Résumés
Résumé
A partir de l’étude de la longue correspondance croisée de deux amants, Adèle Schunck et Aimé Guyet de Fernex, ayant entretenu dans le secret pendant une vingtaine d’années une liaison adultère, est étudiée ici la question de l’expérience et de l’expression de l’ennui. On voit en particulier qu’il y a dans leurs lettres une façon caractéristique de l’époque romantique de s’ennuyer et de le dire. L’analyse de la place de l’ennui dans leur écriture épistolaire m’amène à esquisser le tableau d’un ennui à deux faces, connoté à la fois négativement et positivement. Ennui négatif, tout d’abord : c’est le sentiment de vide et de désintérêt pour ce qui les entoure. Dans les lettres d’Adèle et d’Aimé, l’ennui prend en effet la forme, largement intemporelle, du sentiment de manque de l’être passionnément aimé. Mais cet ennui négativement connoté est aussi objet d’histoire, lorsqu’il se fait rejet romantique d’une société perçue comme superficielle, et conviction que seul l’amour vrai est digne d’intérêt. L’ennui est alors quelque chose qui s’imposerait à l’individu sensible.
Abstract
Through the study of the long epistolary correspondence of two lovers, Adèle Schunck and Aimé Guyet Fernex, who have kept in the secret during twenty years their adulterous affair, is studied here the question of the experience and the expression of boredom. One can find in the letters a characteristic way of the romantic time to get bored and to say it. The analysis of the role of boredom in their epistolary writing brings me to sketch a picture of a boredom which is connoted both negatively and positively. Negative boredom first: it is the feeling of emptiness and lack of interest for what surrounds them. In the letters of Adèle and Aimé, boredom takes the form of a – quite timeless – sense of lack of the one who is passionately loved. This negatively connoted boredom becomes historically marked when it is viewed as the romantic rejection of a society perceived as superficial, and the conviction that only true love is worthwhile. Boredom would then be a feeling which the sensitive individual could not avoid.
Corps de l’article
« Songe, chéri, que la société m’ennuie, que je ne désire rien tant que la solitude qui me rend à nous. C’est lorsque je suis seule que je me trouve bien. C’est lorsque je puis penser librement à toi que je jouis de la vie. Tout le reste m’est indifférent ».
Ces quelques phrases furent écrites au soir du 30 juin 1829 par Adèle Schunck, dans une lettre à son amant, Aimé Guyet de Fernex[1]. Nous abordons ici la question de l’expérience et de l’expression de l’ennui romantique à partir de l’étude de la correspondance croisée de ces deux amants. Ennui ressenti et ennui mis en récit que nous traiterons en partie conjointement, puisqu’en pareille matière la question de la sincérité ne peut être résolue, en montrant qu’il y a dans leurs lettres une façon caractéristique de l’époque romantique de s’ennuyer et de le dire. On le sait, l’ennui, et sa déclinaison en mélancolie, constitue un des leitmotivs essentiels de la littérature romantique du début du 19e siècle – cela a été exploré par plusieurs travaux d’analyse littéraire, comme ceux de Guy Sagnes[2], Norbert Jonard[3], ou Franz Antoine Leconte[4]. Il a aussi été montré que le phénomène dépasse le seul cercle de la littérature. « La profonde mélancolie romantique n’est pas un épiphénomène limité à quelques grands poètes déprimés », suggère ainsi Georges Minois, à partir du témoignage offert par les correspondances et journaux intimes[5]. C’est aussi le constat qui ressortait de la rencontre organisée en 1995 par le Centre de Recherches Révolutionnaires et Romantiques de l’Université de Clermont-Ferrand autour du « mal du siècle » et de son expression dans les correspondances et journaux intimes de la première moitié du 19e siècle[6].
La littérature romantique est en plein essor lorsqu’Adèle et Aimé s’écrivent et l’on trouve dans leurs propos bien des signes de l’influence qu’elle a exercée sur eux. Il est ainsi fait directement référence dans les lettres aux livres qui ont marqué ce courant littéraire : La Nouvelle Héloïse de Rousseau (lettre d’Adèle du 16 janvier 1826…), Clarisse Harlowe de Samuel Richardson (lettre d’Adèle du 24 septembre 1824…) ou encore Kenilworth de Walter Scott (lettre d’Aimé du 26 mai 1827…). Alors qu’elle est plongée dans Les souffrances du jeune Werther de Goethe, Adèle écrit à Aimé :
« Je me suis couchée avant dix heures, je pensais faire une longue nuit, mais j’ai eu l’idée de mettre le nez sur la première page de Werther et je n’ai cessé de lire que lorsque j’ai eu fini le volume, il était près d’une heure. J’ai l’âme encore toute malade et j’ai mal dormi. Rien ne me plaît davantage que ce livre et il me fait chaque fois le même mal » (lettre du 21 juillet 1829).
La similarité entre ce que l’on peut lire dans les lettres et ces romans est claire : l’idée que la passion est fatale, que les amants sont comme prédestinés, la mise en rapport du temps qui passe et du bonheur qui s’éloigne, la nostalgie qui en résulte, l’appel à la mort… Adèle et Aimé citent ces textes, les ont lus. La question de la mesure précise de l’influence en matière de réception est difficile à quantifier, ceci est connu. S’il n’y a que peu de mécaniquement démontrable ici, et si l’exemple ne fait pas preuve, restent l’analyse frappante de la proximité des thèmes, le constat évident d’une similitude dans les façons de concevoir le rapport au temps. Dans une analyse consacrée à « l’histoire du sentiment amoureux et des pratiques érotiques » au 19e siècle, Alain Corbin écrit que « les correspondances des gens ordinaires n’étaient bien souvent que des patchworks de textes littéraires ou, tout du moins, se trouvaient soumises à des modèles rhétoriques empruntés à la littérature de fiction »[7]. Nous verrons qu’Adèle et Aimé ont aussi puisé dans ce courant littéraire des formes de modèles traduisant leur sentiment d’ennui[8].
