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Subject: Re: L’espace numérique

Date: 02 Feb 2016 13:55

From: Eric Méchoulan eric.mechoulan@umontreal.ca

To: Marcello Vitali-Rosati marcello@vitalirosati.net

Cher Marcello,

Un long moment s’est passé depuis ton dernier message et je regrette bien de n’avoir pu continuer le dialogue. Je vais essayer de le reprendre là où tu nous avais laissés avec tes deux remarques critiques, d’une part sur la triviale confirmation de nos présupposés culturels, d’autre part sur l’impossibilité, justement, d’une critique sur la culture numérique qui est la nôtre puisque nous l’habitons. Permets-moi de penser que ces deux points sont de faux problèmes. Premier point : l’inquiétude sur les présupposés culturels ou les préjugés qui empêcheraient donc un sain jugement vient aussi d’un préjugé sur ce qu’est un préjugé : en fait, un préjugé n’est pas ce qui piège d’avance notre faculté de juger, mais la voie qui l’autorise. On peut certes rester captif de ses préjugés ; on peut aussi s’en servir comme de tremplins pour juger mieux (surtout si on en voit les dimensions propres). Le fait, par exemple, que la structure de réseau qu’est l’Internet nous amène à favoriser une ontologie des relations, des êtres-avec est très possible. Mais ça nous permet justement de penser une ontologie déjà présente depuis longtemps, tout en lui donnant plus de valeur et d’intérêt que celle qui dominait jusque-là. Je dirais que la pensée travaille par comparaisons et analogies. Elle trouve ses analogies dans le monde où elle vit (ou dans le passé qu’elle décrit et réinvente). Mais le propre de l’analogie est précisément qu’elle nous tire vers autre chose et qu’elle nous donne ainsi immédiatement de la distance avec ce point d’où nous partons. Sans céder au fameux démon de l’analogie, il faut savoir s’en servir. En cela « l’homme habite en poète » le monde dans lequel il existe. Deuxième point : la critique peut être cette enquête des limites du discours ou du jugement et ce soupçon jeté sur les mauvais usages du langage et de la réflexion. C’est son utilité. Mais ce n’est qu’une des facettes de la critique. La critique est aussi une confiance dans le jugement à arpenter ces limites, à diriger l’attention, à choisir les perspectives les plus instructives (ou les plus belles) pour mieux habiter notre monde (ce qui veut dire aussi ne pas en être trop souvent la dupe). Quand Foucault reprend le fameux texte de Kant Was ist Aufklärung ?, il le retraduit en Qu’est-ce que la critique ?. Bien sûr, ce projet des Lumières est inscrit dans un temps donné et dans une culture occidentale bien particulière. Il a beau invoquer l’universalité, il n’est pas universel. Par contre, ses propositions, même limitées, sont bonnes à penser dans d’autres contextes. Lancer une réflexion limitée sur les pistes de l’universalisable (sans y prétendre) est autre chose que faire croire à tous sur terre (et surtout à ceux qu’on domine) que là est la seule universalité possible. J’ajoute un point plus historique. Je ferais volontiers une différence entre trois régimes de temporalité et de médiation technique et sociale : 1. la tradition trouvant sa légitimité dans le passé et structurée surtout par l’oralité ; 2. la culture fabriquant sa légitimité par projection dans l’avenir et alimentée par l’écrit, en particulier imprimé ; 3. ce que nous connaissons désormais comme « numérique ». Parler de culture numérique me semble inadéquat car on est piégé par le modèle de la culture, en particulier celui des temps modernes, de l’État et des administrations. Je préfère utiliser un mot que tu as toi-même employé : environnement. Il permet de souligner la spatialisation du temps, le caractère globalisant du réseau et l’enjeu écologique (pas seulement écologie de la terre, mais écologie des relations et écologie des esprits [héritage disons de Bateson et Descola]). C’est pour cela que penser ce que tu appelles depuis le début de notre dialogue « l’espace numérique » est crucial pour élaborer une critique valide de notre temps et de cet environnement.

