Résumés
Résumé
Cet article propose un retour réflexif sur la production d’une bande dessinée sociologique consacrée à l’enfermement des jeunes délinquants à Montréal (Se battre contre les murs. Un sociologue en centre jeunesse). Il pointe, pour cela, un constat simple : plus qu’un travail d’illustration, la traduction dessinée de la recherche exige un travail de scénarisation qui peut être assumé par les personnes qui illustrent, mais aussi par d’autres personnes (éditeurs ou éditrices, responsables de collection, etc.). À un premier niveau de lecture, l’article met alors en évidence les rouages concrets de la sociologie dessinée et de la division du travail qu’elle implique, au-delà du seul duo formé par le chercheur et l’illustratrice. Il décrypte, ce faisant, les choix d’écriture — toujours discutables — qu’a exigés ce travail de scénarisation : quel livre cherchions-nous à produire, et avec quelles intentions (analytiques, sinon éthiques et politiques) l’avons-nous fait ? L’article pose dès lors, à un second niveau de lecture, des questions plus générales sur le métier de sociologue, en explicitant les choix, les intentions et, in fine, le rapport à la critique qu’implique toute écriture de la sociologie, de la plus académique à la plus vulgarisée.
Mots-clés :
- recherche fondée sur la bande dessinée,
- écriture sociologique,
- criminologie visuelle,
- prison,
- centres jeunesse
Abstract
This article offers a reflexive review on the production of a sociological comic book examining the detention of juvenile offenders in Montréal (Se battre contre les murs. Un sociologue en centre jeunesse). It starts from a simple premise : the translation of research into the visual language of drawing goes beyond mere illustration into storyboarding, which could be taken on by the illustrators or complemented by other people (editors, those responsible for data collection, etc.). The first level of the article describes the concrete details of illustrated sociology and the division of labour involved in this act, beyond the duo formed by the researcher and the illustrator. In so doing, it deciphers the—always subjective—writing choices that this storyboarding work requires : what book are we trying to create and with what intentions (analytic ? ethical ? political ?) have we created it ? At a second level, the article poses broader questions about the work of sociology, by explaining the choices, intentions and, ultimately, the relationship to the critical that any sociology writing involves, from the most academic to the most simplified.
Keywords:
- Comics-based research,
- sociological writing,
- visual criminology,
- prison,
- youth centres
Resumen
El presente artículo aborda de manera reflexiva la producción de una tira cómica sociológica sobre la reclusión de jóvenes delincuentes en Montreal, Se battre contre les murs. Un sociologue en centre jeunesse (Darse contra la pared. Un sociólogo en un centro de detención de menores). Para ello, utiliza una simple conclusión : más que un trabajo de ilustración, la transformación de una investigación en tira cómica exige un proceso de creación de guion del que pueden encargarse quienes realizan las ilustraciones, pero también otras personas (equipo editorial,, responsables de colecciones, etc.). En un nivel de lectura superficial, el artículo pone de relieve los engranajes concretos de la sociología gráfica y la división de tareas que esto implica, más allá del binomio investigador-ilustradora. Así, descifra las opciones de escritura —siempre discutibles— que requirió el trabajo de creación del guion : ¿qué libro buscábamos producir y cuáles eran sus intenciones (analíticas, cuando no éticas y políticas) ? En un nivel de lectura más profundo, el artículo plantea cuestiones más generales sobre la profesión de sociólogo o socióloga, explicando las decisiones, las intenciones y, al final, la relación con la crítica que implica todo escrito sociológico, desde el más académico hasta el más vulgarizado.
Palabras clave:
- investigación basada en el cómic,
- escritura sociológica,
- criminología visual,
- prisiones,
- centros de detención de menores
Corps de l’article
Il y a, schématiquement, deux principales manières d’envisager la place du matériau visuel en sciences sociales. Dans la première, les chercheurs ou chercheuses prennent appui sur des images préexistantes pour réfléchir à la façon dont les enjeux de représentation et de visualisation contribuent à structurer le monde social. Dans la seconde, ils ou elles produisent leurs propres images pour rendre les sciences sociales « plus visuelles » (Henny, 1986 ; Pauwels, 2010, 2017). De ces deux voies, la première est sans doute dominante dans l’étude du système pénal et dans la structuration du champ émergent de la « criminologie visuelle » (Brown et Carrabine, 2017). Dans un contexte marqué par la prolifération d’images du crime et du système pénal, Michelle Brown (2014) s’intéresse par exemple aux « luttes visuelles » qui, dans le contexte étasunien, émergent de la production et de la diffusion, par divers acteurs et actrices (actuel·le·s ou ex-prisonniers ou prisonnières, artistes, activistes ou universitaires), de « contre-images » destinées à dénoncer l’incarcération de masse et les souffrances qu’elle occasionne. Le travail de Michelle Brown ouvre dès lors une réflexion sur la place que peut occuper la recherche dans cet espace de lutte, et sur l’éthique associée à la diffusion des images. Dans le même ordre d’idées, Eamonn Carrabine s’appuie sur les enjeux éthiques qui ont marqué la tradition de la photographie documentaire dans son rapport aux sujets photographiés, pour inviter la criminologie, aux prises avec « le pouvoir ascendant du spectacle » (Carrabine, 2012, p. 463), à une réflexion sur les liens entre esthétique, éthique et justice.
Ces enjeux éthiques (et politiques) sont cruciaux quand les chercheurs et chercheuses en sciences sociales, espérant pouvoir diffuser leurs travaux à un public plus large que le lectorat habituel de leurs productions académiques classiques (livres ou articles scientifiques), s’emploient à ce que Luc Pauwels nomme « l’essai visuel », soit « une combinaison d’images et de textes construite en un tout suivant une certaine logique (ou “théorie”) » (Pauwels, 1993, p. 199) : comment donner à voir, au sens littéral du verbe, selon quel point de vue et avec quelles finalités, des espaces, des interactions et des individus qui, jusqu’alors objets d’une enquête, deviendront les sujets d’un récit ? Ces enjeux éthiques se superposent à des considérations épistémologiques. Les sciences sociales, appréhendées comme sciences historiques, sont en effet fondées sur l’articulation parfois indémêlable, dans l’acte d’écriture lui-même, entre, d’un côté, des singularités observables, pouvant être l’objet de narrations descriptives, et de l’autre, l’inscription de ces singularités dans la structure d’un raisonnement qui vise, à des fins analytiques, à en extraire des « régularités », des « tendances » ou des « types » (Passeron, 1991, p. 79). En tirant l’écriture vers la description (visuellement (re)traduite) des singularités, l’essai visuel pose la question de ce qui fait la spécificité d’une description sociologique. Dans un texte consacré aux frontières de la sociologie visuelle, Howard S. Becker (1995) se demande ainsi comment distinguer l’usage sociologique d’une photographie de son usage journalistique ou documentaire. Pour répondre à cette question, Becker rejette toute tentative de définition abstraite. La distinction relève avant tout, selon lui, du contexte d’usage de l’image et des significations plus ou moins explicites qui lui sont associées (« It’s (almost) all a matter of context »). Tout dépend, autrement dit, de ce que celui ou celle qui utilise l’image cherche à lui faire dire : le sociologue peut, par exemple, l’associer à un texte explicatif, une légende ou une annexe, ou l’inscrire dans une série d’autres photographies pour induire une certaine lecture, donc une certaine interprétation (sociologiquement orientée) de l’ensemble ainsi constitué.
L’un de nous deux, Nicolas Sallée, s’est lui-même essayé à un usage sociologique de la photographie pour approfondir les résultats d’une enquête amorcée quelques années plus tôt sur le fonctionnement des unités dites de « garde fermée » pour jeunes garçons délinquants du centre de réadaptation montréalais de Cité-des-Prairies. L’article qui en a découlé, publié avec Anaïs Tschanz dans la revue en ligne Métropolitiques, s’appuie sur sept photographies de lieux et d’objets qui, en plus de deux vues aériennes du centre issues de Google Maps, donnent à voir la manière dont l’architecture, la spatialité et le design de l’établissement révèlent « les tensions historiques entre vocation réhabilitative et vocation sécuritaire, et plus subtilement [...] les transformations des conceptions mêmes de la réhabilitation » (Sallée et Tschanz, 2018). De cet article, découvert par Judith Oliver, a germé l’idée de traduire sous la forme d’une bande dessinée une partie des recherches de Nicolas Sallée consacrées aux mutations du traitement pénal de la jeunesse à Montréal. Journaliste et éditrice, amatrice de bandes dessinées et de sciences sociales, titulaire d’un master de science politique, Judith Oliver était alors responsable de la collection d’enquêtes dessinées « Journalisme », co-portée par un éditeur de journalisme intellectuel, Atelier 10, et par un éditeur de bandes dessinées et de livres jeunesse, La Pastèque. La bande dessinée qui a découlé de notre collaboration, scénarisée par Judith Oliver et illustrée par Alexandra Dion-Fortin, est parue en novembre 2021 sous le titre Se battre contre les murs. Un sociologue en centre jeunesse (Sallée et Dion-Fortin, 2021).