Pendant près d’un quart de siècle, à Paris, Adèle et Aimé, ont entretenu, dans le secret, une liaison adultère. Amour clandestin dont témoignent les 1500 lettres qu’ils se sont échangées de 1824 à 1849, et qui constituent une source très riche pour l’étude d’une modalité particulière de l’ennui sous la Restauration et la Monarchie de Juillet[9]. Nous avons retrouvé cette intense correspondance croisée, encore intacte, dans les deux boîtes où Aimé l’avait conservée jusqu’à sa mort[10]. Sur le couvercle de l’une d’elles, il a inscrit : « Après moi. Ce carton et la boîte en bois (1829-1845) devront être remis tels quels à Madame Schunck. C’est un soin pour lequel je me repose principalement sur ma fille Aglaé. Septembre 1857 ». Mais quand Aimé meurt, en mars 1871, avant Adèle, les lettres ne seront pas rendues à celle-ci. Trouvées au moment de l’opération de scellés à son domicile, elles sont déposées au greffe du tribunal civil de la Seine, pour ne plus le quitter, sinon pour rejoindre les Archives de Paris[11]. Ainsi en décide le juge, après avoir découvert la nature des papiers qui se trouvent dans les deux boîtes :
« Attendu que les dits papiers sont pour la plupart, de nature à porter atteinte à l’honneur et à la considération de diverses personnes nous disons que le tout restera déposé au greffe jusqu’à ce qu’il en soit autrement ordonné »[12].
S’ils s’écrivent beaucoup, Adèle et Aimé parviennent aussi souvent à être réunis – au moins une fois par semaine et parfois davantage. Leur amour n’en reste pas moins contrarié : ils ne peuvent se voir librement, autant qu’ils le voudraient, et doivent se cacher. Adèle est mariée, et mère d’un garçon. Son époux, Philippe Henri Schunck, est âgé de 30 ans de plus qu’elle. Aimé, veuf, est père de trois filles. Quand leur liaison débute, en 1824, Adèle et Aimé ont un peu plus de 30 ans. Sans être des aristocrates ou de grandes célébrités, ils appartiennent au « Tout-Paris » qui se structure alors, cet ensemble de quelques centaines de personnes du « monde » parisien[13]. Adèle et son mari sont liés à la cour. Jusqu’en 1830, Adèle est attachée à la Maison du duc de Bordeaux et de sa sœur. Son service se fait aux Tuileries, et elle suit aussi parfois la cour à Saint-Cloud. Après le départ de Charles X, elle devient rentière et habite rue de Tournon, à Paris. Son mari, compositeur et professeur de piano, est le conservateur des tableaux de la fille de Louis XVI. Aimé est professeur dans plusieurs collèges royaux, comme celui de Louis-le-Grand, et dirige aussi une institution d’enseignement secondaire, rue Saint-Jacques – où il habite avec sa mère et ses filles. A ces divers titres d’enseignant, Aimé est plusieurs fois chargé par Adèle et son mari d’accompagner la scolarité de leur fils ; c’est vraisemblablement ainsi qu’il a rencontré Adèle.
« Qui se soucie de l’ennui ? Il s’agit de quelque chose de trivial, dont les enfants souffrent, n’est-ce pas ? Pourtant, l’ennui est l’une des émotions humaines communes parmi les plus inattendues ; pour cette raison, il ne doit pas être ignoré ou banalisé », écrit Peter Toohey, ajoutant que « ces dernières années, l’ennui est devenu l’objet d’une analyse sociale et scientifique »[14]. Si les études sur l’ennui ont longtemps été pour la plupart a-historiques, l’historicité de l’ennui, dans sa forme et son expression, est désormais largement reconnue – ceci même lorsqu’il est considéré comme un trait constant de la condition humaine[15]. Relativement précoces dans le monde anglo-saxon, elles se développent désormais aussi ailleurs, en France notamment[16]. De façon plus générale, comme le note Nicolas Offenstadt :
« le temps est en soi un objet d’études. Les historiens gagnent souvent à s’interroger sur la manière dont les acteurs qu’ils étudient perçoivent le temps, les temps, qui sont les leurs, comment ils mobilisent le temps et le passé dans l’action, dans l’épreuve. Ce à quoi sont aussi attentifs les sociologues. Comme l’a souligné Norbert Elias (…), le temps des individus n’est pas autonome, libre de toute attache, il s’inscrit dans celui de la société dans laquelle ils vivent. L’individu, dit encore Elias, apprend à vivre avec la régulation sociale du temps »[17].
L’étude de la place de l’ennui dans les mots d’Adèle et Aimé nous conduit ici, on le verra, à dresser le tableau d’un ennui à deux faces connotées négativement ou positivement. Dans les deux cas, ce qui émane des lettres, est bien moins un ennui passager, dont on connaît les bornes, qu’un ennui profond, intense : une façon d’être en quelque sorte.
