Résumés
Résumé
Dans quelle mesure l’éducation scolaire conforte-t-elle la cohésion sociale ? Après avoir défini la cohésion sociale de manière opérationnelle et en mobilisant des comparaisons internationales sur un échantillon de pays économiquement développés, cet article explore en quoi certaines caractéristiques des systèmes scolaires s’avèrent associées aux scores de cohésion sociale. Il apparaît que les relations sont plus fortes entre la cohésion et certaines variables sociales qu’entre celles-ci et les variables scolaires proprement dites et que, parmi ces dernières, c’est surtout l’emprise des diplômes sur la carrière sociale et professionnelle des individus qui s’avère importante. Cet article met en évidence un effet pervers de la croyance dans la méritocratie scolaire qui justifierait les conséquences sociales des hiérarchies scolaires. Ce mécanisme est lui-même inclus dans un ensemble de perceptions de la légitimité des inégalités sociales.
Mots-clés :
- inégalités sociales,
- inégalités scolaires,
- cohésion sociale,
- méritocratie,
- crédentialisme
Abstract
To what extent does education reinforce social cohesion ? After developing an operational definition of social cohesion and making international comparisons of a sample of developed countries, this article explores how certain characteristics of educational systems prove to be associated with levels of social cohesion. It seems that relations are stronger between cohesion and certain social variables than between the former and educational variables per se and that, among the latter, it is particularly the influence of diplomas on individuals‘ social and professional careers that proves to be significant. This article highlights a perverse effect of belief in the educational meritocracy that justifies the social consequences of academic hierarchies. This mechanism is itself included in the overall perception of the legitimacy of social inequalities.
Keywords:
- social inequalities,
- educational inequalities,
- social cohesion,
- meritocracy,
- credentialism
Resumen
¿En qué medida la educación escolar fortalece la cohesión social ? Después de definir la cohesión social de manera operativa y recurriendo a comparaciones internacionales en torno a un muestreo de países económicamente desarrollados, este artículo explora en qué forma ciertas características de los sistemas escolares se ven asociadas a los resultados de la cohesión social. Resulta manifiesto que son más fuertes las relaciones entre la cohesión y ciertas variables sociales, que entre ésta y las variables escolares propiamente dichas y que, entre estas últimas, la influencia de los diplomas sobre la carrera social y profesional de los individuos presenta una mayor importancia. En este artículo se hace evidente un efecto perverso de la creencia en la meritocracia escolar, la que justificaría las consecuencias sociales de las jerarquías escolares. Este mismo mecanismo está incluido en un conjunto de percepciones propias de la legitimidad de las desigualdades sociales.
Palabras clave:
- desigualdades sociales,
- desigualdades escolares,
- cohesión social,
- meritocracia,
- credencialismo
Corps de l’article
Dans une perspective durkheimienne, les sociétés « tiennent » et forment des ensembles intégrés grâce à deux grands mécanismes. Le premier est celui de la division du travail qui répartit les individus dans des positions et des rôles cohérents formant la structure objective et plus ou moins « fonctionnelle » — organique — des sociétés. Le second mécanisme est celui de l’adhésion subjective des individus à des valeurs et à des représentations communes qui engendrent un sentiment de solidarité, de droit et de dette à l’égard du collectif et des autres. La Division du travail social, d’une part, et Les formes élémentaires de la vie religieuse, d’autre part, sont consacrés à ces deux grands mécanismes que, dans un article désormais classique, Lockwood (1964) nomme « l’intégration systémique » et « l’intégration sociale ». Si l’on suit toujours Durkheim, dans les sociétés modernes, l’école joue un rôle essentiel dans la production des deux dimensions de l’intégration. D’un côté, elle répartit les individus de la manière la plus adéquate dans les diverses positions sociales, de l’autre, elle instaure des valeurs et des normes communes ; elle assure l’intégration systémique et renforce l’intégration sociale quand l’individu est perçu comme souverain et quand la religion est censée perdre son influence.
Aujourd’hui, cette foi dans l’éducation scolaire n’a pas faibli. Dans la plupart des représentations, des discours politiques et des préconisations nationales et européennes en matière d’éducation, il va de soi que le développement de l’éducation scolaire est un des leviers de ce qu’on appelle désormais la cohésion sociale et qui n’est rien d’autre que l’intégration sociale, le sentiment de solidarité analysé par Durkheim. Non seulement plus une société éduque longtemps et bien, plus les inégalités scolaires seraient faibles, mais plus les sociétés seraient cohésives, plus les individus auraient des relations denses et confiantes. On peut cependant se demander si ce cercle vertueux est bien réel et si l’éducation scolaire détermine la cohésion sociale autant qu’on le croit.
