Une violente controverse a récemment secoué la scène déjà tumultueuse du black metal, suite à la parution d’un manifeste, Transcendental Black Metal. Son auteur, Hunter Hunt-Hendrix, compositeur et chanteur d’un groupe brooklynien (Liturgy) y redéfinissait les contours, la nature et la destinée de cette musique, en des termes clairement philosophiques, et à grands renforts d’emprunts à Nietzsche et à Hegel. Plus précisément, il y décrivait deux moments dans l’histoire de cette musique, en théorisant la nécessité du passage de l’un à l’autre. Le premier – correspondant à la naissance du genre et à son développement, essentiellement en Scandinavie – y était décrit comme « atrophié, nihiliste, lunaire » en raison de ses thématiques et de sa tonalité. Le caractère statique de ce premier moment est, pour Hunt-Hendrix, insatisfaisant, et doit conduire à un dépassement, une négation nietzschéenne du nihilisme. Ce deuxième moment – à savoir, l’émergence d’un black metal américain hybride, intégrant d’autres genres musicaux et développant une rythmique légèrement distincte – se caractérise par l’affirmation, la plénitude ; des valeurs solaires, en somme. Ce deuxième temps, qui est aussi la forme aboutie de ce genre, sa fin, inclut implicitement l’œuvre de Hunt-Hendrix et de son groupe Liturgy. Or, au sein de l’univers relativement fermé et discret du black metal, la simple mise en ligne de ce texte a provoqué un petit cataclysme, qui s’est notamment manifesté sur le web. Tandis que ce discours philosophique exposait Liturgy à un plus large public, lui valant notamment l’intérêt du New-Yorker ou de Art Times, les réactions violentes de fans de metal ont fusé. Jugé pédant ou déplacé par certains, illégitime par d’autres – en s’ouvrant à d’autres genres musicaux, Liturgy aurait perdu le droit de formuler un quelconque discours sur le black metal – le manifeste donne lieu à plusieurs lettres ouvertes dirigées contre ce « traître » qui a voulu se faire le chantre d’une cause qui n’est pas la sienne. Le jeune homme, formé à la philosophie dans une Université de l’Ivy League (Columbia), ouvrirait ce monde à un public indigne de le connaître, et, sous couvert de décrire une évolution nécessaire du black metal, il ne ferait que prêcher pour sa paroisse et édifier sa propre pratique artistique. Plus largement, c’est le choix d’une forme littéraire (le manifeste) et d’un type de discours (philosophique) qui est à la fois raillé et violemment critiqué : Hunt-Hendrix aurait commis le crime, prétentieux au demeurant, de parler de cette musique dans un vocabulaire philosophique et docte, comme on parle d’une musique savante. Notre objet ici n’est pas d’entrer dans cette controverse, ni de discuter de la validité philosophique du discours tenu dans le manifeste. Ce qui nous semble intéressant ici, c’est à la fois le geste – assez rare pour être souligné – de théorisation fait par un musicien appartenant à une sous-culture populaire, et la réaction hostile suscitée par ce geste. Ce qui est rare, dans le geste de Hunter Hunt-Hendrix, c’est le choix d’une tournure philosophique, d’une forme à la fois académique et accessible aux « non-initiés » du genre (le manifeste peut être lu comme n’importe quel autre manifeste d’un nouveau mouvement artistique). Habituellement, le choix d’un langage théorique et analytique est non seulement rarissime lorsqu’il s’agit d’un genre aussi viscéral que le black metal, mais de plus, il est généralement le fait d’universitaires extérieurs au mouvement, qui se penchent sur cette musique sans être eux-mêmes artistes – c’est en partie le cas des enseignants ayant participé au Symposium « Hideous Gnosis » organisé autour du black metal en 2009, ou des auteurs de la revue Helvete …