Résumés
Résumé
Dans ce monde en mutation, un terrorisme massif, mutant, asymétrique et islamisé a pris progressivement racine : la menace islamiste radicale, illustrée notamment par la nébuleuse Al-Qaida, figure de proue du Djihadisme est aujourd'hui concurrencée par des groupes africains de création récente à l'instar de Boko Haram (Pérouse de Montclos, 2012 ; Guibbaud 2014 ; Koungou, 2014 ; Saibou, 2014 ; Pommerolle, 2015). Ce phénomène transnational désormais au cœur de la vie socio-politique camerounaise et nigériane interpelle à plus d'un titre. Cette nouvelle dynamique belliciste, objet d’une action publique multi-niveaux analyse les déclinaisons d’un pan des assauts de cette secte islamiste. (Apard, 2015 : 135). Cette étude interroge tour à tour, l’imbrication d’acteurs multiples aux registres différents qui participent à la mise en œuvre de cette action publique spécifique et les instruments de cette dynamique multi-niveaux et asymétrique au Cameroun et au Nigéria.
Mots-clés :
- Boko Haram,
- Cameroun,
- Nigéria,
- politique internationale,
- terrorisme,
- Djihadisme
Abstract
In this changing world, a massive, mutative, asymmetrical and Islamized terrorism has gradually been implanted: the radical Islamist threat, illustrated notably by the Al-Qaeda nebula, figurehead of Jihadism and today rivaled by African groups recently created such as Boko Haram (Pérouse de Montclos, 2012 ; Guibaud 2014 ; Kongou, 2014 ; Saibou, 2014 ; Pommerolle, 2015).This transnational phenomenon henceforth at the heart of socio-political life of Cameroon is challenging in many ways. Our analysis focuses on this new belligerent dynamics which is linked to the sovereignty of states and to the international political games. This will help us understand the variations of a flap of assaults perpetrated by this Islamic sect. Through an analysis of the actors and their instruments, this paper highlights the paradigm of international policy making.
Keywords:
- Boko Haram,
- Cameroon,
- Nigeria,
- terrorism,
- Djihadism
Corps de l’article
Les perspectives conceptuelles d’interrogation et de construction sur Boko Haram en tant qu’objet d’analyse sont multiples ; l’entendement initial de l’expression a suscité une polémique, car les chercheurs se sont interrogés sur les logiques d’action de cette secte islamiste. De manière littérale, la dénomination en haoussa Boko-Haram peut se traduire comme « l’éducation occidentale est un péché ». Le mot Boko, polysémique en soi, désigne par extension l’école laïque ou Book (« livre » en anglais) et le terme Haram signifie interdit ou « illicite » en haoussa, autrement dit, l’expression Boko Haram signifie « l’école occidentale est un péché[1] ». Il convient de relever que les partisans de cette secte ne se reconnaissent pas dans ce vocable et signent leur communiqué de « Jama'atuAhlis Sunna Lidda'AwatiWal-Jihad » qui signifie Groupe sunnite pour la prédication et le Djihad. En tout état de cause, cette secte qui à l’origine était un groupuscule se réunissant dans une mosquée et qui était constituée d’étudiants en rupture avec le système académique[2] est à l’origine de nombreuses attaques au Nigéria et au Cameroun. Notre perspective réflexive est liée aux enjeux politiques, économiques, sociaux internes très sensibles de cette secte islamiste (Issa 2014). Cette étude interroge tour à tour, l’imbrication d’acteurs multiples aux registres différents et les instruments de cette dynamique multi-niveaux et asymétrique. A la croisée de différentes influences islamiques, le groupe Boko Haram, qui s’est inscrit au fil des années dans une perspective insurrectionnelle et terroriste, a été créé en 2002 par Mohamed Yusuf à Maiduguri. En 2009, ce dernier décède et Abubakar Shekau lui succède alors. Le constat général qui se dégage est la dynamique évolutive de l'idéologie du mouvement depuis sa création en 2002 ; toutefois son objectif demeure le même en termes d'application de la Charia (Loi Islamique) au Nigeria. Le 7 mars 2015, Boko Haram prête allégeance à l'État islamique et le mouvement abandonne son ancien nom pour former officiellement une province de l'EI : la Wilāyatal-Sūdān al-Gharbī. Il prend également le nom d'État islamique en Afrique de l'Ouest. Pour Marc-Antoine Pérousse de Montclos (2012), Boko Haram relève d’une espèce assez difficile à définir, dans ce sens où le groupe est sectaire quand il cherche à endoctriner les jeunes , totalitaire quand il développe une vision holistique d’un gouvernement islamique régulant tous les aspects de la vie privée et intégriste quand il prohibe certains vêtements aux femmes. Marc-Antoine Pérouse de Montclos qualifie par ailleurs ce mouvement islamiste polymorphe d’ « objet mal identifié ». Au Nigéria, l’extension du conflit hors des frontières du Borno a un impact sur le plan national, sous régional Africain, voire international.