Pour éclairer cette question, nous mobiliserons ici le pouvoir heuristique des comparaisons internationales (en travaillant sur un large échantillon de pays économiquement développés). Nous comparerons tout d’abord les relations entre la cohésion et certaines variables sociales globales (telles que les taux d’emplois, les inégalités sociales…), d’une part, et les relations entre la cohésion et certaines variables scolaires (les taux de scolarisation et les inégalités scolaires notamment), d’autre part. Évidemment, sur la base de données statistiques instantanées (non longitudinales), on ne peut à strictement parler que décrire ces relations. Mais la recherche systématique de relations, sur une variété de pays, permet de produire des hypothèses et même une première appréhension du rôle de l’école, hors de portée d’une suite de monographies de pays, si fines soient-elles. Il conviendra aussi d’explorer plus avant les mécanismes sous-jacents. Nous faisons ici l’hypothèse que c’est moins la nature de l’école elle-même que son mode d’emboîtement dans la société qui serait pertinente pour comprendre le niveau de cohésion sociale des sociétés. Nous mettrons donc au coeur de notre analyse la notion d’emprise des diplômes sur le devenir social des individus, en la définissant de manière opérationnelle par les bénéfices qu’un diplôme élevé apporte dans la vie professionnelle. Quand cette emprise est forte, on peut concevoir qu’elle amplifie les inégalités scolaires et, surtout, qu’elle renforce la reproduction des inégalités sociales entre les générations ; tous, élèves et familles, ayant intérêt à creuser les écarts scolaires afin d’en tirer des bénéfices sociaux avérés. C’est en ce sens que l’emprise des diplômes serait susceptible d’affaiblir la cohésion sociale. L’analyse des jugements portés par les individus sur les inégalités sociales viendra compléter cette interprétation : nous estimons en effet qu’on ne saurait comprendre la diversité des niveaux de cohésion sociale sans tenir compte des appréciations que portent les personnes sur la légitimité des inégalités sociales et sur la justice de l’emprise des diplômes qui prévalent dans leur pays.
1. Mesurer la cohésion sociale
La notion de cohésion sociale invite à considérer que les sociétés sont ordonnées et dynamiques parce que les individus possèdent les qualités et les dispositions qui leur permettent de vivre ensemble harmonieusement et de développer les conduites qui assurent la solidarité, nommée dans ce cas cohésion. Les individus sont actifs, engagés dans des réseaux de relations, inclus dans des groupes qui sont autant de ressources, et ce sont les liens sociaux plus que le « système social intégré » qui assurent la densité et l’unité de la vie sociale. Dans ce cas, la confiance en soi, dans les autres et dans les institutions apparaît comme une vertu cardinale. Non seulement elle accroît les relations, le civisme et la vie associative, mais, également, elle renforce le capital social tenu pour un des facteurs essentiels du développement économique (voir notamment Putnam et al., 1993).
Dès lors que les croyances et les valeurs partagées par les individus sont censées jouer un grand rôle dans le dynamisme économique des sociétés, la notion de cohésion sociale s’est imposée comme un outil clé des organismes internationaux soucieux de la gouvernance de sociétés que la mondialisation a placées simultanément en concurrence et dans une obligation de coopération. Aussi, les responsables politiques, les sociologues et les experts des grands organismes internationaux comme l’OCDE, le FMI ou la Banque mondiale, parlent de plus en plus de la cohésion sociale conçue comme un ensemble de valeurs et d’attitudes invitant à la collaboration (le capital social) et à la confiance en soi et dans les autres (Putnam, 2000 ; Coleman, 1990). La cohésion serait ainsi l’ensemble des valeurs et des vertus sociales qui fondent la solidarité des sociétés démocratiques et qui assurent leur développement économique. On peut alors caractériser les pays en fonction de leur « régime de cohésion sociale » définis par leur niveau de cohésion et par la nature du contrat social qui les soude, qu’il s’agisse du marché, de l’État ou de la communauté (Green et Janmaat, 2009).