Ennui comme sentiment négatif, impression de vide, constat récurrent d’un désintérêt ressenti pour ce qui nous entoure. Dans les lettres d’Adèle et d’Aimé, l’ennui prend la forme, largement a-historique, du sentiment de manque de l’être passionnément aimé. Cet ennui négativement connoté est aussi historiquement situé, lorsqu’il se fait rejet d’une société perçue comme superficielle, et conviction que seul l’amour vrai est digne d’intérêt. L’ennui s’imposerait à l’individu sensible. Cette correspondance conduit parallèlement à voir en l’ennui un phénomène positif quand, en prenant la forme de la mélancolie, il devient une attitude distinguant les amants des autres, ceux qui ne s’ennuient pas. L’ennui est alors l’occasion de s’évader pour penser librement à l’être aimé. La rêverie occupe ainsi une place décisive dans la correspondance, sous la plume d’Adèle en particulier. Bien souvent triste, elle n’en est pas moins recherchée. De mal inévitable, l’ennui se fait attitude cultivée. Ce sont ces deux modalités de déclinaison de l’ennui que nous nous proposons d’explorer. Si nous laissons de côté ici l’usage du mot ennui dans le sens de problème, de contrariété, on remarque toutefois que ses différentes significations se confondent. Adèle joue ainsi de cette polysémie. Par exemple le 12 septembre 1839, pour se plaindre à son amant du fait que son mari ne la laisse pas tranquille :
« Je ne vous écris que deux lignes, car je n’ai jamais une minute de liberté. Le désœuvrement donne l’ennui, et l’ennui sert à ennuyer les autres ».
« Tout est faux, tout est triste » (Adèle, 19 septembre 1824) : l’ennui s’impose a l’individu sensible
L’idée d’un ennui péniblement subi se trouve exprimée à peu près aussi fréquemment dans les écrits des deux amants – en proportion du nombre de lettres, celles d’Adèle étant plus abondantes. « Il me semble que les affreux barreaux qui sont à mes fenêtres arrêtent les soupirs que je t’envoie, et dans l’excès de mon ennui, j’accuse le sort de m’avoir fait prisonnière », écrit Adèle le 24 octobre 1826 ; « Je m’ennuie de ce temps qui me prive de te voir », se plaint-elle le 2 avril 1839. Aimé exprime cette même forme d’ennui : « je t’avoue que je m’ennuie à mourir, et quand j’aurai fini mes corvées du trimestre, ce qui ne va pas tarder, je ne sais pas comment je traînerai mes journées », lit-on dans une lettre du 11 juillet 1834 ; « je suis seul et sans nouvelles de toi, et je t’assure que je m’ennuie beaucoup », écrit-il deux jours plus tôt. L’ennui est alors proche du manque et renvoie à l’attente impatiente de se retrouver. Il naît des obstacles posés à leur amour. L’ennui est donc ici d’abord celui éprouvé du fait d’être souvent séparés, et son sens se rapproche parfois du sentiment de contrariété : on voudrait être ensemble et on ne le peut pas. Ennui comme manque de l’autre, tellement intense qu’il est perçu par les amants comme pouvant avoir des effets physiologiques. Le 13 mai 1827, Adèle écrit : « Le temps est triste et mon petit cœur est sous son influence. A cela se joint un fort mal de tête, et l’ennui que j’éprouve loin de toi n’est pas fait pour le calmer ». Il se traduit en tous cas par un sentiment, plusieurs fois exprimé, de vide, de désintérêt pour ce qui les entoure. Tout ce qui n’est pas, ou ne rappelle pas, l’être aimé, laisse indifférent. « Tout m’ennuie loin de toi », « Tout ce qui n’est pas toi m’ennuie », autant d’expressions que l’on trouve à plusieurs reprises dans les lettres d’Adèle : le 19 octobre 1824, le 27 octobre 1825, le 26 mai 1827, etc. Apparaît ainsi dans cette correspondance ce que l’on pourrait aussi trouver dans des échanges d’autres époques[18], si ce n’est que l’avènement de l’individualisme, l’attention à l’expérience interne de l’individu sont des phénomènes qui précèdent de peu les lettres des deux amants, et expliquent en partie cette prégnance du regard sur soi, de l’introspection, et donc de l’expression de l’ennui, parmi d’autres sentiments observés[19].
La manière qu’ont Adèle et Aimé de parler de leur ennui s’historicise en prenant une forme qui présente des similitudes avec le discours romantique. D’abord dans le rapport de l’ennui au temps. Une impatience est exprimée devant la lenteur du temps passé loin l’un de l’autre. On s’ennuie et on voudrait que le temps passe plus vite. « Une heure passée près de vous me paraît une minute, ici une minute paraît une heure », écrit Adèle depuis Saint-Cloud le 19 septembre 1824 ; elle poursuit : « mais, je ne veux pas vous ennuyer de l’ennui que j’éprouve, j’aime mieux parler du plaisir que j’aurai à vous voir mardi ». Aimé, aussi, suggère à Adèle dans une lettre du 7 septembre 1825 d’ « abréger la semaine en la coupant », après lui avoir dit qu’il « [l’] attend avec autant d’impatience [qu’elle] » ; ou encore parle, le 28 mai 1829, de « l’ennui de voir dix jours devant nous à dévorer », le 11 juillet 1834, de ce « jour où je t’attends et qui me semble ne devoir arriver jamais »… Cette impatience à voir filer le temps s’accompagne de l’angoisse qu’il passe trop vite. Hantise née de la conscience de la fuite du temps, rapportée au caractère éphémère de l’amour, que les auteurs romantiques ont abondamment décrite[20]. Adèle, surtout, se répète, et elle répète à Aimé que le temps emporte tout, les peines comme les joies. Ainsi, aussi fréquemment qu’elle se plaint de la longueur du temps, elle dit sa crainte de voir la passion brûlante laisser place, sous l’effet des années, à un sentiment d’affection plus calme, puis à l’indifférence. Son inquiétude ne concerne pas tant ses propres sentiments, qu’elle affirme éternels, que ceux d’Aimé. Le 8 juillet 1824, alors que leur relation débute, elle lui écrit déjà : « [L’horloge] me répète que tout passe, tout finit, tout se détruit pendant que l’aiguille marche. Que le temps même affaiblit ce cruel sentiment que l’on nomme Amour. Cet amour que vous sentez aujourd’hui pour moi, qui ferait mon bonheur s’il devait être éternel. Rien n’est éternel, que ce temps qui anéantit tout ». Adèle dit souffrir précisément de ce paradoxe. Si elle exprime son incontrôlable impatience à l’idée de voir disparaître les heures qui l’éloignent des bras d’Aimé, elle est pourtant convaincue des ravages que le temps ne manque pas de produire sur les cœurs amoureux. Le 26 mai 1827, elle écrit :
« Le temps passe et je ne demande qu’à le voir fuir. Demain dimanche ! Tout m’ennuie loin de toi. L’horloge seule m’est agréable lorsqu’elle se fait entendre. D’abord son timbre te fait plaisir, ensuite elle me rappelle que l’heure qui sonne diminue l’intervalle qu’il y a entre toi et moi. Il faut que ton absence me soit bien pénible pour que je désire voir s’écourter les jours, les mois, les années. Tout ne passe-t-il pas avec l’âge ! L’heure passée ne doit plus revenir et celle qui vient amène quelques fois bien des maux ».
