16]
Entendido como instancia es decir como espacio de una ontología práctica del conjunto de los ciudadanos como todavía se la puede encontrar en la noción aristotélica del « zoon politikón », en cuanto se debe entender la « política » como « ejercicio de una profesión » específica en los límites institucionales definidos por el espacio « estático » del Estado jurídico (Grüner 2002, 21).
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[17]
« […] este conflicto fundante de lo político entre el Caos del goce sin ataduras y el Orden de la regla que se articula en el ritual de sacrificio, tiene ya su “teoría” : se llama Tragedia. » (Grüner 2002, 20)
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[18]
Dans ce sens, voir les articles suivants : Márcia Tiburi (2010), Ofélia morta – da palavra à imagem ; Márcia Tiburi (2013), Gradiva Espectral et Márcia Tiburi (2013), Diadorim: biopolítica e gênero na metafísica do Sertão.
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[19]
Traiter le terme d’esthétique comme problématique fait déjà partie de l’histoire de la discipline, comme on le voit chez nombre de ses penseurs importants. Theodor Adorno est l’un d’entre eux. Voir Théorie esthétique (2008).
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[20]
Dans Schopenhauer (2005), nous trouvons l’esthétique comme l’intersection entre la sensibilité et la compréhension, le corps et le sujet de la représentation. Voir : Arthur Schopenhauer (2015). Le caractère sensible de la compréhension elle-même la place comme un facteur esthétique-cognitif et le corps est toujours présent, non pas comme une matière première, mais comme le lieu propre du sujet du désir et des représentations. Nietzsche, à son tour, développe une œuvre dans laquelle l’esthétique et le politique, ou l’esthétique et l’éthique sont construits dans un arrangement commun. Le corps est l’un de ses thèmes les plus brûlants. Chez les deux philosophes, le corps est le lieu sensible dans lequel se situe sujet. La complexité de ces thèmes dans les œuvres de ces penseurs échappe au but de ce travail. Cependant, il est nécessaire d’enregistrer qu’ils sont aussi une partie fondamentale de la trajectoire d’un problème philosophique historique, le thème du corps qui devient de plus en plus crucial.
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[21]
Voir : Jair Barboza (2006) : « Dans la dialectique des Lumières, les auteurs parlaient déjà d’un contrôle du corps (Kontrolle über den Körper). Voir le paragraphe intitulé Intérêt pour le Körper dans les notes et croquis (Aufzeichnungen und Entwürfe). Voir aussi la notion “d’amour-haine” (Haßliebe) liée à l’opposition entre deux lieux du corps, le corps vivant et le corps en tant que chose, l’opposition Leib, Körper. »
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[22]
Le thème du goût qui deviendra plus tard un sujet fondamental de la pensée de Pierre Bourdieu (1979).
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[23]
Voir (Damião 2014). L’auteure cite Baltasar Gracián, Cícero et Quintiliano, mais aussi Gadamer qui perçoit la participation du goût – et du bon goût – dans la production de ce qui est commun. Outre eux, les philosophes des Lumières britanniques : Shaftexbury, Hume et Hutcheson.
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[24]
Des concepts tels que Skillevei, que nous pouvons traduire par « carrefour », ont une validité existentielle et subjective chez Kierkegaard, mais un tel concept peut également être perçu comme une interface entre les disciplines.
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[25]
J’ai eu l’occasion de développer le concept philosophique de la vie quotidienne et de la vie quotidienne virtuelle dans Filosofia Prática publié chez Editora Record en 2014.
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[26]
Lorsque l’esthétique émerge comme discipline au XVIIIe siècle, l’effort d’Alexander von Baumgarten est de transformer le sensible en connaissance. Loin de se référer à une théorie de la beauté ou de l’art, elle s’établit comme une théorie de la sensibilité ; en tant que faculté cognitive produisant un type de connaissance, l’esthétique renvoie à la pertinence de la perception sensible. Voir aussi The German Aesthetic Tradition (Hammermeister 2002).
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[27]
Giorgio Agamben préfère étourdir la Scienza senza nome et demander si cela vaut la peine d’essayer de lui trouver un nom. In Aby Warburg e la Scienza senza nome, (1984, 58).
