« Je vais vous dire quelque chose de brutal, mais la mort est une réalité qu’il faut accepter. » Sourires et rires gênés parcourent l’assistance de la Maison du Livre, de l’Image et du Son de Villeurbanne. Cela paraît tellement évident. Mais est-ce vraiment le cas ? Par exemple, vous êtes-vous déjà demandé comment vous préféreriez mourir ? Probablement. Et la réponse est traditionnellement la même chez la plupart des gens : « dans mon sommeil, sans m’en rendre compte. » C’est que la mort nous apparaît majoritairement comme un phénomène désagréable et – du moins, nous l’espérons – lointain auquel il est aussi bien de ne pas trop penser tant que nous sommes en vie. « Erreur ! » persiste Critchley dans son livre. A trop nier que nous mourrons, nous oublions de vivre, car pour être pleinement vivant, il faut avoir conscience du caractère temporaire de notre condition de mortels. La société moderne tend de plus en plus à faire de la vie non plus un fait mais une valeur. Tout ce qui lui est contraire et la menace – la souffrance, la vieillesse, la maladie – est condamné, rejeté et nié. Les personnes « en fin de vie » sont enfermées ensemble loin des regards de vivants qu’il semble falloir préserver de la contamination. Comme si nous n’allions pas tous mourir en fin de compte. C’est pourquoi Critchley choisit d’inscrire son œuvre dans la lignée de la pensée de Montaigne qui, dans ses Essais nous invite à avoir constamment « la mort en bouche ». Il nous propose ainsi un menu-dégustation composé à partir du thème de la mort des philosophes. Cent quatre-vingt dix plats vous seront offerts sous la forme de tapas intellectuelles qui, mises côte à côte, invitent à la comparaison et à la réflexion. Pas question pour lui d’asséner au lecteur, ou au public de la rencontre, un traité métaphysique bien ficelé sur la mort. Le titre original du livre, The Book of Dead Philosophers – Le livre des philosophes morts –, annonce d’ailleurs plus fortement que sa version française qu’il se présente comme un catalogue. Il permet également à son auteur de faire écho aux Livres des morts des traditions égyptiennes et tibétaines qui fournissaient au défunt toute une série de recettes et de prières afin de préparer au mieux sa vie dans l’au-delà. Critchley avoue sans peine ne pas croire à l’au-delà. Il semble se contenter de nous offrir des recettes pour accepter notre mortalité et nous préparer à la mort. Dans un style fin, chaque récit de ce livre est l’occasion de revisiter brièvement la doctrine d’un philosophe et de mettre sa mort à l’épreuve de sa pensée. Avec humour et intelligence, ce britannique qui enseigne à New-York en tire des réflexions, des leçons et parfois des conseils. Peut-être serez-vous intrigués par les mots que j’emploie ici : il s’agit d’un ouvrage philosophique et pourtant il est question de récit, de recettes, de conseils… En effet, il est important pour Critchley de rendre à la réflexion philosophique un aspect dynamique qui était initialement sien et qu’elle a perdu – sinon complètement, du moins fortement – en devenant une matière académique. Il utilise le récit pour faire penser, pour provoquer la méditation philosophique à partir d’une mise en situation concrète et réelle car la mort est un sujet qui appelle la parole, la discussion de façon plus première que l’impératif catégorique kantien par exemple. Concevoir la mort comme un tout dépasse notre entendement mais nous pouvons la penser et mettre des mots sur ces pensées. Le rapport maître-élève sur le modèle socratique …