Dans un ouvrage qui a rencontré en France un certain écho, Algan et Cahuc (2007) montrent, à partir des enquêtes internationales relatives aux valeurs, que les Français ont faiblement confiance dans les institutions, dans le système politique et dans les autres. Ils estiment que ce déficit de confiance qui, à terme, engendre du chômage et des inégalités traduit un certain corporatisme, typique de notre pays, découlant de la multiplicité des régimes de protection. Pour renforcer la confiance, il faudrait, à leurs yeux, entrer dans un système plus libéral et rendre l’État plus actif que protecteur. Dans tous les cas, la cohésion est la « morale » de la société civile, ce qui en fait une notion technique et un modèle normatif, une série d’indicateurs bien plus qu’un concept précis[1]. Ceci aboutit à quelques paradoxes puisque les sociétés qui répondent le moins à ces valeurs ancrées dans le nord de l’Europe seront toujours perçues comme peu cohésives[2]. De même, on peut ne pas apprécier le poids des valeurs dominant certaines sociétés traditionnelles, profondément religieuses et autoritaires, mais il serait difficile de ne pas les trouver cohésives si l’on délaisse un moment l’ethnocentrisme des sociétés modernes, démocratiques et libérales qui définissent les critères du benchmarking et le palmarès de la cohésion[3].
À la suite des enquêtes pionnières d’Inglehart (1977 ; cf. aussi Norris et Inglehart, 2004), nous disposons de nombreux travaux sur les valeurs auxquelles adhèrent les individus dans diverses sociétés modernes. Tout un ensemble d’attitudes concernant le lien social, la famille, les inégalités, la politique, la religion, ou le travail sont disponibles et, a priori, toutes sont des indicateurs de la cohésion sociale (voir par exemple Bréchon et Tchernia, 2009 ; Galland et Lemel, 2006). Comme il n’est évidemment pas possible de tenir compte de toutes ces dimensions et de toutes ces variables dans une analyse comparative, nous avons choisi de ne retenir que deux grandes familles d’attitudes relevant du lien social, à la fois parce qu’elles sont les plus familières dans les comparaisons internationales et parce qu’elles sont les plus étayées sur le plan théorique[4]. 1/ Le capital social appréhende la densité des relations, de la vie associative et les ressources relationnelles des individus. 2/ La confiance concerne les attitudes favorables aux institutions sociales et politiques, et favorables aux autres (dont on peut penser qu’elle s’accompagne d’une relative tolérance eu égard à leur diversité). Souvent, les deux dimensions sont si fortement articulées qu’elles se mêlent et la cohésion sociale est alors définie comme « les réseaux qui relient entre eux les membres d’une société et les normes de réciprocité et de confiance qui en découlent » (Coleman, cité in Ponthieux, 2004). Cette définition revêt une certaine part d’arbitraire, comme toute définition opérationnelle (dès lors qu’on définit une variable inobservable par les indicateurs qui permettent de l’appréhender) ; mais le nombre et le caractère convergent des indicateurs, d’une part[5], leur justification théorique, d’autre part, confortent la construction de cette variable telle qu’elle est retenue ici.
Le premier groupe d’indicateurs est relatif au capital social, c’est-à-dire à la densité de la vie sociale et de la société civile. Ici, le capital social est entendu, à la manière de Putnam, comme l’intensité de la coopération horizontale entre les acteurs, à l’ampleur de la vie associative et à la force des liens.
Confiance et capital social ne sauraient être confondus. Le capital social mesure l’intensité de la vie sociale, alors que la confiance est un ensemble de croyances et d’attitudes. On peut aisément supposer que certaines catégories sociales ont un fort capital social et peu de confiance dans la mesure où le capital, dense, se resserre sur des liens forts mais étroits, tandis que la confiance dans les institutions, par exemple, peut dispenser de s’appuyer sur un fort capital social (Putnam, 2007). On pourrait ainsi considérer que le régime libéral suppose un capital social important et une faible confiance dans les institutions centrales, alors que le régime républicain reposant sur une forte confiance dans les institutions centrales, le capital social et la confiance dans les autres deviennent moins nécessaires.
Nous avons construit une variable « confiance » agrégeant la confiance générale et la tolérance générale[6], pour la croiser ensuite avec une variable décrivant, de manière agrégée, l’ampleur du capital social.
Pour caractériser le niveau de cohésion sociale des pays comparés, il nous faut donc intégrer ces deux dimensions qui ne sont pas parfaitement corrélées (même si la corrélation est de 0,660, très significative). Le croisement de ces deux variables, dont chacune discrimine bien les pays, comme le montre le graphique 1, fait apparaître trois grandes modalités de la cohésion, trois et non quatre, car aucun pays ne se situe dans le cadran associant un fort capital social à une faible confiance. Cette figure-là se présente comme une aporie théorique réservée au modèle de la Gemeinschaft, de la communauté fermée et sans État dans laquelle la confiance serait réservée aux seuls proches et aux « frères », groupe humain sans institutions séparées et sans forts clivages internes, ensemble dans lequel le capital social exprimerait la totalité de la confiance globale.
