Résumés
Résumé
L’accord conclu le 1er février 2013 entre Google et l’État français – en la personne du Président de la République – est sans doute l’épilogue de la Lex Google dans notre pays. Les rares éléments de cet accord qui ont été divulgués font état d’une contribution de 60 millions d’euros à un fonds pluriannuel destiné à accompagner la « transition numérique » de la presse généraliste1. La contribution de la société américaine au financement des éditeurs de presse est en soi une bonne nouvelle. Elle indique notamment que Google a accepté le principe d’une remise en question de la gratuité des contenus qu’elle agrège.
Corps de l’article
L’accord conclu le 1er février 2013 entre Google et l’État français – en la personne du Président de la République – est sans doute l’épilogue de la Lex Google dans notre pays. Les rares éléments de cet accord qui ont été divulgués font état d’une contribution de 60 millions d’euros à un fonds pluriannuel destiné à accompagner la « transition numérique » de la presse généraliste [1]. La contribution de la société américaine au financement des éditeurs de presse est en soi une bonne nouvelle. Elle indique notamment que Google a accepté le principe d’une remise en question de la gratuité des contenus qu’elle agrège.
La finalité de ce fonds reste toutefois floue puisqu’il semble dédié aux projets portés en commun par les éditeurs de presse et Google. En outre, certains acteurs du monde de l’édition redoutent que cet accord ne fasse que renforcer la dépendance des médias traditionnels à l’égard de Google sans pour autant répondre aux besoins de financement du secteur [2]. Les montants semblent en effet bien faibles au regard des engagements financiers de l’État auprès des éditeurs de presse. La contribution de Google au financement du secteur serait allouée pour trois ans ; ce qui représente un versement annuel de 20 millions d’euros [3]. Or le secteur de la presse généraliste percevait 272,8 millions d’euros d’aides directes pour la seule année 2012 ; sans mentionner les aides indirectes sous forme de crédits d’impôt accordés aux journalistes ou du taux super réduit de TVA à 2,1% [4]. La Cour des Comptes dans son rapport public 2013 estime ainsi à 5 milliards d’euros le montant total des aides de l’État au secteur de la presse écrite sur la période 2009-2011 [5]. La contribution Google ne peut donc constituer une réponse aux problèmes structurels de la presse écrite dans notre pays.
L’accord conclu par le Président Hollande avec Google constitue en ce sens un nouvel accord de transition en attendant la révolution fiscale du numérique. Il s’inscrit dans la continuité de l’action du Président Sarkozy qui avait amené Google à installer un établissement sur le sol français pour le soumettre à l’impôt sur les sociétés. En effet, seules les sociétés possédant un établissement stable – caractérisé par des locaux et un personnel salarié – sur un territoire autre que celui d’implantation de leur siège social peuvent être soumises à une double imposition. Google n’acquittait donc aucun impôt en France jusqu’en 2011 alors même que cette société y réalise une part importante de son chiffre d’affaire. Toutefois, le produit de cette imposition est très réduit puisque le Trésor public n’aura perçu que 5 millions d’euros de Google pour un chiffre d’affaire estimé sur l’hexagone entre 1,2 et 1,5 milliard d’euros au titre de l’exercice 2011. L’accord conclu par le Président Hollande permet par ailleurs de contourner la notion de droits voisins du droit d’auteur qui risquait d’enfermer le débat sur la fiscalité du numérique à l’instauration d’une redevance au profit des seuls éditeurs de presse. Or la fiscalité du numérique doit couvrir des acteurs aux usages aussi différenciés que Google, Facebook, Amazon ou Apple [6].
