Ce travail s’intéresse à un secteur de politique publique méconnu : les politiques publiques mémorielles, de plus, il l’étudie à un niveau qui n’est historiquement pas le sien : l’échelle européenne. Après avoir défini ce qu’est une politique publique de la mémoire, il s’agit de décrire les politiques publiques mémorielles (directes ou indirectes) menées par les principales institutions européennes, internationales (Conseil de l’Europe, Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) ou supranationale (Union Européenne), ainsi que par l’Organisation des Nations Unies. Ce niveau d’intégration européenne du secteur des politiques publiques mémorielles, analysé comme des structures européennes d’opportunités politiques, constitue notre variable indépendante : le cadre dans lequel se mobilisent des entrepreneurs mémoriels pour influencer le contenu des politiques publiques mémorielles européennes ou mettre leurs revendications à l’agenda des institutions européennes. Pour éclairer une éventuelle européanisation des acteurs des politiques publiques mémorielles – les entrepreneurs mémoriels – nous travaillons sur le cas particulier de l’European Union of Exiled and Expelled People (EUEEP), une coalition d’organisations d’expatriés originaires de neuf pays. Cette organisation entend œuvrer au niveau européen pour obtenir la reconnaissance comme victimes des groupes de personnes et de leurs descendants qu’elle représente, ainsi que leur réhabilitation, leur indemnisation voire la restitution de leurs biens et leur retour dans leur région d’expulsion. L’EUEEP est un exemple de groupe d’intérêt qui nous permet d’identifier les réactions et les stratégies des acteurs non étatiques vis-à-vis de l’intégration européenne, c’est-à-dire leur mode d’européanisation. En nous appuyant sur la typologie de R. Balme et D. Chabanet, et sur les critères permettant de classer les groupes d’intérêt (ressources dont l’organisation interne, intérêt, répertoires d’action), nous avons ainsi caractérisé les stratégies des différentes composantes de l’EUEEP : les organisations membres poursuivent une stratégie d’externalisation, tandis que l’EUEEP elle-même aspire à la supranationalisation. Enfin le mode d’européanisation qui décrit le mieux la situation actuelle de l’EUEEP est celui de la transnationalisation. Le 31 mars 3007, à Trieste dans la région italienne du Frioul-Vénétie-Julienne, trente organisations, issues de neuf pays, ont signé la Déclaration de Trieste au nom des « peuples et populations expatriés, réfugiés et déportés d'Europe ». Ces organisations d’expatriés entendent représenter des individus ou des groupes qui considèrent avoir subi un déplacement forcé (expulsion, déportation, fuite devant une menace), voire un nettoyage ethnique ou un génocide, au cours du 20e siècle, principalement à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Onze d’entre elles ont fondé le 1er décembre 2007, toujours à Trieste, l’European Union of Exiled and Expelled People (EUEEP), l’Union européenne des personnes exilées et expulsées. Au 1er août 2011, cette organisation est composée de quatorze membres, issues de neuf pays européens, et elle agit aux différents niveaux de décision publique (infranational, national, international, transnational, supranational), en particulier à l’échelle européenne, pour la mise en œuvre d’une politique publique mémorielle reconnaissant les expatriés comme victimes d’une violation des droits de l'homme, condamnant les crimes commis à leur égard, reconnaissant leur mémoire et leurs souffrances comme légitimes et devant être commémorées, et permettant leur réhabilitation, la restitution de leurs biens et/ou leur indemnisation. L’EUEEP est une coalition de groupes d’intérêt, « une entité cherchant à représenter les intérêts d’une section spécifique de la société [les expatriés] dans l’espace public ». Pour caractériser l’EUEEP, nous nous appuierons donc sur les modèles classiques de la littérature sur l’action collective qui classent les groupes d’intérêts en fonction de la nature de leur intérêt, de leurs ressources (y compris leur organisation interne), et de leurs répertoires d’action, ainsi que sur les travaux interrogeant la formation des coalitions de groupes d’intérêt. D’autre part l’EUEEP est …