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La fin du printemps approche et les mutations au monde arabe suivent leur cours. La répression reprend la main et les violences sectaires resurgissent. Une sorte de retour à la normale malheureusement trop familière. Même en Tunisie et en Égypte, les manifestants retrouvent la rue. En Libye, une situation de partition de facto semble s’imposer. En Syrie, les chars imposent leur loi. Et au Yemen, une sorte de tragicomédie de négociations et de lutte prolonge le pouvoir de Saleh. Au Bahrein, avec l’intervention saoudienne, la monarchie a elle aussi opté pour la répression : arrestation et enlèvement des opposants, fermeture des journaux, et destruction des mosquées chiites sont les signes d’un durcissement silencieusement accepté par l’Europe et les États-Unis. Dans d’autres pays de la région, la Jordanie, le Maroc, pour ne citer que ces deux, les demandes de réformes se poursuivent. Ce paysage complexe ne nous surprend plus. On s’est vite habitué aux appels au changement et à la résistance acharnée de ceux au pouvoir.
Même la mort d’Oussama ben Laden, après la première euphorie médiatique, s’est avérée épisodique. La disparition de celui qui avait un moment incarné la lutte opposant Orient et Occident s’est vite avérée une occasion d’introspection, surtout aux États-Unis. On aurait espéré une clôture d’un épisode tragique dans l’histoire des rapports entre Orient et Occident. Ou, faudra-t-il dire, une fin aux fantasmes autour de l’islam et ses ambitions politiques. Survenu trop tard pour certains, devenu tout simplement impertinent pour d’autres, l’architecte du 11 septembre s’est transformé dans sa mort en un spectacle (presque) purement occidental. Il suffit de lire la presse pour se rendre compte de ce clivage séparant les deux mondes. La couverture des magazines, les premières des journaux cherchent les conséquences et les suites de cette mort. Curieusement aujourd’hui, il semble que ben Laden a surtout changé notre monde à nous. Les protocoles de sécurité, les guerres déclarées, les luttes menées, tout porte à croire que c’est bien l’héritage tout occidental de cette figure d’un jihad aujourd’hui épuisé.
Pire encore, son image nous interroge toujours. Son quotidien banal nous rappelle les pouvoirs de cette image toujours problématique. Son corps absent, laissé à la mer, mais dans le respect de la tradition, ne fait que mettre au jour les différences entre l’étiquette et le protocole en matière de politique. Mais de nos jours, ces bonnes intentions ne suffisent plus. Nous avons tous besoin de preuves, et les preuves, à l’âge de la technique, passent par la documentation. Si on nous montre ben Laden en train de se regarder sur l’écran, tout conscient de sa présence médiatique, on a besoin de le voir mort. Qu’on nous le dise et qu’on le confirme partout ne suffit plus. Il faut montrer, il faut voir (et les politiques le savent bien car ils ne cessent de le faire). C’est un remède par l’image. Un remède de l’image par l’image. A l’âge des chaînes satellites, les mots seuls ne nous apaisent pas.
Est-il légitime de comparer ce silence partiel de l’image aux silences des images de la répression et des violences rencontrées par les révoltes du monde arabe aujourd’hui ? Bien-sûr que non. Et pourtant, une logique de la manipulation de l’image dans le paysage médiatique nous amène à réfléchir sur les liens entre ces manipulations et les expectations auxquelles elles prétendent répondre.
La répression craint l’image car elle fait voir la violence. Elle cherche à nous faire croire au calme et la stabilité, les deux fondations de sa légitimité. L’isolement, le silence et la quarantaine sont ses armes premiers. Ses preuves passent toujours par le mensonge, le simulacre et le mensonge. Ses revendications ne sont que prétention. De l’autre côté, on assiste à une volonté de régir le récit de la mort d’Oussama. Les narrations successives, les détails révélés, les images contrôlées, les mises en scène, sont tous des gestes cherchant à formuler un message qui semble s’adresser à une autre époque, et répondre à une période bien révolue. A qui s’adresse-t-on et avec quel message?
Car aujourd’hui, Oussama, s’il n’est pas certes oublié, était devenu un indifférent. Son langage, pour certains engageant, avait perdu sa séduction. Dépassé par les événements au monde arabe, sa vision d’un conflit éternel entre Occident et Islam traduit son isolation et son éloignement des réalités de la région. La politique réclame tout ses droits, à l’insu même de la religion. Et c’est ici qu’Oussama est toujours en partie pertinent. Car s’il a incarné ces dernières années une version extrême de la religion politique, il a aussi donné force à l’exploitation de la religion par les politiques.
Ainsi, on n’est point surpris de retrouver les conflits sectaires dans certains des pays arabes en crise. En Syrie, on évoque le clivage Alawite-Sunnite et les alliances des minorités religieuses avec le régime Assad. Au Bahrein, c’est la majorité chiite accusée de collaboration avec l’ennemi iranien qui légitime le recours à la force et l’intervention saoudienne. En Égypte, les conflits sectaires rappellent le pouvoir des idéologies salafistes et leur emprise sur une partie de la population. C’est toujours le rapport à l’autre envisagé sous la forme d’une méconnaissance, d’une ignorance et surtout d’un oubli. Oubli de la diversité culturelle et religieuse de la région, renforcée par des figures comme ben Laden et malheureusement souvent passivement acceptée par l’Occident. L’homogénéité du monde arabe n’est qu’un mythe qui s’est en partie affermi avec ben Laden et sa réception occidentale.
Il est possible d’envisager le discours de ben Laden comme celui d’une aristocratie arabe, une noblesse issue des Terres Saintes et seule autorisée à gouverner et mener les affaires de la nation du Prophète. Cette vision s’est écroulée de l’intérieur, avec l’arrivée des “Égyptiens’ et leur propre idéologie, mais aussi de l’extérieur, avec l’évolution du monde arabe et ses révoltes récentes. Le piège de la mort de ben Laden c’est la tentation de revenir en arrière, vers cette conception du monde qui n’est plus, à quelques exceptions près.
La mort de ben Laden doit être l’occasion d’un changement de politique vis-à-vis du monde arabe en mutation. La transparence est devenue une nécessité, même dans une région célèbre pour sa complexité. Entre le respect de l’autonomie et une éthique de l’intervention, les choix sont souvent difficiles.