Au-delà de ce rapport particulier au temps, la façon qu’ont Adèle et Aimé d’exprimer leur ennui rappelle la posture romantique par le fait que cet ennui ne provient pas uniquement du manque de l’autre : il trouve aussi sa source dans le rejet d’une société perçue comme superficielle. L’ennui est ici un sentiment issu de la profonde différence ressentie entre les amants et ceux qui les entourent. D’un côté, deux personnes qui disent vouloir être vraiment elles-mêmes, et pour cela céder à leur amour qui serait dans leur nature. De l’autre, une société rassemblant des personnes qui jouent un rôle, des hommes faux et avec qui les amants ne peuvent que s’ennuyer ; ils ne peuvent leur trouver d’intérêt. Rejet de la société comme superficielle, idéalisation du vrai, de la nature, qui est caractéristique du rapport du « Moi » romantique au monde qui l’entoure[21]. « Tout se fait avec pompe dans le pays où je suis ; tout est faux, tout est triste », écrit Adèle à Aimé le 19 septembre 1824, avant de lui exprimer l’ennui qu’elle éprouve. Les deux amants dénoncent la vie sociale comme un mensonge continuel, fait d’attitudes affectées, d’un hypocrite protocole, d’échanges superficiels. Au contraire, ensemble, ils sont eux-mêmes. La cour en particulier, où évolue Adèle, est perçue comme un lieu où la proximité du pouvoir pousse les hommes à travestir leurs pensées et sentiments pour se comporter de façon à remporter les faveurs des puissants. « Je suis au milieu d’une foule d’intrigants sans foi, sans honneur, sans esprit, qui ne m’inspirent qu’un juste mépris, et que sans une impérieuse nécessité j’aurais fui depuis longtemps », écrit Adèle depuis Saint-Cloud, le 30 juillet 1825. Au-delà, la société entière est accusée de stimuler la fausseté des hommes, motivés par leurs seuls intérêts. Adèle laisse souvent surgir dans ses lettres ce qu’elle dépeint, le 21 novembre 1836, comme envie d’ « envoyer paître les humains et vivre avec les bêtes ». De sa lecture des écrits de Rousseau, qu’elle évoque directement, elle a gardé la certitude que la vie en société a gâté l’homme en lui faisant perdre sa bonté naturelle. Sa conduite est désormais motivée par l’intérêt. Les mêmes idées se retrouvent dans les lettres d’Aimé, même si son tourment est moins intense : « un seul sentiment domine tous les autres, l’intérêt personnel, l’intérêt ce vil roi de la terre qui modifie, qui altère, qui détruit toutes les affections les plus douces et les plus légitimes », constate-t-il le 10 février 1829. Dans une société où les hommes sont faux, où la dissimulation est essentielle au succès, les amants ne pourraient que s’ennuyer. Seul leur amour est vrai et donc digne d’intérêt. L’ennui est donc directement lié à la passion, qui fait sentir l’insignifiance des autres relations humaines.
Si l’ennui est en lien avec à la passion, c’est aussi car elle est présentée comme ce qui a rendu les deux amants hyper-sensibles, ce qui les fait désormais tout ressentir avec une intensité décuplée : l’ennui aussi, comme conséquence, donc, de l’exacerbation de la conscience de soi. « Lorsque l’âme est affectée, les émotions sont plus fortes », constate Adèle le 31 mars 1827. Les amants disent avoir été transformés par leur rencontre. L’amour passionnel qu’ils connaissent l’un pour l’autre aurait exacerbé leur sensibilité. Un rapprochement peut aussi être fait ici entre la rhétorique épistolaire d’Adèle et Aimé et celle qu’ont développée les auteurs romantiques à la même époque, l’hypersensibilité étant l’un des traits saillants du héros romantique[22]. Les amants ressentiraient en tous cas l’ennui plus vivement. « Je suis devenue bien difficile depuis que je te connais », écrit Adèle le 18 décembre 1824, avant d’ajouter qu’auparavant elle « [savait] supporter l’ennui ». Cette hypersensibilité, perçue comme peu partagée en dehors de leur couple, éloignerait encore davantage les amants des autres humains. Il semble ainsi que, pour eux, l’ennui s’impose à l’individu sensible.
