Résumés
Résumé
Cet article présente un portrait du poète belge Marcel Thiry (1897-1977) et sa manière originale de se démarquer, entre évolution et révolution, dans le contexte de la modernité et des avant-gardes françaises dans les années d'entre-deux guerres.
Corps de l’article
Incontournable nécessité d’évolution ou de révolution ?
« Tolérance - différence », ce couple constitue une des catégories fondamentales de l’histoire littéraire. Il a partie liée avec la définition de deux notions clés qui y agissent : évolution et révolution. En effet, l’évolution dans la littérature pourrait se caractériser comme tolérance, comme une tolérance de différences. Les normes se suivent, différentes les unes des autres, sans que cette différence soit conclusive, exclusive : c’est une différence tolérante. L’évolution veut développer, nouer des liens avec le passé, ne pas ignorer les innovations puisées dans le trésor de la tradition. La révolution, par contraste, veut bannir les normes existantes, adopter ses normes et ses objectifs propres, elle refuse la tradition comme source d’inspiration, de développement. Bref, elle est fondée sur l’idée de différence, d’une différence totale et définitive.
Mais il y a un autre couple que l’on définit d’une semblable manière, à savoir celui des avant-gardes et du modernisme. Les avant-gardes se caractériseraient justement par une « volonté de rupture radicale avec ce qui précède » et par « l’élaboration d’une doctrine esthétique exclusive, qui condamne les autres propositions esthétiques ».[1] Le modernisme, au contraire, malgré son intérêt pour le nouveau et l’actuel, ne fait pas rupture avec la tradition et le passé. Il manque d’une doctrine esthétique « dure », il est éclectique dans ses intérêts et ses emprunts. Suivant cette logique, on associerait les avant-gardes à la révolution et le modernisme à l’évolution littéraire.
La Belgique, les avant-gardes et la modernité
En ce qui concerne la tolérance et le refus, la Belgique présente un cas tout particulier dans le contexte européen. La rencontre des mouvements modernistes du début du 20e siècle avec la tradition y connaît un sort singulier. Comment expliquer le fait que neuf ans après Alcools et La prose du Transsibérien et de la Petite Jehanne de France, un an après Les Champs magnétiques sorte, en 1922, un recueil tout à fait symboliste de Max Elskamp : La Chanson de la Rue Saint-Paul, sans parler de La Flamme immortelle d’Albert Mockel, parue en 1924, année du premier Manifeste du surréalisme ?
En Belgique, futurisme, expressionisme, surréalisme, mouvement dada, constructivisme ont du mal à s’imposer. Et l’héritage du symbolisme est écrasant. On découvre le modernisme français de la Belle Époque, et les avant-gardes qui le contestent, seulement pendant et après la Grande guerre : d’où un certain syncrétisme, spécifique du modernisme en Belgique. Le retard créé s’explique, entre autres, par des faits sociologiques : « les valeurs d’un pays fortement représenté par la bourgeoisie ne favorisent pas le développement d’aventures intellectuelles ou artistiques extrêmes ; la puissance d’une pensée, d’une conception du monde, d’un système de représentation y prend alors des formes plus souples et moins éclatantes ».[2] Mais on impute ce trait retardataire à un phénomène plus large de l’histoire de la littérature belge. En effet, celle-ci se trouve dans sa phase centripète, avec son esthétique particulière : les poètes, soucieux - dans leur tentative de pénétrer le champ littéraire français ou parisien - de ne pas révéler leurs origines géographiques, évitent soigneusement tout écart de la norme : « Même lorsque la langue en est joueuse (…) la poésie tend à se couler dans des moules classiques : la génération moderniste des années 1920, qui avait adopté avec mesure les innovations formelles de l’Esprit Nouveau français, opte ainsi massivement pour l’esthétique néo-classique à partir des années 1930 ».[3] Toute une génération de jeunes poètes des années folles en Belgique, en l’absence générale de modèles belges, tourne son attention vers les poètes français : Baudelaire, Rimbaud, Laforgue, Verlaine, Mallarmé, Vildrac, Romains, Cendrars, Valéry, Cocteau, Jacob, Larbaud et Apollinaire. Michel Biron parle d’un « modernisme intermédiaire (…), adapté en général à l’idéologie du progrès, mais interrogeant assez peu la relation de la littérature à la société ».[4] Dada et le surréalisme étaient par trop négativistes, trop iconoclastes pour ces poètes-là. Nous voilà à la frontière entre modernisme et modernité, entre évolution et révolution. Cette génération ne veut « bouleverser ni le langage poétique, ni la poésie elle-même, ni ses rapports à la société, elle(s) se veu(t) simplement ouvert(e) à (son) époque, singulièrement à ce qui s’écrit en France ».[5] Son objectif est d’« attester l’enrichissement de la conscience poétique, l’effort vers un ordre renouvelé de l’ancien système ».[6] Franz Hellens parle même d’un « classicisme vivant »[7]. Se joindra à cette génération des années 1920 la vague des poètes qui commencent à écrire vers 1930. Les deux générations instaureront un « courant néo-classique assez prégnant, qui courra tout le long du siècle sans se confondre avec les avant-gardes, voire en s’y opposant, en s’appuyant sur les institutions littéraires, en les nourrissant et en les occupant, et dont la poésie est souvent intemporelle dans ses thèmes, hors du monde et du mouvement, revenue à la féerie, au mythe, à l’histoire ».[8] Romantisme, esthétique Jeune Belgique, symbolisme : tel est le fond de la génération des années 1920, qui a façonné à sa manière le legs du 19e siècle.