Le présent article est conçu comme un retour réflexif sur cette traduction dessinée de la recherche. Après avoir décrit les contours de l’enquête mise en dessin (1), nous plongerons au coeur du travail de scénarisation de la bande dessinée, et décrirons les choix éditoriaux qui l’ont jalonné (2). Nous déplierons ensuite la stratégie analytique sous-jacente aux choix que nous avons réalisés, consistant à donner à voir, en relation quasi-directe avec l’objet, les dimensions architecturales, relationnelles et émotionnelles du lieu étudié. L’objectif était d’en dévoiler subrepticement la carcéralité. Plutôt que de dicter les termes d’une réflexion critique de l’institution, nous souhaitions la suggérer, ou la susciter, afin que notre lectorat questionne par lui-même les ambivalences, sinon la violence de l’enfermement des jeunes (3). L’article se donne dès lors deux principaux objectifs. À un premier niveau de lecture, celui d’entrer dans les rouages concrets de la sociologie dessinée et de la division du travail qu’elle implique, par-delà le duo formé par le chercheur et l’illustratrice. À un second niveau de lecture, celui de poser des questions plus générales sur l’écriture de la sociologie, les choix théoriques auxquels elle s’adosse et les intentions analytiques, sinon éthiques et politiques qu’implique toute forme de diffusion du savoir sociologique.
Rédigé par Nicolas Sallée, l’article est imprégné, jusqu’à ses dernières relectures, des multiples échanges que ce dernier a noués, depuis le début de ce projet de bande dessinée, avec Judith Oliver. Bien que co-signé, de nombreux passages, concernant l’enquête préalable à cette bande dessinée, sont écrits à la première personne : le texte navigue donc entre le « je » du chercheur et de ses préoccupations propres avant, pendant et après l’enquête, et le « nous » de la traduction dessinée de son travail.
1. une enquête mise en dessin
La bande dessinée a été initialement construite sur la base d’un manuscrit de plus de 300 pages, à l’époque non publié, qui propose une sociologie du traitement pénal de la jeunesse à Montréal[1]. Ce manuscrit repose sur deux enquêtes complémentaires menées auprès des agent·e·s du Centre jeunesse de Montréal chargé·e·s d’exécuter les peines auxquelles sont condamnés les jeunes garçons sur le territoire métropolitain. La première enquête (entre les murs, 2014-2017) porte sur les modalités d’enfermement des jeunes placés sous détention provisoire ou condamnés à une peine d’incarcération dite, au Canada, « de placement et de surveillance ». Elle propose pour cela une plongée dans l’une des unités de garde fermée du centre de réadaptation montréalais de Cité-des-Prairies. La seconde enquête (hors des murs, 2016-2018) porte sur les modalités de suivi des jeunes condamnés à une peine exécutée en tout ou en partie dans la collectivité (probation, sursis, etc.). Cette enquête offre, un regard sur le travail des agent·e·s qui officient dans les quatre bureaux de suivi (est, ouest, nord, sud) répartis sur l’île de Montréal. Ces deux enquêtes visaient, sur un plan analytique, à saisir le travail de suivi des jeunes contrevenants comme une activité en tension entre deux missions : d’une part, une mission d’accompagnement des jeunes sur le chemin de leur réinsertion et de leur sortie de la délinquance ; d’autre part, une mission de contrôle des risques qu’ils présentent pour la sécurité publique. L’analyse des données qui en ont découlé témoigne de la prééminence croissante de la seconde mission (de contrôle), sous le poids d’une logique de gestion des risques qui met à l’épreuve la philosophie de réhabilitation historiquement constitutive des systèmes de justice des mineurs (pour une synthèse, voir Sallée, 2023).
À la suite des premiers échanges avec Judith Oliver, nous avons d’abord convenu de centrer la bande dessinée sur l’enquête menée entre les murs. Ce choix avait non seulement l’avantage de définir une unité de lieu, délimitant l’espace des interactions observables, mais il rejoignait en outre nos préoccupations respectives. D’une part, celles du chercheur, pour qui Cité-des-Prairies cristallisait, comme son usage sociologique de la photographie l’avait prouvé (Sallée et Tschanz, 2018), une partie des tensions qui parcourent l’ensemble de sa recherche. D’autre part, celles de l’éditrice, dont l’objectif consistait à susciter, parmi les adultes engagés de classes moyennes et supérieures qui forment le public cible de sa collection de bandes dessinées, une réflexion critique sur le monde qui les entoure : pour Judith Oliver, Cité-des-Prairies présentait l’avantage d’être un lieu à la fois relativement familier de ce public, objet de représentations souvent sensationnalistes sur le traitement réservé « [aux] cas de DPJ les plus complexes et [aux] mineurs ayant commis les crimes les plus graves du Grand Montréal[2] », et pourtant étranger de lui, socialement très distant, mal connu et surtout peu interrogé et problématisé. L’enquête menée hors des murs, et l’expérience spécifique de la contrainte que vivent les jeunes quand ils sont suivis dans la collectivité, ne sont cependant pas totalement absentes de la bande dessinée. Au Canada, les jeunes condamnés à une peine privative de liberté en exécutent de fait le dernier tiers sous surveillance probatoire intensive, tenus à un ensemble de conditions (couvre-feux, rendez-vous de suivi, obligation de formation ou d’emploi, etc.) dont l’éventuel non-respect est susceptible de conduire à leur retour entre les murs. Le onzième (et avant-dernier) chapitre de la bande dessinée, intitulé « Enfermés dehors », est ainsi consacré aux ambivalences de cette sortie sous surveillance.
Une bande dessinée se construit, dans la vaste majorité des cas, sur fond de trame narrative, ou d’un récit, ce qui explique d’ailleurs pourquoi, dans le champ scientifique, l’usage de ce médium « se soit développé le plus rapidement dans les domaines où la construction des récits [narratives] est déjà une pratique courante, comme l’histoire et l’anthropologie » (Kuttner et al., 2021, p. 203). Quand les données recueillies ne sont pas directement narratives, l’un des objectifs, sur un plan éditorial, consiste à les inscrire a posteriori dans la structure d’un récit, et la trame d’un scénario. La question s’est ainsi posée, dès l’un de nos premiers rendez-vous, en présence ce jour-là du cofondateur de La Pastèque, Frédéric Gauthier, de savoir qui serait le « sujet » de la bande dessinée. J’expliquais alors que l’objet principal de mon enquête n’était ni un jeune, ni un éducateur ou une éducatrice, mais l’institution elle-même[3]. Puisqu’il était exclu, pour Judith Oliver, de recourir à la fiction dans le cadre d’une collection principalement dédiée à l’enquête et au journalisme dessinés, et puisque nous étions a priori réticents à faire de ma propre personne (ou de mon enquête en train de se faire) le coeur du récit, le choix retenu a été de faire de Cité-des-Prairies, et de l’unité observée, le sujet principal de l’histoire. La proposition de Frédéric Gauthier, quelques mois plus tard, de confier l’illustration à Alexandra Dion-Fortin, n’était pas étrangère à ce postulat scénaristique. Fascinée par le patrimoine bâti et elle-même titulaire d’un diplôme en architecture, elle disposait du profil idéal pour faire du bâtiment « un personnage à part entière », comme le soulignait un article publié par le site d’information de l’Université de Montréal, UdeMNouvelles, quelques jours avant la parution de la bande dessinée (St-Cyr-Leroux, 2021). Cette stratégie narrative exigeait d’Alexandra Dion-Fortin, pourtant domiciliée aux Îles-de-la-Madeleine (à plus de 1000 kilomètres de Montréal), d’avoir une bonne connaissance de Cité-des-Prairies et des spécificités de ses différents espaces. Mise au courant du projet, la direction du Centre jeunesse de Montréal a ainsi autorisé l’illustratrice à visiter l’établissement à deux reprises, Judith Oliver négociant en outre la possibilité de prendre une diversité de photographies sur lesquelles elle pourrait s’appuyer pour dessiner — au total, plus de 300 photographies ont été déposées sur un fichier commun partagé entre nous trois.
La bande dessinée porte donc sur le fonctionnement de l’une des sept unités de garde de l’établissement montréalais de Cité-des-Prairies. Deux de ces unités sont dites de « garde ouverte » et les cinq autres de « garde fermée ». La différence, subtile, tient principalement au fait que, dans les premières, les portes des chambres restent ouvertes de l’intérieur. Mais dans les deux cas, un jeune qui quitte son lieu de garde sans autorisation formelle est passible d’une poursuite criminelle pour « évasion » : on est donc bien dans un régime juridique d’incarcération. Dans la continuité d’une histoire québécoise marquée par l’indifférenciation relative entre jeunes délinquants et jeunes à protéger (voir encadré 1), ces unités de garde côtoient, dans le même établissement, des unités dites « de protection », réservées à des jeunes qui n’ont pas été condamnés, mais qui sont placés au titre de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ). Dans certaines régions administratives du Québec, le très faible nombre de jeunes condamnés conduit même les centres jeunesse locaux, portés par un souci d’optimiser leurs ressources, à placer les jeunes contrevenants au sein même des unités de protection les plus sécurisées — dites « d’encadrement intensif ». Ce mélange des publics, qui peut aujourd’hui paraître curieux, témoigne de la justification paternaliste qui a historiquement entouré l’enfermement pénal des jeunes, au Canada et au Québec comme ailleurs dans le monde occidental : si ces derniers sont privés de liberté, ce serait avant tout pour leur bien, pour les protéger et, surtout, les réhabiliter.
