Résumés
Résumé
Une promenade intellectuelle de l'historien Jorge Orlando Melo, ancien directeur de la Bibliothèque colombienne Luis Angel Arango, qui explore les vertus et les limites de la grande rivale de l'Encyclopédie Britanica et propose un
Resumen
Un paseo intelectual del historiador y ex director de la Biblioteca Luis Angel Arango, Jorge Orlando Melo, por las virtudes y limitaciones de la gran rival de la Enciclopedia Britanica, en un recorrido que va de quienes inventaron el genero, convencidos de que el conocimiento ayudaría a los hombres a librarse de la Iglesia, el Estado y la superchería, hasta los diversos intentos de enciclopedias colombianas. Y no es lo mismo Wikipedia en ingles y en español.
Corps de l’article
L’encyclopédie papier
L’encyclopédie papier, celle de Pierre Bayle au 17e siècle ou celle de Diderot et d’Alembert au 18e siècle, naît de la conviction que la connaissance aiderait l’homme à se libérer des pouvoirs qui l’assouvissaient : de l’autorité de l’Église et de l’État, des superstitions et croyances du passé. En usant de la raison et en observant la nature, grâce à la science et à la recherche, les hommes oseraient penser par eux-mêmes et ne se laisseraient pas entraîner par les autres : ils deviendraient autonomes.
Les créateurs de l’encyclopédie furent des hommes audacieux qui, pour contrecarrer la censure et la persécution, inventèrent des lieux fictifs d’impression, transmirent leurs idées les plus subversives dans des articles anodins en apparence, et vécurent parfois en prison ou en exil. Ce projet révolutionnaire fut pour l’essentiel un succès : la science a remplacé la religion comme forme d’explication de la majorité des faits du monde, au moins au sein des groupes les plus éduqués. De plus, elle est devenue le moteur du changement technique qui a transformé la vie. Le triomphe de l’encyclopédie a été le triomphe de la connaissance et de ses institutions : de l’université, regorgeant de professeurs et de chercheurs, et de la spécialisation, qui permet à des chercheurs, face à la croissance exponentielle de l’information scientifique, de se consacrer à des champs restreints, qu’ils ne parviennent à peine à maîtriser qu’après une vie entière d’expérimentations et de lectures.
Une fois la superstition vaincue, l’esprit combatif des encyclopédistes s’est affaibli : les États croyaient en la science et les plus riches du moins, l’ont soutenue et diffusée. Le système éducatif a essayé de faire de tous les citoyens des personnes dotées d’un minimum de connaissance scientifique, et l’encyclopédie est devenue, plus qu’une arme de lutte passionnée, un document de synthèse, dans lequel ceux qui connaissent un domaine scientifique et qui ont quelque talent pour la vulgarisation, résument pour le public cultivé ou pour les spécialistes d’autres branches l’état de la connaissance, le savoir à peu près sûr et confirmé qui existe à un moment donné. L’Encyclopædia Britannica, rédigée par les professeurs des universités anglaises dans une prose qui réussissait à en faire non seulement un outil de consultation mais aussi une œuvre de divertissement, est devenue le modèle le plus reconnu. C’est l’élégance de son style, la concision et la précision de sa langue, la solidité de son contenu scientifique qui a fait connaître la onzième édition de 1911. Lors d’un entretien avec Mario Vargas Llosa, il y a 45 ans, Jorge Luis Borges, à la question conventionnelle du brillant jeune Péruvien, a répondu que s’il pouvait emporter cinq livres sur une île déserte il prendrait un volume d’une encyclopédie. Mais « surtout pas d’une encyclopédie actuelle, car celles-ci sont des usuels, mais d’une encyclopédie publiée vers 1910 ou 1911, un volume de Brokhaus ou de Mayer, ou de l’Encyclopædia Britannica, c’est-à-dire lorsque les encyclopédies étaient encore des livres de lecture ».