Amitiés,

eric

Subject: Re: L’espace numérique

Date: 04 Feb 2016 14:40

From: Marcello Vitali-Rosati marcello@vitalirosati.net

To: Eric Méchoulan eric.mechoulan@umontreal.ca

Cher Éric,

ta réponse est éclairante et fait redémarrer notre dialogue sur une note très positive ; j’adhère volontiers à ta revendication de la possibilité de la critique au-delà du fait d’être culturellement situé. Je reformulerais ta proposition en disant que la critique est l’analyse et le questionnement des structures de l’espace numérique. Comment devons-nous continuer cette activité critique ? Sur quoi faut-il porter notre attention et notre jugement ?

Comme tu le sais, dans la médecine grecque, la crisis est le moment culminant de la maladie, le moment où le patient se trouve devant une bifurcation : ou il meurt, ou il commence sa convalescence. Le soir de la crisis, le bon médecin était capable de dire si le lendemain le patient serait mort ou en train de guérir. Le jugement qui s’opère au moment de la crisis est donc assez manichéen : c’est bien ou c’est mal. Ce dualisme ne fonctionne pas, me paraît-il, dans le cadre de l’analyse de l’espace numérique. On se retrouve en effet devant des antinomies un peu creuses… D’une part on pourrait penser le numérique comme l’espace de la liberté totale (manque de contrôle, mais aussi manque de structure et, antinomiquement, manque de sens) et d’autre part le penser comme l’espace du contrôle (gestion totalitaire de toutes les données, mais aussi, antinomiquement, possibilité de connaissance infinie, de progrès dans notre maîtrise du monde…). Ces deux (ou plutôt quatre) discours caractérisent souvent la critique du numérique, et je pense qu’il faut les éviter. Nous devons au contraire nous concentrer sur les horizons de possibilité d’action dessinés par l’espace numérique. En d’autres termes, la critique doit servir à identifier en quoi l’espace numérique, en tant que contexte de nos actions, nous ouvre un horizon de possibilité particulier. On revient ici à notre question sur la possibilité de négocier collectivement les structures de l’espace numérique pour en faire un espace public. La critique a du sens si elle nous permet de devenir conscients des implications des structures spatiales en nous donnant la possibilité non seulement de les analyser, mais aussi de les changer. La critique n’a de sens que si elle est aussi une pratique.

m

Subject: Re: L’espace numérique

Date: 06 Feb 2016 04:58

From: Eric Méchoulan eric.mechoulan@umontreal.ca

To: Marcello Vitali-Rosati marcello@vitalirosati.net

Cher Marcello,

Je chipote sur un minuscule point : je ne dirais pas que la critique est possible « au-delà » de sa situation culturelle (ce serait se soulever de terre soi-même par les cheveux), mais justement parce qu’elle en arpente les chemins, les limites, bref, qu’elle en éprouve et mesure les forces, elle parvient alors à se décaler comme une résultante virtuelle calculée à partir des multiples forces réelles. À partir de là, on conçoit la validité de ta remarque : s’en tenir à des oppositions duelles ne fonctionne pas.

Les réflexions d’Alexander Galloway, dans « The Interface Effect », sur le software comme idéologie devenue machine peuvent devenir intéressantes en ce qu’il insiste alors sur la critique politique qui lui est nécessairement associée. Ce n’est pas simplement que l’écriture des logiciels comporte une part d’idéologie même dans le codage, mais que les contradictions idéologiques entre codage technique et fétichisme de l’abstraction sont rejouées dans la forme même du logiciel. La question centrale me paraît alors celle de la « fonctionnalité ». Elle apparaît mieux si on recourt à ce vieux concept d’idéologie (malgré ses défauts connus) plutôt que de « culture », parce qu’on voit bien que l’idéologie prolonge et fait écran à la reconnaissance des fonctions sociales de chacun dans des régimes de pouvoir qui distribuent des places. Or, le logiciel est aussi une machine à distribuer des positions et assurer des fonctionnalités. Tout espace social dans lequel des actions sont performées est mise en œuvre de fonctionnalités. L’intérêt de l’espace numérique me semble de rendre particulièrement visibles et pensables ces opérations parce que l’appareillage technique invite à les prendre en compte.

Est-ce que cela veut dire, comme tu le proposes, qu’il faudrait « négocier » collectivement les structures de l’espace numérique pour en faire un espace « public » ? Il faudrait s’entendre, déjà, sur ce que suppose ce recours à la notion de « public ». En examiner en particulier la constitution historique dans les États modernes et son opposition structurée à l’espace des « particuliers » ou à l’espace dit « privé ». Nous avons déjà discuté de ce point et il resurgit ici sous un nouveau visage, lié cette fois à la critique (et implicitement alors au projet des Lumières de constituer à la fois un espace public et un regard critique).

