VariaChronique

Écrire – Pour ne pas conquérir le droit d'écrire[Notice]

  • Jean-Michel Théroux

Ma maîtrise a été marquée par la grève étudiante de 2012 et je ne ressens aucune fierté devant le mémoire que j’ai déposé en août 2013, en partie parce qu’il ne s’est pas laissé traverser par les enjeux qui sont devenus, dans la foulée de la grève, non pas centraux, parce que s’ils avaient été au centre, j’aurais pu les prendre en compte, les mettre en scène, mais bien vitaux, essentiels, moteurs ; et c’est parce que je n’ai pas su ou pas voulu les laisser parler qu’ils ont agi autrement, qu’ils ont fait du texte que j’ai déposé un symptôme bien plus qu’une œuvre, un essai ou une pièce de théâtre. Pendant des mois, j’ai réfléchi en m’en voulant de réfléchir, transi par le sentiment qu’une efficacité de la rhétorique marchande puisse emporter avec elle la réalité de ma vie, et je prenais une avance de peine sur ma condamnation à venir. Je réfléchissais mal, ne prenant pas l’urgence pour une opportunité, mais l’imprévisibilité pour un obstacle infranchissable. De ce temps ouvert, je n’ai pas su profiter : je lisais en ne voyant des phrases que les articles (de loi), les déterminants (économiques) et les formes passives. Je vibrais sous les coups de l’argumentaire qui divise radicalement politique et poétique alors même que trois ans de cours de lettres m’avaient préparé à faire jouer, à me jouer de toute radicalité discursive. On nous avait dit : étudiants, vous nous dépouillez pour penser. Du même coup, j’étais dépouillé et endetté. Quand Ginette Michaud, il y a quelques mois, m’a fait l’offre généreuse de venir vous parler de mon expérience de rédaction, je lui ai donc tout de suite demandé de renchérir, de me faire, comme par-dessus le marché, la promesse qu’il y aurait quelque chose à recevoir de mon expérience qu’elle et moi savions avoir été difficile, piégée, torturée, malsaine ; et c’est donc muni non seulement de son offre, mais de son pardon anticipé que j’en suis arrivé à devoir, enfin, affronter cette nécessité de me présenter devant vous, aujourd’hui, dans la position rhétorique du contre-exemple. Je me suis demandé ce que vous pourriez en tirer, ce qu’on pouvait tirer d’un contre-exemple, et je me suis retrouvé en quelque sorte à nouveau devant les événements du printemps 2012, qui sont en fait, dans le cadre de ce que je peux vous raconter aujourd’hui, au moins doubles : mes événements du printemps 2012, en ce qu’ils n’ont pas été vécus ainsi par tous, mais aussi les événements du printemps 2012 dans leur matérialité discursive, dans ce qu’ils ont inscrit dans l’histoire de la perception de la mission de l’université au Québec. Voici une découverte, parmi d’autres, et je vous laisse décider si c’est la mienne ou la vôtre, tout comme je vous invite à douter que ma découverte n’ait fait autre chose que de faire glisser une couverte : La majorité peut interdire démocratiquement tout travail sur son vocabulaire. Notamment : majorité, interdiction, démocratie, travail, vocabulaire. Comme étudiants en lettres, comment s’inscrire - et je nous y invite, pour nous donner le droit d’écrire, par exemple un mémoire – comment s’inscrire dans cette longue procession de la démocratie contre l’universel ? Tout de suite, je dois dire qu’il ne s’agit pas de ce processus qui fait, qui a fait exemplairement en 2012 des mots brandis dans l’espace médiatique le champ stratégique du combat, la chose d’importance (austérité, responsabilité, réalisme), pour mieux faire des mots dont les départements de sciences humaines, d’arts et de lettres s’occupent, l’objet raillé, exproprié, dévalué, la chose sans importance. (En guise de parenthèse : dans …

Parties annexes