Borges n’a pas mentionné l’encyclopédie qui a fait l’effort, pour ceux qui lisaient en espagnol, d’ajouter au savoir universel une information sur le monde hispano-américain : la Espasa-Calpe, avec ses 72 volumes originaux publiés entre 1906 et 1930, et qui a compté avec José Ortega y Gasset comme directeur éditorial pendant plusieurs années. L’Encyclopédia Espasa a été, au long du 20e siècle la grande source d’information, même si elle n’avait pas le charme littéraire de celles qu’aimait Borges : elle se trouvait chez tous les hommes cultivés des classes moyennes et aisées, dans toutes les écoles et toutes les bibliothèques des pays où on parle l’espagnol.
En Colombie, quelques essais courageux d’encyclopédie à contenu colombien, mais aux résultats discutables[1] avaient été menés. Au 19e et 20e siècle on a publié des dictionnaires biographiques volumineux mais inégaux ainsi qu’une première ébauche encyclopédique, la Enciclopedia del Desarrollo Colombiano[2] , éditée par Canal Ramirez en 1973 qui comprend un volume surprenant sur les modes vestimentaires et les habits, et une autre sur la culture populaire colombienne de Manuel Zapata Olivella. Mais la première vraie encyclopédie fut probablement la Enciclopedia de Colombia [3] de 1977, en 7 volumes, conventionnelle, désorganisée et mal conçue. Le Gran Libro de Colombia [4] , en 3 volumes, du Circulo de Lectores, était une présentation de la géographie, de l’histoire et de la culture populaire du pays. Le grand effort et la grande réussite a été la Gran Enciclopedia de Colombia [5] , lorsqu’une équipe dirigée par un éditeur d’exception, Camilo Calderon Schrader, produisit une synthèse assez réussie de l’état des connaissances relatives aux principaux thèmes de la culture colombienne[6]. Il s’agissait de 11 volumes avec près de 3.500 pages de texte et quelques 650 biographies de personnalités colombiennes, soigneusement sélectionnées par les éditeurs, Beatriz Castro et Daniel Garcia Penha. En général, les travaux ont été écrits par des personnes qui connaissaient très bien leurs sujets, et plusieurs biographies sont encore un modèle du genre. Il suffit de lire les excellentes biographies de Bolivar, par David Bushnell, ou de Porfirio Barba-Jacob, par Fernando Vallejo, pour constater que celles-ci étaient souvent écrites par des personnes qui ont consacré des années de lecture et de recherche à se familiariser avec leurs personnages. Si les biographies n’ont pas été rédigées par des spécialistes, elles l’ont alors été par de jeunes historiens qui ont suivi un protocole très strict au cours de leurs travaux : près de 100 spécialistes ont ainsi réuni leurs efforts pour mener à bien ce travail biographique. Cependant, cette encyclopédie était encore limitée, et l’analyse de la liste de biographiés, pour prendre un critère d’évaluation, montre ses limites : par exemple, même si on y trouve Pedro Morales Pino ou Luis Antonio Calvo, on ne trouve pas Lucho Bermûdez, José Barros ou Roberto Buitrago. En général, le monde des industries culturelles, du loisir -la radio, la télévision, le cinéma- apparaît peu, de même que le sport ; il n’y a pas de personnages contemporains, et l’accent est mis sur la politique et le monde des lettres.
Un remaniement a été réalisé, de façon surprenante, par deux personnes, Alejandro Medellin et Diana Fajardo sur leur temps libre. Ils ont publié, en 2005 Mi Tierra, el diccionario de Colombia. Les auteurs ont écrit seuls plus de 1.000 pages et les 11.300 articles de ce dictionnaire, une encyclopédie alphabétique qui réunit 5.000 biographies, 2.000 articles sur divers aspects de la société colombienne, 2.500 articles sur la culture colombienne incluant des références géographiques ainsi que d’autres textes sur la nature et le langage colombien. L’édition, très soignée, comporte une sélection des thèmes à inclure basée sur des critères clairs et solides : la culture populaire, le sport, la gastronomie et d’autres sujets du même genre y tiennent une place plus importante que dans les encyclopédies précédentes.