Né de l’amour passion qu’ils connaissent l’un pour l’autre, l’ennui s’oppose directement à cette passion. Adèle écrit souvent craindre qu’Aimé ne finisse par se laisser gagner par l’ennui s’ils pouvaient vivre ensemble, ne plus être souvent séparés, et si leur amour devenait alors plus calme. « L’ennui suit toujours la satiété », écrit-elle le 14 juin 1825. « Si j’étais sans cesse près de toi, je cesserais d’être désirée. "L’ennui naquit un jour de l’uniformité"[23]. (…) ma vie tient peut-être à notre séparation », affirme-t-elle similairement le 24 octobre 1826. La passion adultère en deviendrait presque un remède à la fatalité de l’ennui[24].
« M’abandonner à mes rêveries » (Adèle, 17 janvier 1825) : la recherche de la rêverie mélancolique
En attendant de vivre peut-être un jour avec son amant, et de risquer donc qu’il s’ennuie avec elle, Adèle préfère éviter l’ennui que lui cause la compagnie des autres, en s’isolant d’eux. L’ennui subi en compagnie des autres appelle donc un autre ennui, choisi, sans eux, celui qui permet de se laisser aller à rêver. La deuxième modalité de déclinaison de l’ennui dans la correspondance d’Adèle et d’Aimé est celle d’un ennui cultivé sous la forme de la rêverie mélancolique[25]. Les amants disent fréquemment préférer être seuls plutôt qu’au milieu des autres, dans la présence desquels ils ne trouvent pas d’intérêt. Le 10 juillet 1824, Adèle, alors à Saint-Cloud, se réjouit que sa femme de chambre soit à Paris et qu’elle soit donc « seule (…) toute la soirée » : « je puis rêver sans témoin », dit-elle à Aimé. Le 20 mai 1829, elle note similairement :
« J’ai écrit à Fanny pour qu’elle ne vienne pas demain. (…) Je passerai toute ma matinée dans la solitude. Je penserai, je rêverai tendrement à toi. (…) Cher ami ! Lorsqu’on aime on est heureux de rester seul ; (…) c’est un bien que je savoure, et je compterai comme les plus pénibles journées celles où ma famille, et même mes amis, viendront m’aider à passer un temps que je ne trouve long que parce qu’il me prive de te serrer contre ce cœur que toi seul peut agiter ».
Adèle regrette les moments qui l’arrachent à cette solitude recherchée, comme dans sa lettre du 11 mars 1827 :
« Je quitte à regret le château. J’y pleure, j’y rêve sans témoin. L’idée d’aller demain chez ma mère m’est désagréable ».
S’isoler de la société permet de ne pas avoir à faire semblant d’être quelqu’un que l’on n’est pas, ne pas avoir à sourire quand on est triste, ne pas être « forcé de grimacer », pour reprendre une expression qu’emploie Adèle le 14 septembre 1839, ou encore éviter d’être « tourmentée sur [son] air pensif », comme elle le déplore le 8 janvier 1825. Mais s’isoler de la société permet surtout d’autoriser l’imagination à prendre le dessus sur la raison et de pouvoir se laisser aller librement à la rêverie. Pour Adèle, il semble que si la rêverie s’impose parfois sans qu’on la recherche, elle est surtout perçue comme une activité volontaire, un état que l’on pourrait provoquer. Adèle s’isole, puis elle se met à rêver. « Je vais me mettre sur une bergère, souffler une partie des bougies et m’abandonner à mes rêveries », écrit-elle le 17 janvier 1825. Aimé lui envie cette possibilité. Trop occupé, il n’aurait pas autant d’occasions de rêver. Il lui écrit le 6 mai 1830 :
« Tu es bien plus heureuse que moi, chère petite ; tu es seule, à ton aise pour rêver, tu revois ces vieux amis témoins de tes premières pensées d’amour, et moi je suis du matin au soir livré à des soins qui me détournent de ma pensée la plus chérie ».
Les quelques passages de ses lettres où il décrit des moments de rêverie sont bien plus rares que ceux trouvés dans les lettres d’Adèle. Celle-ci aime pourtant penser que son amant trouve le temps de se perdre dans ses pensées pour elle. « Rêve à moi », demande-t-elle dans plusieurs de ses lettres, le 19 juin 1830 par exemple. Similairement, le 9 septembre 1824, elle lui écrit :
« Je ne sais pourquoi je me plais à penser que la beauté du temps t’engage à rester au jardin, et que pendant le coucher de tes filles, tu rêves sur ce banc solitaire où tu causais si aimablement avec moi ».
Aimé sait en tous cas que la rêverie occupe une place importante dans la vie d’Adèle et qu’elle chérit la solitude. Le 20 mai 1829, alors qu’Adèle est à Saint-Cloud, il lui écrit :
« j’aime pour toi ce que je craindrais pour toute autre, la solitude où tu n’es pas femme à t’ennuyer, et qui te protège au contraire contre bien des ennuis, que tu as tant de peine à trouver le soir et le matin ».
Il sait qu’elle pourra être « occupée (…) à rêver ». Si la rêverie mélancolique peut être vue comme une déclinaison de l’ennui romantique, elle peut également être comprise comme étant le seul antidote à l’ennui auquel ont accès les êtres sensibles. Partie prenante de l’ennui romantique, l’imaginaire est aussi un moyen de lutter contre lui. Aimé souhaite pour Adèle la solitude qui lui permettra de rêver. Pourtant, les rêveries de celles-ci – rêveries dont Aimé est toujours « l’objet », comme elle le dit le 19 septembre 1829 – sont souvent décrites comme « tristes », « sombres », autant de termes qu’Adèle emploie plusieurs fois pour les caractériser. Le 25 décembre 1824, à une heure du matin, elle lui écrit :
« Cher ange, tu dors paisiblement et moi je rêve douloureusement toute éveillée ».