On peut ainsi distinguer trois grands types (même si certains pays, ceux proches du centre du graphique, apparaissent peu typés). Un premier ensemble que l’on peut désigner par l’étiquette — Confiance démocratique libérale et social-démocrate (en haut à droite) — est composé des pays scandinaves auxquels se joignent les Pays-Bas, le Canada et les États-Unis. Ici, la confiance et le capital social sont élevés, ce qui confère aux pays scandinaves une réputation de vertu civique inégalée. Les deux sociétés nord-américaines sont un peu moins « performantes » en termes de confiance et de tolérance que ne le sont les sociétés social-démocrates du nord de l’Europe. On pourrait sans doute distinguer un modèle libéral et un modèle social-démocrate mais, dans tous les cas, on peut dire que ces pays partagent un imaginaire de la confiance démocratique, que ce soit la tradition démocratique américaine décrite par Tocqueville, ou la communauté protestante du nord de l’Europe dont Montesquieu chantait les vertus de modération des « passions ».
Le second ensemble (en haut à gauche du graphique) pourrait être défini comme le modèle européen, rassemblé autour d’une confiance relativement élevée et d’un capital social plutôt faible. Dans les plupart des cas, ces pays ont été construits par des États dans lesquels les liens sociaux passent plus par la médiation des institutions que par les relations « horizontales » des communautés démocratiques locales. En dépit de la singularité de chaque pays, il semble que l’on puisse s’accorder sur un modèle européen dont le capitalisme rhénan ou l’État social corporatiste (Esping-Andersen, 1999) serait le coeur. L’Allemagne, la Belgique et la France sont les figures les plus exemplaires de ce modèle autour duquel gravitent les pays de l’Europe du Sud d’une part, et les pays plus libéraux comme l’Irlande et le Royaume-Uni d’autre part. Enfin, il n’est pas interdit de penser que les politiques européennes organisées autour de ce noyau central ont pu contribuer à installer une figure commune de la cohésion sociale.
Le dernier ensemble (en bas à gauche du graphique), plus difficile à caractériser, est composé des pays de l’Est et de certains pays du sud de l’Europe. On pourrait les identifier par l’étiquette de « nouveaux venus à la démocratie », soit parce qu’ils ont connu des dictatures d’extrême droite, comme la Grèce et le Portugal, soit parce que ce sont des anciens pays communistes. On peut faire l’hypothèse que ces régimes ont affaibli la société civile, le capital social et la confiance en dehors des liens familiaux, sans que, pour autant, la confiance dans les institutions démocratiques soit solidement établie comme l’indique le niveau élevé du sentiment de corruption des élites politiques[7]. On pourrait aussi désigner ce groupe par l’étiquette de capitalisme tardif, mais, comme précédemment, certains pays échappent à cette définition (notamment l’Italie), comme cela est inévitable quand on élabore une typologie, démarche qui ne prétend pas se substituer à des monographies qui apporteraient un éclairage différent.
2. Les relations entre éducation et cohésion sociale
L’analyse des relations entre éducation et cohésion sociale conduit à s’arrêter un instant sur la question de l’appréhension des « effets » de l’éducation, question à la fois intéressante d’un point de vue scientifique et pertinente d’un point de vue politique. Comme tout processus d’évaluation, la mesure des « effets » se fait toujours en référence à des valeurs, d’une part, et à des contraintes et des choix techniques loin d’être neutres, d’autre part[8].
La nature des « effets »
Il importe d’abord de distinguer les effets « micro » (en ce qui a trait aux individus) et les effets « macro » (en ce qui a trait au pays), ces deux types d’effets n’étant pas toujours en continuité ou jugés de la même manière. Au-delà des considérations normatives inévitables en la matière, certains effets peuvent être jugés positifs quant aux personnes et plus problématiques sur le plan collectif, sachant qu’il serait étonnant que tous les « bénéfices » soient jugés de la même manière par tout le monde. Par exemple, on peut se féliciter de ce que le niveau d’éducation fasse baisser la fécondité des femmes, alors qu’on s’inquiète souvent, au niveau collectif, d’une fécondité trop faible déséquilibrant la pyramide des âges. Il semble bon que l’éducation développe l’esprit critique des individus, mais on déplore en même temps la crise de l’autorité et le déclin du civisme et de la confiance dans les institutions. Ces décalages, susceptibles d’être observés dans toute analyse écologique, doivent rendre vigilants par rapport au risque d’« ecological fallacy », ou plus largement de paradoxe écologique. La question de savoir si les effets collectifs ne sont que la somme arithmétique des effets individuels est particulièrement pertinente en ce qui concerne l’impact de l’éducation, qui peut se faire via plusieurs modèles, comme le suggère l’OCDE (OCDE-CERI, 2006).