Thiry et le modernisme
Au contraire de Max Elskamp ou de Mockel, Marcel Thiry a su trouver un goût personnel, sinon pour le radicalisme des avant-gardes, au moins pour le modernisme. Il appartenait justement à ceux qui tournaient leur attention vers Paris. Le modernisme marque ses recueils des années 1920 (écrits en vers réguliers et rimés) surtout par des thèmes de voyage, de dépaysement, de cosmopolitisme. Pourtant, loin de l’élan des découvertes d’un Cendrars, il assume plutôt une pose nostalgique : il a bien fait un tour du monde, mais c’est maintenant passé, il ne fait que s’en souvenir. Il n’écrit pas au cours de ce qui lui arrive, il écrit seulement après-coup, d’où un ton élégiaque. On se trouve devant une oeuvre moderniste teintée de symbolisme.
Après la mort du père, en 1928, Thiry est obligé de reprendre l’entreprise familiale. Les soucis de commerce apportent dans sa poésie de nouveaux thèmes enduits de modernité : automobile, argent, banque, commerce, faillite, science. Mais, et ceci est en accord avec la tendance générale présente en Belgique, « son modernisme ne procède guère d’une adhésion aux esthétiques nouvelles apparues durant et après la Guerre, mais bien davantage de sa propre expérience du monde »[9]. Thiry, poète qui a « un pied au dix-neuvième siècle », attribue sa faible perméabilité aux tendances nouvelles au contexte familial et à l’avènement de la Grande Guerre. Il ne découvre Apollinaire qu’en 1925. Il dit qu’il souffre d’un « manque d’un tempérament suffisamment novateur »[10], il s’attache au vers régulier, parle même d’un « sentiment de décence » et d’un « sens du comique » qui l’ont empêché de s’associer aux « fétichistes nus gesticulant pour obtenir la pluie des bons hasards ».[11]
Marcel Thiry était un homme fameux par son caractère discret et extrêmement poli. Il n’élevait jamais la voix, ne parlait jamais poésie, ne se vantait pas d’être poète. Pourtant, c’est un pivot de la poésie belge du siècle dernier, dont il a vécu les trois premiers quarts (1897-1977). De plus, le poète était très soucieux du bien-fondé théorique de son expression poétique. Non qu’il ait rédigé des manifestes en s’arrogeant ainsi le droit de monopole dans le domaine de la création poétique. Mais il aimait faire réflexion sur l’état de poésie, sur l’état de poète. Ainsi, il est auteur d’un essai perspicace Le Poème et la langue (1967), où plusieurs de ses thèses se voient formuler. Il sera intéressant pour nous de voir comment Thiry fait face à la modernité, aux avant-gardes sapant les fondements traditionnels de la création poétique, aussi bien que la position qu’il se choisit pour lui-même, notamment vis-à-vis d’un autre grand auteur d’origine belge mentionné dans son essai, à savoir Henry Michaux.