Le cadre idéal de la rêverie, en particulier pour Adèle, est la nature. L’ennui éprouvé dans le monde superficiel de la ville et de la Cour la conduit à exprimer de façon récurrente un attrait pour la campagne ou, à défaut, pour les parcs et jardins : avec la nature comme compagne, elle pourrait s’abandonner plus facilement à la rêverie mélancolique. « La nature triste me plaît », écrit-elle le 6 novembre 1832, « je ne sais si c’est mon cœur qui trouve de l’harmonie avec ses pensées, mais à Paris l’hiver ne m’inspire que l’ennui, et au milieu de ces bois on se rappelle le bonheur passé ». Le 11 juillet 1834, c’est « sous un ravissant ombrage » qu’elle dit « [rêver] les yeux ouverts », dans le parc du château de Rosny. Cette idée prend de l’importance au fil des années. Le 14 septembre 1839, elle écrit ainsi :
« Plus j’avance dans la vie plus je trouve désirable de se délasser de tous les habitués avec lesquels on est obligé de vivre. La tranquillité de la belle nature vaut bien tous ces ennuyeux qui vous assomment dans la ville. (…) À Paris lorsqu’on est solitaire on s’ennuie parce qu’il faut être enfermé, au lieu qu’à la campagne on est au milieu des bois et de la campagne ».
Si la nature est ainsi le cadre privilégié de la rêverie, au-delà du fait que l’on peut plus facilement y être seul, c’est essentiellement parce que les amants disent trouver dans la nature des correspondances avec leurs sentiments. Adèle surtout cherche à trouver dans la nature qui l’entoure ce lien avec ce qu’elle ressent. Comme dans cette lettre qu’elle adresse à Aimé le 2 juillet 1824 :
« J’ai été libre à deux heures. Je suis allée dans le bois. Il pleuvait, tout était triste ; le vent agitait violemment les arbres. Je me suis assise sur un banc en face de la rivière. L’eau coulait paisiblement, je m’indignais de sa tranquillité : mon cœur était brisé et j’aurais vu la nature bouleversée, tout se rompre et la terre me couvrir, que j’aurais remercié Dieu ».
Environ deux ans plus tard, le 30 mai 1826, elle décrit la « délicieuse vue » qu’elle a depuis sa chambre, sa « petite cage », et trouve, dans le temps qu’il fait, un écho pour son âme :
« Les oiseaux me donnent en ce moment un délicieux concert, et mon âme, toute occupée de vous, goûte une espèce de ravissement qui ne m’est pas ordinaire loin de vous. Le tonnerre gronde de temps en temps, et pourtant le ciel est calme. La pluie est douce et l’air est embaumé. Je trouve une sorte de rapprochement entre mes sensations et le temps. Je suis plus tranquille que lorsque vous m’avez vue et pourtant l’orage est là ».
Ici encore, ces fréquentes références à l’harmonie de la nature avec les sentiments ne sont pas sans rappeler les écrits des romantiques, qui font de la nature le cadre des émotions humaines[26], et de la mélancolie en particulier.
Les rêveries solitaires sont donc davantage le fait d’Adèle que celui d’Aimé. Pour le comprendre, on peut envisager que cette déclinaison de l’ennui, la mélancolie, soit socialement distribuée selon le genre, qu’il y ait des expériences genrées de l’ennui[27]. Dans son étude de lettres de femmes de l’aristocratie de la première moitié du 19e siècle, Marie-Claire Grassi se demande si la mélancolie est « une maladie liée au féminin », et dans quelle mesure on peut voir dans son expression épistolaire, dans « l’aveu de la mélancolie », un « artifice au service de la séduction »[28]. Si les héros romantiques en proie à la mélancolie sont souvent des hommes, n’en serait-il pas moins plus commun pour une femme que pour un homme de s’abandonner à la rêverie et de l’exprimer ? On peut également expliquer cette moindre présence de la rêverie mélancolique dans l’écriture épistolaire d’Aimé par le fait que celui-ci, exerçant une activité qui, comme il le dit, l’occupe toute la journée, dispose de moins de temps pour se laisser aller aux plaisirs ou aux douleurs de l’imagination. Articulation de l’ennui à l’activité dont l’importance a été soulignée dans plusieurs recherches[29]. Pour Aimé, l’ennui qui domine, est donc la première forme que nous avons analysée : le manque de celle qu’il aime, qui le conduit à trouver le temps long, et la compagnie des autres sans grand intérêt. Ce sont surtout les lettres d’Adèle qui semblent se couler dans la posture des héros romantiques, qui « aiment l’ennui qui les déchire », et qui « le cultivent » en « s’ [adonnant] à la contemplation des beautés de la nature »[30].