L’histoire du placement des jeunes délinquants a été marquée par l’utopie de créer des lieux d’enfermement alternatifs à la prison et à sa violence propre. Cité-des-Prairies, créé en 1963 sous le nom de centre Berthelet, témoigne des limites de cette utopie. En effet, conçu comme un lieu d’accueil pour les jeunes qui, jugés les plus difficiles de la province, étaient encore fréquemment envoyés dans des prisons pour adultes (Poznansca-Parizeau, 1976), il a été bâti avec les plans d’architecture d’une prison à sécurité maximale. Le perfectionnement continu, dès les années 1970 et 1980, d’une structure clinique centrée sur la réhabilitation, n’a jamais pu faire oublier cette architecture originelle. Comme l’illustre la double page qui suit, la bande dessinée permet d’inscrire cette architecture dans son environnement géographique plus large. L’implantation du bâtiment, situé dans l’un des arrondissements les moins denses et les plus difficiles d’accès de l’île de Montréal, à proximité d’une centrale électrique et d’une station d’épuration, mais également d’une prison pour adultes et d’un hôpital psychiatrique de haute sécurité, constitue un puissant révélateur de la manière dont une fraction de la jeunesse déviante est mise au ban de la société :
Image 1
L’enquête qui est l’objet principal de la bande dessinée s’est déroulée entre 2014 et 2017[4]. Elle a articulé deux perspectives. La première, d’ordre historique, m’a d’abord conduit à explorer l’histoire de Cité-des-Prairies dans son ensemble, pour replacer ses mutations les plus récentes dans une dynamique de longue durée, débutée dès ses premiers projets d’architecture dessinés en 1957. Cette exploration a reposé sur l’examen d’une diversité d’archives conservées dans le fonds « Cité-Berthelet (1963-1996) » du service de la gestion documentaire du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal : j’ai dépouillé plus de 40 documents de taille variée, concernant l’architecture de l’établissement, sa structure clinique, ses comités de sécurité et ses communications internes. J’y ai adjoint la réalisation de six entretiens semi-dirigés avec des intervenant·e·s retraité·e·s de l’établissement, que j’avais directement sollicité·e·s, en 2013, en profitant des célébrations organisées par le Centre jeunesse de Montréal à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’établissement. La double page ci-dessous témoigne de l’intérêt du dessin pour donner à voir des archives, y compris des photos d’archives :
Image 2
La seconde perspective, d’ordre ethnographique, m’a conduit à observer, durant trois mois, le fonctionnement quotidien de l’une des unités de garde fermée de l’établissement. Pour une capacité maximale de 12 jeunes placés, cette unité compte, au moment où je m’y trouve, une cheffe de service, une spécialiste en activités cliniques, huit éducatrices et quatre éducateurs. Chaque jeune placé, soumis à un emploi du temps chargé et minuté, ponctué d’activités diverses (école, ateliers d’habiletés sociales[5], sport, mécanique, etc.), se voit en outre attribuer un éducateur ou une éducatrice « de suivi », chargé·e de son accompagnement individualisé jusqu’à sa sortie de l’unité. Les éducateurs et éducatrices, qui gèrent seul·e·s les unités, peuvent à tout moment recourir au renfort potentiel des agents de sécurité de l’établissement, communément nommés « agents d’intervention ». Ces derniers — tous des hommes — sont logés dans une unité distincte, nommée « La Relance ». Grâce aux deux caméras de vidéosurveillance installées, depuis 2013, dans l’enceinte même des unités de garde fermée, ils peuvent garder, à distance, un oeil attentif à ce qui s’y déroule. Les agents d’intervention sont également tenus d’effectuer des rondes régulières pour prendre le pouls de l’ambiance des unités. Ils peuvent également être appelés par les éducateurs et éducatrices en cas d’incident, en particulier quand une crise ou un manquement jugé suffisamment important au règlement les conduit à vouloir « retirer » un jeune de l’unité et le placer temporairement dans une chambre dédiée — dite « chambre de retrait » — de l’unité de sécurité.
J’ai ainsi réalisé 20 journées d’observation durant trois mois complets, au cours desquelles j’ai arpenté l’unité, du matin au soir, carnet de notes en main ou dans la poche. Ayant le statut d’« invité » par l’institution à en observer le fonctionnement, je pouvais difficilement intégrer informellement le groupe des jeunes. J’ai donc passé le plus clair de mon temps « du côté » du personnel, partageant avec ses membres les nombreux moments qu’ils passent dans leurs bureaux, tout en saisissant chaque occasion d’observer leurs interactions avec les jeunes, des repas aux multiples activités qui structurent l’emploi du temps de l’unité. J’ai aussi consacré plusieurs moments de mes journées d’observation à l’unité de sécurité de l’établissement (« la Relance »), échangeant de façon informelle avec plusieurs agents d’intervention. Sur la double page ci-dessous, on peut lire l’un de ces échanges informels. Le dessin permet de visualiser le cadre de travail de l’agent, ainsi que les espaces (hall d’accueil) et les objets techniques (cartes magnétiques, caméras et écrans de vidéosurveillance) dont il est alors question :
Image 3
Avec l’aide de deux collègues, Anaïs Tschanz et William Wannyn, j’ai aussi eu l’occasion d’observer 8 réunions hebdomadaires au cours desquelles, chaque mardi, les membres du personnel de l’unité échangent sur les jeunes et sur diverses questions relatives à l’organisation de l’unité ou à leur pratique professionnelle. Le dessin montre alors ces échanges dans leur corporéité et leur matérialité (la table, les chaises et les dossiers). Il permet aussi de visualiser, sur une même page, la scène et ses coulisses, comme dans l’extrait ci-dessous, quand « quelques minutes [après la réunion] », une éducatrice témoigne à son collègue des difficultés qu’elle ressent à « gérer les émotions d’un jeune » :
Image 4
J’ai doublé ces observations et échanges informels d’entretiens semi-directifs plus formels réalisés avec plusieurs membres du personnel : la cheffe de service et la spécialiste en activités cliniques, trois éducateurs et trois éducatrices, ainsi que les trois responsables de l’unité de sécurité et deux membres plus satellitaires de l’établissement (l’une des responsables de la direction des services professionnels, chargée de superviser le dispositif clinique des unités, et l’une des actrices clefs d’un programme de soutien des équipes pour les jeunes atteints de problèmes de santé mentale). Si les jeunes étaient globalement sympathiques à mon égard, ils semblaient pour la plupart indifférents à ma présence, me redemandant seulement ponctuellement qui j’étais et pourquoi j’étais là, quand ils ne me prenaient pas, au moins durant mes premières journées d’observation, pour l’un de ces éducateurs à temps partiel appelés à venir travailler occasionnellement ou « à la journée ». À mesure que les semaines passaient, certains jeunes, qui m’avaient alors identifié comme « le chercheur » ou « l’écrivain », venaient directement à ma rencontre pour me tenir au courant de l’ambiance de l’unité, l’un d’entre eux me demandant même, un jour, si « ce qu’ils vivent » serait bien retranscrit dans ce qu’il présentait comme « [mon] livre ». Seul un jeune, et à une unique occasion, a manifesté vis-à-vis de moi une hostilité explicite, me soupçonnant « d’enregistrer » ses propos à la manière d’un « flic envoyé par le centre jeunesse ». Je lui ai alors réexpliqué les raisons de ma présence et le rôle de mon carnet de notes, en lui rappelant qu’il pouvait, s’il le souhaitait, exiger que ses propos n’apparaissent pas dans les comptes rendus et analyses de la recherche[6]. Sourire aux lèvres, il m’a alors répondu qu’il « rigolait » et qu’il n’en avait « rien à crisser » de ce que je faisais. Ces réactions, en soi instructives, témoignent en elles-mêmes du poids que peut représenter, pour les jeunes, le sentiment d’être constamment et quotidiennement surveillés. Dans une telle situation de contrainte, il était dès lors hautement improbable qu’un jeune fasse valoir, auprès de moi comme du personnel de l’unité, son droit à ne pas être observé.
Avec le précieux soutien de trois collègues, Jade Bourdages, Marie Dumollard et Marine Maurin, j’ai eu plus récemment l’occasion de prolonger ces analyses en menant 18 entretiens avec des jeunes garçons condamnés à des peines de placement et de surveillance. Plusieurs passages de la bande dessinée s’appuient sur ces entretiens, donnant à voir la diversité des espaces de l’unité et les formes d’appropriation dont ils sont l’objet, à l’image de la chambre décrite ci-dessous par l’un des jeunes interviewés :
Image 5
Les propos du jeune, mettant en tension les mots utilisés pour décrire son lieu habité (sa « chambre », dont il souhaite qu’elle « [ne] ressemble [pas] à une cellule »), cristallisent les ambivalences qui ont marqué l’histoire de Cité-des-Prairies. Les euphémismes qui fleurissent le quotidien des unités — où plutôt que de « cellules », de « punition » ou d’« isolement disciplinaire », il est question de « chambre », de « conséquences » et de « mesures de retrait » — ne camouflent en effet que très imparfaitement la réalité : si la garde fermée n’est pas tout à fait la prison, elle n’en est jamais très loin non plus. Comme le soulignait Amar, 16 ans, lors d’une journée d’observation, ici « c’est un peu la prison, mais c’est pas comme la vraie ». Ce sont ces mots qui concluent la bande dessinée.