Le modèle absolu : l’éducation a un effet direct et positif sur l’individu (sur ses compétences, ses attitudes…) ; renforcer l’éducation est alors un bien et l’augmentation globale du niveau d’éducation conduit, dans la société, à un accroissement global du bénéfice attendu. On est ici dans un jeu à somme positive.
Le modèle relatif : en changeant la place de l’individu dans la hiérarchie des relations sociale, le niveau d’éducation peut générer des bénéfices pour les uns mais entraîner d’autres personnes vers le bas. On est alors dans le cas d’un jeu à somme nulle avec des gagnants et des perdants. En d’autres termes, l’éducation est ici un bien positionnel ; l’éducation reçue (ou un surcroît d’éducation) peut donc avoir un effet positif pour ceux qui en bénéficient et disqualifier plus encore dans le cas contraire.
Ceci milite pour une distinction systématique entre effets collectifs et effets individuels de l’éducation. Des recherches, assez peu nombreuses, mettent le doigt sur ces difficultés et ces paradoxes. Ainsi, même si dans tous les pays européens, les personnes les plus instruites présentent les symptômes d’une bonne cohésion (moindre criminalité, civisme plus affirmé…), la recherche en éducation comparée (notamment Green et al., 2006) montre que si l’on compare le niveau de cohésion sociale dans des pays avec les niveaux d’éducation moyens inégaux, il n’y a pas de relation significative. En d’autres termes, ce ne sont pas les pays en moyenne les plus instruits qui présentent les niveaux de cohésion les plus élevés. Dans toute notre analyse, il faudra donc résister à la tentation toujours présente d’interpréter les corrélations observées au niveau pays par des considérations plausibles ou avérées au niveau des individus.
Les facteurs sociaux de la cohésion sociale
Avant d’explorer les incidences de l’éducation scolaire sur la cohésion, il faut dire un mot des relations qu’entretient cette dernière avec des facteurs sociaux plus généraux. Le dynamisme du marché du travail (appréhendé ici par sa capacité à intégrer dans l’emploi) s’avère fortement corrélé avec les deux dimensions de la cohésion, avec le capital social (corrélation de 0,653 ; significative) et avec la confiance (corrélation de 0,642 ; significative)[9]. Il semble donc très difficile d’atteindre un niveau élevé de cohésion avec un marché du travail déprimé. Néanmoins, certains pays apparaissent peu « cohésifs » avec un marché du travail pourtant assez dynamique ; c’est le cas du Japon, ou encore du Portugal. De même, on remarque qu’avec un niveau de dynamisme du marché du travail comparable, la Corée et les Pays-Bas, ou encore le Portugal et la Finlande, présentent des niveaux de cohésion inégaux. Même si les sociétés qui intègrent par l’emploi se montrent plus cohésives que les autres, la relation entre ces deux dimensions n’est donc pas strictement mécanique.
Par ailleurs, la cohésion sociale est d’autant plus faible que les inégalités de revenus sont fortes, bien que cette relation soit moins marquée que la relation entre le dynamisme du marché du travail et la cohésion. Cette corrélation est surtout forte en ce qui concerne la dimension « confiance » de la cohésion : la corrélation entre les inégalités et la confiance est significative (– 0,456), alors qu’elle ne l’est pas avec la variable capital social (– 0,301). Le croisement entre la variable « confiance/tolérance » et la variable « inégalités/pauvreté » suggère donc qu’il est assez rare d’observer un niveau élevé de cohésion quand les inégalités sont fortes, à l’exception notable des États-Unis qui apparaissent comme un cas extrêmement singulier tenant à la perception sociale des inégalités dans ce pays qui semble les accepter particulièrement bien (Massey, 2007). On note à nouveau que des pays qui présentent le même niveau de cohésion sociale peuvent avoir, par ailleurs, des niveaux d’inégalités et de pauvreté sensiblement différents. Ainsi, l’Allemagne et le Royaume-Uni présentent un niveau de cohésion sociale similaire bien que le Royaume-Uni soit beaucoup plus inégalitaire que l’Allemagne. Il en va de même pour les couples formés par la France et l’Irlande, ou la Tchéquie et la Grèce. On retrouve ici certains résultats pointés par Green et coll. (2006), qui soulignaient que le niveau de la cohésion sociale est fortement corrélé avec l’ampleur des inégalités de revenus mesurée par l’indice de Gini. Prises ensemble, ces différentes caractéristiques macro-sociales expliquent la cohésion sociale dans des proportions élevées, comme le montre le modèle présenté dans le tableau 1. Il s’agit évidemment d’une explication statistique, car, nous l’avons évoqué, la mise en relation de variables agrégées contemporaines ne peut produire, au sens strict, qu’une description ; mais c’est là le lot de toutes les analyses comparatives fondées sur des données instantanées, et, quoi qu’il en soit, la frontière est souvent poreuse, en sociologie, entre mise en relation et explication.
