Gestion du système à la marge, contestation ou alternative sociale ? Quel est le logiciel intellectuel de la gauche en Europe ? En est-on réduit à donner un écho institutionnel à des mouvements sociaux de plus en plus disparates ? Ou alors existe-t-il une myriade d’expériences participatives qui contribuent à créer de nouvelles manières de penser, d’agir et de vivre ? La gauche française ne parlait que d’autogestion au début des années 1970 avant que le mot ne tombe dans l’oubli. Et aujourd’hui ? Peut-on utiliser des mots similaires en leur donnant le même sens ou retombe-t-on dans ce qu’Henri Meschonnic nomme le « bois de la langue » ? Ainsi, on reparlera sans doute d’égalité, de droits, d’accès, de contrat, de pacte ou d’engagement au cours des campagnes électorales à venir sans tellement savoir si ces mots ont une (ré)percussion dans le quotidien des gens. Le documentaire réalisé par Jérémy Forni, Après la gauche (2011) touche ces problématiques et s’interroge en particulier sur le sens de ces mots après la chute du mur de Berlin. C’est d’ailleurs par une série d’entretiens individuels face à la caméra et dans un hangar désaffecté que le documentaire met en lumière les croyances de différentes personnalités de gauche, des hommes et uniquement des hommes entre 60 et 85 ans : Bernard Stiegler, Edwy Plenel, Christophe Aguiton, Albert Jacquard, Toni Negri, Lionel Jospin pour ne citer qu’eux. Si le film met en évidence une génération masculine, c’est également pour laisser entrevoir la manière dont l’héritage d’un sentiment de révolte se transmet. Certes, on peut regretter l’apathie de plus en plus forte des masses noyées dans la consommation, mais dans le même temps, on ne peut ignorer l’émergence de questions centrales à l’instar de celles du genre, de l’écologie et de la décroissance. La gauche est une orientation politique et sociale liée à une remise en question de normes absolutisées, qu’elles soient religieuses ou économiques. Elle a encore un sens aujourd’hui pour construire des projets collectifs avec des individus vivant des trajectoires hétérogènes et nous avons ici l’articulation la plus forte entre des repères n’existant plus (il n’y a plus réellement de classes sociales homogènes) et des solutions collectives à imaginer. Le temps de travail est tellement déstructuré qu’il rend difficile une prise de conscience collective, les individus subissent une rationalité bureaucratique qui les isole. Le mythe des compétences et de l’expertise est ainsi relié à des solutions techniques et concrètes sans aucune projection de la société. Le pragmatisme plutôt que l’idéologie et du coup l’idéologie pragmatique tout court. Pourtant, les idées sont fondamentales car elles sont ce qui motivent les individus et les masses, elles se font, se défont. La gauche rassemble ainsi toutes les énergies de créativité sociale, elle est complexe et ne se situe pas forcément là où on le croit. Le dossier « les gauches du monde » de Sens Public nous rappelle à juste titre que les désirs de transformation sociale peuvent se rencontrer dans des lieux très divers avec des individus engagés dans une trajectoire professionnelle et sociale singulière. Il importe de retrouver un regard sur la société et le pouvoir politique qui le constitue. On vous dira que non, tout n’est pas politique, que ce mot d’ordre date de 68 et que la politique ne peut pas tout. C’est un autre bois qu’il faut courber pour comprendre que tout est discussion politique et remise en question. Tout est politique au sens où tout se discute, que ce soit les actes des responsables politiques ou les lois naturelles de l’économie. Être de gauche, c’est porter un regard profondément politique …
VariaChronique
Que signifie la gauche aujourd'hui ?[Notice]
- Christophe Premat
Diffusion numérique : 3 octobre 2012
Un document de la revue Sens public
2012
Repenser le numérique au 21ème siècle
Conférences Consonances
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