PrésentationProlégomènes à une sociologie des cultures juridiquesIntroductionProlegomena to a sociology of legal cultures[Notice]

  • Yan Sénéchal et
  • Pierre Noreau

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Le « droit » a-t-il vocation à devenir un objet privilégié pour notre connaissance du monde social ? L’omniprésence du droit et son emprise grandissante, particulièrement sous ses formes législative et judiciaire, rendent manifeste la centralité des phénomènes juridiques dans les sociétés contemporaines. Quelques événements marquants survenus au Québec et au Canada au cours de la dernière décennie laissent entrevoir la teneur, la dynamique et la portée de ces phénomènes. La pérennité du droit comme forme de régulation du lien social demeure impressionnante (Noreau, 2016). De nombreuses lois sont adoptées ou réformées chaque année. Certaines galvanisent des débats passionnés au sein de l’arène parlementaire et dans l’espace public, avant, pendant et après leur adoption (Rocher, 2004) : laïcité de l’État (Lampron, 2020), aide médicale à mourir (Clouet, 2021), légalisation du cannabis (Beauchesne, 2020), décriminalisation de la prostitution (Robert et Bernatchez, 2017), etc. La disponibilité du droit comme mécanisme de sécurisation des relations entre diverses populations reflète une tendance lourde (Lamoureux et Dupuis-Déri, 2016). La juridicisation et la judiciarisation des personnes en situation d’itinérance dans les centres urbains, comme Montréal, Ottawa, Toronto ou Vancouver, représentent un fait particulièrement révélateur (Sylvestre, Bellot et Chesnay, 2012). L’attractivité du droit comme ressource dans les luttes identitaires pour la reconnaissance législative et judiciaire connaît une progression fulgurante depuis l’adoption des chartes des droits et libertés (Clément, 2018) : droits des Autochtones, droits des minorités, droits des femmes, droits des patient·e·s, etc. La durabilité du droit comme mode de résolution des conflits publics et privés, entre des acteurs individuels et/ou collectifs, ne se dément pas (Noreau, Sénéchal et Roberge, 2020). Les tribunaux judiciaires et administratifs sont le lieu d’un activisme continu, ce qui les expose épisodiquement aux feux de la critique, comme dans les causes où des intimé·e·s sont déclaré·e·s non criminellement responsables pour des raisons de santé mentale (tel l’ex-cardiologue Guy Turcotte lors de son premier procès ; Duval, 2016), ou encore les propulse sur le devant de la scène médiatique (ce qu’illustre l’affaire Éric c. Lola ; Biland et Schütz, 2015). L’existence de tendances aussi importantes est d’ailleurs révélée par la visibilité du droit dans les médias traditionnels (Giasson, Sauvageau et Brin, 2018) et dans les nouveaux médias (Bahary-Dionne, 2018). Épisodiquement, les réseaux numériques se transforment même en « tribunaux populaires », que ce soit en matière de consommation (Vermeys, 2018) ou d’agression sexuelle (Paquette, 2018). Certains événements de grande ampleur révèlent l’enchevêtrement de ces tendances. Le conflit étudiant de 2012 au Québec est symptomatique à cet égard (Lemonde et al., 2014) : revendication pour le droit à une éducation gratuite et pour la reconnaissance du droit de grève des étudiant·e·s, demandes d’injonction devant les tribunaux, adoption d’une loi spéciale par l’Assemblée nationale et de réglementations ad hoc par des administrations municipales, arrestation, emprisonnement et poursuite de manifestant·e·s, mobilisation d’avocat·e·s offrant, pro bono, des services juridiques aux étudiant·e·s, couverture continue dans les médias traditionnels et nouveaux, etc. Toutes ces dynamiques, dont l’inventaire se complexifierait à la seule évocation de la pandémie de COVID-19 (Piché, 2020), se déploient alors que « l’accès au droit et à la justice » émerge en tant que forme d’action publique (voir en particulier Noreau et al., 2020 ; Farrow et Jacobs, 2020) : programmation de cours d’éducation juridique en milieu scolaire, lisibilité des textes législatifs, participation citoyenne à la production des lois, protection du droit à la diversité, diffusion des modes privés de résolution des différends, bonification de l’aide juridique, accompagnement des personnes autoreprésentées, encadrement des recours collectifs, intelligibilité des registres judiciaires tenus par les greffes, réduction des délais de comparution, instauration d’une instance …

Parties annexes