VariaChronique

Gouverner la France à l’ère de la guerre froide 2.0[Notice]

  • Jean-Yves Heurtebise

Le problème géopolitique majeur auquel chaque nation doit faire face est de savoir quelles alliances stratégiques nouer dans un monde en pleine guerre économique. La guerre économique mondiale signe l’émergence de ce qu’on pourrait nommer la Real Real Politik : le redoublement du terme Real dans l’expression « Real Politik » signifie son extension à l’ensemble des acteurs nationaux sans distinction. Une telle extension est permise par l’essor des économies émergentes (Brésil, Russie, Inde Chine, Afrique du Sud : les fameux BRICS ou, en français, BRICA) qui revendiquent un pouvoir géopolitique nouveau au niveau mondial du fait à la fois de leurs dimensions territoriales, de leur capacités démographiques et de leur réserves en ressources énergétiques essentielles (gaz et pétrole en Russie ; terres rares en Chine ; eau, bois et pétrole au Brésil ; métaux divers et précieux en Afrique du Sud). Ce qui définit cette Real Real Politik, c’est qu’aucune alliance n’est sacrée : la défense de la souveraineté nationale, c’est-à-dire en premier lieu de la sécurité énergétique (de l’exploitation nationale des ressources mondiales), prime sur toute tentative de conciliation et réunion. La première victime de cette Real Real Politik est le cycle de Doha de l’OMC, suspendu depuis 2006 du fait de l’impossibilité de parvenir à un accord global sur la question vitale, du fait de ses effets possibles sur la sécurité alimentaire, de la libéralisation de l’agriculture. Autre victime collatérale, l’Union Européenne et l’Eurozone : la crise européenne aujourd’hui, outre son aspect économique, témoigne d’une difficulté croissante des différents acteurs à imaginer un destin commun malgré les atouts décisifs de l’Europe en termes de marché commun, de normes socio-environnementales et de diversité culturelle. Au Royaume Uni, la défense de la City prime sur la vision communautaire et favorise un dumping fiscal assumé ; en Allemagne, le partenariat énergétique avec la Russie ralentit la coopération militaire européenne et induit le pays à pencher vers l’Est, hors Europe (comme on le sait l’ancien chancelier allemand Gerhard Schröder préside une partie des activités de la société russe Gazprom – reconversion qui ne fut guère goûtée par certaines partenaires de l’Union, notamment la Pologne). La solution politique à la crise européenne, ce qu’on appelle le saut fédéral, illustre également, quoique de façon indirecte et encore incomplète, une autre caractéristique du « New, New World Order » : la constitution du sub-impérialisme comme nouvel avatar géopolitique. La guerre économique mondiale, c’est une course à l’armement énergétique. Penser la géopolitique aujourd’hui sans prendre en compte la dimension énergétique, c’est en rester au niveau des représentations, à une forme diplomatique du discours politique qui empêche de saisir que les relations internationales n’impliquent pas simplement des hommes et des lois mais aussi des techniques et des ressources. Il est notoire qu’on ne peut analyser le problème israélo-palestinien sans référence à la situation de stress hydraulique du Proche-Orient. De même on ne peut comprendre les rapports entre Chypre et la Turquie, ou entre la Grèce et ses débiteurs, si on omet de prendre compte l’enjeu nouveau de l’exploitation des réserves gazières de la Méditerranée. Un des éléments clefs du « New, New World Order » émergeant comme conséquence de la Real Real Politik est la constitution de « sub-empires ». Par formation sub-impériale, il faut entendre la formation d’un Empire limité à un sous-continent dont le destin régional est défini par une puissance locale : cette puissance locale se conduit vis-à-vis des populations de son propre territoire d’abord mais aussi envers les pays compris dans son ensemble sous-continental de façon impérialiste, c’est-à-dire les considère comme réservoirs de matières premières, en droit à sa disposition. La …

Parties annexes