Le rapport Collin et Colin – rendu public en janvier 2013 – esquisse des perspectives pour l’instauration d’une fiscalité renouvelée applicable à l’économie du numérique [7]. La partie la plus conventionnelle du rapport aspire à opérer une remise en question de la notion d’établissement stable en intégrant notamment le travail gratuit fourni par les utilisateurs des solutions de l’économie numérique. Il propose de même d’encadrer les transferts de bénéfice en vue d’éviter le déficit structurel des branches implantées dans les pays où la fiscalité est la plus élevée. Pour ce faire, le rapport Collin et Colin propose d’assimiler la capacité de mobilisation et le travail bénévole des utilisateurs à la constitution d’un actif immatériel qui serait rattaché à un établissement stable afin de le soumettre à l’impôt. Cela requiert toutefois de revoir les conventions fiscales au sein de l’OCDE ainsi que les pratiques fiscales de certains États membres de l’Union européenne – à l’instar de l’Irlande ou du Luxembourg – qui offrent soit une fiscalité particulièrement avantageuse pour les sièges sociaux soit des tunnels juridiques d’évasion fiscale.
Le rapport Collin et Colin propose également de considérer les bases de données « issues du suivi régulier et systématique de l’activité des utilisateurs » comme de nouveaux actifs immatériels susceptibles d’être imposés. La taxation porterait alors sur un tarif unitaire par utilisateur suivi au-delà d’un certain seuil d’utilisateurs à déterminer. La mesure du nombre d’utilisateurs se ferait pour partie sur une base déclarative – à l’instar de l’acquittement des droits au CFC par exemple – et pour partie par des audits externes conduits par des commissaires aux comptes. Les services du Trésor de chaque État s’assureraient alors de la conformité des déclarations en lien avec le correspondant fiscal de chaque entreprise du numérique dont les bases de données dépassent le seuil autorisé. Le rapport comprend quelques zones d’ombre telles que la distinction entre ces deux nouveaux actifs incorporels que seraient la capacité de mobilisation et l’activité des utilisateurs d’une part et l’exploitation régulière des données d’autre part. En outre, le contrôle de l’exactitude des données fournies par les acteurs du numérique concernant l’exploitation des données peut être difficile à mettre en œuvre. Il n’en reste pas moins que les difficultés liées à la définition d’une fiscalité du numérique réside avant tout au niveau politique.
Les négociations sur le cadre financier pluriannuel 2014-2020 de l’Union européenne ont souligné la résurgence des égoïsmes nationaux sur les questions relatives aux finances publiques [8]. Un accord commun sur la taxation des entreprises multinationales du numérique mettrait un terme à la multiplication des accords nationaux qui est la règle jusqu’ici comme en témoignent les accords conclus par la Belgique ou la France avec Google. Il existe toutefois une lueur d’espoir dans la mesure où des pays traditionnellement réticents à une coordination européenne en matière fiscale mesurent les conséquences délétères de leur positionnement pour leurs finances publiques. Le Royaume-Uni s’interroge ainsi sur les pratiques fiscales de Starbucks [9] alors que la Suède se polarise sur Facebook [10]. En outre, l’Italie et l’Allemagne comptent toujours légiférer sur Google [11]. Une fenêtre d’opportunité stratégique est peut être en train de s’ouvrir pour une redéfinition des règles fiscales au sein de l’Union européenne et de l’OCDE en réaction aux pratiques « d’optimisation fiscale » de l’économie numérique. Cette impulsion politique serait assurément indispensable pour contourner les obstacles juridiques et techniques à la mise en œuvre de nouvelles règles fiscales.
Parties annexes
Notes
- [1]
- [2]
- [3]
-
[4]
Les journalistes disposent d’un abattement forfaitaire de 7 650 € pour frais professionnels sur leur déclaration de revenus sans qu’ils soient dans l’obligation de justifier de leurs dépenses (Cf. Notice fiscale 2041-GP). Ce mécanisme a largement contribué à tirer les rémunérations des journalistes vers le bas constituant de fait une subvention déguisée au secteur de l’information.
- [5]
-
[6]
Je renvoie à ma chronique du 2 novembre 2012.
- [7]
- [8]
- [9]
- [10]
- [11]