Le dernier ouvrage de Rémy Rieffel, au titre accrocheur Révolution numérique, révolution culturelle ? , relève un défi qui consiste à penser l’avènement de l’ère du numérique à l’aune d’un double paradigme, celui de la technique et celui des études culturelles. L’idée à la base de ce choix est que le numérique est un milieu au sein duquel les productions culturelles les plus diverses (des jeux vidéo au net art ou encore des réseaux sociaux aux livres électroniques) et des technologies coexistent. Il s’agit de dépasser l’idée selon laquelle, un rapport instrumental existe entre ces deux pôles, la technique n’étant pas uniquement le support de contenus qui pourraient être appréhendés en dehors de toute réflexion sur leurs conditions de production. Penser l’un sans l’autre revient à manquer, selon l’auteur, une partie de ce que le numérique fait à notre culture contemporaine. Faisant ce choix Rieffel propose une analyse sociologique qui lui évite de se focaliser uniquement sur les dernières innovations techniques en date. Évitant d’adopter un point de vue dystopique, il échappe aussi à une approche accentuant les dangers du numérique pour la démocratie et les risques d’une spectacularisation du monde incontrôlée. L’hypothèse avancée en introduction et reprise en conclusion est que le numérique constitue une « véritable rupture, non seulement technologique, mais encore anthropologique et culturelle » (p. 15). Il s’agit d’indiquer que les nouvelles technologies ne constituent pas un nouveau média de masse, au même titre que la télévision à partir du milieu du vingtième siècle, mais bien un ensemble de dispositifs hétérogènes qui affecte « tous les secteurs de l’activité humaine » (p. 262). Si, à l’instar du titre, l’usage de certains termes relève plus du champ lexical de la révolution et/ou de la catastrophe, la démonstration est menée avec beaucoup de nuances. L’ouvrage ne prend jamais la forme d’un manifeste, bien qu’il soit parfois prescriptif. Il constitue, en fait, plus une synthèse argumentée des recherches menées actuellement en France. Ainsi, un véritablement mouvement dialectique, jamais véritablement résolu, est instauré à chaque chapitre entre les propos tenus par des chercheurs présentés comme enthousiastes et d’autres perçus comme étant plus critiques. Refusant ainsi toute euphorie techniciste, le chercheur, professeur en information et communication à l’Université Paris 2, insiste sur le rôle d’éléments économiques, socioculturels et générationnels (chapitres 1 et 2). Cela lui permet de poser que le numérique est un marché dans lequel des multinationales sont en concurrence pour attirer l’attention d’usagers toujours plus volatiles. Reprenant un vocable bourdieusien, il indique également que face à cette offre toujours plus importante de services en ligne, les internautes sont foncièrement inégaux. En effet, il explique que les pratiques du numérique « s’enracine[nt] plus profondément dans un contexte économique et culturel, dans des trajectoires individuelles et sociales, dans des représentations qui dominent fortement l’investissement dans les nouvelles technologies » (p. 75). Enfin, il indique que les jeunes se sont approprié le numérique plus rapidement et avec une dextérité supérieure. Ainsi, « les nouvelles technologies numériques apparaissent enfin comme le support d’une culture juvénile fondée sur un mode expressiviste très marqué : on se raconte, on s’amuse, on flâne, on se projette » (p. 111). L’hypothèse du numérique comme culture est ensuite testée en prenant comme terrain d’étude les usages des réseaux sociaux en particulier (chapitre 3), puis les pratiques créatives des amateurs en ligne en général (chapitre 4). D’une approche en termes d’économie de l’attention, Rieffel passe alors à une étude des modes de conversation et de relation en milieu numérique. Il aborde ainsi la façon dont, entre tyrannie de la visibilité et usages réflexifs du web, des identités numériques à …