2. une bande dessinée en train de se faire
En 1978, l’illustrateur et scénariste Will Eisner publie A Contract with God, l’une des premières bandes dessinées présentées comme un « roman graphique » (graphic novel). Cette « étiquette » (Méon, 2017[7]) s’est, depuis, largement popularisée, auteurs et autrices, comme éditeurs et éditrices découvrant « les nombreuses possibilités qu’offrent les bandes dessinées à celles et ceux qui explorent nos mondes naturels, sociaux et culturels » (Kuttner et al., 2017, p. 396). C’est dans ce contexte éditorial, contribuant à renouveler les usages pédagogiques de la bande dessinée, déjà plébiscités depuis plusieurs décennies (voir notamment Gruenberg, 1944), que l’on peut replacer l’usage croissant de la bande dessinée en recherche, et cela dans des disciplines variées (sociologie, mais aussi histoire, anthropologie, philosophie, santé et médecine, etc.). Paul J. Kuttner, professeur en sociologie, Marcus B. Weaver-Hightower, professeur en sciences de l’éducation, et Nick Sousanis, bédéiste et auteur d’une inédite thèse de doctorat, en sciences de l’éducation, entièrement rédigée en bande dessinée, proposent un regard général sur ce « champ de pratique émergent » (emergent field of practice) qu’ils nomment la « recherche fondée sur la bande dessinée » (comics-based research). Ils définissent ce champ comme « un vaste ensemble de pratiques qui utilisent la forme de la bande dessinée pour recueillir, analyser et/ou diffuser des recherches scientifiques » (Kuttner et al., 2017, p. 397). En adoptant cette large définition, les auteurs refusent de réduire ce champ de pratique à une « méthodologie » ou une « méthode » (Kuttner et al., 2021, p. 196-197). Ils entendent, au contraire, inclure dans leur définition une diversité de pratiques susceptibles d’attirer des chercheurs issus d’horizons disciplinaires variés et inscrits dans des traditions épistémologiques plurielles. Peut alors se réclamer de la démarche tout chercheur ou chercheuse qui, à un stade ou à un autre de son processus de recherche, utilise cet « agencement de photos ou d’images et de mots destiné à raconter une histoire ou à mettre en scène une idée », pour reprendre la définition générale que Will Eisner (1985, p. 5) donne de la bande dessinée.
Plus que la seule mise en images, la traduction dessinée de la recherche exige dès lors une mise en récit et, comme le souligne la définition de Will Eisner, une mise en scène. Cette mise en scène, constitutive du travail de scénarisation, implique de se poser explicitement, tout au long du processus, la question de l’histoire que l’on souhaite raconter, et de l’intention avec laquelle on le fait : vise-t-on à passer un message, à convaincre d’une analyse, à valoriser la démarche scientifique, à faire connaître une méthodologie, et/ou encore — cette liste n’est bien sûr pas exhaustive — à aiguiser l’esprit critique du lectorat en le mettant en mouvement ? Ce travail de scénarisation joue un rôle central, imposant au chercheur un ensemble de choix qui, pour partie contraints par les exigences, attentes et objectifs de la (ou, dans notre cas, des) maison(s) d’édition impliquée(s), s’amendent avec le temps, par essais et erreurs, des premières moutures du scénario jusqu’aux différentes étapes de la mise en dessin. Dans la forme finale du livre, l’importance de ce travail de scénarisation est pourtant minorée, la couverture ne mentionnant que l’auteur de la recherche (Nicolas Sallée) et l’illustratrice (Alexandra Dion-Fortin)[8]. Le nom de Judith Oliver n’est mentionné que dans la page des crédits, à la rubrique « Direction éditoriale et scénarisation ». Si cette invisibilisation relative apparaît à Judith Oliver comme inhérente à sa fonction d’éditrice, elle ne peut qu’interroger le sociologue sur la distribution des profits symboliques de cette entreprise collective au sein de laquelle la personne la moins visible a pourtant joué un rôle central, consistant à traduire, comme un trait d’union entre le chercheur et l’illustratrice, des données de recherche en un scénario dessinable.
Reste à savoir comment, plus concrètement, nous avons construit le scénario. Après avoir choisi le lieu (Cité-des-Prairies) et l’enquête (entre les murs) qui seraient l’objet de la bande dessinée, Judith Oliver m’a demandé d’identifier une dizaine de thématiques clefs et de déposer, sur un fichier partagé, des scènes d’observation, des extraits d’entretiens et des documents d’archives qui illustraient mon analyse sociologique du fonctionnement de l’unité et des tensions constitutives de l’enfermement des jeunes. Judith Oliver a alors sur cette base, et en échange constant avec moi, construit un scénario à partir duquel Alexandra Dion-Fortin allait pouvoir commencer à travailler. L’extrait ci-dessous du scénario, relatif au premier chapitre de la bande dessinée (« Faut les réhabiliter »), témoigne des nombreuses indications (de temps, de lieux et de décor, d’ambiance, etc.) qui jalonnent la trame narrative écrite par Judith Oliver :
La production d’un premier story-board par Alexandra Dion-Fortin, sous la forme d’un crayonné détaillé, a été l’occasion de nombreux échanges à trois, qui nous ont conduits à modifier continuellement les scènes et, plus marginalement, la trame narrative initialement construite, comme le suggèrent les différences entre les deux doubles pages ci-dessous (la première est issue du story-board, la seconde du livre final) :
Image 6
Image 7
La première différence concerne le décor qui entoure les paroles de l’éducatrice représentée, Mariame, issues d’un entretien semi-directif que j’ai mené avec elle. Tandis que le story-board proposait, sur la page de gauche, un plan (quasi)fixe sur la cour de l’unité, la version finale offre au lecteur de suivre Mariame sur le chemin de l’unité, croisant des collègues et des groupes de jeunes dans les couloirs de l’établissement. Une seconde différence concerne la place du chercheur, de son propre corps et de la situation d’enquête : tandis qu’on me voit dans le story-board, face à Mariame, en train de mener l’entretien avec elle, je disparais de la version finale. Au fil de ce travail de scénarisation, Se battre contre les murs a trouvé sa place parmi la diversité des formes que peut prendre la sociologie dessinée.
En sociologie, au moins deux postures idéal-typiques se distinguent, eu égard aux manières de traduire une enquête sous forme dessinée. La première est celle d’une stricte « ethnographie dessinée » (Nocerino, 2016, p. 170), consistant à inscrire le dessin au coeur de la démarche de recherche elle-même. Pierre Nocerino, docteur en sociologie et principal auteur d’un blogue consacré à la sociologie dessinée[9], défend ainsi l’intérêt du dessin, pour les chercheurs ou chercheuses qui s’autorisent à dessiner, pour produire des « planches de retranscription d’observation » (Nocerino, 2016, p. 170). Plutôt que de ne servir qu’à la diffusion du savoir sociologique, ces planches sont donc censées participer directement de l’enchevêtrement, caractéristique des approches par « théorisation ancrée » (Paillé, 1994 ; voir aussi Glaser et Strauss, 1967), du travail de recueil des données et du travail d’analyse. Ces planches de retranscription peuvent par exemple jouer, en cours de recherche, le rôle d’instruments de réflexivité. Leur production oblige le chercheur ou la chercheuse à réfléchir à la place de son propre corps dans les scènes observées, et à prendre conscience des éléments matériels (certaines couleurs, par exemple) qui, au moment de l’observation, n’avaient pas forcément retenu son attention. Une fois produites, ces planches mettent en outre en évidence, plus facilement que le texte, « la dimension construite de la retranscription », en rendant visibles « le travail de cadrage de l’image (avec un champ et un hors-champ) ainsi que le travail de découpage nécessaire à la mise en scène de l’action » (Nocerino, 2016, p. 172). Disons-le d’emblée : notre bande dessinée n’a jamais été conçue dans une telle perspective. Le dessin, tout d’abord, n’a été utilisé que dans le stade ultime de la recherche, pour diffuser les résultats et non pas comme instrument des premières retranscriptions et analyses. Nous avons aussi fait le choix, difficilement justifiable sur un strict plan ethnographique, de ne pas faire apparaître le corps de l’enquêteur. Comme le souligne la sociologue Camille Lancevelée dans un compte rendu de la bande dessinée, ce choix risque de « cultiver l’image contestable d’une sociologie neutre et omnisciente », alors que la présence de l’observateur aurait pu permettre de « présenter certains enjeux éthiques et scientifiques de la recherche » (Lancelevée, 2022).
