Résumés
Mots-clés :
- covid-19,
- littérature,
- Antigone,
- espace,
- confinement
Keywords:
- lockdown,
- literature,
- covid-19,
- Antigone,
- place
J’ai vu les cadavres qu’on empilait dans des stades en Espagne et ceux qu’on promenait dans des camions réfrigérés en Amérique latine, puis ceux qu’on entassait dans des fosses pas loin de New York auxquels s’ajoutaient ceux qu’on avait recouverts de parapluies au Brésil. J’ai vu ceux, bien sûr, que l’on transportait dans des sacs à Wuhan et ceux que l’on avait recueillis dans les maisons de Guayaquil et enfin ceux que l’on retrouvait le matin en faisant sa tournée dans les CHSLD et puis surtout, surtout tous ceux que j’ai oubliés. Il y a eu tant de corps en souffrance d’une sépulture durant la Covid-19 qu’Antigone qui aurait eu pourtant tant à faire m’a cruellement manquée. J’aurais voulu la voir apparaître quand je me suis vue refuser l’accès à l’hôpital où une de mes amies se mourait de tout autre chose que la Covid. Il n’y aurait eu qu’elle pour défendre les droits des mourants des visites et des mourants à des sépultures. J’ai pourtant fait une petite crise, mais Sophocle n’a pas voulu me souffler les mots. Il ne m’avait pas écrit de texte à lancer contre l’État dans les couloirs de l’hôpital ou dans les allées d’un cimetière. Je me suis retrouvée seule avec les morts et les cancéreux et je n’avais plus beaucoup de courage. Heureusement qu’il restait de la fille d’Œdipe une présence littéraire. La disparition de la figure de la rebelle et de la plus rebelle d’entre nous, Antigone, celle qui demande des rites funéraires pour son frère, n’est pas totale. Antigone nous fait signe de sa Grèce lointaine et je ne sais pas lui résister. Alors, j’ai pensé écrire ce texte. Il faut l’imaginer dit dans la colère. Celle à laquelle une pensée-Antigone nous convie. Nous avons accepté sans vraiment rouspéter que les cérémonies funéraires aient lieu sur Zoom, que les rites d’accompagnement des malades, des mourants soient supprimés. On meurt sans personne, on naît sans être entouré et on passe des jours sans visite à l’hôpital avec son cellulaire. Si on a la chance d’en posséder un… La disparition d’Antigone dans une société moderne est bien sûr très logique, elle s’inscrit dans un traitement déritualisé de la mort. Mais comment avons-nous pu accepter ces dernières atteintes à nos libertés ? Et pourquoi personne ne s’est pleinement révolté contre cela, si ce n’est un certain Giorgio Agamben qui publiait un manifeste que l’on a vite relégué aux oubliettes ou qualifié de fou, puisque la contamination est notre seul soucis envers ce monde. Les lamentations du metteur en scène Dominic Champagne qui a dû faire ses adieux à sa mère mourante à l’hôpital en 10 minutes ne l’ont pas propulsé en défenseur des droits des morts. Parce que la raison ou la déraison médicale reste la loi. Le reste est superflu. Et la médecine nous demandait de rester à la maison. Dans les derniers mois, sommés de rester chez nous pour que « ça aille bien », nous nous sommes retrouvés à accepter d’être confinés at home, au sein d’appartements ou de maisons peu faits pour nous accueillir en permanence, sans nous intéresser tout à fait aux incidences sur l’intelligence et sur les modes de réflexion que cette séquestration semi-volontaire aurait inévitablement. Bien sûr, beaucoup d’intellectuels ont pu dire, et j’en fus, que le travail de lecture et d’écriture a préparé ceux et celles qui veulent créer ou faire de la recherche à ce genre de vie monacale, réglée par une domesticité et une sédentarité relatives. De nombreux écrits de prison, d’hôpital, de couvent, de monastère, de planque, de séquestration, de chambre à …