Notre analyse de cette correspondance conduit à voir en l’ennui un sentiment largement socialement et historiquement situé. La Restauration est « littéralement hantée par l’ennui »[31]. Il existe ainsi un « régime émotionnel » particulier de l’ennui, en partie propre à la période où s’écrivent les deux amants[32] – et un « régime d’historicité », comme « mode d’articulation des catégories du passé, du présent et du futur » correspondant[33]. De fait, la période est marquée par une nouvelle perception, une conscience différente, du temps, faisant suite à la cassure révolutionnaire. Peter Fritzche a bien mis au jour la mélancolie créée par la rupture révolutionnaire, créant une appréhension du passé comme perdu. La Révolution a ainsi touché les catégories temporelles, affectant les relations privées et sociales[34]. Reinhardt Koselleck a montré comment se forme ce concept moderne d’histoire, analysant la temporalisation du déroulement historique survenue à la fin du 18e siècle[35]. Si certains auteurs continuent de défendre l’idée que l’ennui est intemporel, bien des travaux attestent que « l’ennui a une histoire »[36]. « Jusqu’au 18e siècle l’"ennui" avait appartenu au milieu aristocratique. (…) Dans le siècle des Lumières, l’"ennui" commençait à se soumettre à un processus de démocratisation », avance Elizabeth Goodstein[37]. L’ennui que l’on trouve exprimé ici est bien celui de deux individus appartenant à une classe cultivée et privilégiée de la société, deux individus qui ont lu, qui écrivent, et qui ont aussi le temps de s’ennuyer de cette façon particulière : ici, l’ennui n’est pas celui de la monotonie du travail quotidien que d’autres pouvaient sentir[38]. Ennui aristocratique ou bourgeois, qui conduit à s’isoler dans la nature pour s’éloigner de la superficialité de la société[39].
Parties annexes
Notes
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[1]
La correspondance est en partie éditée dans : Cossart Paula, Vingt-cinq ans d’amours adultères. Correspondance sentimentale d’Adèle Schunck et d’Aimé Guyet de Fernex. 1824-1849, Paris, Fayard, 2005 (la graphie de certains mots a été ici modernisée, par exemple « temps » pour « tems », « quelques fois » pour « quelquefois ». Ndlr).
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[2]
Sagnes Guy, L’ennui dans la littérature française de Flaubert à Laforgue, Paris, A. Colin, 1969.
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[3]
Jonard Norbert, L’ennui dans la littérature européenne : des origines à l’aube du XXe siècle, Paris, H. Champion, 1998.
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[4]
Leconte Franz Antoine, La tradition de l’ennui splénétique en France de Christine de Pisan à Baudelaire, New York, Washington, P. Lang, 1995.
-
[5]
Minois Georges, Histoire du mal de vivre. De la mélancolie à la dépression, Paris, Éd. de la Martinière, 2003, p. 307.
-
[6]
Difficulté d’être et mal du siècle dans les Correspondances et les journaux intimes de la première moitié du XIXe siècle, Actes du colloque de Clermont-Ferrand (novembre 1995), textes réunis et publiés par Bemard-Griffiths Simone avec la collaboration de Croisille Christian, Cahier d’études sur les Correspondances du XIXe siècle, no. 8, 1998.
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[7]
Corbin Alain, « Incertaines certitudes », Romantisme, no. 68, 1990, p. 4.
-
[8]
Sur le fait que la nostalgie dépasse alors le seul domaine littéraire, voir aussi : Fritzsche Peter, « Specters of History. On Nostalgia, Exile and Modernity », The American Historical Review, vol. 106, no. 5, 2001, pp. 1587-1678
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[9]
Cf. note 1.
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[10]
Archives de Paris / 26 W / Pièces déposées au greffe du Tribunal Civil de la Seine, XVIIe-XXe siècles.
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[11]
Avec les lettres se trouvent d’autres papiers appartenant à Adèle, ce qui nous avait fait d’abord penser que c’était au moment de son décès que les papiers avaient abouti au greffe, c’est-à-dire que le souhait d’Aimé avait été respecté, et qu’à sa mort, la correspondance avait bel et bien été remise à Adèle.
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[12]
Extrait des minutes du greffe du Tribunal Civil de 1ère Instance du département de la Seine, 7 septembre 1871, agrafé à l’inventaire après décès d’Aimé du 23 août 1871. Cf. AN / MC / ET / XC / 808.
-
[13]
Martin-Fugier Anne, La vie élégante ou la formation du Tout-Paris. 1815-1848, Paris, Fayard, 1990, p. 96-97.
-
[14]
Toohey Peter, Boredom. A Lively History, New Haven, London, Yale University Press, 2011, p. 1-2.
-
[15]
Dalle Pezze Barbara, Salzani carlo (dir.), Essays on Boredom and Modernity, Amsterdam, New York, 2009, Rodolpi (voir notamment : « Introduction: The Delicate Monster. Modernity and Boredom », pp. 5-34).
-
[16]
Voir en particulier : Goetschel Pascale, Granger Christophe, Nathalie Richard, Sylvain Venayre (dir.), L’ennui : histoire d’un état d’âme, Paris, Publications de la Sorbonne, 2012.
-
[17]
Offenstadt Nicolas, L’historiographie, Paris, PUF, 2011, p. 10. En référence à : Elias Norbert, Du temps, Paris, Fayard, 1997 [1984].
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[18]
Sur l’ennui contemporain et l’inscription de l’ennui dans la modernité, voir : Nahoum-Grappe Véronique, L’ennui ordinaire. Essai de phénoménologie sociale, Paris, Austral, 1995.
-
[19]
Spacks Patricia Meyer, Boredom. Le Literary History of a State of Mind, Chicago, University of Chicago Press., pp. 23-24.
-
[20]
Minois Georges, Histoire du mal de vivre, op. cit., p. 272-273.
-
[21]
Sur les romantiques qui « [valorisent] l’individu sensible en marge de la société », voir : Prigent Hélène, Mélancolie : les métamorphoses de la dépression, Paris, Gallimard, 2005 (cit. p. 89).
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[22]
Ross Ridge George, The Hero in French Romantic Literature, Athens, University of Georgia Press, 1959.
