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L'inscription des récits mémoriels en FranceLecture de "Gouverner les mémoires. Les politiques mémorielles en France" de Johann Michel (PUF, 2010)[Notice]

  • Christophe Premat

Le rythme des commémorations et des célébrations mémorielles s’est considérablement accéléré ces dernières années. Le Législateur est intervenu à maintes reprises pour proposer des lois mémorielles dont l’objectif était de contrôler l’élaboration de récits mémoriels susceptibles d’alimenter des conflits et de fragiliser l’unité nationale. Récemment, le débat sur l’identité nationale lancé par le Président Nicolas Sarkozy et son gouvernement visait à figer un certain cadre mémoriel avec des éléments fondamentaux justifiant le vivre-ensemble. Le livre de Johann Michel montre que la mise en place de politiques mémorielles est beaucoup plus complexe puisqu’elle fait intervenir des responsables politiques, des chercheurs et des universitaires, des témoins et ce qu’il appelle des « entrepreneurs mémoire », c’est-à-dire des acteurs privés (associations, individus, chercheurs parlant en leur propre nom...). La méthodologie adoptée par Johann Michel ne se réduit pas à une simple analyse des politiques publiques qui inviterait à décrire le comportement des acteurs de la gouvernance mémorielle pour étudier la manière dont ils influencent la prise en charge politique des récits mémoriels. Les concepts de Maurice Halbwachs liés aux cadres sociaux de la mémoire sont réactualisés et permettent de comprendre comment les cadres de la mémoire publique sont constamment redéfinis en raison d’une lutte pour la reconnaissance que se livrent les groupes sociaux en fonction de leur poids et de leur structure (corps intermédiaires). Le livre commence par une mise au point des concepts principaux utilisés par l’analyse. L’étude des gouvernances mémorielles rompt définitivement avec une approche symbolique des lieux de mémoire. Selon Johann Michel, une politique mémorielle désigne « un ensemble des interventions des acteurs publics visant à produire et à imposer une mémoire publique officielle à la société à la faveur du monopole d’instruments d’action publique ». La mémoire publique officielle vise à synthétiser un récit et à l’imposer à la nation. Il importe d’étudier la genèse de ce récit pour observer comment une configuration particulière d’acteurs entreprend de concrétiser ce récit. S’il existe une rupture importante entre le régime mémoriel monarchique et le régime mémoriel républicain, l’auteur met en évidence une grammaire commune autour de l’unité nationale ; tout se passe comme si les ruptures étaient gommées au profit d’une incorporation du récit mémoriel faisant écho aux thèses de Kantorowicz. Johann Michel montre que ce phantasme fait partie d’une volonté d’instituer un lien imaginaire national qui ne correspond absolument pas aux transformations révolutionnaires du pays. La constitution d’un patrimoine mémoriel officiel est la caractéristique de cette normalisation du rapport au passé. La Restauration est marquée par le retour d’une mémoire de la royauté avant que la Monarchie de Juillet n’effectue une synthèse inédite entre la mémoire révolutionnaire et la mémoire de la royauté. C’est sous la IIIe République que la mémoire républicaine consacre l’héritage révolutionnaire avec notamment la décision parlementaire de 1880 instituant le 14 juillet comme fête nationale. La commémoration républicaine incite le peuple français à se rassembler et à célébrer cette union nationale surtout au lendemain des guerres (8 mai, 11 novembre). La République rend hommage aux grands hommes avec le cérémonial de transfert des cendres au Panthéon (celles de Jean Moulin par exemple). Les lieux de mémoire, les noms de rue reflètent cette scénographie mémorielle qui est aussi largement inscrite dans les manuels scolaires. Néanmoins, Johann Michel repère à la fin de la Grande Guerre une première inflexion des politiques mémorielles avec l’apparition de ce qu’il nomme la « gouvernance mémorielle » qui « insiste sur la perte de la centralité de l’État, sur la montée en puissance d’acteurs infra-étatiques (collectivités locales) et supra-étatiques (institutions internationales), d’acteurs privés (entrepreneurs de mémoire issus de la société civile), …

Parties annexes