La discussion autour du rôle du nazisme et en particulier de l’antisémitisme dans la pensée de Martin Heidegger connaît un nouvel élan depuis décembre 2013 lorsque commencèrent à circuler dans la presse française des citations antisémites extraites des Cahiers Noirs de Martin Heidegger. La recension présente est le premier volet d’une synthèse des récents débats menés en France et en Allemagne autour de l’importance de l’idéologie national socialiste dans la pensée de Heidegger. Une comparaison est faite pour les lecteurs français sur la manière dont la discussion fut menée en Allemagne en 2009 suite à la parution en allemand de l’ouvrage d’Emmanuel Faye. Un article à venir sera consacré aux Cahiers Noirs parus en mars 2014 à leur contenu ainsi qu’à leur réception médiatique en France et en Allemagne. La parution en 2005 du livre d’Emmanuel Faye L’introduction du nazisme dans la philosophie a changé le caractère du débat autour de l’implication politique de Martin Heidegger dans le national-socialisme. Le livre s’appuie sur des protocoles inédits de deux séminaires du penseur des années 1933–35 et constitue une remise en question de la pensée de Heidegger, de ses convictions politiques et de ses déclarations. Le livre déclencha lors de sa parution une vague d’indignation parmi les intellectuels français qui dépassa les controverses passionnées déjà suscitées, quelques années plus tôt, par les études de Víctor Farías et de Hugo Ott. Une version augmentée parut quatre ans plus tard en allemand. Si le livre de Faye dans son édition princeps ainsi que sa traduction allemande n’ont pas manqué de déclencher à leur tour de vives réactions, elles n’ont pas eu la violence des réactions outre-Rhin. La presse allemande commenta dès la parution française du livre la radicalité des confrontations autour de Heidegger en France avec un mélange d’étonnement et d’amusement condescendants. On entretiendrait en Allemagne une relation plus neutre et sereine à la question du rapport de Heidegger au national-socialisme et l’on serait exempt de la passion et de la brutalité des conflits académiques du pays voisin. Que le débat français autour de Heidegger soit mené sur la place publique et de manière plus passionnée qu’en Allemagne n’est pourtant pas attribuable à un tempérament national, et pas davantage à une prétendue superficialité française mais bien plutôt au fait curieux que la réhabilitation de Heidegger en Allemagne après 1945 est passée par le détour de la France. Les thèses de Faye ont engendré en Allemagne de nombreuses réactions, mais elles ont été plus modérées. Il y eut certes quelques analyses bien fondées, mais surtout de nombreux articles auxquels s’applique la constatation du journaliste Jürg Altwegg à propos de la France : « Il existe de nombreuses prises de position sur le pamphlet de Faye — mais bien peu de recensions que l’on puisse prendre au sérieux ». Faye parvient à la conclusion que le rapport de Heidegger au national-socialisme va bien au-delà d’un engagement politique passager : dans la mesure où il se serait systématiquement efforcé de fonder ou de sublimer spirituellement l’idéologie nazie : « […] ses écrits continuent de diffuser les conceptions radicalement racistes et destructrices pour l’être humain qui constituent les fondements de l’hitlérisme et du nazisme » (509). Faye soutient donc que la pensée de Heidegger adhère aux principaux aspects de l’idéologie nazie. Il considère par conséquent que cette pensée ne mérite pas le nom de philosophie et plaide pour que dans les bibliothèques les œuvres complètes passent des rayons de philosophie à ceux de l’histoire. Dans la postface de l’édition allemande de son livre, il plaide en outre pour « une révolution dans la conception du problème » : …