1 - Dynamiques transfrontalières et porosité des frontières
Basé à Maiduguri, dans la région du Borno, à la frontière du Niger, du Tchad et du Cameroun, Boko Haram multiplie les actes terroristes dans ces pays frontaliers. Cette dynamique frontalière entre le Cameroun et le Nigéria, s’explique à tout le moins par la proximité socioculturelle de ces deux pays qui appartiennent à un grand ensemble socioculturel remontant au grand empire du Kanem-Bornou au XVIe siècle. Le Cameroun septentrional (Nana Ngassam 2015) était une zone périphérique du califat peul de Sokoto au début du XIXe siècle, au moment de la constitution des micro-états appelés lamidats. Les déplacements et les échanges commerciaux y sont séculaires. De nombreuses ethnies (Peuls, Arabes Choas, Kotokos, Kanouris, Haoussas) se côtoient de part et d’autre de la frontière et partagent les mêmes dialectes. Cette situation permet à Boko Haram de se fondre parmi la population, comme le souligne si bien Rodrigue Nana Ngassam (2015). Au Cameroun, Boko Haram perpétue les attaques meurtrières dans la région de l’Extrême-Nord (Pomerolle 2015, 163). Il n’est pas superfétatoire de rappeler que ces deux États partagent une frontière de 1690 kilomètres et que, malgré les nombreux liens socio-historiques, des tensions subsistent au sujet de celle-ci. Le différend au sujet de la Péninsule de Bakassi (riche en gaz et en pétrole) rétrocédée au Cameroun en 2008, est en soi emblématique. La porosité des frontières et les complicités locales ont ainsi permis à la secte de commettre des infractions de part et d’autre de cette frontière. En effet, une étude d'International Crisis Group menée en 2015 relève que c’est en 2004 que les premiers indices de la présence de Boko Haram au Cameroun sont notés ; après les émeutes sanglantes de Kanama au Nigéria et les répressions consécutives à ces évènements, les membres de cette secte se réfugièrent dans les Monts Mandara à l’extrême-Nord du Cameroun. De même, après les affrontements sanglants à Maiduguri au cours desquels Aboubakar shekau fut tué, de nombreux membres de cette secte se replièrent à nouveau au Cameroun, ce qui favorisa le développement d’un prosélytisme en faveur de Boko Haram (International Crisis Group 2015, 14). Les attaques survenues à Kerawa, petite localité (camerounaise) frontalière du Nigeria, dans le département du Mayo-Sava, région de l’extrême-Nord, renforcent la dynamique asymétrique du mouvement islamique dans ce pays (Pomerolle 2015, 163). À l’affrontement direct, Boko Haram oppose de plus en plus des pratiques de guerre asymétrique : attentats, embuscades, raids éclairs, etc. Le quotidien hebdomadaire Cameroon Tribune (04 septembre 2015), reprend « l’appel au calme » du gouvernement, émis par le ministre de la communication et par ailleurs porte-parole du gouvernement après ces attaques.