Du papier à l’écran
Le développement d’Internet a transformé radicalement les encyclopédies. Du point de vue de l’usager, une encyclopédie électronique a beaucoup d’avantages par rapport à une encyclopédie papier. Les systèmes de recherche sont instantanés et le classement peut abandonner la rigidité alphabétique ou thématique, le passage d’un article à l’autre est immédiat et les liens ouvrent des possibilités de navigation inhabituelles. L’encyclopédie électronique peut être actualisée plus rapidement que celles en version papier, qui, au mieux, produisaient un volume d’actualisation annuel qui devenait un supplément et ne pouvait s’incorporer aux matériaux des autres volumes. En plus, d’un point de vue économique et écologique, Internet ne pourrait pas être plus approprié. Dès le milieu des années quatre-vingt-dix il était évident que l’avenir du monde des encyclopédies, comme celui des grandes éditions documentaires et d’information, se situait sur la toile et que l’édition papier était un reliquat voué à disparaître et le plus tôt serait le mieux.
Cependant, les considérations économiques rendaient la transition difficile: faire une encyclopédie avec l’aide de spécialistes de qualité est onéreux, et les éditeurs n’allaient pas s’engager s’ils ne pouvaient récupérer leur investissement. C’est une histoire complexe et intéressante, mais il n’y a pas eu jusqu’à présent de solutions miracle : faire payer l’information sur la toile est difficile (même s’il y a des niches qui ont beaucoup de succès et qui relèvent presque de l’extorsion, comme les revues scientifiques vendues aux universités), surtout à l’usager habituel d’une encyclopédie qui cherche des renseignements pour un devoir scolaire ou un travail précis et qui n’a pas besoin de la qualité la plus poussée. Financer une œuvre scientifique avec de la publicité n’est pas exclu, mais ce procédé n’a pas fonctionné non plus. C’est pourquoi les encyclopédies écrites par des spécialistes ont eu jusqu’à présent une vie marginale sur la toile.
La grande solution aux dilemmes économiques de la publication sur la toile, dans les termes propres au domaine d’Internet, est Wikipédia. Mettant à profit l’émergence de programmes qui permettent la collaboration sur la toile comme Wiki, ses fondateurs, James Wales et Larry Senger, ont eu une idée simple et brillante : ne pas payer les auteurs, qui travaillent en tant que volontaires et écrivent leurs articles par le biais de la collaboration. Étant donné le nombre presque illimité de volontaires potentiels, il ne paraît pas difficile de trouver pour chaque sujet important des personnes disposées à travailler sans être payées et sans recevoir la reconnaissance qui motive habituellement les intellectuels et les artistes : la renommée ou le prestige, puisque les auteurs ne signent pas.
Wikipédia a commencé ses activités il y a à peu près six ans et depuis lors elle a connu une croissance accélérée. Aujourd’hui les chiffres, en grande partie gonflés et peu rigoureux, nous disent qu’en espagnol il existe 300.000 articles écrits par des volontaires. L’avantage de la gratuité a fait que Wikipédia triomphe sur toute autre alternative payante, et connaisse des niveaux de consultation très élevés. Ainsi, pour chercher une information élémentaire, comme celle dont on a besoin dans la plupart des cas, ou pour trouver les données qui permettent d’élaborer de façon routinière un devoir scolaire plus ou moins urgent, l’effort nécessaire à la production d’une encyclopédie écrite par des spécialistes paraît déraisonnable au regard de l’amélioration marginale de qualité qui serait obtenue au final. En effet, les matériaux de Wikipédia sont adaptés à l’usage requis, sont gratuits, se relient entre eux de façon à leur garantir d’apparaître automatiquement comme premier résultat des recherches avec les moteurs d’investigation courants. D’autre part, le travail volontaire comporte des éléments gratifiants : bon nombre de ceux qui contribuent à Internet sont enthousiastes, presque des apôtres, et ont l’impression de prendre part à une croisade qui représente une nouvelle forme de guerre culturelle contre un passé obsolète. Wikipédia est vue comme l’émanation d’une science faite démocratiquement, contre l’élitisme des experts, acceptant les points de vue de la masse sur ce qui est important et mérite d’être publié, et non pas ceux des savants lointains et présomptueux. Il s’agit d’une forme de travail qui génère une communauté addictive, dans laquelle ce sont les discussions passionnées qui attirent et retiennent les collaborateurs. Les groupes les plus enthousiastes paraissent partager l’illusion selon laquelle l’encyclopédie crée de la connaissance. Ils pensent aussi vulgariser un savoir que les académiciens avaient caché.