Du fait de la conjugaison de cet ensemble de caractéristiques, on comprend pourquoi les pays scandinaves, dynamiques et égalitaires, sont généralement très cohésifs, et pourquoi les pays libéraux, dynamiques mais inégalitaires, sont eux aussi cohésifs. Les pays « corporatistes » ou de type « européen » sont moins cohésifs : plus inégalitaires que les pays scandinaves, ils sont aussi peu dynamiques et comptent beaucoup de chômeurs. Enfin, les pays que nous avons qualifiés de « nouveaux venus à la démocratie » sont inégalitaires et peu dynamiques, et par ailleurs peu cohésifs. Évidemment, ces corrélations ne disent rien du sens de la causalité : est-ce la cohésion qui entraîne le dynamisme et l’égalité comme le suggèrent Algan et Cahuc par exemple, ou est-ce l’inverse comme on peut le penser quand on estime que les sociétés ne tiennent pas seulement par leurs valeurs et leurs représentations ?
Les facteurs scolaires de la cohésion sociale
Il existe évidemment de multiples manières de caractériser les systèmes scolaires ; dans la problématique retenue ici, celle de la production de la cohésion sociale, nous l’avons fait en croisant les niveaux de scolarisation (le niveau des acquis et les taux de scolarisation) avec les inégalités scolaires. On conçoit aisément qu’un système scolaire est d’autant plus intégré qu’il accueille beaucoup d’élèves pour les conduire vers un haut niveau d’acquisitions sans créer pour autant de profondes inégalités entre les élèves. On utilisera donc des indicateurs de niveau de développement des systèmes éducatifs et d’inégalités entre élèves et entre groupes sociaux[10]. Notons que ces deux types d’indicateurs sont légèrement corrélés : plus le système scolarise et forme longtemps, plus, en moyenne, les écarts entre les élèves et les écarts sociaux sont faibles, bien que la corrélation n’atteigne pas le seuil de significativité. Soulignons aussi que la très forte corrélation entre écarts interindividuels et écarts sociaux (plus les inégalités de performance entre les élèves sont fortes, plus l’origine sociale des élèves pèse sur ces performances) nous a conduit à construire un indicateur unique d’inégalités scolaires.
Enfin, pour qui cherche à dégager les caractéristiques scolaires liées à la cohésion sociale, il est essentiel de tenir compte des attitudes et des valeurs des élèves. Sur ce point, les enquêtes PISA apportent des données originales en interrogeant les élèves sur certains aspects de leur expérience scolaire ; par exemple, leur semble-t-il utile et bon de travailler avec les autres ?, ont-ils confiance dans l’école ?, pensent-ils qu’elle leur est utile pour occuper un emploi, se sentent-ils étrangers ou chez eux à l’école ?… Elles les interrogent aussi sur leurs perceptions des enseignants : ont-ils confiance en eux ?, pensent-ils qu’ils sont là pour les aider ? … Nous avons regroupé ces attitudes autour de cinq grands thèmes qui, tous, déclinent les dimensions de la confiance que peuvent avoir les élèves dans l’école : le sentiment d’utilité de l’école, la confiance dans les professeurs, le sentiment d’appartenance à l’école, l’intégration dans le groupe de pairs, le goût pour le travail en groupe. Ces cinq groupes de variables sont corrélés entre eux[11], ce qui semble révéler des climats éducatifs véritablement différents dans les divers pays étudiés. Ceci nous a conduit à construire une macro-variable appelée cohésion scolaire.