2 - Fragilité du contexte socio-religieux
Le Nigéria, pays majoritairement musulman, est traversé depuis plusieurs décennies par des courants à tendance réformatrice, notamment : la Qadiriyya et la Tijaniyya, essentiellement Soufies, tournées vers l’extase et qui suivent les enseignements d’un chef charismatique ; ensuite, les mouvements Salafi qui s’inspirent du Wahhabisme saoudien et préconisent un retour à la religion originelle des ancêtres (Salaf) notamment la « Société pour l’éradication des innovations et le rétablissement de l’orthodoxie » (Jama’alzalatat al-Bida waIqamat al-Sunna) de feu Cheikh Abubakar Mahmud Gumi et Ismaila Idriss ibn Zakariyya. Officiellement établie en 1978, cette dernière s’est scindée en deux factions, l’une basée à Kaduna sous l’égide de Cheikh Yusuf Sambo Rigachikun, l’autre à Jos sous la direction des Cheikhs Samaila Idriss puis Sani Yahaya Jingir qui les a finalement réunifiées sous sa coupe à la fin de l’année 2011 ; les mouvements mahdistes et messianiques, parfois millénaristes qui croient à la venue d’un prophète et qui ont pu mener l’insurrection Maitatsine (« Celui qui maudit ») sous l’égide de Muhammad Marwa à Kano en 1980 ; ces islamistes « modernes » et républicains sous influence égyptienne ou iranienne à l’instar des Frères Musulmans. À la croisée de ces différentes influences islamiques, le groupe Boko Haram, qui s’est inscrit au fil des années dans une perspective insurrectionnelle, prône un islam radical et rigoriste et s’est associé aux thèses djihadistes d'Al-Qaïda et de l'État islamique. Le constat général qui se dégage est l'idéologie évolutionnelle du mouvement depuis sa création en 2002 ; toutefois son objectif demeure le même en termes d'application de la Charia (Loi Islamique) au Nigeria. Au Cameroun, une étude réalisée par International Crisis Group[3] en septembre 2015, met en lumière, la menace du radicalisme religieux aussi bien musulman que chrétien ; en effet, ces analystes notent un recul du Soufisme et l’apparition de nouveaux courants à l’instar du Sunnisme et du Wahhabisme. Toutefois, malgré ces tensions entre l’Islam local et l’Islam rigoriste au Cameroun, la secte Boko Haram, a été unanimement condamnée par les musulmans de l’ensemble du pays et les chefs traditionnels, ainsi que le clergé musulman, collaborent avec les forces de sécurité. Cette collaboration est cependant relativisée par les analystes de l'International Crisis Group à l’issue de nombreux entretiens avec des responsables administratifs dans plusieurs villes camerounaises[4]. Biaisée, elle est en effet sujette à de nombreuses interrogations, ou allusions, comme le relève Marie–Emmanuelle Pomerolle (2015). En effet, les médias comme les intellectuels camerounais avancent la thèse d’un complot ourdi contre le régime en place (Pomerolle 2015). Le Cameroun septentrional, qui est constitué de trois régions (l’Adamaoua avec Ngaoundéré pour chef-lieu, le Nord avec Garoua, et l’Extrême-Nord avec Maroua), demeure la partie la moins développée du Cameroun. Pour y enrayer la sous-scolarisation, le gouvernement a décidé en 2011 de procéder à un recrutement spécial de vingt-cinq mille jeunes dans la fonction publique ainsi qu’à l’ouverture d’une université à Maroua[5] (Nana Ngassam 2015). Cette situation sociale, est à tout le moins, comparable à celle du Nigéria, où Boko Haram a trouvé un terreau fertile dans les Etats du Nord, moins nantis que ceux riches en gisements pétroliers du Sud. Cette République fédérale est en soi un paradoxe : paradoxe relatif à sa puissance économique et à sa population pauvre ; paradoxe du potentiel économique du Sud pétrolifère et du Nord, moins bien loti ; paradoxe quand on considère les tensions communautaires et religieuses. Dans cette même veine, dans la nuit du 14 au 15 avril 2014, à Chibok, dans le nord-est du Nigeria, un commando armé du groupe islamiste Boko Haram a kidnappé de nombreuses adolescentes. Mais plusieurs mois après leur enlèvement, les jeunes filles demeurent introuvables et le vaste mouvement de mobilisation semble n’avoir jamais vu le jour. Malgré le dispositif déployé par les gouvernements concernés, les raids de BokoHaram s’accompagnent souvent d’enlèvements, suivis de demandes de rançon. De l’autre coté de la frontière, le sort des occidentaux kidnappés par Boko Haram fut différent ; ainsi, le 19 février 2013, l’enlèvement de sept membres d’une famille française eut lieu dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun ; ce rapt fut suivi en Novembre 2013 des enlèvements du prêtre français Georges Vandenbeusch, celui des clercs italiens et canadiens début avril 2014 ainsi que d’un chef traditionnel camerounais du village de Goumouldi. Citons encore, dans la nuit du 16 au 17 mai, l’enlèvement de dix ressortissants chinois lors d’une attaque dans la localité de Waza[6]. Il convient toutefois de relever que, la libération de ces otages au Cameroun fut effective, à quelques exceptions près[7] (Guibbaud 2014, 2).
