Les textes qui composent ce dossier soulignent la contribution intellectuelle et politique — deux facettes indissociables de son oeuvre — de Nicole Laurin à notre discipline et aux débats de société. Pour ma part, j’examinerai plus spécifiquement l’apport de Nicole aux études féministes et l’aborderai principalement par le prisme de notre recherche sur les communautés religieuses de femmes au Québec (Laurin et al., 1991 ; Juteau et Laurin, 1997). Après avoir rappelé le contexte qui a vu l’émergence du mouvement féministe et évoqué certains débats qui l’ont agité, en milieu universitaire notamment, je présenterai quelques aspects de notre recherche, son fondement et son déroulement, ses données et ses conclusions, pour en faire ressortir la pertinence et l’actualité. Car si les religieuses se font moins nombreuses, en tout cas en Occident, les rapports de sexage demeurent bien présents, empruntant de nouvelles formes. Le féminisme comme mouvement social s’inscrit, dans la foulée de l’après-Seconde Guerre mondiale, au sein d’autres mouvements de libération auxquels il est lié : décolonisation et émergence de nouveaux États, lutte des Noirs et contestation étudiante aux États-Unis, Mai 68 en France. Le Québec n’échappe pas à cette prise de parole des minoritaires : Québécois en devenir qui rejettent leur domination économique, politique et culturelle, Autochtones qui réclament un statut de Citizen plus (égalité assortie de droits collectifs), descendants d’immigrants qui revendiquent la reconnaissance de leur participation au nation-building canadien, femmes qui redécouvrent leur oppression, toutes et tous cherchent à rendre compte de leur domination et livrent un combat pour l’éradiquer. Au-delà de leur spécificité, ce que ces minorités ont en commun, c’est la forme du rapport qui les unit aux dominants : minoritaire = mineur = être moins. Ce que je voudrais transmettre, c’est l’atmosphère qui régnait alors, la fébrilité et l’enthousiasme qui animaient les féministes, le sentiment d’écrire une page d’Histoire, notre volonté de changer le monde, dans ses dimensions matérielles et idéelles. Notre révolution ne se ferait pas à un endroit ni à un moment prédéterminés, elle s’accomplirait partout où nous évoluions et serait protéiforme. Nicole oeuvrait en milieu universitaire, un milieu qui contribua à cette transformation sociale, par la création de nouveaux savoirs et savoir-faire, et par l’établissement de structures qui en assureraient la transmission. Le féminisme, écrivait Delphy, est un mouvement qui veut changer la société et la manière de la penser. Je ne connaissais alors Nicole que par ses écrits (Laurin-Frenette, 1974 ; 1978), mais je savais qu’elle avait participé au premier cours sur « la condition féminine » mis sur pied à l’UQÀM en 1972. Je me plaisais alors à penser qu’au sein d’une institution de gauche, l’éclosion des études féministes fut plus facile qu’ailleurs. Mais partout où je suis passée, il fallait lutter, voire batailler, pour faire accepter de nouveaux cours et programmes que redoutaient l’administration et souvent nos collègues, parce que trop « idéologiques » et « non scientifiques », disait-on. Hélas ! la pensée féministe dérangeait tout autant, sinon plus, dans les milieux gauchistes. Nicole en parle dans sa Préface rédigée en 1982, lors de la republication de son article intitulé « La libération des femmes » : « Avec un recul de dix années, le texte peut paraître dogmatique bien qu’il s’écartait de l’orthodoxie marxiste dominante dans le milieu uquamien et dans le cercle de la revue Socialisme québécois qui en assura la première publication en 1974. À cette époque, incorporer Reich à Engels et assaisonner cette salade d’un zeste de féminisme radical n’allait pas sans audace » (Laurin-Frenette, 1983 : 360). Ce qu’elle écrivait bien ce sur quoi l’avait complimenté, racontait-elle non sans un brin …
Parties annexes
Bibliographie
- Guillaumin, C. (1978), « Pratique de pouvoir et idée de Nature (1) L’appropriation des femmes », Questions féministes, no 2, p. 5-30.
- Hall, S. (1986), « Gramsci’s Relevance for the Study of Race and Ethnicity », Journal of Communication Inquiry, vol. 10, no 2, p. 5-27.
- Juteau, D. et N. Laurin (1988), « L’évolution des formes de l’appropriation des femmes. Des religieuses aux “mères porteuses” », Revue canadienne de sociologie et d’anthropologie, vol. 25, no 2, p. 183-207.
- Juteau, D. et N. Laurin (1989), « La sécularisation et l’étatisation du secteur hospitalier au Québec de 1960 à 1966 », inComeau R. (dir.), Jean Lesage et l’éveil d’une nation. Les débuts de la Révolution tranquille, Québec, Presses de l’Université du Québec, p. 155-167.
- Juteau, D. et N. Laurin (1997), Un métier et une vocation. Le travail des religieuses au Québec de 1901 à 1971, Montréal, Presses de l’Université de Montréal.
- Laurin-Frenette, N. (1974), « La libération des femmes », Socialisme québécois, no 24, p. 47-62.
- Laurin-Frenette, N. (1978), Production de l’État et formes de la nation, Montréal, Nouvelle Optique.
- Laurin-Frenette, N. (1983), « La libération des femmes [1974] », inLavigne M. et Y. Pinard (dir.), Travailleuses et féministes. Les femmes dans la société québécoise, Montréal, Boréal Express, p. 359-387.
- Laurin, N., D. Juteau et L. Duchesne (1991), À la recherche d’un monde oublié. Les communautés religieuses de femmes au Québec de 1900 à 1970, Montréal, Le Jour (avec la collaboration de Maria Vaccaro et Françoise Deroy et la participation de Carolle Roy, Danielle Couillard, Marie-Paule Malouin et Myriam Spielvogel).