Nous n’avons pas pour autant gommé les moments où des acteurs ou actrices du terrain s’adressent à l’enquêteur. C’est par exemple le cas, dans la double page qui suit, quand un éducateur, taquinant un jeune de l’unité, m’interpelle en souriant (« Ah pour frotter, il frotte Samir ! Tu vois, lui, tu peux noter, sa chambre est nickel, il a un TOC »), le jeune renchérissant alors (« Ah ouais, note ça, note ! ») :
Image 8
Si le chercheur n’est donc pas totalement absent, il n’est cependant que suggéré, restant en quelque sorte caché derrière le dessin. Ce choix, dont nous ne pouvons dire avec certitude, a posteriori, s’il était le bon, ne résulte pas d’un impensé. Il s’est construit en deux temps. Dès les premières étapes de la scénarisation, nous avons d’abord décidé d’écarter l’idée d’un récit à la première personne qui, quoique toujours efficace pour donner à voir l’enquête en train de se faire, nous apparaissait comme une sorte de facilité scénaristique. En lien avec la manière dont nous construisions le scénario, nous souhaitions non seulement donner une réelle centralité au lieu et aux acteurs et actrices du quotidien de l’unité, mais également, et ce faisant, placer le lectorat en relation directe avec l’objet. En le plongeant dans le quotidien de l’unité, et en le déplaçant d’une zone de gris à l’autre, nous désirions lui donner un rôle actif dans l’analyse de l’institution et de ses ambivalences. La question s’est cependant posée, en cours de processus, de donner tout de même à voir l’enquêteur dans les réunions ou les situations d’entretien, quitte à ne lui réserver qu’un rôle secondaire. Cette solution a d’ailleurs été expérimentée, comme l’illustre l’extrait du story-board. Elle a finalement été écartée. La narration étant construite autour d’autres personnages, locuteurs et locutrices, la présence de l’enquêteur nous semblait desservir le récit en créant des ruptures narratives et des incohérences dans les codes de lecture.
La seconde posture, plus proche de celle que nous avons adoptée, consiste à produire des bandes dessinées d’inspiration sociologique (Nocerino, 2023). Cette posture est notamment incarnée par l’ex-collection française « Sociorama » des éditions Casterman, créée en 2016 sous l’impulsion de Yasmine Bouagga, sociologue, et Lisa Mandel, autrice de bande dessinée, pour traduire a posteriori des recherches déjà menées, et pour la plupart déjà publiées sous la forme de livres ou d’articles scientifiques. Avant d’être abandonnée en 2021, la collection a produit 12 « fictions sociologiquement fondées » (sociologically-grounded fictions), pour reprendre les termes de Jérôme Berthaut, Jennifer Bidet et Mathias Thura (2021, 2023), trois des sociologues dont les travaux ont été publiés dans la collection. Ces derniers soulignent, dans une réflexion rétrospective sur cette aventure éditoriale, que l’objectif de Sociorama, en adaptant en bande dessinée des thèmes susceptibles de résonner dans le débat public, ne consistait pas à relater des enquêtes à proprement parler, mais à produire des fictions susceptibles de diffuser au lectorat les enjeux sociologiques sous-jacents aux thèmes abordés. Des jeunes auteurs et autrices de bande dessinée étaient alors chargé·e·s, en dialogue avec les sociologues, de construire des scénarios que l’on pourrait dire idéal-typiques, créant, selon le procédé narratif du persona, un personnage fictif censé condenser plusieurs profils réels. Dans ce contexte, « les connaissances sociologiques, les conditions d’enquête, les matériaux ethnographiques, leur analyse et leurs interprétations se mêlent sous la forme d’une fiction » (Nocerino, 2023, p. 266) qui sert de fil rouge au récit.
À la manière de cette seconde posture, notre objectif n’était pas de restituer fidèlement l’enquête, mais bien de rendre visibles les enjeux sociologiques sous-jacents à l’enfermement des jeunes, pour permettre aux lecteurs et lectrices de prendre part au débat public de façon plus informée. À la différence, cependant, des fictions produites par Sociorama, notre bande dessinée est directement ancrée dans une enquête : les lieux, tous réels, ont été dessinés d’après des photographies et à la suite de visites, et les dialogues sont construits à partir d’entretiens ou d’observations. Sauf certains personnages qui ont marqué l’histoire de Cité-des-Prairies (pour l’essentiel des chercheurs, ou des anciens éducateurs), et qui ont pu être fidèlement dessinés en se servant, notamment, de photographies retrouvées dans les archives publiques de l’établissement, tous les personnages de l’enquête (éducatrices ou éducateurs, jeunes, etc.) ont été dessinés selon des descriptions sommaires destinées à protéger leur confidentialité. Nous n’avons pas non plus créé de persona, quoique notre bande dessinée ne soit pas totalement exempte de fiction. À de rares occasions, nous avons par exemple, pour des raisons de confidentialité ou de fluidité narrative, mis dans la bouche d’un personnage un propos qui avait été tenu par un autre dont les positions étaient sociologiquement proches. À l’image des choix opérés pour retranscrire les propos de l’agent d’intervention nous parlant des enjeux de sécurité devant ses écrans de vidéosurveillance (image 3), du jeune nous évoquant sa chambre depuis sa chambre même (image 5), ou de Mariame nous décrivant son mandat en nous faisant découvrir les espaces communs de l’établissement (image 7), nous avons aussi modifié les contextes d’énonciation : des propos recueillis en entretien ont ainsi été placés en voix hors champ ou en monologue, dans des séquences donnant à voir des scènes ou des lieux observés par ailleurs pendant l’enquête. Ce procédé répond non seulement à des objectifs de dynamisme narratif, mais aussi à une volonté de sortir d’un rapport strictement illustratif — sinon tautologique — entre texte et image. En créant des contrastes et des dissonances entre ces deux véhicules d’information, l’idée est de générer un espace propice à la distance critique du lecteur.
Les deux postures que nous venons d’esquisser apparaissent donc comme les deux pôles d’un continuum sur lequel se placent les différentes productions de sociologie dessinée[10]. Les positions occupées sur ce continuum dépendent de choix scénaristiques opérés selon des critères éditoriaux, à la fois littéraires et marchands, qui ne sont pas toujours compatibles avec les normes de l’écriture scientifique. Si ce point est loin d’être exclusif au strict champ de la sociologie dessinée, et concerne toute forme de diffusion du savoir au-delà des frontières du champ académique[11], le travail de scénarisation qu’exige la bande dessinée le rend cependant particulièrement saillant.
3. rendre visible l’espace pour problématiser le « carcéral »
Certains usages scientifiques de la bande dessinée, faisant varier les interactions possibles entre texte et image, donnent à voir simultanément les données recueillies et les pensées du chercheur : elles offrent alors au public d’entrer dans l’épaisseur de l’analyse et de sa fabrique même, « [brisant] les visions “plates” et simplistes de la connaissance » (Kuttner, Weaver-Hightower et Sousanis, 2021, p. 200). Poursuivant des objectifs similaires, Se battre contre les murs a cependant opté pour une démarche sensiblement distincte : la bande dessinée utilise peu de concepts, et les termes de l’analyse y sont rarement explicités. À nouveau, ce constat découle d’un choix délibéré. Dès les premières moutures du scénario, nous souhaitions utiliser la bande dessinée pour diriger le regard du lectorat sur un ensemble d’ambivalences qui, malgré l’importance des centres jeunesse dans le débat public québécois, sont peu l’objet de questionnements. En opérant ce glissement du regard, nous comptions utiliser certaines des potentialités offertes par la bande dessinée pour susciter la réflexion critique de notre lectorat, en lui suggérant le cadre — plutôt qu’en lui dictant les termes — d’une analyse susceptible de nourrir une nécessaire « conversation collective » sur la protection de la jeunesse (Lanctôt, Bourdages et Sallée, 2020, p. 25).
Sur le plan analytique, l’enquête menée entre les murs consistait à prendre pour objet les jeux de distance et de proximité avec la prison qui ont marqué l’histoire de Cité-des-Prairies, et qui structurent une large part du fonctionnement quotidien de ses différentes unités. Cet angle d’analyse m’a conduit à inscrire mes réflexions dans un ensemble de travaux relatifs au « carcéral » (voir Foucault, 1975, p. 300 ; Moran, 2015 ; Moran, Turner et Schliehe, 2018), ou à la carcéralité, que j’ai définie ailleurs comme « un dispositif, construit à la jonction d’une architecture et d’un ensemble d’objets, de discours, de règlements et de pratiques, visant simultanément à fixer des corps et réguler des conduites » (Sallée, 2023, p. 127). Ce concept de carcéralité a l’intérêt de déployer une réflexion sur la prison qui va au-delà des murs de cette dernière stricto sensu. Dans le dernier chapitre de son livre Surveiller et punir, Michel Foucault prend ainsi, comme exemple du carcéral, une institution qui a précisément été « faite pour n’être pas la prison » (Sallée, 2023, p. 301) : la colonie agricole pour jeunes délinquants de Mettray, créée en 1839 pour offrir aux juges, comme Cité-des-Prairies plus d’un siècle plus tard, une solution de rechange à l’enfermement des jeunes dans des prisons pour adultes. Dans Surveiller et punir, Michel Foucault analyse la « naissance de la prison » comme la concentration, entre ses murs, de techniques de surveillance, de punition et de correction qui étaient déjà utilisées dans divers recoins du monde social. La colonie de Mettray incarne, en un sens, le mouvement inverse[12] : éprouvées par la prison, les disciplines sont réinjectées hors de ses murs, jusqu’à atteindre les écoles, orphelinats, hôpitaux ou casernes militaires, soit l’ensemble des institutions qui, formant l’« archipel carcéral » (Sallée, 2023, p. 304), « contrôlent, transforment, corrigent, améliorent » (Sallée, 2023, p. 310). Dans ce cadre, comme le souligne notamment la philosophe Sophie Chassat, « pour être, le carcéral ne doit pas se montrer » (2015) (italiques de l’autrice), au risque de dévoiler l’influence de la prison et de sa violence propre sur la structure même du monde social. Ce détour par Mettray permet de comprendre l’usage omniprésent des euphémismes dans le quotidien des unités québécoises de garde fermée. Dans une réflexion critique sur le « langage du contrôle » (controltalk), le sociologue britannique Stanley Cohen soutient l’idée que la forme la plus élémentaire de ce langage est l’euphémisme, ou le développement d’« un vocabulaire spécifique destiné à adoucir ou dissimuler la caractéristique principale (et constitutive) des systèmes pénaux — l’infliction planifiée de la souffrance » (Cohen, 1985, p. 276).