3 - Jeux et enjeux de stabilite sociale et de sécurité politique
L’émergence sur l’agenda national du mouvement Boko Haram au Nigéria et au Cameroun est consécutive aux attentats spectaculaires et multiformes dans ces Etats. Cet ensemble de problèmes (actes terroristes multiples et asymétriques) ont ainsi déterminé l’action des pouvoirs publics qui étaient dans l’obligation de produire des solutions alternatives par une inscription formelle sur « l’agenda », c’est à dire l’« ensemble des problèmes perçus comme appelant un débat public, voire l’intervention (active) des autorités politiques légitimes » (Padioleau 1982). Toutefois, l’intérêt de l’action publique de la lutte contre Boko Haram se trouve en ce qu’il met en exergue « l’agrégation des pluralités d’intérêt » (Leca 1996) qui révèle une action publique négociée entre acteurs divers en vue de son inscription sur l’agenda politique. Plusieurs paramètres vont ainsi structurer l’émergence de la lutte contre Boko Haram à l’échelle nationale, régionale et internationale. La mise sur agenda de cette action publique internationale est le résultat du champ de force qui s’est élaboré autour du « problème » construit à un moment donné. Le constat général qui se dégage est la dynamique à géométrie variable de cette action publique qui épouse des temporalités différentes. Au Nigéria, de 2004 à 2009, des heurts souvent violents ont opposé les militants de Boko Haram aux forces de sécurité. La proximité frontalière entre le Cameroun et le Nigéria a eu un impact non-négligeable sur la situation sécuritaire actuelle du Cameroun. Il apparaît que les enjeux politiques sont multiformes et les terrains de lutte s’étendent à divers niveaux. Dans cet ordre d’idées, ce contexte politique interne a eu un impact sur les récentes élections présidentielles et législatives au Nigéria, initialement prévues le 14 février 2015 et reportées le 28 mars de cette même année ; la crainte était le risque d’instabilité liée au déroulement des élections dans les trois Etats du Nord (Adamawa, Yobe et Borno) susceptibles d’être victimes d’attentats pendant le scrutin. Ce climat pré-électoral tendu était en partie mu par l’accord tacite d’alternance entre le Nord musulman et le Sud Chrétien ; en effet, le président sortant Goodluck Jonathan, chrétien, a succédé à Umaru Yar’Adua, musulman du Nord, qui lui-même avait succédé en 2007 à Olusegun Obasanjo. Malheureusement Umaru Yar’Adua n’a eu le pouvoir que peu de temps avant de décéder et Goodluck Jonathan a assuré la transition de 2010 à 2011. Il a organisé de nouvelles élections en 2011 mais au lieu de laisser un ressortissant du Nord être candidat à la présidentielle, pour continuer à respecter ce principe tacite, il s’est lui-même présenté pour le parti au pouvoir et a remporté les élections (Nana Ngassam 2015). Au Cameroun en revanche, ces attaques multiples, spectaculaires, meurtrières et asymétriques ont conduit le président camerounais, Paul Biya, lors de son discours du Nouvel an devant le corps diplomatique (08 janvier 2015), à appeler une « réponse globale » face à cette menace et une aide internationale pour y faire face. Bonaventure Cakpo Guedegbe (Cakpo Guedegbe B. 2015, 12), dans une étude menée en février 2015, relève qu’entre 2009 et 2013, Boko Haram arrive en troisième position des groupes terroristes opérant dans le monde entier avec 801 attaques vérifiées contre 2328 pour les talibans en Afghanistan.
