Résumés
Résumé
Ce qui rend possible l’universalité de la morale de Confucius, c’est qu’elle n’exige la croyance en aucun dogme religieux et qu’elle part de l’observation objective des comportements humains. Reconnaissance de l’ignorance humaine, respect des croyances et ambivalence de la nature humaine sont les racines de la morale de Confucius, morale qui indique la voie pour devenir vraiment humain.
Mots-clés :
- Confucius,
- morale,
- ignorance,
- normes,
- vertu
Resumo
O que torna possível a universalidade da moral de Confúcio é o facto de não exigir a crença num dogma religioso e o facto de se basear na observação objectiva dos comportamentos humanos. Reconhecimento da ignorância humana, respeito pelas crenças e ambivalência da natureza humana são as raízes da moral de Confúcio, moral que indica a via para o ser humano se tornar um ser verdadeiramente humano.
Corps de l’article
Il fait bon vivre là où il y a de l’humanité[1].
Entretiens de Confucius, IV.1
Il fait bon vivre là où il y a de l’humanité, c’est-à-dire là où l’être humain est vraiment humain. Tout au long de ses entretiens avec ses disciples, Confucius explique, directement ou indirectement, quelles sont les attitudes et les comportements à adopter pour être vraiment humain. Certains de ses commentaires sont descriptifs, ils forment les fondements de la morale, d’autres sont normatifs, ils indiquent la voie pour devenir vraiment humain. Les Entretiens de Confucius ne sont pas un traité sur la vertu mais simplement une mise en évidence, au fil des conversations, des tendances contradictoires de la nature humaine et des règles à suivre pour atteindre l’idéal humain.
Les fondements de la morale
Les commentaires de Confucius à propos de la nature humaine ont pour unique fondement son savoir et son expérience personnelle. Il ne s’appuie sur aucune croyance particulière mais les respecte toutes, partant du principe qu’elles détiennent peut-être une part de vérité. Le Maître dit (VI.22) :
« Traiter les gens avec justice, respecter les esprits et les dieux tout en gardant ses distances, on peut appeler cela de la sagesse. »[2]
Ce qui rend possible l’universalité de sa morale c’est le fait qu’elle n’exige la croyance en aucun dogme religieux et qu’elle part de l’observation objective de la société et des comportements humains. Vingt-cinq siècles passés, la plupart des Entretiens de Confucius conservent leur sens et leur valeur, raison pour laquelle ils suscitent encore autant d’intérêt.
Le Maître dit (XI.12.) :
« On ignore ce qu’est la vie, comment savoir ce qu’est la mort ? »[3]
En savons-nous beaucoup plus sur la vie et la mort ? Sur la mort, pas vraiment. Nous avons un choix illimité de croyances mais très peu de connaissances scientifiques, si ce n’est quelques constatations de l’arrêt des mécanismes de la vie. Doit-on en déduire que les croyances n’ont aucun fondement ? Non, mais le doute s’impose en attendant une preuve rationnelle de l’objectivité ou de la subjectivité de ces hypothèses. Sur la vie, nous en savons un peu plus, mais rien de vraiment significatif du point de vue de son sens et par extension du sens de l’existence humaine. Nous continuons donc modestement dans l’ignorance et le respect des croyances, une ignorance et un respect qui, comme pour Confucius, sont un des fondements de toute réflexion morale sur la façon dont l’être humain devrait se comporter pour être vraiment humain. Puisqu’il fait bon vivre là où l’être humain est vraiment humain, raison suffisante pour essayer de le devenir.
Le Maître dit (XI.21.) :
« Il parle avec détermination, c’est sûr, mais est-ce de la noblesse d’esprit ou tout simplement de l’hypocrisie ? »[4]
Cette observation qui pose la question de la sincérité des mots et de l’authenticité de la relation entre le langage et la pensée renvoie à une autre affirmation.
Le Maître dit (XX.3.) :
« Sans comprendre le sens des mots on ne peut comprendre les êtres humains. »[5]
Confucius constate que les mots sont à double tranchant, ils permettent de comprendre les autres mais aussi de les tromper. Les mots servent aussi bien à révéler la pensée qu’à la dissimuler. Il faut comprendre le sens des mots pour comprendre les autres, mais il faut également comprendre que les mots des autres n’ont pas forcément le sens que nous leur donnons. Le décodage du langage humain exige prudence et réflexion. Cette capacité qu’a l’être humain de se cacher derrière les mots et de s’en servir comme une arme est une des caractéristiques de la nature humaine qu’il faut prendre en considération dans l’établissement de normes individuelles et sociales.