On comprend là l’intérêt de l’approche visuelle, qu’elle s’appuie sur la photographie (Sallée et Tschanz, 2018) ou sur le dessin : donner à voir les unités et leur « espace architectural » (Milhaud et Scheer, 2020) permet d’en décortiquer et, simultanément, d’en dévoiler la carcéralité et la violence qu’elle sous-tend. Les nombreux personnages que l’on croise dans la bande dessinée incarnent dès lors tous, à leur manière, les tensions générées par la carcéralité de l’institution. Les deux membres de l’équipe éducative que l’on retrouve le plus souvent dans le récit, Mariame et Olivier, illustrent de fait des conceptions distinctes (et, pour le dire vite, plus ou moins punitives) de la réhabilitation. Lors de mes observations, les tensions au sein de l’équipe éducative sur les bonnes manières d’intervenir auprès des jeunes étaient parfois très vives, voire virulentes. L’un de nos objectifs, dans l’écriture du scénario, consistait dès lors à donner à voir ces tensions sans cependant les personnaliser, pour montrer au contraire la manière dont « elles s’encastrent [...] dans une structure architecturale, institutionnelle et réglementaire qui en autorise l’expression » (Sallée, 2023, p. 207). Cette vigilance nous a par exemple conduits, en cours d’écriture, à retirer du scénario l’observation d’une réunion où les tensions entre les membres de l’équipe éducative devenaient si vives qu’elles prenaient un tour personnel.
Ce choix de faire de l’institution le sujet principal de la trame narrative peut paraître évident à un sociologue — quitte à ce qu’il soit discuté, en raison notamment des théories de l’action qu’il suppose. Il semble cependant moins évident pour un lectorat pour qui le raisonnement sociologique est peu familier. Pour prévenir d’éventuels malentendus, j’avais ainsi rédigé un paragraphe destiné à être placé en première page de la bande dessinée, à la manière d’un « avertissement » censé inscrire les images — comme y invite Becker (1995) pour la photographie — dans un cadre sociologique qui prolongerait l’indication donnée par le sous-titre de la bande dessinée (Un sociologue en centre jeunesse). Je reproduis ci-dessous ce paragraphe :
Victor, Sofiane, Jérémy, Samir et les autres ont été condamnés aux peines les plus sévères — dites de « placement et surveillance » — prévues par la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents (LSJPA). À Montréal, ces peines sont exécutées dans les unités de « garde fermée » de l’établissement de Cité-des-Prairies.
Cette bande dessinée repose sur une enquête sociologique, menée par Nicolas Sallée, qui a mêlé l’observation prolongée du quotidien d’une unité, la réalisation d’entrevues et l’étude des archives de l’établissement. En plongeant au coeur des relations nouées entre les jeunes et leurs éducateurs, elle met en évidence les tensions relatives aux pratiques de suivi. Celles-ci sont tiraillées entre les préoccupations sécuritaires inhérentes à tout établissement carcéral, et les finalités de réhabilitation que poursuivent les éducateurs, les obligeant à se battre contre les murs. Ces tensions, plus ou moins visibles selon les unités, opposent en partie les éducateurs entre eux, et mettent en évidence des conceptions contrastées (sinon opposées) du travail de suivi. L’un des résultats de l’analyse sociologique est de montrer qu’elles sont cependant beaucoup plus structurelles que personnelles. Elles sont d’abord le fruit de l’histoire de l’institution, de l’architecture de l’établissement et des mutations de la justice pénale, dont les dimensions répressives se sont accentuées, ces dernières décennies, à destination des jeunes les plus précarisés. À la limite, on peut même considérer que si le récit de l’enquête proposé ici tend à forcer les oppositions entre éducateurs, les tensions décrites s’avèrent aussi celles, presque inévitablement, de chaque éducateur.
Témoignant des contraintes du dispositif éditorial, cet avertissement, probablement jugé trop lourd dans son style et dans les termes employés, a été édité et déplacé dans une « annexe », dans une section consacrée aux « dessous de l’enquête ». Il a également servi de base à l’écriture d’un texte allégé pour la quatrième de couverture.
Si l’on exclut les « annexes », qui « apport[ent] des éléments de compréhension sociologique » (Lancelevée, 2022), le concept de « carcéralité » n’apparaît ainsi qu’une seule fois dans la bande dessinée, au détour d’une plongée dans les archives de Cité-des-Prairies. Notre objectif, comme le suggère l’extrait de scénario reproduit plus haut (voir partie 2), était d’ouvrir la bande dessinée en « [campant] doucement la fonction réhabilitative du centre », et de « la nuancer par touches successives [...], pour donner à voir les tensions du centre ». Ces « touches successives » auraient pu être explicitement conceptuelles et écrites. Nous avons souhaité qu’elles soient d’abord visuelles, comme le souligne encore l’extrait de scénario quand il propose de « [donner] à voir des contrastes, pendant [que Mariame] parle de sa mission (des plans de grillage, de caméras, de salles d’isolement, des posters rappelant de porter les badges, etc.) ». Cette stratégie analytique culmine dans le chapitre 8 (« garder un oeil sur eux »), qui propose de plonger dans l’histoire de Cité-des-Prairies et de sa carcéralité. D’images d’archives en extraits de presse ou de rapports, les lecteurs et lectrices y découvrent la portée des débats qui se sont noués dans les années qui ont suivi l’ouverture de l’établissement, à une époque où il était alors communément présenté comme une sombre « prison d’enfants » (Cusson, 1971). L’installation de nouvelles caméras de vidéosurveillance dans l’enceinte même des unités, à la suite de deux émeutes de jeunes durant l’année 2013, révèle alors la manière dont les tensions fondatrices de Cité-des-Prairies, au lieu de disparaître au gré de ses réformes successives, se sont au contraire exacerbées durant la dernière décennie. On comprend là le rôle crucial que joue l’histoire dans la démarche analytique. Comme je le soulignais déjà dans mes travaux consacrés à la justice des mineurs française, loin de n’être qu’un « préambule » destiné à quelques découvertes savantes avant d’entrer dans le « vif du sujet », l’histoire se situe, au contraire, au coeur de l’analyse, « fondée sur la conviction que la compréhension des enjeux les plus contemporains du traitement des jeunes délinquants est enfouie dans les traces que son histoire a laissées, et dans la mémoire active qu’elle a léguée » (Sallée, 2016, p. 19).
La nature « séquentielle » de la bande dessinée (Eisner, 1985), permettant de faire se succéder avec beaucoup de flexibilité les lieux, les temps et les rythmes (Kuttner, Weaver-Hightower et Sousanis, 2021), est particulièrement propice à cette dialectique sociohistorique. Dans la double page qui suit, justement consacrée aux caméras de vidéosurveillance, les lecteurs et lectrices passent, d’une page à l’autre, des couloirs de l’unité, où un jeune raconte comment il joue avec la surveillance qui lui est imposée, au jardin d’un éducateur retraité, qui interprète l’installation des caméras à l’aune d’un passé mythifié (« ce qu’on essayait de faire à mon époque, c’est qu’une unité ce soit comme une famille, on crisse pas une caméra dans une famille ! ») :
Image 9
Donnant à voir les usages qui peuvent être faits, notamment par les jeunes, de l’espace et de la carcéralité, cette double page permet en outre d’approfondir les enjeux qui entourent l’analyse sociologique de l’architecture carcérale. Comme le soulignent notamment Olivier Milhaud et David Scheer, ce qui intéresse la sociologie de la prison n’est pas tant l’architecture en soi, comme s’il s’agissait de
faire oeuvre d’architecturologie [...], mais bien plutôt le fait de prendre l’architecture pour terrain, de prendre place entre les murs et d’observer ce qui s’y passe, concrètement, au ras des pratiques spatiales, dans une cellule, sur une coursive, autour d’une table.