4 - Instruments multiniveaux d’action publique securitaire
Pauline Guibbaud (2014) se pose la question de savoir si l’on doit appréhender cette secte islamiste sous l’angle régional, voire international ou alors si elle ne serait qu’une composante de « l’arc islamiste sahélien ». Dans cette optique, un de ses cadres d’analyse s’interroge sur la position des pays occidentaux, les réactions régionales et l’attitude de la communauté internationale. En effet, il est impossible de réfléchir sur cette action publique multi-niveaux si l’on n’évoque pas les mesures concrètes qui en ont formé la substance et s’exprimant par la mise en œuvre des instruments d’action publique ou « technologies de gouvernement » (Lascoumes et Simard 2011). La notion d’instrument d’action publique s’appréhende comme un « dispositif à la fois technique et social qui organise des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires en fonction des représentations et des significations dont il est porteur » (Halpern, Lascoumes, et Guibbaud 2014, 17). Ces « technologies de gouvernement » peuvent être de plusieurs ordres, mais nous avons choisi, dans une logique non-exhaustive de nous étendre d’abord sur les instruments diplomatico-militaires et ensuite sur les instruments juridiques. Dans cet ordre d’idées, la régionalisation de la contre-offensive contre Boko Haram s’apprécie à la lumière de l’action concertée d’acteurs multiples au rang desquels, les Etats membres de la Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) et du Bénin[8], de la Force Mixte Multinationale (FMM)[9], de la Force d’Intervention Conjointe Multinationale (MNJTF)[10]. A l’issue du sommet d’Addis-Abeba des 30 et 31 janvier 2015, l’Union africaine a adopté le principe du déploiement d’une force africaine de 7 500 hommes destinée à combattre le groupe djihadiste. Sans précision sur la date, l’Union africaine a par ailleurs annoncé qu’elle saisira ensuite le Conseil de sécurité de l’ONU dans l’optique d’obtenir des financements internationaux comme ceux promis par l’Union Européenne, pour soutenir la lutte contre la secte islamiste[11]. Il convient de relever que la communauté internationale n’est pas inactive et de nombreuses rencontres au sommet ont eu lieu, notamment à Paris le 17 Mai 2014[12] ; la résolution majeure de ce sommet était l’élaboration d’une coordination entre plusieurs pays fragilisés par les exactions de Boko-Haram, plus spécifiquement le renforcement d’une coopération accrue entre le Nigéria et le Cameroun, qui s’est consolidée par la visite du Président Muhammadu Buhari à Yaoundé, du 28 au 30 juillet 2015, dans l’optique d’une discussion sur les questions sécuritaires entre les deux pays[13]. Dans le droit fil du sommet de Paris, le Nigéria a abrité un sommet international relatif à la lutte contre Boko Haram, le 14 mai 2016 afin d’évaluer l’action régionale contre Boko Haram et adopter une stratégie collective susceptible de gérer les conséquences de cette crise sur la sécurité, le développement, la gouvernance, la situation socio-économique et humanitaire. Le Conseil de Sécurité des Nations-Unies, lors de sa 7492e séance, le 28 juillet 2015, a demandé à la communauté internationale et aux donateurs de financer la Force spéciale mixte multinationale pour la sécurité afin de renforcer la coopération militaire régionale et de lutter plus efficacement contre la menace que représente le groupe terroriste Boko Haram pour la région du bassin du lac Tchad et pour la paix et la sécurité internationales. Il convient de noter que les instruments mis en œuvre dans le cadre de cette action publique internationale sont bi-latéraux avant d’être régionaux et internationaux, comme l’illustrent les deux rencontres au sommet entre le Président Biya et son homologue Nigérian, Muhamadou Buhari. En effet, ces rencontres qui eurent lieu en juillet 2015 à Yaoundé et en mai 2016 à Abuja, eurent pour point d’orgue la lutte contre Boko Haram sous toutes ses déclinaisons. Relativement aux instruments juridiques, le parlement camerounais a adopté lors de sa session de Novembre 2014 la loi portant répression des actes de terrorisme au Cameroun. La présente loi s'inscrit dans le cadre de la mise en œuvre, au plan interne, des mesures préconisées au niveau international en matière de lutte contre le terrorisme. Sur la pertinence, cette loi est adoptée dans un contexte où des actes posés par Boko Haram ont causé de nombreux drames.