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[28]
Dans l’original : « Unheimlich" sei alles, was ein Geheimnis, im Verborgenen bleiben sollte und hervorgetreten ist.” “Die Beziehung auf die Verdrängung erhellt uns jetzt auch die Schelling sche Definition, das Unheimliche sei etwas, was im Verborgenen hätte bleiben sollen und hervorgetreten ist. » (Freud 2012)
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[29]
« Something is rotten in the state of Denmark. »
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[30]
« Le bel art montre son excellence dans la description de belles choses qui seraient de nature laide ou désagréable. Les furies, les maladies, les dévastations de la guerre, etc., peuvent, en tant que choses pernicieuses, être très bien décrites, même présentées en peinture ; une seule sorte de laideur ne peut être présentée selon la nature sans détruire tout plaisir esthétique, c’est-à-dire la beauté artistique : celle qui suscite le dégoût. Car dans cette étrange sensation, basée sur l’imagination pure, l’objet est présenté comme s’il était forcé d’être apprécié, contrairement à ce qui est recherché par la force ; ainsi, la conception artificielle de l’objet ne se distingue plus de la nature de l’objet lui-même dans notre sensation, et cette nature ne peut plus être considérée comme belle. » (Kant 2009)
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[31]
Le réalisme capitaliste est un mouvement créé par Gerhard Richter, Manfred Kuttner et Konrad Lueg à Berlin dans les années 1960, par opposition au « réalisme socialiste » en réaction au pop art américain.
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[32]
Dans l’original, « The widespread sense that not only is capitalism the only viable political and economic system, but also that it is now impossible even to imagine a coherent alternative to it. Once, dystopian films and novels were exercises in such acts of imagination - the disasters they depicted acting as narrative pretext for the emergence of different ways of living. », notre traduction « Le sentiment répandu que non seulement le capitalisme est le seul système politique et économique viable, mais aussi qu’il est désormais impossible d’imaginer une alternative cohérente à celui-ci. Autrefois, les films et les romans dystopiques étaient des exercices de ces actes d’imagination - les catastrophes qu’ils dépeignaient servant de prétexte narratif à l’émergence de différents modes de vie. » (Fisher 2009)
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[33]
« Hegel observe dans une de ses œuvres que tous les faits et personnages de grande importance dans l’histoire du monde se produisent, pour ainsi dire, deux fois. Et il a oublié d’ajouter : la première comme tragédie et la seconde comme farce. » (Marx 2011)
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[34]
Le concept de mimésis traverse l’histoire de l’esthétique philosophique, l’art et la littérature étant l’un de ses termes les plus polyphoniques. Voir Mimesis, Culture, Art, Society (Gebauer et Wulf 1995).
-
[35]
Pour un examen approfondi du concept de mimésis, voir Walter Leszl (2006), Plato’s attitude to poetry and the fine arts, and the origins of aesthetics où l’auteur analyse la question de la tragédie et de la comédie chez Platon. Dans les lois, par exemple, on peut voir que Platon ne rejette pas la comédie, mais la traite avec beaucoup de soin. Vois aussi Teresa Chevrolet (2008), Aristóteles posto à prova de Platão ou o caso mimesis.
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[36]
« La operación warburguiana es, pues, en un sentido amplio pero estricto de la palabra, política. Quiero decir: una interpelación a la polis, “ciudad” hecha también, y quizá principalmente, de representaciones de rostros y cuerpos, y que quisiera no tener que hacerse cargo de sus propias monstruosidades, de la cuota de barbarie que está inscripta en su “civilización”, según el famoso dictum de Walter Benjamin ». (Grüner 2017)
-
[37]
Freud, en créant sa théorie du mot d’esprit, aborde la question de cette relation entre le cosncient et l’inconscient en action dans ce type de production humoristique. Voir Lo cómico (D’Angeli et Paduano 2001, 243) et Os Chistes e sua relação com o inconsciente (Freud 1996).