Milhaud et Scheer, 2020
L’intérêt, pour la sociologie, est dès lors de saisir « un espace architectural au sens fort, articulant les lieux et les relations qui s’y tissent » (Milhaud et Scheer, 2020). Cette idée de « l’espace architectural » comme espace relationnel et espace vécu est au coeur du courant de la « géographie carcérale » (Moran, 2015), qui appréhende la prison comme « un lieu animé et vivant [...], générateur d’émotions et de sentiments » (Tschanz, 2019, p. 68).
Avant que ne s’amorce ce projet de bande dessinée, j’avais déjà co-publié une étude visuelle de Cité-des-Prairies (Sallée et Tschanz, 2018). Cette démarche n’était pas prévue lors du démarrage de l’enquête. Elle n’a germé qu’a posteriori, à l’initiative d’Anaïs Tschanz qui, un peu plus d’une année auparavant, avait travaillé avec moi comme assistante de recherche, chargée d’observer, à tour de rôle avec William Wannyn, les réunions hebdomadaires de l’équipe éducative (voir partie 1). Anaïs Tschanz, qui découvrait le courant de la géographie carcérale dans le cadre de sa thèse consacrée à l’intimité en milieu carcéral (voir Tschanz, 2019), m’avait alors convaincu de l’idée d’en exploiter le potentiel visuel (sur ce point, voir Moran, 2017). Cette opportunité m’avait conduit à procéder, en mars 2017, à une demande de modification de mon certificat éthique pour y inclure la collecte d’un matériau visuel. Anticipant les difficultés éthiques de la démarche, et parce que l’objectif initial n’était que de rendre visibles des éléments spatiaux et matériels (l’entrée et le poste de surveillance de l’établissement, les espaces communs de l’unité ainsi qu’une chambre, une table, etc.), ces photographies n’incluaient aucun visage ni aucun corps. La bande dessinée m’a alors permis d’aller beaucoup plus loin dans cette analyse visuelle, donnant non seulement à voir des lieux mais des lieux habités et des corps en mouvement, tout en donnant à entendre des sons et à sentir des émotions (des cris, des crises ou des pleurs, par exemple), grâce à divers symboles sténographiques, autrement nommés emanata : traits de vitesse, gouttelettes de sueur, etc. Dans la double page qui suit, issue d’une observation directe, lieux, corps, sons et émotions se mêlent quand le jeune, aux prises avec une situation familiale difficile, réagit vivement à l’énoncé d’une règle qui l’empêchera de pouvoir fumer une cigarette, conduisant l’équipe éducative à décider d’une sanction (son « [transfert] à la Relance ») :
Image 10
Dans un mouvement de colère, le jeune met alors en question, dans des termes presque similaires à ceux relevés par Ann-Karina Henriksen et Annick Prieur (2019) dans une unité fermée pour jeunes Danois (« So, why am I here ? »), le mandat même des éducateurs qui lui font alors face : « Vous êtes là pour quoi ? Pour nous protéger ? C’est quoi votre métier ? » Dans les pages qui suivent, la bande dessinée conduit le lectorat dans les coulisses de cette scène. Il y découvre la désapprobation a posteriori, par une éducatrice présente, de la sanction imposée. Elle conclut alors, visiblement désabusée : « Ça fait vraiment prison. »
Dès 2018, les réactions suscitées par l’article photographique que j’avais co-publié avec Anaïs Tschanz (Sallée et Tschanz, 2018) m’avaient convaincu non seulement des potentialités analytiques, mais également des potentialités critiques de cette analyse visuelle. Moins de deux mois après la publication de cet article, j’ai ainsi eu la surprise de recevoir une invitation à échanger par téléphone avec une membre de la direction du Centre jeunesse de Montréal, qui remplaçait alors mon interlocutrice habituelle. Cette dernière, réclamant toutes les autorisations éthiques obtenues pour les photographies publiées, s’inquiétait notamment des risques que pourrait faire peser cette plongée visuelle sur la sécurité des lieux, et sur la confiance déjà fragile dont bénéficierait l’institution auprès des jeunes et de leurs familles. Si je n’ai, depuis lors, jamais eu affaire si explicitement à de telles inquiétudes, ces préoccupations (éminemment politiques) pour l’image de l’institution n’ont jamais pleinement disparu. Avec l’accord de la direction du Centre jeunesse de Montréal, un gestionnaire de Cité-des-Prairies a généreusement accepté de se prêter au jeu d’une relecture approfondie du scénario et du premier story-board de Se battre contre les murs. Cette relecture nous a permis de corriger plusieurs points factuels et d’apporter quelques clarifications. Elle nous a également donné l’occasion d’échanger sur certaines hypothèses sous-jacentes au travail de scénarisation. Le gestionnaire mettait notamment en cause notre choix d’ouvrir la bande dessinée par le discours d’une éducatrice qu’il estimait ne pas être toujours conforme aux normes de « bonnes pratiques » — et, au fond, de « bons discours » — valorisées par le Centre jeunesse de Montréal. Il était alors question, une nouvelle fois, de l’image de l’institution. Quelques jours après la parution de la bande dessinée, l’une des responsables du service des communications de l’institution s’inquiétait encore, à l’occasion d’un échange téléphonique avec moi, que le « message » de la bande dessinée ne soit pas assez « positif » pour qu’elle puisse en faire la promotion auprès du grand public.
Mais en quoi, au fond, cette sociologie et sa traduction visuelle sont-elles critiques ? Si mon enquête peut être qualifiée comme telle, c’est parce qu’elle se donne pour tâche de ne rien considérer comme allant de soi, à commencer par les convictions qui animent les acteurs du Centre jeunesse de Montréal, et les catégories à partir desquelles ils construisent leur rapport aux jeunes et, plus fondamentalement, à leurs métiers. En se demandant au contraire d’où viennent ces convictions et les catégories qu’elles inspirent, elle cherche à décrypter leurs « manières de sentir, de penser et d’agir » (Fauconnet et Mauss, 1971, p. 16). Ces dernières ne sont autres que ce que l’on rassemble, en sociologie, sous le terme d’« institutions ». Dans un monde marqué par l’incertitude, celles-ci permettent aux individus de se raccrocher à quelques savoirs partagés, convaincus de pouvoir ainsi « confirmer ce qui est » ou « dire ce qu’il en est [...] de ce qui importe » (Boltanski, 2008, p. 26). Avec le temps, et à mesure qu’elles se diffusent, ces institutions s’incarnent dans des entités organisationnelles et administratives plus durables (État, école, police, hôpital ou prison et centre de réadaptation) que l’on ne nomme communément « institutions » que parce qu’elles ont été préalablement instituées. Soulignant que ces entités « désignent, si l’on veut, les moyens dont les institutions doivent être dotées pour agir dans le monde des corps », Luc Boltanski ajoute que c’est précisément « leur aspect profondément incarné qui les rend si facilement suspectes de n’être rien d’autre que des armes mises au service d’intérêts et si fragiles face aux coups de la critique » (Boltanski, 2008, p. 27). La mise en dessin permet alors de donner à voir, de façon plus explicite, plus directe et plus sensorielle que le seul écrit, ces « écarts entre les mots et les choses » (Lahire, 2018, p. 66) qui, permettant de déconstruire les évidences et de dévoiler les non-dits, constituent le coeur de la sociologie comme entreprise critique. De scène en scène, notre bande dessinée vise ainsi à guider le regard du lectorat vers les écarts entre, d’un côté, les réalités matérielles (architecturales et spatiales), mais aussi relationnelles et émotionnelles des unités de garde fermée et, de l’autre, le choix des mots pour en parler. Si cette approche n’est pas critique au sens où elle se définirait comme militante, elle ouvre cependant « une brèche dans laquelle la critique peut s’engouffrer » (Boltanski, 2008, p. 29).