En réalité, le produit est de qualité variable. Dans les pays anglo-saxons plusieurs facteurs garantissent une qualité initiale raisonnable : d’une part, les encyclopédies du 19e et 20e siècle étaient disponibles et dans le domaine public. Le noyau le plus solide du matériel de Wikipédia en anglais, pour des thèmes qui ne requièrent pas une importante mise à jour (biographies, personnages historiques, science naturelle descriptive, et une bonne partie de l’information mathématique, de physique ou de chimie) a été précisément l’Encyclopædia Britannica de 1911, efficacement engloutie par Wikipédia. Mais, au-delà de ce fait qui lui a donné une fiabilité initiale, elle s’est développée surtout à partir de l’armée intellectuelle des étudiants doctorants de ces pays qui préparent des thèses sur tous les thèmes du monde. Ces étudiants ne vivent pas de leur travail intellectuel et bénéficient d’un accès pratique à l’information qui leur permet d’économiser du temps. Une manière de témoigner leur gratitude et de répondre spontanément à leur usage de Wikipédia est d’apporter leur contribution à partir de ce qu’ils apprennent tout au long de la réalisation de leur mémoire. Ce sont eux qui transforment la connaissance des experts, de leurs professeurs universitaires, en des articles convenables, parfois très bons, sur des thèmes scientifiques ou historiques. A l’heure qu’il est, pour vérifier l’information de base requise pour un travail universitaire, la qualité des données de Wikipédia est à peine marginalement inférieure à celle des encyclopédies faites par des spécialistes, même si, sans nulle doute, les articles sont plus pauvres en général, moins bien écrits et, dans le cas des domaines frontaliers, moins informés et moins conscients des problèmes de recherche sur le thème.
Ces conditions, cependant, ne sont pas réunies dans les pays d’Amérique Latine, où les universités ne préparent pas les étudiants à la recherche. Les étudiants doctorants sont habituellement des professeurs vacataires, ayant peu de temps libre et des revenus insuffisants, ce qui affaiblit leur volonté de travailler gratuitement. C’est pourquoi, ceux qui écrivent sur des thèmes scientifiques, que ce soit dans le domaine des sciences naturelles ou sociales ou dans celui des sciences humaines et de la culture populaire, semblent être non pas des étudiants avancés, personnes relativement expertes en leurs domaines, mais dans une proportion significative, de simples amateurs sans formation académique solide. Ceci explique pourquoi, en général, lorsqu’il ne s’agit pas d’une traduction de la source anglaise, les articles en espagnol sur ces thèmes soient aussi déficients, ce qui ne leur ôte pas leur utilité pour autant, car lorsqu’un étudiant du secondaire ou un étudiant du premier cycle plagie de façon plus ou moins distraite Wikipédia pour un travail, peu de professeurs, précisément à cause de la pauvreté de la culture de recherche, sont en mesure de remarquer les erreurs mineures présentes. Ceci importe peu dans les milieux propres à la recherche - les doctorants scientifiques universitaires, par exemple, qui sont limités en nombre en Amérique latine-, car aucun chercheur ne fait usage des encyclopédies, que ce soit en version papier ou sur Internet, comme source principale de son travail : elles leur servent à vérifier une donnée, une date, un détail, un peu comme des annuaires téléphoniques qu’on feuillette en cas d’urgence et lorsque l’enjeu n’est pas de taille.
