Pulsions pasoliniennes se présente comme une réflexion sur le contemporain, dans une lutte continuelle du corps et de la parole. Fabrice Bourlez nous livre l’exercice deleuzien d’une critique de la psychanalyse et des théories du genre à travers l’œuvre de Pier Paolo Pasolini (1922-1975). Marqué par l’assassinat du poète, par l’héritage « intempestif » qu’il nous a laissé, par « l’inactualité » de sa pensée et de ses actes, Fabrice Bourlez réhabilite la parole de Pasolini qui forme la diversité inhérente à notre espèce, une diversité désabusée et réprimée. Pulsions est une lecture importante de ce qui reste d’amour dans la révolte, de ce qui se situe en dehors de toutes barrières, de l’homme au plus sensationnel de ses contradictions. Descendre en enfer avec Pasolini n’est pas la plus simple des activités intellectuelles. Et pourtant, c’est exactement ce que fait Fabrice Bourlez. En commençant son essai par la mort de Pasolini, par la marque de la « malemort », il initie le dialogue entre ce dernier et les autres « maestri » de cette époque, un dialogue qui n’a pas nécessairement eu lieu. Foucault, Lacan, Deleuze, Barthes, sont tous des hommes qui ont eu une grande influence sur la pensée de Pasolini. À travers l’élaboration de son théâtre, de son cinéma et de sa poésie, la présence des structuralistes se fait sentir lorsqu’elle parle à la place du poète italien. Comme le dit Maurice Blanchot dans les Entretiens infinis : à « cette place sans occupant qui est ma seule identité, voilà ce qui rend un instant la mort joyeuse, aléatoire ». Fabrice Bourlez veut introduire ici l’idée que l’œuvre pasolinienne sert à décentrer la pensée à travers un enseignement unique, à travers des formes et des lieux qui n’ont pas de noms, qui ne s’expriment que par la découverte paradoxale de leur propre négation. C’est ce qu’il appelle le « dehors » qui n’est pas extériorité, mais ce qui ne peut pas être analysé conformément à la théorie, ce qui « précède » dans l’après-coup. Après la mort de Pasolini, son œuvre peut ainsi se lire comme une source du contemporain. Elle forme une logique de la contradiction, la rend plastique, matérielle, pour que de cet « aléatoire » se forme les différences. La mort du poète assassiné était un acte de désespoir. Fabrice Bourlez en parle comme l’inévitable conséquence des agissements critiques de Pasolini face à la société moderne d’après-guerre. En fait, le poète critiqua avec virulence la nouvelle culture qui se formait devant lui. Cette culture, qui est en fait le fondement de notre société de consommation, rendait toutes les sphères de la société conformes aux idéaux capitalistes de confort, de simplicité et de facilité. La langue italienne était normalisée par la télévision, la radio et les journaux, laissant de côté les trésors de sa diversité . Les corps n’avaient plus de « grâce », ne vivaient plus de plaisirs singuliers. Ainsi, c’est dans ses attaques que Pasolini faisait résonner l’urgence d’agir, sans pauses réelles, contre « un ordre horrible fondé sur la possession et la destruction ». Le travail de Fabrice Bourlez reprend là où celui de Pasolini s’est brusquement terminé, là où les structuralistes se sont arrêtés. Il questionne ainsi « le geste même de la pensée » et s’insurge contre l’ordre préétabli. Pour les nouvelles communautés philosophiques qui évoluèrent aux États-Unis pendant les années soixante-dix, les penseurs de la French Theory ont été les catalyseurs d’un combat intellectuel et social de plus en plus complexe. Ce sont les conceptions de la sexualité qui étaient questionnées sur les campus universitaires américains, à une époque où …