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[23]
Adèle détourne l’extrait célèbre des Fables nouvelles (1719) d’Antoine Houdar de la Motte : « Donnez le même esprit aux hommes, vous ôtez le sel de la société. L’ennui naquit un jour de l’uniformité ».
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[24]
Nous ne prétendons pas pour autant que l’adultère soit directement corrélé au rejet de l’ennui, au sens où l’amour frustré des amants renverrait au rejet fougueux et érotique de la France postnapoléonienne qui s’ennuie, selon l’expression célèbre de Lamartine (cf. : « La France est une nation qui s’ennuie. Vous avez laissé le pays manquer d’action ». Discours de Lamartine sur l’adresse au roi, 10 janvier 1839).
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[25]
Si Norbert Jonard conclut son livre par la nécessité de distinguer l’ennui de la mélancolie (cf. L’ennui dans la littérature européenne, op. cit., p. 205-208), les deux expressions sentimentales semblent ici impossibles à disjoindre.
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[26]
Corbin Alain, Le ciel et la mer, Paris, Bayard, 2005.
-
[27]
Parmi plusieurs travaux qui mettent en avant cette différence de genre : Spacks P. M., Boredom, op. cit. ; sur le début du 20e siècle, et l’idée qu’à cette période l’ennui révèle surtout « les fissures de la subjectivité et les limites à la capacité d’une femme d’être un individu », voir : Allison Pease, Modernism, Feminism, and the Culture of Boredom, New York, Cambridge University Press, 2012 (cit. p. 123) ; Lee Anna Maynard, Beautiful Boredom : Idleness and Feminine Self-realization in the Victorian Novel, McFarland, 2009.
-
[28]
Grassi Marie-Claire, « La mélancolie, un art féminin ? Regard sur quelques lettres notabiliaires », dans Difficulté d’être et mal du siècle dans les correspondances et journaux intimes de la première moitié du XIXe siècle, op. cit., p. 214 et 225.
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[29]
Par ex. : « L’ennui », Études , 2009, 2, t. 410, pp. 231-241 ; Benjamin Andrew, « Ennui et Distraction. Les humeurs de la modernité », dans Simay Philippe (dir.), Capitales de la modernité. Walter Benjamin et la ville, Paris, Ed. de l’Eclat, 2005, pp. 129-151.
-
[30]
Glaudes Pierre, « Romantisme. Le mal du siècle », Magazine littéraire, no. 400, 2001, « Éloge de l’ennui, un mal nécessaire », p. 33.
-
[31]
Granger Christophe, « Introduction. Deux siècles d’ennui », dans Goetschel P., Granger C., Richard N., Venayre S. (dir.), L’ennui, op. cit., p. 8.
-
[32]
Expression que nous reprenons des travaux de William M. Reddy. Il montre qu’on peut distinguer selon les époques et pays l’existence de régimes émotionnels différents, définis comme « assemblage des pratiques qui établissent un ensemble de normes émotionnelles et qui sanctionnent ceux qui les enfreignent ». Reddy William M., The Navigation of Feeling. A Framework for the History of Emotions, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 323. Du même auteur, voir aussi : « Against constructionism. The historical ethnography of emotions », Current Anthropology, vol. 38, no. 3, juin 1997, pp. 327-351.
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[33]
Hartog François, « De l’histoire universelle à l’histoire globale ? Expériences du temps », Le Débat, 2009, vol. 2, no. 154, p. 54 ; voir aussi, du même auteur : Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps, Paris Seuil, 2003. Pour une analyse de ses travaux : Lenclud Gérard, « Traversées dans le temps », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2006, 5, 61, pp. 1053-1084.
-
[34]
Fritzsche Peter, Stranded in the Present: Modern Time and the Melancholy of History, Cambridge, Harvard University Press, 2004.
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[35]
Koselleck Reinhart, Le futur passé. Contribution à la sémantique des temps historiques, Paris, Editions de l’EHESS, 1990 [1979] ; L’expérience de l’histoire, Paris, Gallimard, Seuil, 1997. Voir aussi : Escudier Alexandre, « "Temporalisation" et modernité politique : penser avec Koselleck », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 2009, 5, 64, pp. 1269-1301.
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[36]
Seán Desmond Healy, Boredom, Self and Culture, Cranbury, Associated University Press, 1984, p. 15.
-
[37]
Goodstein Elizabeth S., Experience Without Qualities. Boredom and Modernity, Stanford, Stanford University Press, 2005, p. 110. Voir aussi : Lars Svensen, A Philosophy of Boredom, Londres, Reaktion Books, 2005 ; Yasmine Musharbash, « Boredom, Time, and Modernity: An Example from Aboriginal Australia », American Anthropologist, Vol. 109, no. 2, juin 2007, pp. 307–317. D’autres auteurs, comme Peter Toohey, qui la qualifie d’exagérée », se positionnent contre cette historicisation de l’ennui. Cf. Peter Toohey, Boredom, op. cit., p. 146.
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[38]
« Comme l’ennui endémique postulé dans la production littéraire européenne du XIXe siècle (…), l’ennui de la classe ouvrière mérite son historien », note à raison P. M. Spacks (Boredom, op. cit., p. 7).
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[39]
Voir notamment : Leppenies Wolf, Melancholy and Society, Cambridge, Harvard University Press, 1992.
Webographie
- L'ennui est-il notre pire ennemi ? , Carole Boinet, Les Inrocks, 25 août 2013
- Qu'avons-nous perdu en perdant l'ennui ? , Atlantico, 26 août 2013
- The History of Boredom , Linda Rodriguez McRobbie, Smithsonian, Nov. 20, 2012