Le Maître dit (IV.6.) :
« Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui se consacre uniquement au bien ni quelqu’un qui renonce totalement au mal. »[6]
Il y a des êtres humains qui se consacrent plus au bien que d’autres, mais même eux, consciemment ou inconsciemment, ne renoncent jamais totalement au mal. Il y a dans la nature humaine des tendances contradictoires qui font de l’être humain un être constamment tiraillé entre ses intérêts personnels et ceux de la société. Certaines tendances font de lui un être qui ne pense qu’à son plaisir et à ses désirs et d’autres font de lui un être tourné vers les autres, un être qui fait passer l’intérêt public avant l’intérêt privé. Que ces tendances soient innées ou acquises n’est pas la question, ce qui est fondamental c’est qu’elles se manifestent chez tous les êtres humains. Pour rendre plus claire cette caractéristique de la nature humaine dont il faut également tenir compte dans toute morale, Confucius établit la distinction entre deux types d’êtres humains, l’être humain à l’esprit noble et l’être humain à l’esprit vil.
Le Maître dit (II.14.) :
« Un esprit noble fait passer l’intérêt général avant l’intérêt particulier, un esprit vil fait passer l’intérêt particulier avant l’intérêt général. »[7]
Ou encore, Le Maître dit (IV.11.) :
« Un esprit noble recherche la justice, un esprit vil recherche les faveurs. »[8]
Il est évident que l’intérêt privé et l’intérêt public ne sont pas forcément inconciliables, mais ils peuvent l’être, d’où la nécessité de fixer des bornes et de définir des normes.
Les règles de la morale de Confucius reposent sur quelques principes qui sont les suivants : nous ignorons le sens de la vie et de la mort ; nous respectons les croyances tout en gardant nos distances ; nous ne sommes naturellement ni bons ni mauvais, nous sommes les deux, tantôt égoïstes tantôt altruistes ; notre langage qui reflète cette dualité sert aussi bien à révéler nos pensées qu’à manipuler les autres par le biais des idées.
Reconnaissance de l’ignorance humaine, respect des croyances et ambivalence de la nature humaine sont les racines de la morale de Confucius.
La voie de l’être vraiment humain
Pour devenir vraiment humain, l’être humain doit se maîtriser afin de surmonter les tendances contradictoires dont il est l’objet.
Le Maître dit (XII.1.) :
« La vertu consiste à se dominer et à respecter les rituels. »[9]
Dans Les Entretiens de Confucius les rituels ont non seulement le sens de cérémonies mais également le sens beaucoup plus large de normes individuelles et collectives. Pour atteindre la vertu d’humanité, c’est-à-dire pour être vraiment humain, il faut donc se contrôler et respecter les normes de la société. Toutefois la soumission aux normes dépend de l’attitude des classes dirigeantes et de l’impartialité des normes administratives.
Le Maître dit (II.3.) :
« Sous un gouvernement droit et une administration impartiale, le peuple a de la dignité et de la volonté. »[10]
Le principe fondamental de l’impartialité des normes consiste à se mettre à la place de ceux à qui elles s’adressent avant de les imposer.
Le Maître dit (XII.2.) :
« N’imposez pas aux autres ce que vous ne souhaitez pas pour vous. »[11]
Pour que cela soit réalisable il faut être à l’écoute des autres.
Le Maître dit (VII.22) :
« Les autres ont toujours quelque chose à m’apprendre, leurs qualités me servent d’exemple et leurs défauts d’avertissement. »[12]
Il y a évidemment toujours le risque qu’une norme reflète certaines tendances égoïstes de la nature humaine et pour porter un jugement sur ce qui est partial ou impartial, juste ou injuste, de l’intérêt général ou de l’intérêt particulier il faut être vigilant et s’instruire.
Zi Xia dit (XIX.6.) :
« S’instruire sans cesse et avoir de la volonté, questionner ouvertement et analyser en détail, c’est là où se trouve la vertu d’humanité. »[13]
Maîtriser nos inclinations égoïstes, respecter les normes quand elles sont équitables et s’instruire pour être capable de discernement sont des conditions nécessaires à la vertu d’humanité, vertu qui rend l’être humain vraiment humain. De ces conditions, il y en a une dont toutes les autres dépendent, c’est l’éducation des individus, raison pour laquelle Confucius défend le principe de l’universalité de l’enseignement.
Le Maître dit (XV.39.) :
« L’enseignement s’adresse à tous sans exception. »[14]
Une éducation qui fait de l’être humain un être capable de réflexion et d’analyse et l’incite à exprimer sincèrement ses pensées.