Cette approche est alors critique en deux sens distincts. Elle l’est d’abord en ce qu’elle donne à voir les commentaires éparpillés, souvent peu bruyants et coordonnés, qu’a connus de tout temps Cité-des-Prairies et qui fourmillent dans le quotidien de ses unités : le rapprochement avec la prison, pour ne prendre que cet exemple, n’est pas d’abord le fait du sociologue, mais a traversé l’histoire du lieu, et constitue un trait récurrent des entretiens menés avec les jeunes, ainsi qu’avec le personnel de l’établissement. Elle l’est ensuite en ce qu’elle diffuse une lecture, ou un cadre analytique permettant à ces critiques de s’exprimer, de s’affiner et de s’affûter. Ce parti pris explique encore, d’une autre manière, certains de nos choix scénaristiques. Exempte de concepts ou d’analyses explicites, notre bande dessinée a pour particularité de ne pas conclure. Si elle suggère des analyses (et donc des conclusions), que reflètent notamment le choix et la mise en ordre des scènes, elle laisse relativement ouvertes les interprétations qui peuvent en être faites. Ainsi, certain·e·s lecteurs et lectrices, parmi lesquel·le·s des intervenant·e·s des centres jeunesse, ont formulé des critiques que l’on peut dire modérées, visant à améliorer leurs pratiques ou à chercher à des pistes destinées à « se battre contre les murs » pour atténuer les effets subjectifs de la carcéralité. D’autres, au contraire, dont quelques ancien·ne·s jeunes placé·e·s, ont émis des critiques plus radicales, mettant en cause la responsabilité des Centres jeunesse dans la reproduction des rapports sociaux inégalitaires (d’âge, de classe, de race et de genre) et des formes de domination (notamment carcérales) qui leur sont associées : s’il convenait, là aussi, de « se battre contre les murs », l’expression prenait un sens au fond très différent, proche d’une posture d’abolitionnisme pénal, ou au moins carcéral (sur ces postures critiques, voir notamment Carrier et Piché, 2015). Il ne s’agit pas ici d’évaluer les retombées de ce travail ni d’exagérer (ou de fantasmer) la diffusion qu’il a connue. Il convient, plus modestement, de prendre acte de l’intérêt d’une traduction dessinée de la sociologie qui, plutôt que de rendre systématiquement compte des conditions d’enquête, de production des hypothèses et de formulation des concepts, cherche à en diffuser le regard spécifique et le potentiel critique.
conclusion
La bande dessinée, comme support d’écriture de la recherche et de diffusion des résultats scientifiques, jouit d’une popularité croissante auprès des chercheurs et chercheuses, et notamment des sociologues. Certain·e·s en défendent un usage extensif, non seulement comme moyen de diffusion des connaissances, mais également comme moyen de transcription des données et de production des connaissances, donnant à voir, au coeur même de la pratique d’écriture, l’enchevêtrement du travail d’enquête et du travail d’analyse (Kuttner, Weaver-Hightower et Sousanis, 2021 ; Nocerino, 2016). Le dessin devient alors partie prenante de la démarche de recherche. Si nous n’avons pas souhaité suivre cette voie en écrivant Se battre contre les murs, notre bande dessinée n’est cependant pas dénuée de toute finalité analytique. La mise en dessin des données de recherche, articulée à la mise en récit et à la mise en scène qu’implique le travail de scénarisation, a notamment permis d’approfondir la sociologie visuelle de l’architecture et de l’espace carcéral que j’avais déjà amorcée avec Anaïs Tschanz, quelques années plus tôt, à l’aide de la photographie (Sallée et Tschanz, 2018). Cette traduction dessinée de la recherche, volontairement exempte de concepts, visait à orienter subrepticement le regard des lecteurs et lectrices vers un ensemble d’ambivalences susceptibles de susciter leur réflexion critique. Plutôt que de rendre compte d’analyses toutes faites, ou de concepts stabilisés, nous avons dès lors cherché à utiliser la bande dessinée comme véhicule du regard sociologique. Cette démarche incarne non seulement une certaine conception de l’éthique de la recherche, par une mise en images destinée à dévoiler les violences de la carcéralité (voir sur ce point Brown, 2014), mais également, et ce faisant, une certaine conception de « l’utilité critique » des sciences sociales (Sallée, 2022).
Cet article permet dès lors de mettre en évidence au moins trois résultats généraux : si les deux premiers sont plutôt propres à la sociologie dessinée, le troisième engage jusqu’au coeur du métier de sociologue. Il révèle d’abord, sur un plan descriptif, la dimension collective de cette forme d’écriture (sur ce point, voir aussi Nocerino, 2023), au-delà des deux noms présents sur la couverture du livre : de la directrice de collection qui scénarise jusqu’aux enquêté·e·s qui commentent le premier scénario, en passant par l’éditeur (au sens de publisher) qui trouve l’illustratrice en fonction de l’angle retenu, un ensemble de personnes ont contribué, dans l’ombre, à la fabrique de la bande dessinée. Il interroge ensuite, sur un plan plus épistémologique, les conditions de possibilité, ou plutôt les conditions de pertinence d’une traduction dessinée de la sociologie. Il est souvent dit que la bande dessinée est un médium particulièrement adapté pour transcrire certaines méthodes plutôt que d’autres, en particulier l’ethnographie (Berthaut, Bidet et Thura, 2023 ; Nocerino, 2016 ; Tondeur, 2018). Notre expérience montre que ce sont en fait, et plus fondamentalement, les choix théoriques et analytiques sous-jacents aux choix méthodologiques qui offrent sa pertinence à la mise en images. En l’occurrence, la bande dessinée nous a permis de transcrire, mieux que ne pouvait le faire, par exemple, la photographie, une analyse de la carcéralité qui, accordant une place centrale à la matérialité, a non seulement donné lieu à une enquête ethnographique, mais également à une enquête socio-historique. Plus que de simplement traduire une manière de faire de la sociologie, la bande dessinée a le potentiel de suggérer à son lectorat une manière, sociologiquement fondée, de regarder et de décrypter le monde qui l’entoure.
Cet article montre enfin que l’écriture de la sociologie ne peut faire abstraction de la question de son rapport à la critique, sinon au politique. Toute forme d’écriture de la sociologie, de la plus académique à la plus vulgarisée, est sous-tendue par un certain positionnement dans le monde social, et une certaine idée du rôle social, voire du rôle politique de la diffusion du savoir en sciences sociales. Parce qu’elle suppose d’expliciter les termes de ce positionnement, la traduction dessinée de la sociologie met en lumière cette facette cruciale, mais rarement interrogée comme telle, du métier de sociologue.
Parties annexes
Notes
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[1]
Ce manuscrit avait été initialement rédigé dans le cadre d’un diplôme français d’habilitation à diriger des recherches (HDR) que j’ai soutenu à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), à Paris, le 29 octobre 2020. Il a depuis été publié sous la forme d’un livre intitulé Sous la réhabilitation, le contrôle. La justice des mineurs au xxie siècle (Sallée, 2023).
-
[2]
Ces termes sont utilisés pour présenter une série de reportages, initulée « Bienvenue à Cité-des-Prairies », et diffusée en 2020 par Radio-Canada.
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[3]
Je rappelle ici le choix de rédiger à la première personne (du chercheur) les passages de ce texte consacré à l’enquête préalable à la traduction dessinée.
-
[4]
Cette enquête a été réalisée dans le cadre d’une subvention du FRQSC (Nicolas Sallée [dir.], 2014-2017), et a bénéficié d’une certification éthique du comité d’éthique de la recherche — Jeunes en difficulté du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal.
-
[5]
Ces ateliers visent à faire acquérir aux jeunes, à l’aide d’exposés théoriques et de mises en situation pratiques (« jeux de rôle »), un ensemble d’habiletés sociales dans une liste prédéfinie : « Aller chercher le point de vue de l’autre » ; « Prendre conscience de ses émotions » ; « Exprimer de l’affection » ; « Faire face à la colère d’autrui » ; « Se maîtriser » ; etc.
-
[6]
En accord avec le comité d’éthique de la recherche, la démarche avait non seulement été présentée oralement aux intervenant·e·s et aux jeunes présents dans l’unité une semaine avant le début des observations, mais avait également été l’objet d’une affiche de présentation punaisée dans l’unité. Il était notamment proposé à quiconque qui refuserait de participer à la recherche de le faire savoir au chercheur, pour qu’aucun de ses propos ne soit utilisé à des fins d’analyse.
-
[7]
Retraçant l’histoire du terme graphic novel, Jean-Matthieu Méon souligne ainsi que si le livre de Will Eisner « est devenu l’oeuvre de référence à partir de laquelle l’étiquette aurait été inventée, sinon aurait entamé sa visibilité et sa reconnaissance […], entre 1971 et 1978, près d’une dizaine d’oeuvres ont mobilisé le terme […] lors de leur première parution » (Méon, 2017, p. 176).
-
[8]
Il convient cependant ici de noter que dans de nombreuses situations, la tâche de scénarisation est assumée par l’illustrateur ou l’illustratrice de la bande dessinée. Nous aurons compris que, dans notre cas, ces deux tâches ont été exécutées par des personnes distinctes.
-
[9]
Émile, on bande ?, https://socio-bd.blogspot.com/, consulté le 14 décembre 2022.
-
[10]
Je remercie Pierre Nocerino à qui je dois cette idée de continuum.
-
[11]
Revenant sur le succès controversé, au sein du champ académique, du livre devenu best-seller de la sociologue Alice Goffman (2014) sur la surveillance dont sont quotidiennement l’objet les jeunes Noirs d’un quartier pauvre de Philadelphie, Isaac William Martin (2016) souligne ainsi, à juste titre, que « les normes éthiques [des professions universitaires] peuvent comprendre des questions aussi triviales, en apparence, que le style d’écriture. Ainsi, ce qui semble aux yeux d’un lecteur un style d’écriture inutilement lourd peut paraître aux yeux d’un autre le minimum requis par le Code de déontologie de l’Americain Sociological Association section 13.04 (d) (“Les sociologues doivent prendre un soin particulier à présenter toutes les qualifications pertinentes en lien avec les résultats et l’interprétation de leurs recherches”). À la lecture de On the Run, certains sociologues semblent avoir eu le sentiment d’être au bord d’un précipice. »
-
[12]
Je reprends cette idée des deux « mouvements » de Surveiller et punir à la lecture qu’en propose la philosophe Sophie Chassat (2015).
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