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La couverture internationale des récents événements de remaniement ministériel d'urgence en France a présenté celui-ci, de manière erronée, selon le schéma d'une bataille entre les courants pro et anti-austérité au sein du Parti socialiste au pouvoir. Parmi les intellectuels, ce conflit est vu sous l'angle de l'opposition des « sociaux-libéraux » envers les « sociaux-démocrates » les plus traditionnels. A y regarder de plus près, et pour qui a de l'expérience en politique, la ligne de partage véritable semble en réalité séparer ceux qui assument vraiment la responsabilité de gouverner et ceux qui ont choisi d'escamoter les décisions difficiles par des effets rhétoriques.
Compte-tenu du vide de leadership créé par la présidence vacillante de Hollande, il était probablement inévitable qu'un manque de clarté sur la politique économique du gouvernement conduise au conflit. Il n'empêche, l'offensive publique surprise engagée par Montebourg contre l'austérité défendue par Angela Merkel et la Banque centrale européenne, et contre ce qu'il tenait pour un acquiescement de la part de ses collègues du gouvernement, intrigue pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, il est loin d'être certain que la France ait réellement adopté l'austérité. Alors même qu'il n'y a guère de croissance en vue, le gouvernement laisse continûment filer ses objectifs de déficit budgétaire – assouplissant d'autant la rigueur des comptes publics.
Ensuite, on ne voit pas clairement ce que Montebourg et ses soutiens voudraient que le gouvernement entreprenne différemment. S'exprimant devant le MEDEF après le remaniement, Valls présenta une liste cohérente de réformes. Présentant ses idées, il a défendu une série de mesures soutenant l'offre économique pour agir sur le marché de l'emploi et la croissance, des allègements d'impôts destinés aux entreprises pour stimuler l'investissement, tout en défendant les 35 heures, cette réalisation emblématique du gouvernement Jospin. Interrogé par les journalistes sur ces orientations, Montebourg tint à dire qu'il n'était nullement opposé à ces mesures d'offre pour autant qu'elles ne soient pas excessives.
Enfin, Valls et les socialistes français se sont portés à l'avant-garde d'une tentative pour réorienter l'Europe vers une politique plus favorable à l'emploi et à la croissance. Dès avant l'offensive publique de Montebourg, Hollande avait organisé une rencontre des responsables progressistes européens en vue de rassembler des soutiens avant le Conseil européen de Bruxelles. Dans les faits, la sortie de Montebourg ne fit que saper l'effet du président et de ce rassemblement : en ce sens, il a agi à l'encontre de ses objectifs proclamés.
Confrontée à la hausse du chômage, qui dépassait les 3,5 millions fin juillet, et à une économie en stagnation, la France a besoin à la fois de réformes structurelles, d'une stratégie industrielle claire sur son territoire et d'une réorientation en Europe – et nullement d'adopter une posture politique. Figurer en marinière sur la couverture du Parisien pour inciter les gens à acheter du made in France put bien faire du buzz et assurer à Montebourg une bonne publicité et de gros titres accrocheurs du temps qu'il était ministre du Redressement productif, mais cela ne remplace pas une stratégie économique sérieuse. Ce n'est vraiment pas le moment de se laisser aller au réflexe de l'exception française, à la José Bové, comme si les lois économiques n'était pas pertinentes quand il s'agit de la France : il est temps d'engager une diplomatie sérieuse et concertée.
Le défi auquel est confronté le second gouvernement Valls est bien le même que ceux que rencontrent les autres progressistes européens, en particulier le nouveau président du Conseil italien, Matteo Renzi. A Bologne le week-end dernier, Valls et Renzi réunirent une nouvelle génération de responsables politiques progressistes européens qui en appelèrent à un nouveau mouvement pour la croissance et la réforme. Si une stratégie européenne de croissance est bien vue parmi les sociaux-démocrates tant en France qu'en Italie, il est moins populaire de plaider pour des réformes structurelles afin d'accomplir ce programme et de soutenir cet engagement.
Un élément de cette difficulté tient à l'histoire des gauches française et italienne, qui toutes deux ont longtemps résisté à la modernisation et vécu toute réforme favorable au marché comme une trahison des valeurs de la démocratie sociale. Un élément de ce défi tient aussi à la frustration croissante de la population française ou italienne vis à vis de l'absence de progrès et d'action, ce qui se traduit dans les deux pays par l'augmentation du vote populiste protestataire.
Tout comme Renzi, Valls est un politicien talentueux et un bon communiquant ; la force de leur relation a le potentiel de relancer une nouvelle période de gouvernance progressiste – une période durant laquelle des marchés réformés contribueraient à créer une prospérité solidaire et durant laquelle un État réformé pourrait rendre les services publics plus efficacement et retrouver la confiance des citoyens.
S'ils pouvaient réussir, il y aurait un espoir de voir Valls devenir capable d'installer le Parti socialiste dans le 21 è siècle. Au moment où il se prépare à demander à l'Assemblée de voter la confiance sur son programme de réforme, le peuple français et les progressistes des autres pays, devraient espérer sa réussite.
Parties annexes
Note biographique
Matt Browne est directeur de programme au Center for American Progress (Washington) et correspondant de Sens public.