Je m’interroge surtout sur ce « devoir » de la critique et l’orientation vers cet espace public. Les inquiétudes, nombreuses aujourd’hui, sur l’« invasion » du privé par les opérations de multiples acteurs étatiques, administratifs, commerciaux témoignent du fait que cet espace public est problématique à bien des égards, vu que nombre de personnes en souffrent. Est-ce une simple renégociation du partage public-privé ou une refonte radicale de l’opposition même entre les deux ? L’audace voudrait que nous penchions plutôt pour la seconde solution, non ?

eric

Subject: L’espace numérique

Date: 08 Feb 2016 14:44

From: Marcello Vitali-Rosati marcello@vitalirosati.net

To: Eric Méchoulan eric.mechoulan@umontreal.ca

Cher Éric,

je ne sais pas si tu l’as remarqué, mais dans nos derniers échanges il y a des petits problèmes techniques qui sont probablement dus à la trop grande quantité de texte (des lettres qui sautent dans les vieux mails, un retard à charger le texte…). Nous sommes en train de détourner un dispositif technique et ce dispositif même révèle le détournement en y résistant. Je décide donc d’arrêter de cliquer sur « répondre » et de créer un nouveau message — ce qui cassera la continuité de notre échange, mais qui nous permettra de perdre moins de contenus. Voici ce que peut être une action critique — dans le sens que tu définis. La critique, pourrait-on dire, dévoile l’idéologie. Ici nous avons affaire à un dispositif technique — celui des courriels — qui est construit autour d’une série d’idées, d’idéaux, de valeurs, de pratiques et de traditions qui sont pris en considération et réagencés dans un programme technique — du code, des protocoles, etc. Or il est évident que le dispositif courriel n’est pas pensé pour avoir des échanges tels que le nôtre — différence par rapport au courrier ? — et nous sommes donc en train de faire quelque chose qui n’est pas initialement prévu par le dispositif technique. En le faisant, nous rencontrons des problèmes — dus justement à la nature du dispositif que nous utilisons, nature qui est révélée par la tension entre le dispositif et notre pratique.

Je reviens donc à la question du public. J’ai l’impression que les catégories public et privé sont en train d’être reconstruites complètement. Foucault disait qu’elles étaient restées stables pour des siècles — je ne suis pas sûr qu’il ait raison… Sans doute ce n’est plus le cas aujourd’hui. Il y a une refonte, comme tu le dis. Habermas disait que l’espace public fait partie de la sphère privée — et s’oppose à la sphère publique occupée par les autorités. La sphère privée est divisée en ce qui n’a pas d’intérêt public (famille, travail) et ce qui en a : culture, activités associatives. L’idée d’Habermas est que cet espace est écrasé, à partir du XIXe, par le fait que sphères publique et privée empiètent l’une sur l’autre ; des intérêts privés guident les États et les États répondent en réglant les pratiques privées. Aujourd’hui, il y aurait donc de moins en moins d’espace public. Je trouve que l’idée d’Habermas est intéressante parce qu’elle souligne un aspect important : l’espace public n’est pas seulement une question d’intérêts ni d’accessibilité. C’est plutôt la possibilité de l’agencement qui rend un espace public ; qui est l’architecte de l’espace. Dans le salon du XVIIIe, on discute ouvertement (accessibilité) de choses qui ont un intérêt pour une communauté. Mais cet espace est construit et mis en place par les gens mêmes qui l’occupent — à la différence de la place publique. Le salon est donc plus public que la place, car la place est construite par des autorités. Ou alors, il faut que la communauté s’approprie la place publique et la redessine en détournant son architecture, en l’arrachant au contrôle de l’architecte d’État.

