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Un jeu d’odeurs, de couleurs et de mots, tel est le bouquet proposé par Claude Kayat dans son dernier roman paru aux éditions Léo Scheer. Suite à des meurtres visant les immigrés d’un petit village du sud de la France, Hassen Ben Djamil refuse de sortir et d’accomplir son travail d’éboueur. Les ordures s’accumulent et l’air devient irrespirable pour les habitants de Saint-Hubert. Tout est en train de pourrir alors que le meurtrier avait accompli sa tâche en liquidant presque tous les immigrés de Saint-Hubert. Ce roman ressemblant à une pièce de théâtre est en réalité un véritable délice puisque l’ordure est traitée à la fois sous son aspect concret (l’auteur utilise à merveille le champ lexical de l’immondice) et son aspect moral (xénophobie). Le livre joue à la fois sur les instincts, les pulsions, les odeurs (les puanteurs déclinées selon les métiers) qui alimentent le racisme ordinaire et quotidien.
« Monsieur Dufresne développa la théorie selon laquelle l’odorat d’un éboueur s’émoussant fatalement au fil des ans, Hassen ne devait plus être tellement incommodé par les miasmes que dégageaient les déchets en putréfaction »[1].
La remarque peut se comprendre d’une autre manière : on s’habitue vite au racisme lorsque l’on vit dans un milieu marqué par les discriminations en tout genre. Le village s’habitue à ces préjugés tout comme le commissaire chargé de l’enquête. Il suffit d’un déséquilibre des sens pour s’apercevoir que cette habitude menace en réalité le bien-être du village. Et c’est la malédiction des ordures avec son cortège d’odeurs pestilentielles.
« La situation sanitaire à Saint-Hubert, mon cher Eugène, est de plus en plus préoccupante, se lamentait le curé. Seul un miracle pourrait nous sauver. Ou un Saint Augustin »[2].
Le roman évoque constamment cette notion de fausse proximité et de difficile cohabitation. Et si le meurtrier était simplement votre voisin de palier ? Les déclarations de l’assassin à la fin de la pièce sont d’ailleurs comiques avec des expressions qui évoquent l’odorat.
« Je peux pas vous piffer ! poursuivit-il. Je vous ai tous dans le nez ! Tous ! Votre saleté d’huile d’olive ! Votre ail dégueulasse ! Vos épines lacrymogènes ! Votre musique à se tortiller le cul ! Vos sourires de faux-jetons ! Vos grands gestes et vos grosses moustaches ! »[3].
Le rejet de l’autre revêt une forme bestiale et physique.
Le roman frise l’absurde avec des passages extrêmement cocasses à l’instar de celui où les habitants délibèrent sur la manière de faire venir un éboueur d’une grande ville[4]. L’auteur s’emploie à disséquer les passions, les réactions des uns et des autres face à cette haine ordinaire qui mine la plupart des sociétés. Jamais ne pointe une leçon de morale, le rire est tellement plus efficace même si le dénouement est tragique. Un roman à recommander en guise de vaccination contre la xénophobie.