Les corrélations entre la cohésion sociale et les caractéristiques scolaires apparaissent assez faibles. Comme le montre le tableau 2, parmi les variables caractérisant très globalement les systèmes scolaires, seul le niveau général d’intégration scolaire (niveau de la scolarisation et des acquis) est corrélé positivement avec la cohésion sociale. Ni ce que nous avons appelé la cohésion scolaire, ni les inégalités entre élèves et entre groupes ne sont corrélés significativement avec la cohésion sociale.
Néanmoins, dans un modèle multivarié visant à évaluer statistiquement le poids de certaines caractéristiques scolaires sur le niveau de la cohésion sociale (voir tableau 3), si l’impact positif du niveau de développement du système éducatif et du niveau des acquis est confirmé, la cohésion scolaire se voit également dotée d’un coefficient positif et significatif, et l’ensemble de ces trois variables explique statistiquement 25 % de la variance de la cohésion sociale.
De prime abord, l’absence de corrélation entre les inégalités éducatives et la cohésion sociale est surprenante. On imaginerait volontiers que les inégalités éducatives induisent une distance culturelle entre les individus, rendant la communication et la confiance plus difficiles ; elles engendreraient aussi de l’anxiété et du stress dans un contexte de compétition scolaire croissante. C’est ainsi que Brown (2003) souligne qu’avec l’élévation du niveau d’instruction et la multiplication des diplômes, la compétition entre les groupes sociaux pour l’accès aux positions sociales enviées se fait encore plus aiguë ; il rappelle ainsi que l’acquisition d’un surplus d’éducation est aussi une manière de se distinguer des autres. Ceci permet d’entrevoir comment l’éducation pourrait, au niveau agrégé, avoir des conséquences négatives en termes de cohésion sociale.
Il n’empêche qu’à ce stade de l’analyse, la cohésion sociale semble dépendre davantage des caractéristiques globales des sociétés que des caractéristiques de leurs systèmes éducatifs. Ce que fait l’école, à travers son niveau d’intégration et d’acquis et par le climat scolaire quotidien, aurait certes une importance sur la cohésion sociale, mais moins que des caractéristiques fondamentales de la société comme ce que nous avons appelé ici le dynamisme du marché du travail, donc (en creux) le niveau du chômage, et celui des inégalités de revenus.
3. Emprise des diplômes et cohésion sociale
L’emprise des diplômes
Le fait qu’il n’y ait pas, en moyenne, de relations directes et massives entre les inégalités, les niveaux et les climats scolaires et la cohésion des sociétés ne signifie pas que l’éducation ne joue qu’un rôle marginal. Ceci peut suggérer que la chaîne des relations entre l’éducation et la cohésion sociale est médiatisée par les diverses manières dont l’école pèse sur les parcours sociaux des individus. On peut imaginer que le lien entre les sociétés et leurs écoles tienne à la valeur économique et sociale accordée aux diplômes ; dans ce cas, il faut s’intéresser de près au rôle joué par les hiérarchies scolaires dans l’insertion des individus et, au niveau macro cette fois, à la résultante de ce processus dans la formation de la cohésion sociale. On fait alors l’hypothèse que c’est vers l’aval de l’école et vers les modes d’emprise des systèmes scolaires sur les sociétés qu’il faut se tourner. Rappelons que, selon les analyses de Kerckhoff (2000), on peut considérer que les sociétés ventilent leurs membres dans les différentes places qu’elles comportent via deux processus : d’abord, l’affectation des individus à un cursus scolaire ; ensuite, l’affectation à une place sociale sur la base du cursus réalisé. La sociologie de la reproduction, notamment en France, s’est davantage focalisée sur le premier de ces processus, alors que le second restait relativement dans l’ombre.
Pourtant, cette piste est d’autant plus prometteuse que les comparaisons internationales relatives à la mobilité sociale montrent que si, dans tous les pays, les diplômes constituent le vecteur privilégié de l’insertion professionnelle et sociale, la force du lien entre les titres scolaires et les positions sociales occupées par les jeunes sortant du système de formation s’avère très différente d’un pays à l’autre. Les comparaisons internationales conduites par Shavit et Müller (1998) montrent que les pays diffèrent davantage par leurs modes d’articulation entre formations et emplois, c’est-à-dire, concrètement, par les bénéfices que l’on tire des diplômes sur le marché du travail, qu’en ce qui concerne l’amplitude des inégalités sociales à l’école. Ce qui différencie les divers pays, ce sont moins les inégalités scolaires en elles-mêmes que le rôle qu’elles jouent dans le destin social des individus. C’est pour opérationnaliser la manière dont les jeunes « rentabilisent » leurs diplômes que nous avons construit la variable « Emprise ». Nous avons retenu ce terme d’« emprise », car au-delà de l’effet strictement économique des diplômes qui est ainsi appréhendé, il renvoie à la dimension de croyance collective diffuse en la valeur de ces derniers, inégalement prégnante selon les pays.