C’est pourquoi, il est peu probable qu’en espagnol Wikipédia connaisse un processus d’amélioration similaire à celui de la version anglaise. Les articles scientifiques centraux et non régionaux, seront certainement la transcription et la traduction de ce que produisent les universitaires étasuniens, dont nous[7] voulons tant apprendre et dont nous admirons tant la culture. C’est pourquoi, jusqu’à présent, la véritable force de Wikipédia en espagnol c’est l’incorporation de données institutionnelles, dans une proportion accablante, et de quelques domaines en lien avec l’actualité, avec les médias et avec les industries culturelles. Ce sont des articles généralement pires que les articles scientifiques, mal rédigés, dont les sources laissent beaucoup à désirer, mais ils foisonnent de données utiles concernant des centaines de municipalités et d’entités publiques. L’esprit de clocher est très présent en Colombie, et aujourd’hui, Guatarilla, dans le département de Nariño, a une page plus fournie que beaucoup de villes européennes, et l’université d’Antioquia[8] contient plus d’information que celle d’Oxford dans la version anglaise. Un autre avantage réside dans l’information que les intéressés y consignent à partir de leurs connaissances directes; ils utilisent Wikipédia comme une vitrine pour mettre en avant les succès de groupes musicaux ou d’autres créateurs en début de carrière.
De toute façon, le modèle collaboratif produit un effet qui vaut la peine d’être rappelé : les erreurs trop évidentes, celles que les usagers moyennement familiers du sujet peuvent détecter, sont facilement corrigées et le nombre d’erreurs grossières diminue au fil du temps. Cependant, hormis quelques exceptions, je ne pense pas que le modèle produise un nombre élevé de bons articles. Aujourd’hui il est presque impossible de trouver un article réellement bon, j’ai soigneusement vérifié, portant sur des thèmes colombiens ; et lorsque les votes indiquent un article comme remarquable, il est très médiocre. La raison est évidente : si la première rédaction d’un article est faite par une personne ayant une connaissance médiocre du thème, le processus de révision est très lent et difficile. La majorité des articles sur la Colombie présentent cette caractéristique et semblent avoir été écrits à partir de sources pauvres elles aussi : la plupart bien sûr s’appuient sur des matériaux qui proviennent d’Internet, qui sont peu nombreux. Le spécialiste identifie les erreurs, mais il préfèrerait recommencer à zéro au lieu de détruire ou abandonner complètement le travail précédent, ce qui peut lui paraître discourtois ou abusif. Il préfère alors corriger les erreurs grossières et laisser le reste, considérant que, en définitive, l’encyclopédie n’est pas une source pour le monde scientifique, tout en craignant que les erreurs se reproduisent et se retrouvent dans d’autres documents qui finissent par se citer entre eux.
Le fait est que le modèle est très coûteux en termes de « travail socialement nécessaire » requis pour rédiger un article modeste. L’article de qualité de cinq pages que le spécialiste élaborerait en quelques heures, consomme des centaines d’heures et d’efforts de beaucoup d’amateurs : celui qui fait la première rédaction, et après lui l’effort de tous ceux qui le corrigent, modifient, effacent, rétablissent, discutent et raisonnent leurs actions. Une démonstration du travail de groupe qui, après beaucoup d’effort, produit un résultat moins convaincant que celui du spécialiste. Vingt ou cinquante personnes, après beaucoup d’efforts, établiront une bibliographie de Barba Jacob moins fournie que celle de Fernando Vallejo, écrite en quelques heures, reprenant cinq ou dix ans de travail sur le thème. Bien sûr, les auteurs collectifs auront peut-être à s’appuyer sur le résumé de Vallejo (il est peu probable qu’ils lisent, pour ce faire, tout El Mensajero), et s’ils réussissent à faire du bon travail ce sera certainement parce qu’ils prennent appui sur des spécialistes et des experts qui ont réalisé le travail préliminaire. Il semble que Wikipédia peut s’améliorer tant que des personnes comme celles qui ont écrit les encyclopédies papier sont encore au travail.
Ceci montre un des paradoxes de Wikipédia. Elle est gratuite pour l’utilisateur, ne coûte pas beaucoup à ses promoteurs, qui ne payent pas les auteurs (même si maintenant, face aux problèmes de qualité qui se sont produits, ils ont dû créer une petite armée d’éditeurs et de veilleurs) : le budget annuel de Wikipédia est de moins d’un million de dollars, alors que la version de 1974 de l’Encyclopædia Britannica a coûté 32 millions de l’époque, plus de 100 millions d’aujourd’hui.
