Au livre IX des Confessions, Rousseau évoque un souvenir de Grimm, connu surtout comme le principal rédacteur de La Correspondance littéraire, philosophique et critique, qu’il a rencontré en 1749, chez le prince héréditaire de Saxe-Gotha. Une passion commune pour la musique les a liés très vite. Cependant, « cette amitié » d’abord « si douce » est devenue à la fin « si funeste » comme on le devine déjà dans le passage suivant : Le texte s’organise, on le voit aisément, autour du thème de la toilette. Qu’est-ce que la toilette ? « C’est une toile qu’on étend sur une table, pour y mettre ce qui sert à l’ajustement des hommes et des femmes. On le dit surtout des boîtes, des carrés, des flacons, etc. de la toilette d’une femme. Enfin, on le dit de la table même chargée de ce qui sert à la parure d’une femme. » Telle est la définition donnée par le Dictionnaire critique de la langue française de Jean-François Ferraud (1788). Le sens initial de « toile », en tant qu’ustensile, est aujourd’hui presque totalement oublié au profit de la pratique ou de l’occupation auxquelles il donne lieu : la parure. C’est donc un thème essentiellement féminin. Ferraud le laisse clairement entendre. Il est intéressant, à cet égard, de signaler que l’article « Toilette » de l’Encyclopédie, après avoir parlé d’abord d’« un morceau de toile, plus ou moins grand, qui sert à envelopper les draps, les serges et autres pareilles marchandises » et, ensuite, d’« une espèce de nappe de toile fine, garnie de dentelle tout autour, dont on couvre la table », propose un ample développement sur la « toilette des dames romaines ». Mais attachons-nous plutôt au texte des Confessions afin d’examiner de près comment le thème de la toilette et ceux qui lui sont associés créent des effets sémantiques particuliers tendant à opposer d’une manière singulière les deux personnages : Grimm et Jean-Jacques. Il faut remarquer en tout premier lieu que l’encyclopédiste, le personnage-cible, apparaît comme un homme entièrement dicté par la mode et exclusivement préoccupé par une apparence à fabriquer. Embellir son teint, mettre du blanc, brosser ses ongles, remplir de blanc les creux de sa peux, telles sont les activités « ridicules » auxquelles il s’adonne tous les matins avec une concentration et une régularité remarquables qui retiennent l’attention de Rousseau. Tout un vocabulaire relatif à la toilette réduit dès lors l’homme de lettres à une existence de surface, épidermique et factice. C’est un être privé de son être, si l’on veut, pour se confondre avec son paraître, sa pure manifestation extérieure, phénoménale. L’allitération en /f/ qui traverse le texte semble contribuer à produire et à renforcer l’impression d’une facticité méprisable. Enfin, on notera également la répétition insistante de l’adjectif petit qui se rapporte tout à la fois à la pratique et aux gestes de la toilette (petite vergette, petits soins) et à la personne (petites âmes, petite personne) de celui qui s’y livre. À ce portrait de Grimm s’oppose en négatif celui de Jean-Jacques pour qui seul compte le souci de l’être en tant qu’instance opposée au paraître. Si Grimm est celui qui cherche à dissimuler « ses gros yeux troubles et sa figure dégingandée » par cet art de se fabriquer une apparence qu’est la toilette — ce qu’on appellera plus tard le maquillage —, Jean-Jacques est celui qui ne se soucie que de l’expression de son cœur. Ce qui importe pour Rousseau, c’est en effet de « conserver un cœur bien placé » …