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Promis, je vous épargnerai la traditionnelle revue de l’année avec son cortège de catastrophes (Fukushima, Utøya) et de révolutions (printemps arabe). Néanmoins, deux hommages me paraissent difficiles à passer sous silence vu le contexte dans lequel nous vivons, ceux de Václav Havel et de Jorge Semprun, deux figures de proue incarnant une conscience européenne authentique. Václav Havel a résisté contre le système bureaucratique communiste et Jorge Semprun contre le nazisme. Les deux hommes ont eu une trajectoire exceptionnelle couronnée par un succès politique, Havel ayant été le dernier président tchécoslovaque et le premier de la République tchèque et Jorge Semprun ayant pour sa part été ministre de la culture en Espagne. De surcroît, les deux hommes sont pétris d’une œuvre littéraire remarquable et reconnue. Quel est le message fort que nous pourrions recevoir de ces deux personnalités marquantes ?
Les temps de crise sont toujours des moments de remise en question et le projet européen a dû mal à convaincre l’ensemble des peuples et des États. De quel projet parlons-nous d’ailleurs ? De celui d’une simple zone de paix et de libre-échange ? Du projet politique d’ajustement entre les deux Europe séparées par le rideau de fer ? Quels sont les dénominateurs communs transcendant les clivages ? Ce questionnement n’est pas prêt de trouver de réponses car nous peinons à trouver des espaces publics de discussion et d’échange entre citoyens européens. L’hommage des grands hommes est utile pour renforcer la construction politique de la conscience européenne, mais ne suffit pas. Nous avons besoin de reconquérir des plateformes publiques où l’on puisse discuter des valeurs fondamentales du projet politique européen qui est pour l’instant en suspens : démocratie, égalité de genre, respect des droits de l’homme, équilibre écologique. Pour cela, affranchissons-nous des pères fondateurs et réinventons un public pour de nouveaux dialogues entre citoyens européens. L’Europe a besoin de débat politique, de confrontation et de divisions pour éviter la respiration artificielle de l’union économique et technocratique. Je pense que nos deux auteurs ne seraient pas indifférents à une telle position. Porter une voix à contre-courant, créer des opportunités inédites de débat, instituer de nouvelles solidarités transnationales sont absolument nécessaires pour avancer dans la construction politique européenne. C’est en ce sens que nous nous montrerons dignes de l’engagement de Václav Havel et de Jorge Semprun.