Feuilleton

Entretien avec Michał P. Garapich[Notice]

  • Barbara Thériault

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  • Entretien réalisé par
    Barbara Thériault

  • Traduit de l’anglais par
    Rosalie Dion

La version courte, c’est que quand j’ai commencé à publier au début des années 2000, mon oncle — un autre Michał — était lui aussi quelque peu présent sur la scène publique, et comme nous étions très différents sur le plan des idées, de la religion et des convictions politiques, je craignais qu’on nous confonde. Mais il y a aussi la version longue : la reprise de certains noms représente un lien avec le passé, nous rattache à des ancêtres défunts et, d’une certaine façon, nous met dans leurs souliers. Cette espèce de réincarnation culturelle et politique a vraiment une fonction de sauvegarde des traditions, et elle confère d’emblée un certain sens à la vie d’une personne. Évidemment, je présume que ce n’est pas propre à cette classe de la noblesse polonaise, et à la post-noblesse d’après-guerre, puisqu’on retrouve ces caractéristiques dans de nombreuses cultures et sociétés. Mais dans mon livre, l’importance de Michał tient aussi du fait que les enfants illégitimes de mon arrière-grand-père n’avaient pas le droit de s’appeler Garapich ; il leur restait néanmoins le choix du prénom, et c’est pourquoi deux d’entre eux s’appellent Michał. Kazimierz, mon arrière-grand-père, protagoniste du livre, avait donc trois fils portant le même prénom. C’était l’expression d’un espace étroit mais essentiel d’autonomie individuelle qu’avaient les mères dans la situation fondamentalement inégale qui était la leur. Ce P est mon humble tentative de me différencier de cette armée de Michał, ma petite rébellion personnelle. Mais cette sensibilité postcoloniale axée sur la famille est lourde, et il m’arrive parfois d’avoir des réactions qui montrent à quel point ça peut être difficile. Une lectrice m’a raconté que ses recherches généalogiques l’ont menée à un événement de viol et de violence. Ce secret étouffé, qu’elle descend à la fois d’une victime et d’un agresseur, a eu des conséquences marquantes pour elle, notamment une thérapie. Mon approche postcoloniale m’a mené à m’intéresser à ma famille, mais ce n’était pas prévu au départ, ça a vraiment découlé de ma quête, d’une tentative de comprendre ce que j’ai trouvé et pourquoi je le cherche. Ça va sembler cliché, mais de la même façon qu’on dit que « charité bien ordonnée commence par soi-même », on pourrait peut-être dire que le « postcolonialisme bien compris commence par sa famille ». Ce chapitre a également une ouverture digne d’une bonne histoire d’horreur : un groupe d’hommes qui se rendent en pleine nuit dans un cimetière pour y déterrer des corps, un rituel d’inversion des rôles, ma gueule de bois après avoir trop bu de горілка [vodka] dans ce même cimetière plus d’un siècle plus tard pour tenter de comprendre pourquoi diable je fais ce que je fais. Ce chapitre porte essentiellement sur le double sens du mot « creuser », comme dans creuser le sol pour exhumer un corps, mais aussi creuser sa mémoire. C’est la même chose : dans les deux cas, on peut regretter d’avoir trouvé ce qu’on cherchait.