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Paul Bernard, décédé le 6 février dernier, a été professeur au Département de sociologie de l’Université de Montréal durant 37 ans. Embauché comme chargé d’enseignement en 1973, nommé professeur adjoint en 1975 à l’obtention de son doctorat en sociologie de l’Université d’Harvard, il a été nommé professeur agrégé en 1980, puis professeur titulaire en 1986. Sa contribution de professeur et de chercheur a profondément marqué le Département de sociologie de l’Université de Montréal ainsi que la sociologie québécoise et canadienne. Le bilan de l’oeuvre de Paul est imposant tant par sa qualité que par sa quantité (une dizaine de livres et de numéros thématiques de revues et une cinquantaine de chapitres de livres et d’articles dans des revues scientifiques, dont Sociologie et sociétés). En 2001, il recevait de l’Association canadienne de sociologie un prix pour sa contribution remarquable à l’avancement de la sociologie, un honneur hautement mérité.
Tout au long de sa carrière, les intérêts de recherche de Paul ont gravité autour de questions touchant les inégalités et les injustices sociales. Après sa thèse de doctorat en sociologie sur les hiérarchies et la structure sociale de la société adolescente, il s’est intéressé aux inégalités sociolinguistiques, plus spécifiquement à l’inégalité des chances entre francophones et anglophones face à l’éducation, à l’emploi et à la mobilité sociale, une préoccupation majeure au sein de la société québécoise de la fin des années 1970. Paul a ensuite progressivement élargi son champ de recherche aux inégalités de genre, aux inégalités sociales de santé, aux politiques publiques, aux régimes providentiels et au développement social et au bien-être, en défendant l’idée que les sociétés peuvent parvenir à une plus grande justice sociale dans le plus grand intérêt de tous. Ces thématiques de recherche s’intégraient toutes dans ses travaux théoriques, méthodologiques et empiriques sur les parcours de vie.
Personnalité affirmée, reconnu par ses pairs à travers tout le Canada et sur la scène internationale, Paul dépassait les frontières disciplinaires en suscitant des échanges intellectuels de haut calibre. Durant toute sa carrière, il a su jeter des ponts et tisser des liens entre chercheurs et décideurs, notamment par une présence soutenue au sein de conseils d’administration ou d’orientation d’instances scientifiques. À ces activités s’ajoute un engagement très actif — souvent à titre de président — auprès de nombreux comités consultatifs ou groupes de travail de Statistique Canada, de la Fédération canadienne des sciences sociales, de l’Institut de la statistique du Québec, du Conseil du Trésor canadien, du Conseil canadien de développement social, du Conseil de la science et de la technologie du Québec, du Commissariat à la santé et au bien-être du Québec et de Centraide du Grand Montréal. Pour Paul, pas de doute : la sociologie et le sociologue devaient être utiles à la société.
L’importance que Paul accordait à l’interdisciplinarité était visible dans la façon dont il abordait la recherche : il travaillait toujours en équipe avec des collègues provenant de divers horizons disciplinaires, confrontait constamment les perspectives théoriques, proposait des conceptualisations théoriques novatrices, visait à enrichir la connaissance par une réflexion fine et originale des processus sociaux.
La contribution la plus remarquable de Paul Bernard se situe incontestablement sur le plan des statistiques sociales. Mobilisant les expertises de ses collègues avec toute la passion et l’énergie qui le caractérisaient, il a apporté une contribution exceptionnelle aux développements des grandes enquêtes longitudinales ainsi qu’au développement d’indicateurs permettant d’étudier les trajectoires des individus. Il a été un des piliers dans le développement des centres d’accès aux données de Statistique Canada, une infrastructure majeure en sciences sociales qu’il laisse en héritage à l’ensemble de la communauté scientifique et aux générations futures de chercheurs. Il a aussi été l’un des principaux artisans de la venue de l’Institut de statistique de l’UNESCO à Montréal.
Paul s’est démarqué en tant que chercheur exceptionnel, mais aussi en tant qu’humaniste. Il a su transmettre à ses étudiants ce savoir-faire et ce savoir-être. Par un enseignement stimulant, toujours à la fine pointe des connaissances et solidement ancré dans les grands enjeux de société, il a formé des centaines d’étudiants au baccalauréat, une trentaine de maîtres, une quinzaine de docteurs et plusieurs stagiaires postdoctoraux. Véritable mentor, il a accompagné plusieurs étudiants au-delà de leur formation et les a aidés à s’insérer sur le marché de l’emploi et à débuter leur carrière.
La très haute estime dont Paul Bernard jouissait dans les divers réseaux nationaux et internationaux de recherche ainsi que son engagement constant dans le développement du Département de sociologie et de l’Université de Montréal font foi d’une remarquable contribution à la fois comme chercheur et professeur de sociologie, mais aussi comme collègue.
Bibliographie succincte de Paul Bernard
Bernard, P. et S. Moulin (2009), « The Lifecourse of the Social Mobility Paradigm », The New ISA Handbook of Contemporary Sociology, Conflict, Competition and Cooperation, Londres, Sage.
Bernard, P., K. L. Frohlich, M. De Koninck et A. Demers (2008), Les inégalités sociales au Québec : Comprendre et agir, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal.
Bernard, P., K. L. Frohlich, M. De Koninck et A. Demers (2008) (dir.), Les inégalités sociales de santé : de quoi parle-t-on ? , Montréal, Presses de l’Université de Montréal.
Bernard, P. et A. Lebel-Delaval (2008), « Protéger l’emploi ou le parcours d’emploi : la flexicurité dans une perspective comparative », in D.-G. Tremblay (dir.), Actes de Colloque de l’Association d’économie politique et du Comité de recherche sur le travail de l’Association internationale de sociologie, Montréal, Presses de l’Université du Québec.
Bernard, P., R. Charrafedine, L. Potvin, K. L. Frohlich, M. Daniel et Y. Kestens (2007), « Health Inequalities and Place : A Theoretical Conception of Neighbourhood », Social Science and Medicine, vol. 65, no 9, p. 1839-1852.
Bernard, P. et G. Boucher (2007), « Institutional Competetiveness, Social Investment, and Welfare Regimes », Regulation and Governance, vol. 1, nº 3, p. 213-229.
Bernard, P. (2007), « Social Change and Causal Analysis », in G. Ritzer (dir.), Blackwell Encyclopedia of Sociology, vol. 11, Malden (MA), Blackwell Publishing.
Bernard, P. et G. Boucher (2006), « Les défis méthodologiques des comparaisons internationales au moyen d’indicateurs sociaux », in P. Lavallée et L.-P. Rivest (dir.), Méthodes d’enquêtes et sondages, Pratiques européennes et nord-américaines, Paris, Dunod, p. 81-86.
Bernard, P. (2007), « The Interconnected Dynamics of Population Change and Life-Course Processes », Horizons, vol. 9, no 4, p. 13-16.
Bernard, P. et al. (2005), « Connaître, débattre, décider : la contribution d’une enquête socio-économique et de santé longitudinale et intégrée (ESSIL) », Ruptures, vol. 10, no 2, p. 47-59.
McDaniel, S. et P. Bernard (2003), « Introduction — Telling It With Numbers : Conceptual and Methodological Innovations in Social Statistics », Current Sociology, vol. 51, no 5, p. 477-481.
Bernard, P. et S. McDaniel (2003), « Introduction », Cahiers canadiens de sociologie, vol. 28, no 1, p. 1-3.
Bernard, P. (2003), « Présentation. Les nouvelles statistiques sociales », Sociologie et sociétés, vol. 35, no 1, p. 3-18.