-
[38]
« La “supervivencia” que desarmoniza la apariencia, decíamos recién, no es un mero rezago cultural: es un fantasma, o es la figura vampírica del muerto-vivo, del Un-dead, del No-sferatu cuya sombra acecha dentro mismo de lo heimlich, lo “familiar”, confortable y acogedor, del hogar de la belleza estetizada. » (Grüner 2017)
-
[39]
Le sentiment que le monde est inversé n’est cependant pas nouveau en termes de politique. Il frappait les peuples amérindiens depuis longtemps. Il peut devenir maintenant une catégorie d’analyse politique pour toutes les cultures menacées à ce stade de notre histoire. Selon la philosophe bolivienne Silvia Cusicanqui : « La langue dans laquelle Waman Puma écrit est truffée de mots et de tournures de discours oral en qhichwa, de chansons et de jayllis en aymara et de notions telles que “Mundo al Revés”, qui découle de l’expérience cataclysmique de la conquête et de la colonisation. Cette notation de Mundo al Revés est apparue dans l’œuvre d’un peintre qui a fait des recherches sur les médiations du siglo diecinueve, qui, dans sa malchanceuse vie politique d’homme enfermé et déporté, a pu connaître les endroits les plus reculés du pays et vivre avec les peuples indigènes qui étaient à peine identifiés - comme les Bororos dans l’Ignatius ou les Chacobos et Moxeños dans les terres orientales. Pour lui, le Mundo al Revés faisait allusion au gouvernement de la république, in manos de bestias, qui a défait le peuple du travail de la charrue des bueyes ». Dans la sociologie des images de Cusicanqui, on retrouve la question du monde inversé, d’un monde à l’envers, le monde des peuples envahis et humiliés par les Espagnols. Cusicanqui montre l’opération d’« apequenamento » [diminution] des Indiens enregistrée dans les images de Waman Puna à partir desquelles elle croit qu’il est possible de refaire l’histoire de l’assujettissement des peuples, y compris les aspects psychologiques impliqués dans les processus d’humiliation. Dans ce cas, la violence était un opérateur de destruction, à laquelle les rituels des peuples indigènes en viennent à refaire la relation entre à la fois « l’État » indigène, le social et le rituel, en repositionnant le sens de la mort et de la violence vécue. Si Warburg analyse la répétition des images dans le temps, en valorisant l’esthétique, Cusicanqui fait de même, mais en valorisant le politique. Si l’opération de Warburg est politique, comme le dit Grüner, celle de Cusicanqui est esthétique.
-
[40]
« Mythe [Mito] » est le terme par lequel les fans du président Jair Bolsonaro désignent son idole.
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[41]
VoirKrisztina Lajosi (2010), Wagner and the (Re)mediation of Art et David B. Dennis (2003),The Most German of All German Operas: Die Meistersinger through the Lens of the Third Reich.
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[42]
« Die Befreiung, die Amusement verspricht, ist die von Denken als von Negation. » (Adorno et Horkheimer 1988, 153)
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[43]
« Wie über den Stil enthüllt die Kulturindustrie die Wahrheit über die Katharsis. » (Adorno et Horkheimer 1988, 152)
-
[44]
Page 267 dans la version numérique organisée par Bertrand Gibir de Le Rire : Essai sur la signification du comique d’Henri Bergson.
-
[45]
Naomi Klein (2008) reconstitue l’histoire de la recherche américaine sur les chocs électriques et l’utilisation de ce mécanisme dans la torture à l’époque des dictatures latino-américaines et compare le néolibéralisme à une procédure basée sur une politique de chocs.
-
[46]
« D’un certain point de vue, le paradigme de la sensation est plus “paradigmatique” que celui conçu par Kuhn : non seulement comme la base de recherche d’un système scientifique, mais comme la base de perception de toute une société. Ce ne sont pas seulement les croyances scientifiques qui sont sujettes à des changements historiques ; tout l’appareil de perception, d’où elles émergent, se transforme - mais beaucoup plus lentement ». (Türcke 2002, 85)
-
[47]
Selon Türcke (2010, 189) : « La présentation des marchandises est toujours un événement esthétique aussi. Les objets qui sont déjà mis au monde en tant que marchandises et qui doivent donc être préparés pour le marché dès leur fabrication sont dotés d’une surface brillante. Avec cela, la production de biens apporte avec elle la nécessité interne d’une technologie de configuration de toute la surface ».
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[48]
Je me réfère à la lecture du livre de Federici (2017) sur le passage du féodalisme au capitalisme et le rôle de l’accumulation primitive du capital sur les femmes, maintenu jusqu’à nos jours.
-
[49]
J’ai développé dans un travail précédent la notion de « banalité du vice ». dans Sociedade Fissurada: para pensar as drogas e a banalidade do vício (Tiburi et Dias 2012).
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