Réciprocités sociales. Lectures de SimmelPrésentationSocial Reciprocities. Contemporary SimmelContent[Notice]

  • Gregor Fitzi et
  • Denis Thouard

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  • Gregor Fitzi
    Institut für Sozialwissenschaften, Soziologische Theorie (AST), Universität Oldenburg, Ammerländer Heerstraße 114-118, D-26111 Oldenburg, Deutchsland
    gregor.fitzi@uni-oldenburg.de

  • Denis Thouard
    CNRS-EHESS, CRIA-Centre de recherches interdisciplinaires sur l’Allemagne, Centre Marc Bloch de Berlin, 96, Boulevard Raspail, 75006 Paris
    thouard@cmb.hu-berlin.de

La réciprocité est sans doute le concept central de la pensée de Simmel. Un ensemble d’individus attablés à un café ou un groupe de promeneurs, des personnes prises dans un embouteillage ou dans une controverse, ne relèvent en effet d’un intérêt sociologique que lorsque l’on peut montrer que le comportement de chacun prend en compte la présence et l’action des autres. Chacun modifie imperceptiblement sa présentation de lui-même en fonction des autres. Ainsi s’établissent les formes de l’interaction sociale, des plus éphémères aux plus durables : une production et une dissolution rythmique de liens constituent le tissu social. Parfois, la réciprocité ne se produit pas, ou pas tout de suite, ou autrement qu’attendue : ce sont alors autant d’occasions de s’interroger. Se fondant sur la rencontre de plusieurs sujets, la société diffère des objets des sciences naturelles et requiert le développement d’une épistémologie spécifique. Des individus présentent un intérêt sociologique en tant qu’ils partagent une même dimension de reconnaissance mutuelle. On accorde en cela que chacun est tour à tour sujet et objet d’action réciproque, organisant son insertion dans un ensemble partagé tout en étant considéré par les autres, et intégrant leur regard dans son comportement. À la différence de Parsons, cela n’implique toutefois pas selon Simmel l’établissement d’un contexte normatif de l’action. Le maintien des formes sociales demande une continuité d’action réciproque fondée sur les petites ficelles du lien social quotidien qui échappent à l’attention de l’observateur concentré sur les dimensions macro-structurelles du social. Ce sont alors les catégories de la contingence spatiale et temporelle qui deviennent l’objet du regard sociologique simmelien : accélération, distance, stéréotypisation, éphémérisation du lien social. Leur étude permet d’apprécier la dynamique des sociétés complexes, en expliquant les institutions portantes, à partir de l’argent, grâce à l’analyse des formes de l’action réciproque qui en garantissent la subsistance. La réciprocité fonde l’objet de la sociologie attachée aux formes de l’association, comme elle engage la réflexion sur les limites de l’idéal d’objectivation produit par les sciences naturelles. Elle joue aussi entre le sociologue et son objet, en se retournant sur lui. Le sociologue n’est plus le roi de l’objectivation universelle, comme le voulait Durkheim, mais participe de ce qu’il étudie tout en explicitant les relations latentes qu’il entretient avec son domaine de recherche. Comment pourrait-on lui demander d’abandonner sa propre subjectivité, si elle est à ce point constitutive de la nature de son objet ? La réponse est à chercher dans la fondation épistémologique de la sociologie de Simmel : la société est elle-même une « forme objective de consciences subjectives » et c’est en tant que telle qu’il faut l’étudier. Une des conséquences de l’application simmelienne de la réciprocité à l’analyse sociologique est ainsi de faire place à un questionnement philosophique constamment ouvert des assomptions axiomatiques qui fondent la sociologie en tant que science positive. La dualité de régime des écrits simmeliens, alternant le travail sociologique et l’ambition de trouver réponse aux questionnements classiques de la philosophie au-delà de ses bornes académiques, trouve ici sa raison d’être : l’un ne va pas sans l’autre. Cette dynamique épistémologique, pour fondée qu’elle soit dans les nécessités mêmes de la pensée de Simmel, entraîne les reproches d’ambiguïté et d’une insuffisante scientificité ressassés par une certaine réception encore liée à un modèle progressif lointainement hérité des stades comtiens. Elle comporte toutefois aussi des difficultés herméneutiques plus profondes, liées précisément au statut épistémologique dévolu au concept de réciprocité. Avec l’analyse des crises et des conflits, c’est la question de savoir comment la société peut se maintenir sans céder à ses tendances autodestructrices qui passe au centre de l’attention. La leçon marxienne …

Parties annexes