L’étude relative aux dynamiques de la secte islamiste Boko Haram au Cameroun arrivant à terme, il importe de considérer que seule une amplitude conceptuelle était de nature à concevoir l’interaction entre les approches élitistes de la décision et les modes populaires d’action dans la lutte ardue contre cette secte islamique. La perspective de construction sécuritaire, matrice de notre analyse, dont nous avons tenté d’extraire les contingences inhérentes à toute réflexion scientifique, constitue la modalité idoine de cette action multi-niveaux. A ce niveau de notre analyse, il va de soi qu’un rappel synthétique de notre interrogation originelle n’est pas superfétatoire : quelles sont les acteurs et les instruments d’action publique contre Boko Haram ? Ce rappel synthétique de notre analyse permet de prolonger la réflexion en y adjoignant des prospectives aux potentialités multiples relatives à la réintroduction de l’Etat, dans ces régions (Cameroun) et dans ces États (Nigéria), où il est jugé plus prédateur que protecteur par les populations ; ces prospectives mettent également en exergue toutes les stratégies de « dé-radicalisation » conçues par les gouvernements[14]. Force est donc de constater qu’il s’ensuit un déplacement avéré du curseur susceptible d’entrainer des perceptions différentes, d’une thématique sujette à controverse. C’est dans cette veine que Nicolas Courtin estime que « l’avenir ou la fin de Boko haram, surtout l’après, ne peuvent s’envisager et se construire qu’au sein de cette sphère régionale salafiste, elle-même tiraillée par des idées, usages et représentations antithétiques[15] ».
Parties annexes
Notes
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[1]
Ce rejet de l’école occidentale s'accompagne d'une lecture littérale du Coran, qui fait dire à Mohamed Yusuf, dénoncé pour son idéologie obscurantiste, que la Terre est plate, ou que l'eau de pluie ne résulte pas de l'évaporation, puisqu'elle est une création d'Allah.
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[2]
Cette aversion contre la culture occidentale pourrait s’expliquer par la trajectoire personnelle de Mohamed Yusuf. Né en 1970 à Gidgid près de la frontière du Niger, ce dernier a déserté l’école primaire après trois ans d’études et n’a jamais pu être admis à l’université ; il convient de souligner aussi qu’il a été chassé de la mosquée Izala où il prêchait car il n’avait pas les diplômes requis par le cursus coranique saoudien ce qui a comme conséquence sa haine des érudits aussi bien musulmans que chrétiens. Lire à propos, Yusufuyya and the State : Whose Faulty ? (Sani Imam et Kyari 2009, 3) ; “BokoHaram au Nigeria : le fanatisme religieux comme projet politique” (Yaya 2011, 15).
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[3]
Le International Crisis Group est une organisation non gouvernementale indépendante à but non lucratif présente sur les cinq continents. Elle élabore des analyses de terrain et fait du plaidoyer auprès des dirigeants dans un but de prévention et de résolution des conflits armés.
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[4]
L’étude réalisée par cette ONG, démontre à suffisance, que la collaboration entre les chefs traditionnels et les autorités administratives est toutefois limitée. Dans la région de l’Extreme-Nord (Cameroun), les chefs traditionnels se sont montrés réticents à un collaboration avec les forces de sécurité, par peur de représailles ciblées de Boko Haram. Cf. les entretiens réalisés par International Crisis Group avec des sous-préfets et des maires à Garoua en Septembre 2014 et un entretien téléphonique, avec un adjoint préfectoral, à Maroua en juillet 2014.
-
[5]
À propos, lire l'article « Au Nigeria, le pétrole de la colère » de Jean Christophe Servant. Disponible en ligne ici.
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[6]
En effet, la libération de la famille Moulin-Fournier, enlevée le 19 février 2013 dans la localité de Dabanga, à quatre-vingts kilomètres de Kousséri, ou le prêtre français Georges Vandenbeusch, enlevé à Nguetchéwé le 14 novembre 2013, n’a pas mis fin à la série. Début avril 2014, les pères Gianantonio Allegri, Giampaolo Marta et la sœur Gilberte Bussière sont capturés avec le chef traditionnel du village de Goumouldi, qu’on retrouvera égorgé au Nigeria ; la nuit du 16 au 17 mai, dix ressortissants chinois disparaissent à Waza ; le dimanche 27 juillet, la ville de Kolofata fait l’objet d’un assaut spectaculaire au cours duquel sont enlevés l’épouse du vice-premier ministre [ Camerounais ] Amadou Ali, sa belle-sœur, le maire et lamido de Kolofata M. Seini Boukar Lamine, son épouse, six de leurs enfants et plusieurs autres membres de la famille.
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[7]
Disponible en ligne ici.