Les perspectives futures
Quelles sont alors les perspectives de Wikipédia en espagnol ? Il est clair, je pense, que le modèle en accès libre est le seul viable pour ce type de produits. Ainsi, toute idée de mettre en place sur la toile une encyclopédie payante me paraît n’avoir aucune possibilité de succès.
D’autre part, dans les conditions sociales et économiques actuelles, la marge de qualité qu’on peut atteindre dans des travaux de vulgarisation, comme c’est le cas des encyclopédies confiées à de bons spécialistes, ne sera probablement pas très importante ni reconnue par les usagers de ces travaux. On pourrait penser à un système de subvention philanthropique pour que quelqu’un mette en place une encyclopédie de haute qualité, et c’est ce que semble rechercher un des fondateurs de Wikipédia, Larry Saenger, en ce moment. Mais je doute que ceci soit justifié : quels sont les avantages sociaux d’avoir un article sur Lincoln ou Beethoven ou sur les trous noirs un peu meilleur que celui de Wikipédia, qui puissent servir à convaincre des donateurs d’offrir les 50 ou 100 millions de dollars que coûterait une bonne encyclopédie réalisée par des spécialistes ?
C’est pourquoi, je ne pense pas qu’il y ait d’alternative possible : Wikipédia va devenir presque la seule encyclopédie. Son caractère monopolisateur ne va pas délégitimer son ample base sociale, alors que son noyau scientifique deviendra graduellement plus solide et conventionnel, son attrait se trouvera dans la communauté culturelle qu’elle offre, qui renforce une vision des valeurs sociales et culturelles dominantes, celles des moyens de communication de masse, de l’industrie des loisirs. Au fond, autant l’idéologie de Wikipédia que sa logique fonctionnelle, correspondent très bien aux formes de la culture nord-américaine qui s’impose de plus en plus dans le monde : l’enthousiasme de ses apôtres s’appuie sur la tradition populiste, le refus des eggheads qui pèse tant dans la vie politique et culturelle des États-Unis, analysé de façon si brillante par Richard Hofstadter dans l’Anti-intellectualisme dans la vie nord-américaine (Madrid : Editeur Tecnos, 1969), écrit, cependant, avant que Reagan et Bush l’aient mené aux extrêmes récents.
Wikipédia est, dans un autre sens, une application des règles de la démocratie à la science et à la connaissance : la vérité se définit avant tout par le consensus, par l’enquête, par l’accord, et non par le débat sujet à des règles méthodologiques de vérification. Wikipédia mélange le rôle d’information scientifique de base et celui de promoteur de figures et de célébrités passagères, tellement lié aux stratégies des milieux du show-business. Ainsi, elle opère comme une frontière fluide entre la science et les loisirs, appuyée sur la fusion, à travers l’ordinateur, de la technologie la plus moderne et de la transformation de l’écran en fenêtre sur les communautés virtuelles, qui remplacent les groupes sociaux dérangeants basés sur le contact direct, par des contacts fantasmagoriques mais aimables.
Entre temps, nous serons obligés d’accepter ses déficiences, d’en user avec précaution et scepticisme lorsque nous n’aurons pas d’autre alternative, et de corriger les erreurs les plus évidentes. Nous serons obligés d’espérer que la vie résolve d’une façon ou d’une autre son paradoxe fondamental. Ses partisans soutiennent que sa valeur réside dans les fait qu’elle est bâtie par les gens du commun et non pas par des spécialistes. Mais ils attribuent la mauvaise qualité actuelle de Wikipédia, spécialement en espagnol, aux spécialistes qui ne se mettent pas avec générosité et application à écrire de bons articles et à corriger les débutants, les gens du commun qui sont en train de la rédiger actuellement. Peu à peu, sans doute, quelques champs critiques seront repris par les spécialistes, parfois ceux d’un plus haut niveau, parfois par ce niveau intermédiaire et formateur des bons étudiants de master et doctorat : ce sera alors une avancée ou un retour en arrière à la lumière des idéaux qui la sous-tendent ?