La réflexion sur le dispositif courriel pourrait aller dans ce sens. On pourrait donc penser que la critique est un instrument de production de l’espace public.

m

Subject: Re: L’espace numérique

Date: 09 Feb 2016 08:17

From: Eric Méchoulan eric.mechoulan@umontreal.ca

To: Marcello Vitali-Rosati marcello@vitalirosati.net

Cher Marcello,

j’avais, en effet, bien vu ces multiples petites fautes. Je trouvais cela parfois assez amusant. Tu penses vraiment que c’est la quantité de signes qui serait responsable de la mauvaise gestion des messages ? Encore plus drôle.

Mais reprenons à partir de ton nouveau message. Je suis un peu sceptique sur le modèle habermassien pour des raisons à la fois historiques et philosophiques. Mais son avantage est de « ternariser » le piège oppositionnel privé/public en découpant un espace public dans la sphère privée. Cependant, tu en tires surtout deux éléments qui me paraissent intéressants : d’abord, ne pas être voué à penser en termes seulement d’intérêts ou d’accessibilité ; ensuite, insister sur les agencements créatifs de ces espaces.

Je me demande s’il ne serait pas bon de sortir, même, du vocabulaire privé/public et penser l’espace (ce que nous essayons de faire depuis quelques mois) en dehors de ces distinctions originairement légales (depuis le cher droit romain et malgré ses ressources immenses). Je trouve qu’un peu de musique ne nous ferait pas de mal et donnerait du rythme à l’espace… Pierre Boulez avait proposé une distinction que Deleuze et Guattari lui ont chipée et ont largement étendue dans un chapitre de Mille plateaux : le strié et le lisse. J’aimerais revenir spécifiquement à ce que disait Boulez : pour lui, le strié est « ce qui compte pour occuper », et le lisse est « ce qui occupe sans compter ». L’espace serait ainsi ce qui est d’abord occupé. Il n’y a pas un espace et ensuite des éléments qui viennent s’y installer. C’est en étant occupé qu’un espace peut apparaître. De même que la nature a, paraît-il, horreur du vide, l’espace est rétif à la vacuité. La symétrie permet ensuite de distinguer deux types d’espace en fonction du nombre ou de son absence. Cependant, il y a aussi asymétrie entre les deux espèces d’espace : le strié a recours aux ressources des nombres pour pouvoir occuper, le nombre est ici une « puissance d’occupation » ; le lisse ignore superbement le nombre (peut-être même que, à l’instar du retournement anthropologique de ce qu’on appelait négativement des « sociétés sans État » autrefois en « sociétés contre l’État » depuis Pierre Clastres, pourrait-on envisager un « espace contre le décompte »). Sans vouloir du tout revenir à une autre opposition tout aussi simpliste (calcul d’échange / don absolu, c’est-à-dire délié des modes du calcul), on pourrait essayer d’en récupérer la dynamique sociale et éthique. La critique serait alors un mode d’occupation (et à partir de là, de production) de l’espace qu’on appellerait, si tu y tiens, public. Mais serait-elle du côté du strié ou du lisse ? Ce qui intéressait le compositeur Boulez était en fait la transformation constante du lisse en strié et réciproquement (contrairement à bon nombre de leurs disciples qui ont évidemment réifié cette opposition, Deleuze et Guattari n’ont cessé de souligner, eux aussi, l’importance de ces passages).

Alors, la critique serait justement un des moyens du passage entre strié et lisse puisqu’elle travaille toujours sur des frontières et des glissements. La critique n’occuperait pas alors un espace, mais serait un appareil migratoire mettant ainsi à jour la dynamique constitutive ici d’un espace strié, là d’un espace lisse.

Ça te séduit ?

eric

Subject: Re: L’espace numérique

Date: 18 Feb 2016 14:50

From: Marcello Vitali-Rosati marcello@vitalirosati.net

To: Eric Méchoulan eric.mechoulan@umontreal.ca

Éric,

les dynamiques de strié et de lisse que tu décris me semblent très intéressantes — oui, ça me séduit. Je te demanderais alors d’interpréter avec ces catégories ce qui est en train de se passer entre Apple et le gouvernement américain. Comme tu le sais — il serait intéressant ici de faire la critique de ma rhétorique, qui cache bien évidemment une adresse autre… de l’espace du courriel et jeu entre lisse et strié -, le gouvernement américain a demandé à Apple de l’aider à décrypter l’iPhone du terroriste de San Bernardino. Apple fait résistance. L’argument du gouvernement américain est qu’il faut que les autorités puissent avoir accès à des données sensibles pour la sécurité publique. L’argument d’Apple est qu’il faut défendre le principe de la vie privée et qu’une exception affecterait gravement le principe. Évidemment l’enjeu est de taille. Qu’est-ce qui est public selon le gouvernement ? Que veut dire « privé » pour Apple ? Car évidemment, ces données sont enregistrées sur des serveurs qui sont de propriété d’Apple — et non pas des usagers — et Apple peut les utiliser à des fins commerciales — l’argument est qu’Apple ne les utilise que statistiquement, sans avoir conscience de l’usager en tant qu’individu.