Lenteur et fureur des mots
Dans son étude, Thiry essaie de définir, pour parler bref, l’essence - l’agent - de la poésie. Celle-ci, il la voit dans une utilisation particulière du langage quotidien, utilisation qui nous force à nous arrêter sur le mot. Celui-ci est doté, grâce à l’invention du poète, d’un sens nouveau qu’il faut chercher. L’invention, c’est la capacité du poète de changer la nature de ce qu’il touche, de modifier les choses, les mots. Cette modification, cette « nouvelle modalité d’existence » du mot, est donc à la base de l’acte créateur. Ce concept n’est pas loin de la « désautomatisation » des formalistes russes. Pour Thiry, cette modalisation n’est pas brusque, rapide, révolutionnaire. Au contraire, il parle de la lenteur du mot. Car, la poésie - ici, on voit un autre point commun avec les théories du langage poétique - est faite par la langue qui est une des deux sub-divisions du langage commun qui diffèrent par leur degré de rapidité :
« il y a le langage de la communication poétique, laquelle emploie des mots qui sont formellement les mêmes (que dans la communication quotidienne ou prosaïque), mais que la poésie revêt d’un sens exceptionnel et distant. C’est parce que le lecteur ou l’auditeur doit rejoindre à travers cette distance l’invention du poète que se produit, correspondant à ce trajet, le majestueux battement de seconde ou de coeur où se prépare l’émotion poétique »[12].
Le mot, donc, ne naît pas poème : il le devient par le biais de la lenteur qui l’aide à garder son individualité, fondue dans la prose. Cette individualité est sauvegardée, sémantiquement parlant, par un déplacement du sens de l’aire centrale vers la périphérie de la topographie sémantique du mot. Pour bien apprécier le mot poétique, « il faut aller chercher dans la banlieue de la notion générale (…) la notion spéciale et corollaire, et faire sa connaissance. »[13] Cette opération prend du temps, le temps qu’il faut « pour que le mot renouvelé produise son effet de surprise et de révélation »[14]. Le mot poétique demande « le loisir qu’on l’aime, qu’on l’aime pour lui-même »[15]. Thiry est un poète qui aime la quête et la composition lentes. L’invention poétique est associée pour lui avec la durée. « Chaque mot », dit-il, « par un nouveau rapport avec d’autres mots ou avec des idées, par la sonorité que lui prête sa place, par une inflexion secrète, doit être invention ; si connu, si rebattu qu’il soit dans la langue quotidienne, il faut qu’il soit changé par son emploi, autrement il ne serait pas poétique »[16].
Thiry retrace l’histoire des tentatives, dans le domaine de la poésie, de traitements nouveaux du mot. Parmi ceux qui, aux yeux de Thiry, étaient les premiers à déplacer les limites du langage poétique, il y a son maître de jeunesse Paul Verlaine, poète qui a profondément marqué son premier recueil Le cœur et les sens (1919). Ce qu’il admire dans son maître, c’est sa politique du mot. Verlaine, grand novateur rythmiquement parlant, l’est aussi dans le domaine du mot grâce à son concept du choix des mots (avec Mallarmé, il dénonce le culte parnassien du mot pour le mot en proclamant « un changement du mot en soi »[17].) Verlaine, un peu à l’instar de son ami Rimbaud, veut un dérèglement, non des sens mais un dérèglement des mots. Ainsi, Rimbaud annonce le symbolisme, Verlaine, le surréalisme.
En effet, Verlaine préconise un certain hasard, il parle de la méprise sur les mots : ébauche d’une subversion. Thiry, lui, ne croit pas trop à une méprise non-voulue : « La recommandation de se tromper exprès ne pourrait être retenue que si l’on altérait la portée du conseil et si l’on voulait y entendre qu’il faut s’en remettre à la bonne aventure pour le choix des mots ».[18] Verlaine précurseur de l’écriture automatique ? Thiry - en rationaliste rigoureux - ne croit pas au hasard : « se fier aux seules inventions du hasard et croire qu’elles sont en nombre infini est une grande illusion ; la série des hasards poétiques est limitée. »[19] Il attribue à la faculté rationelle de l’homme un rôle fondamental :
« même si c’est chez elle signe d’infirmité, l’intelligence veut se reconnaître dans toute oeuvre d’art, et elle croit qu’à partir de ce bord où elle perd pied il ne peut plus y avoir que la beauté de l’accident, laquelle n’est pas capable de progrès, ni même d’une très grande variété. »[20]
Allant de Verlaine, passant par Nerval, Mallarmé, Apollinaire et Cendrars, Thiry arrive jusqu’à Dada et au surréalisme. Il loue, en suivant la pensée d’Aldous Huxley, le mouvement Dada qui a rendu « un grand service à la poésie et à la critique, en poussant à sa conclusion logique, illogique plutôt, la notion de témérité verbale ».[21] Il parle, pourtant, de l’abus qui consiste en une idolâtrie qui « voulut reconnaître le mot comme générateur de poésie par lui-même, en dehors de tout contexte et de tout rapport avec la circonstance humaine ».[22]
Les dernières tendances, les mouvements avant-gardistes, qui ne se contentent plus du mot tel quel et qui ressentent une envie paroxistique de briser les conventions existantes sont, selon Thiry, animés par des poètes qui ont « franchi le Rubicon de l’existence du mot »[23]. Il évoque « Grand Combat », le poème de Michaux, dont il cite ce vers : Il le pratèle et le libucque et lui barufle les ouillais... Ce poème est pour lui « un moment pathétique dans l’histoire de la création poétique, celui où le poète, désespérant de se délivrer par des mots qui ont tant servi, fait ainsi rupture de ban, quitte la société organisée du dictionnaire et prend le maquis dans la forêt vierge de l’expression verbale »[24]. Thiry se montre sceptique : « l’échec aura été d’autant plus grand que le divorce d’avec les mots était plus radical ».[25] Le radicalisme de Michaux n’est pas - Thiry le voit bien - si radical qu’il n’y paraît. Les mots, bien que tronqués de diverses manières, se trouvent cependant sertis dans des structures syntaxiques bien connues et codifiées. De plus, les mots-monstres ne sont pas si monstreux : « ils nous ressemblent, ils ressemblent à nos mots - à faire peur »[26].
