Gabriela Coleman a développé depuis de nombreuses années une anthropologie de la culture hacker. Elle s’est consacrée à prendre au sérieux cet univers techno-culturel et son folklore, en conférant des lettres de noblesse académique à une sous-culture ironique peuplée de trolls ou de mèmes. Dans ce texte, elle retrace la progressive politisation de ces acteurs individuels et collectifs qui ont contribué à l’émergence, par exemple, du rôle civique du lanceur d’alerte. Son récit se noue autour de la période 2008-2013, en mettant en scène les figures médiatisées des Anonymous, de Julian Assange ou d’Edward Snowden. Ces nouveaux rôles civiques sont joués par les bras armés des geeks, pour reprendre une formule brillante de l’auteure. Ces geeks politisés issus de la culture hacker interviennent désormais dans le champ géopolitique, outillant les révolutions arabes, publiant des câbles diplomatiques, révélant les activités de surveillance des services secrets étatsuniens. Ces figures médiatiques sont présentées par Coleman comme les acteurs d’un monde social prenant en charge des problématiques qui concernent une grande majorité des sociétés, de par la numérisation généralisée des activités sociales et personnelles. Cette politisation de la technique à l’oeuvre dans les formes de vie du hacking, à la fois sur le plan des codes informatiques et des codes sociaux, est cernée de près par cette spécialiste. Cet article est également précieux dans le contexte actuel de développement du mouvement maker et des espaces dédiés à la fabrication personnelle et au DIY. En effet, il semble opportun d’ouvrir ce récit sur les pratiques de hacking des premiers temps en rappelant qu’elles supposaient de bricoler les machines par curiosité technologique et, ce faisant, de tester les failles de sécurité, comme, les phreakers des années 1960 qui pirataient les cabines téléphoniques ou les étudiants en informatique qui développaient dans les années 1970 « ce qui n’est pas dans le manuel ». En cela, les makerspaces et autres tiers lieux d’aujourd’hui s’inscrivent en partie dans la continuité de ces espaces individuels ou collectifs (chambre, garage, local) au sein desquels le fait de hacker consiste à ouvrir ces boîtes noires et à en défaire, refaire ou contrefaire les codes informatiques. Car, en plus de la culture technique du hacking et de ses codes sociaux humoristiques, ce sont aussi des espaces de vie qui se configurent loin du clavier. Cependant, à ces périodes historiques, les hackers représentaient un public récursif dont la cause était interne à leur domaine de compétences, à savoir le codage des machines. L’ouverture du hacking à une culture politique intervient lorsque de nouveaux usages et de nouveaux entrants se connectent à travers des machines informatiques sur le réseau Internet. On peut discuter du peu de place accordée, dans ce texte, à la massification des usages de l’informatique connectée, du réseau Internet aux contenus Web, ainsi qu’aux vagues de nouveaux usagers se mobilisant pour des causes et sous des formes qui entrent en résonance, et parfois en dissonance, avec la voix politique portée historiquement par les hackers. Il importe, ici, de rappeler que c’est notamment par la voie culturelle et militante que le hacking s’est politisé au fur et à mesure que les sociétés contemporaines se numérisaient. Ce sont, par exemple, les activistes du logiciel libre, militant pour une ouverture du code informatique, qui, en 2001, comme le rappelle Coleman, inscrivent l’algorithme de compression des DVD sur un t-shirt. Ce sont encore les médiactivistes d’Indymédia, fondé à Seattle en 1999, qui promettent une autonomie de communication à des collectifs altermondialistes, et inaugurent des espaces informationnels alternatifs comme les media center. Ce ne sont plus désormais des questions simplement informatiques qui sont …
Hacker les codes, les réseaux pluriels d’une politique de la technique : mais où sont les usagers ?[Notice]
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Laurence Allard
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loallard@gmail.com