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[8]
La Commission du Bassin du Lac Tchad (CBLT) est une structure permanente de concertation qui a été créée le 22 mai 1964 par quatre pays riverains du Lac Tchad : le Cameroun, le Niger, le Nigeria et le Tchad. Mais le nombre de pays membres est passé à six depuis l’adhésion de la République Centrafricaine en 1996 et de la Libye en 2008. Le Soudan, l’Egypte, la République du Congo et la RD Congo sont membres observateurs. Le siège de l’Organisation est à N’Djaména, République du Tchad. La CBLT a pour mandat, la gestion durable et équitable du Lac Tchad et des autres ressources en eaux partagées du bassin éponyme, la préservation des écosystèmes du Bassin Conventionnel du Lac Tchad, la promotion de l’intégration et la préservation de la paix et de la sécurité transfrontalières dans le Bassin du Lac Tchad.
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[9]
Il convient de relever que l’on assiste à un renforcement de la coopération régionale pendant l’été 2015, avec la création de la Force Multinationale Mixte (FMM) dont le quartier général est à N’djaména et le commandement opérationnel est assuré par un général nigérian, Illyah Abbah. La FMM est constituée des armées nigériane, camerounaise, tchadienne, nigérienne et béninoise.
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[10]
La Multinational Joint Task Force (MNJTF) ou Force Multinationale Conjointe est composée de forces armées béninoise, camerounaise, nigérienne, nigériane et tchadienne. Cette force d’intervention conjointe est composée de 8700 militaires, policiers et civils et son quartier général est à N’djaména.
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[11]
L'Union européenne (UE) promet d'apporter un financement de 55 millions de dollars à la force régionale chargée de lutter contre Boko Haram, au Nigeria. Lire ici) à propos un extrait de BBC Afrique du 02 Aout 2016.
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[12]
Dans un contexte de défiance entre le Nigéria et le Cameroun, la France jouait le rôle de facilitateur entre ces deux pays frontaliers.
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[13]
Le rapprochement diplomatique entre le Cameroun et le Nigéria s’observe sur le terrain. Cette coopération bilatérale s’est s’illustrée par une meilleure communication entre les troupes des deux pays de part et d’autre de leur frontière commune.
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[14]
Lire ici le rapport de Crisis Group : Exploiter le chaos : l’Etat islamique et al-Qaeda (14 mars 2016).
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[15]
Lire à propos, l’enrichissante contribution de Nicolas courtin « Comprendre Boko Haram. Introduction thématique » (Courtin 2015, 13‑20).
Bibliographie
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- Courtin, N. 2015. « Comprendre Boko Haram. Introduction thématique ». Afrique contemporaine 3 (255): 13‑20.
- Guibbaud, P. 2014. « Boko Haram : le Cameroun dans la tourmente ? » Eclairage, Groupe de Recherche et d’Information sur la Sécurité
- Halpern, C., P. Lascoumes, et P. Guibbaud. 2014. L’instrumentation de l’action publique : Controverses, résistance, effets. Gouvernances. Paris: Presses de Sciencespo.
- International Crisis Group. 2015. « Cameroun, la menace du radicalisme religieux ». Rapport Afrique, nᵒ 229 (septembre).
- Issa, S. 2014. « Effets économiques et sociaux des attaques de Boko Haram dans l’Extrême-Nord du Cameroun ». Kaliao, Revue pluridisciplinaire de l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de l’Université de Maroua, nᵒ Numéro spécial.
- Lascoumes, P., et L. Simard. 2011. « L’action publique au prisme de ses instruments ». Revue Française de Science Politique 61: 5‑22.
- Nana Ngassam, R. 2015. « Le Cameroun sous la menace de Boko-Haram ». Le Monde Diplomatique.
- Pérousse de Montclos, M-E. 2012. « Boko Haram et le terrorisme islamiste au Nigeria : insurrection religieuse, contestation politique ou protestation sociale ? » Questions de recherche, nᵒ 40
- Pomerolle, M-E. 2015. « Les violences dans l’Extrême-Nord du Cameroun : le complot comme outil d’interprétation et de luttes politique ». Politique Africaine, 138
- Sani Imam, Muhammad, et Muhamad Kyari. 2009. « Yusufuyya and the State : Whose Faulty ? » University of Maiduguri, Department of History, polycop.
- Yaya, Issoufou. 2011. « BokoHaram au Nigeria : le fanatisme religieux comme projet politique ». Sfera Politicii 19 (164).