Ici, Thiry parle d’une révolution :
« Les vocables à frontières vagues n’en sont pas moins des vocables. La velléité de Michaux de s’affranchir du pouvoir verbal, à la différence des tentatives de Ball ou des lettristes, tourne ainsi en acte d’allégeance. Cette révolution réussit dans la mesure où elle utilise les institutions de l’ancien régime, les mots, au lieu de les flanquer en l’air. C’est grâce à cela qu’elle est arrivée à vivre comme création poétique »[27].
Donc, une révolution discrète, en sa manière...
Le vocabulaire poétique peut être modifié d’une façon moins brutale, plus suave. Thiry préfère un changement discret, lent et non perçu : « une maîtrise (…) à exercer sur la rigidité du vocabulaire au pouvoir une pression qui réussit là où ne paraissent pas avoir remporté beaucoup d’avantages les écoles édictantes et formulantes, ni les émeutes sans lendemain des bouleverseurs totalitaires »[28]. Voici deux exemples de l’oeuvre de Thiry qui nous feront preuve de sa thèse personnelle. Le premier est pris d’un de ses premiers poèmes, apparu en 1924, au titre devenu célèbre « Toi qui pâlis au nom de Vancouver », où il écrit ses vers :
Toi qui pâlis au nom de Vancouver, Tu n’as pourtant fait qu’un banal voyage ; Tu n’as pas vu les grands perroquets verts, Les fleuves indigo ni les sauvages.
Tu t’embarquas à bord de maints steamers Dont par malheur pas un ne fit naufrage Sans grand éclat tu servis sous Stürmer, Pour déserter tu fus toujours trop sage.
Mais qu’il suffise à ton retour chagrin D’avoir été ce soldat pérégrin Sur le trottoir des villes inconnues,
Et, seul, un soir, dans un bar de Broadway, D’avoir aimé les grâces Greenaway D’une Allemande aux mains savamment nues.
Au niveau morpho-syntaxique du poème, on voit, côte à côte, un adverbe très baudelairien « savamment » et une innovation bien osée « grâces Greenaway », innovation à la fois au niveau phonético-prosodique (la rime) et à celui de la morpho-syntaxe : le nom propre a valeur ambiguë, cette adjectivation inouïe a une saveur révolutionnaire. Là où Michaux, inventant des mots nouveaux, suit des chemins bien frayés de la morpho-syntaxe française, Thiry, primo visu classique (il s’agit d’un sonnet en décasyllabes), semble plus osé. Pourtant, la délicatesse thiryenne n’a pas permis au poète d’agir trop directement, de bouleverser le système. Tout est bien inséré, serti dans la tradition formelle poétique qui, cependant, en sort renouvelée, et sauve.
L’autre exemple de travail innovateur de Thiry, c’est le poème qui suit :
Si je ferme les yeux sur toi, tilleul, tu restes. Qu’est-ce qui a cessé de ton balancement Par étages de plusieurs verts et d’ors en nielle ? Qu’est-ce que c’est, cesser ? Tu restes, ton sarment De branches en beau noir circule dans les feuilles Dont chacune devient lampe au contre-soleil. Si j’ai fermé les yeux sur toi, qui a cessé ? Tu demeures dans le long monde de tes brises. Ainsi de celle, ainsi, que le voir a laissée, Ainsi du monde qu’elle habite dans ses brises, L’incessée.