Apple, me semble-t-il, compte pour occuper, tandis que le gouvernement américain occupe sans compter. Penses-tu qu’on puisse faire une analyse critique de cet événement avec tes concepts ? Que pourrait-on en tirer ?

m

Subject: Re: L’espace numérique

Date: 19 Feb 2016 06:04

From: Eric Méchoulan eric.mechoulan@umontreal.ca

To: Marcello Vitali-Rosati marcello@vitalirosati.net

Cher Marcello,

Mettons en application l’opposition comme tu le proposes. Dans l’affaire Apple/Gouvernement US, la tentation est grande, en effet, d’opposer public et privé au nom d’intérêts divergents et de contrôle sur des accès. Cependant, comme tu le soulignais, il faut pouvoir sortir de ces évidences imposées par les joueurs eux-mêmes : je défends le public / je défends le privé. Les légitimations par l’intérêt et l’accessibilité ont leur histoire qu’il ne faut pas oublier et sont elles-mêmes intéressées ou constituent des manières de gérer les accès aux modes de légitimation des actions.

Que permet alors l’opposition strié/lisse ? Je crois qu’elle nous fait voir que les adversaires apparents se situent en fait du même côté : ils cherchent à constituer un espace strié, tous deux comptent pour occuper. Mais ils le font de manière différente : Apple compute des programmes et comptabilise des données pour des fins commerciales dont un des éléments de compte (et de séduction du client) est la gestion du secret ; le gouvernement US, sous prétexte de sécurité de chacun, compte sur ces secrets pour étendre et autoriser concrètement son pouvoir. Les usagers, eux, occupent sans compter : ils forment un espace lisse.

Comme je le soulignais, l’important est de voir comment les lignes bougent et comment les espaces striés par une entreprise commerciale ou par un gouvernement peuvent devenir lisses. Ici, ce sont les légitimations invoquées qui me paraissent intéressantes : défense de l’espace privé comme secret des données personnelles (mais usage commercial) ou défense de l’espace privé en termes de sécurité de chaque citoyen (mais contrôle général). Le strié glisse, au moins à ce niveau des légitimations, vers le lissage des usagers. Ce serait là que les ressources du langage légal (public/privé) pourraient retrouver une utilité civique et une imputabilité (compter) des entreprises et des gouvernements avec des usagers qui pourraient ainsi strier à leur manière cet espace civil.

La suite au prochain épisode…

eric

Subject: Re: L’espace numérique

Date: 19 Feb 2016 13:28

From: Marcello Vitali-Rosati marcello@vitalirosati.net

To: Eric Méchoulan eric.mechoulan@umontreal.ca

Cela me semble très prometteur. La question que je me pose est alors la suivante : comment peut-on rendre strié l’espace lisse des utilisateurs ? Le discours d’Apple est plus ambigu que ce que j’ai décrit. Ils disent qu’ils n’ont pas accès aux données car dans le dernier système d’exploitation, ils ont laissé le cryptage dans les mains des usagers. Ils disent que ceci représente un empowerment des usagers ; ils auraient donc rendu l’espace des usagers strié ? Non, évidemment, puisque c’est toujours Apple qui compte — qui gère le code et ses possibilités — et les usagers qui occupent — en se soumettant, souvent sans même le savoir, à une politique d’entreprise.

Bien évidemment, on sera toujours impliqué dans une dynamique de lisse et strié, mais quels sont nos marges de négociations en tant qu’usagers ? La question revient au même : quelle marge d’influence puis-je avoir dans la structuration de l’espace numérique ? Comment puis-je compter pour l’occuper ? En le comprenant mieux — digital literacy ? En essayant de le modifier moi-même — hacking, détournements, production du code ?

m