Le Maître dit (XV.41.) :
« Quant aux mots, qu’ils reflètent la pensée ! »[15]
Une éducation sans aucun préjugé qui repose sur la liberté de pensée, le respect des autres et de leurs idées, (IX.4.) :
« Il y a quatre choses que le Maître n’admettait pas : les conjectures, le dogmatisme, l’entêtement et la présomption. »[16]
Une éducation de la volonté sans laquelle il est impossible de se dominer et grâce à laquelle on peut devenir vraiment humain.
Le Maître dit (VII.30.) :
« Pour être vraiment humain il suffit de le vouloir. »[17]
Apprendre à avoir de la volonté pour être maître de soi-même et acquérir des connaissances pour être clairvoyant sont les premiers pas vers la vertu d’humanité. A partir du moment où l’être humain a de la volonté et prend conscience de la nécessité de s’instruire il devient capable d’apprendre à respecter les autres et en premier lieu ceux dont son apprentissage de la vie dépend. Maître You dit (I.2.) :
« La piété filiale et le respect des aînés sont le fondement de la vertu ! »[18]
Il peut alors suivre les conseils de ceux qui lui montrent comment être vraiment humain : Zizhang demanda à Confucius en quoi consiste la vertu. Confucius dit (XVII.6.) :
« Dans ce monde être vraiment humain c’est être capable de mettre en pratique cinq principes. »
Zizhang demanda alors quels étaient ces principes. Confucius répondit : « la déférence, la tolérance, la bonne foi, la diligence et la générosité. »[19] Confucius synthétise ces principes en une seule règle pour la direction de l’esprit : Fan chi demanda comment être vraiment humain.
Le Maître dit (XII.22.) :
« En aimant son prochain. »[20]
Les Entretiens de Confucius contiennent également des suggestions sur les comportements à adopter dans certaines situations, comme par exemple, quelqu’un dit :
« Il faut rendre le bien pour le mal, n’est-ce pas ? »
Le Maître dit (XIV.34.) :
« Que rendre alors pour le bien ? Il faut rendre la justice pour le mal et le bien pour le bien. »[21]
Ou encore, Le Maître dit (XV.31.):
« J’ai passé des jours et des jours à jeûner et des nuits à méditer. Pour rien ! Mieux vaut étudier ! »[22]
Mais ces recommandations ne sont que des orientations pratiques dont le fondement sont les grands principes de la morale de Confucius.
Apprendre à avoir de la volonté, apprendre à respecter les autres et s’instruire sans cesse sont les grands principes universels de la morale de Confucius, morale qui indique la voie de l’esprit noble, symbole de l’être humain vraiment humain.
Zi Xia dit (XIX.7.) :
« Un esprit noble étudie pour trouver sa voie. »[23]
Consulter la bibliographie de l’article « Un regard sur Confucius » publié par Sens Public en juin 2011.
Parties annexes
Notes
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[1]
“里仁為美。’
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[2]
子曰:“務民之義,敬鬼神而遠之,可謂知矣。’
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[3]
子曰:“未知生,焉知死?’
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[4]
子曰:“論篤是與,君子者乎?色莊者乎?’
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[5]
子曰:“不知言,無以知人也。’
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[6]
子曰:“我未見好仁者,惡不仁者。’
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[7]
子曰:“君子周而不比,小人比而不周。’
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[8]
子曰:“君子懷刑,小人懷惠。’
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[9]
子曰:“克己復禮為仁。’
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[10]
子曰:“道之以德,齊之以禮,有恥且格。’
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[11]
子曰:“己所不慾,勿施於人。’
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[12]
子曰:“三人行,必有我師焉。擇其善者而從之,其不善者而改之。’
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[13]
子夏曰:“博學而篤志,切問而近思,仁在其中矣。’
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[14]
子曰:“有教無纇。’
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[15]
子曰:“辭達而已矣。’
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[16]
“子絕四:毋意,毋必,毋固,毋我。’
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[17]
子曰:“ 我慾仁,斯仁至矣。’
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[18]
有子曰:“孝弟也者,其為仁之本與’
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[19]
子張問仁於孔子。孔子曰:“能行五者於天下為仁矣。’請問之。曰:“恭,寬,信,敏,惠。’
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[20]
樊遲問仁。子曰:“愛人。’
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[21]
或曰:“以德報怨,何如?’子曰:“何以報德?以直報怨,以德報德。’
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[22]
子曰:“吾嘗 終日不食,終夜不寢,以思,無益,不如學也。’
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[23]
子夏曰:“君子學以致其道。’