Ce poème, tiré du recueil Saison cinq et quatre proses (1969), nous montre de nouveau le caractère spécifique de l’innovation verbale dans la poésie de Marcel Thiry. Ce poème est un lieu de contention de formes simples et compliquées, aux niveaux syntaxique et lexicologique. Une structure simple du vers 1 alterne avec le vers 3 tout enchevêtré, et qui se termine par un mot atypique « nielle ». Cette expression au caractère un peu précieux est suivie par une expression tout à fait familière du vers 4, terminé, lui, par un autre terme peu commun (sarment). Comme si un balancement était recherché, le poème respire en deux phases, un rhytme s’installe qui se voit intensifier vers la fin du poème où l’on perçoit la substantivation d’un verbe et d’un adjectif. L’environnement verbal permet d’absorber ces innovations sans beaucoup de bruit. Répétons la conviction thiryenne que le mot seul ne fait pas poésie, qu’il ne doit pas perdre son lien au contexte, à la condition de la vie humaine. C’est une intégration tout à fait discrète d’éléments nouveaux dans le langage, une preuve du pouvoir du poète d’influencer la langue par sa création.
Dans son essai, Thiry a proclamé qu’il est nécessaire d’attaquer sans cesse l’édifice faussement stable de la tradition poétique. A propos des archaïsmes novateurs d’un traducteur de Dante, Thiry s’exprime ainsi : « Mais si l’on voulait contenir ces infractions au langage, il faudrait réprimer l’invention, donc l’infraction que constitue l’acte poétique lui-même. »[29]
Où est la limite des infractions ? C’est le sens critique qui nous le dit : « Cette forme de l’intelligence est en principe et à l’origine (une fois le poème en marche, l’intelligence l’aidera puissamment, surtout par la technique, qui dépend d’elle) une force hostile au développement du poème (…) Mais si le vouloir-vivre (de la première possibilité poétique) est le plus fort elle soumet ensuite à la nécessaire épreuve du doute chacune des inventions successives dont le poème est issu. »[30]
Thiry se place à la limite qui sépare la révolution et l’évolution. Il appartient à l’« évolution » par son adhérence à la tradition (Verlaine, Baudelaire), mais aussi par l’amour de l’innovation (Apollinaire). Par celui-ci, il côtoie la « révolution ». Mais cependant il a toujours su garder ses distances vis-à-vis de l’innovation trop brutale, définitive. A la fureur révolutionnaire spontanée, il préfère la lenteur d’une évolution apprêtée, étudiée :
« La témérité verbale est une condition vitale de la poésie (…) Mais la vertu de témérité n’exige pas la culbute. » [31]
Parties annexes
Notes
-
[1]
La littérature belge. Précis d’histoire sociale. Edition Nord, p. 180
-
[2]
Histoire de la littérature belge, Fayard. p. 290 (HBL)
-
[3]
La littérature belge. Précis de l’histoire sociale. Espace Nord, p. 162
-
[4]
HLB, p. 320
-
[5]
Ibid.
-
[6]
Ibid.
-
[7]
Ibid.
-
[8]
HLB, p. 322
-
[9]
HLB, p. 317
-
[10]
HLB, p. 318
-
[11]
HLB, p. 318
-
[12]
Le Poème et la langue, Seghers, Paris, 1975, p. 451 ; OPC, p. 443
-
[13]
OPC, p. 441
-
[14]
OPC, p. 441
-
[15]
OPC, p. 442
-
[16]
OPC, p. 444
-
[17]
OPC, p. 450
-
[18]
Ibid., p. 456
-
[19]
Ibid., p. 458
-
[20]
Ibid., p. 458
-
[21]
Ibid., p. 454
-
[22]
Ibid., p. 454
-
[23]
Ibid., p. 459
-
[24]
Ibid., p. 459
-
[25]
Ibid., p. 459
-
[26]
Ibid., p. 460
-
[27]
Ibid., p. 460
-
[28]
Ibid., p. 461
-
[29]
Le Poème et la langue, Seghers, Paris. p. 462
-
[30]
Ibid., p. 462
-
[31]
Ibid., p. 463
Bibliographie
- BERTRAND, Jean-Pierre. Histoire de la littérature belge. Fayard, Bruxelles, 2003.
- DENIS, Bénoît, KLINKENBERG, Jean-Marie. La littérature belge. Précis de l’histoire sociale. Espace Nord, Bruxelles, 2005.
- THIRY, Marcel. Oevres poétiques complètes. Académie royale de langue et littérature françaises de Belgique, Bruxelles, 1997
- THIRY, Marcel. Le Poème et la langue. In : Toi qui pâlis au nom de Vancouver. Ed. Seghers, Paris, 1975.