Rencontre avec Jean-Louis BiancoEntrevue[Notice]

  • David Koussens et
  • Roberto Blancarte

Si je résume à grands traits, la grande bataille du xxe siècle, c’est l’application réelle de la séparation des Églises et de l’État. Cette bataille se situe sur l’enseignement et s’articule autour d’une thèse dominante, mais non unanime, chez les militants laïques, selon laquelle l’argent public doit financer seulement l’école publique : argent public pour l’école publique, argent privé pour l’école privée. Ce grand combat a tenté de remettre en cause la loi de 1959 adoptée à l’initiative de Michel Debré et selon laquelle l’État peut subventionner les écoles privées sous plusieurs conditions : premièrement, qu’elles accueillent tous les enfants sans discrimination ; deuxièmement, qu’elles respectent les programmes de l’Éducation nationale ; troisièmement, qu’elles se soumettent au contrôle de cette dernière. Le principe même de ce fonctionnement est critiqué par une partie importante du camp laïque, bien que cela soit moins vrai aujourd’hui qu’hier. Puis, comme secrétaire général de l’Élysée, j’ai principalement rencontré le principe de laïcité à travers la grande polémique du foulard à Creil en octobre 1989. On n’en était pas conscient à l’époque, mais cet épisode a marqué un tournant dans le débat public sur cette question. L’analyse de la circulation de l’information est intéressante dans ce cas-ci. Dans un premier temps, il ne se passe rien. Puis, un journaliste du quotidien Libération s’est rendu compte de l’importance symbolique et politique de la décision du chef de cet établissement secondaire d’exclure ces jeunes filles du collège. À partir du moment où cela sort dans la presse nationale, tout s’enflamme. En quelques jours, 500 journalistes du monde entier sont là, et mes chers amis intellectuels français — j’en ai dans les deux camps — manient l’outrance. L’épisode va être ainsi qualifié de « Munich de l’école républicaine », ce qui n’a pas contribué à une discussion apaisée du sujet. Face à cet emballement, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque Lionel Jospin est embarrassé. Il décide alors de consulter le Conseil d’État, qui rend son avis stipulant que le port par des élèves de l’enseignement secondaire public de signes religieux comme le foulard n’est pas en soi contradictoire avec la laïcité, à condition qu’il n’y ait pas de prosélytisme. Le gouvernement va suivre les recommandations du Conseil d’État et donne aux chefs d’établissement d’enseignement la consigne de regarder au cas par cas, suivant les situations concrètes qui se présentent, si le port du foulard peut être autorisé dans leur collège ou lycée. C’est ce qui se fait, et cela ne se passe pas bien. Le conflit avait en effet été très idéologisé dès le départ et la tension reste forte. Tout au long des années 1990, il y a de nombreux contentieux devant les tribunaux administratifs et les décisions rendues vont dans des sens souvent différents. Quelques années plus tard, Jacques Chirac, alors devenu président de la République, réunit une commission dite « commission Stasi », du nom d’un ancien ministre, centriste au sens propre du terme car il n’était ni de gauche ni de droite. La commission fait un travail énorme et présente un ensemble de suggestions que personne ne va pourtant retenir. La plupart d’entre elles avaient comme objectif de stopper les contentieux devant les tribunaux afin d’apaiser le climat. La seule qui sera retenue est celle visant à promulguer une loi stipulant l’interdiction du port de signes religieux par les élèves dans les écoles, collèges et lycées publics. La position de la commission est presque unanime. Seul l’un de ses membres, Jean Baubérot, s’abstient de voter le rapport pour des raisons qu’il a très bien expliquées (Baubérot, 2004 ; de Galembert, 2008). Le gouvernement …

Parties annexes