La première encyclopédie a réussi sa guerre fondamentale et, ce faisant, elle a perdu son élan devenant ainsi un système routinier de référence. La nouvelle encyclopédie gagnera un point également essentiel : offrir virtuellement (c’est-à-dire en puissance) à la totalité de la population un accès gratuit à une image raisonnablement exacte de la connaissance contemporaine. Le marché ne fera payer que pour des services d’information beaucoup plus spécialisés, mais il ne pourra pas faire de l’argent avec des informations de base sur la vie des musiciens, artistes ou politiciens ou avec le savoir scientifique de base.
La vision scientifique de la société promue par la première encyclopédie s’est imposée chez les intellectuels et les professionnels qui allaient jusqu’à l’université. La population rurale est restée aussi traditionnelle et superstitieuse qu’elle l’a toujours été, et son alphabétisation récente, limitée, au lieu d’amplifier le champ d’acceptation de la science, a créé l’espace dans lequel les médias alimentent ces superstitions avec le tarot, le new-age, et toutes les formes d’irrationalisme et d’esprit antiscientifique qui trouvent écho actuellement même dans les sphères universitaires. L’accès à une connaissance scientifique relativement solide peut produire, si un noyau assez large de spécialistes monte sur le bateau, une nouvelle vague d’expansion de la vision scientifique de la société. Et celle-ci serait un grand succès de Wikipédia : servir à affaiblir la mentalité antiscientifique qui domine dans les groupes intellectuels récents.
D’un autre côté, l’exercice méthodologique a une valeur pédagogique additionnelle qui ne doit pas être oubliée: même s’il est ingénu de croire que l’on va produire une connaissance importante dans les écoles ou les universités en utilisant les outils de Wikipédia, on peut espérer créer des habitudes de discussion, de vérification de l’information, d’utilisation de moyens sérieux de documentation à partir de l’exercice de processus interactifs comme ceux de Wikipédia. Comme tout a un effet sur tout, dans beaucoup de cas les résultats seront funestes, car les professeurs n’ont pas de vision claire sur les stratégies de débat et d’information. Mais dans beaucoup d’endroits, dans beaucoup d’écoles et de collèges, les professeurs avertis peuvent convertir Wikipédia, au-delà d’une source d’information plus ou moins utile, et surtout d’un accès très commode, en une stratégie pour développer des habitudes de raisonnement et d’information scientifiques de leurs étudiants. Et ceci est important.
Traduit de l’espagnol par Tatiana Sarmento
Parties annexes
Notes
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[1]
Enciclopedia de Colombia. Barcelona: Editorial Nueva Granada, (1977 7v.: il..V1 Descubrimiento; exploraciones; conquista; colonia. -v2 Colonia; independencia. -v.3 La republica: cronología; geografía; economía. -V.4 Colombia Contemporánea. - V5 Costumbrismo; cuento; novela; leyendas; tradiciones; teatro.-v.6 Poesía; oratoria; ensayo; biografías; bibliografía. -v.7 Índices. El gran libro de Colombia
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[2]
Encyclopédie du Développement Colombien N.T.
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[3]
Encyclopédie de Colombie N.T.
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[4]
Grand Livre de Colombie N.T.
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[5]
Grande Encyclopédie de Colombie N.T.
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[6]
v.1 y 2 Historia v.3 Geografía -v.4 Literatura: -v.5 Cultura: desde historia de las ideas en Colombia hasta cafés y tertulias literarias. - v.6 Arte. -v.7 Instituciones. -v.8 Economía. - v.9 y 10 Biografías/2: Leyva-Zerda. -v.11 Cronología e índices. En 2007 a été fait, ce qui est invraisemblable, une nouvelle édition en papier avec des articles nouveaux.
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[7]
Nous les latino-américains (NdT)
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[8]
Nariño et Antioquia sont deux départements de la Colombie (NdT)