Cette variable « Emprise » est construite par l’agrégation de deux variables : d’une part, l’emprise des diplômes sur l’emploi mesurée par le taux d’emploi des diplômés de l’enseignement supérieur par rapport à ceux ayant un diplôme inférieur au 2e cycle du secondaire ; d’autre part, l’emprise des diplômes sur les salaires mesurée par le salaire moyen des diplômés du tertiaire par rapport au salaire moyen des individus ayant un diplôme inférieur au 2e cycle du secondaire[12]. L’emprise appréhende donc l’ampleur des avantages économiques apportés par le diplôme, plus précisément par un diplôme de l’enseignement supérieur qui constitue le niveau d’études le plus discriminant dans l’échantillon de pays riches et largement scolarisés pris en compte ici. Plus la valeur de cette variable est élevée, plus les diplômes sont « rentables » en termes d’insertion professionnelle et/ou de salaires. Évidemment, la valeur « marchande » des diplômes se déploie dans un environnement économique qui n’a pas un caractère accessoire : en particulier, les diplômes sont davantage susceptibles de différencier leurs détenteurs si les salaires sont inégaux, ou encore s’ils sont rares. Mais ces relations se conjuguent différemment au sein de chaque pays : par exemple, comme l’illustre le graphique ci-après, l’emprise des diplômes, qui s’avère très variable selon les pays étudiés, est plus marquée aux États-Unis qu’au Japon, deux pays où les diplômes de l’enseignement supérieur sont très répandus, mais où le niveau des inégalités salariales est sensiblement diffèrent ; de même, du côté des pays où l’enseignement supérieur est moins développé, l’emprise du diplôme est bien plus forte dans les pays de l’Europe centrale que dans les pays méditerranéens.
Forte emprise et faible cohésion
Le graphique 2 révèle une relation aussi inattendue que fondamentale entre l’emprise des diplômes et la cohésion sociale : plus l’emprise des diplômes est forte, plus la cohésion sociale est faible (la corrélation est de – 0,547).
Bien sûr, le sens de la causalité reste à déterminer. Est-ce quand on n’a pas confiance dans les autres ou quand il y a peu de capital social qu’on s’en remet aux diplômes pour embaucher ? Au contraire, quand les diplômes sont tout-puissants, leur emprise mine-t-elle la confiance et le capital social parce qu’ils garantissent des avantages à ceux qu’ils protègent et enlèvent alors toute chance aux perdants de la compétition scolaire ?
Toujours est-il que même si l’articulation entre les titres scolaires et les emplois semble au coeur d’un ensemble de relations qui produisent in fine la reproduction sociale[13], il semble y avoir une tension, sinon une contradiction, entre les avantages que les individus tirent de leurs diplômes sur le marché du travail et la cohésion des sociétés, ce qui est un bel exemple de paradoxe écologique : des relations étroites entre la formation et l’emploi (un fort rendement des diplômes pour les individus) seraient donc associées en moyenne, sur le plan des sociétés, à des niveaux moindres de cohésion. S’opposent ainsi un ensemble de pays caractérisés à la fois par un niveau global de cohésion élevé et par une faible emprise des diplômes, les pays de l’Europe du Nord mais aussi l’Australie, à des pays peu cohésifs dans lesquels l’emprise des diplômes est très élevée et la cohésion sociale est faible, notamment les pays de l’Europe centrale. Il existe aussi un ensemble de pays dans lesquels l’emprise des diplômes et la cohésion sont relativement faibles : la Corée, l’Espagne, la France et le Japon. Les États-Unis se singularisent par une assez forte emprise des diplômes et une forte cohésion alors que tous les autres pays se placent sur la droite, démontrant qu’en moyenne plus l’emprise des diplômes est forte et plus la cohésion sociale est faible[14].
Le crédentialisme
Quand on désagrège la macro variable de cohésion sociale, en distinguant la confiance et la tolérance, d’une part, et le capital social, de l’autre, l’emprise des diplômes apparaît davantage corrélée avec la confiance qu’avec le capital social : les coefficients de corrélation partielle sont respectivement de – 0,472 et de – 0,032 (ce dernier coefficient étant non significatif). L’emprise des diplômes paraît donc relativement indépendante du capital social, de la densité des relations et de l’engagement dans la communauté ; elle n’est corrélée qu’à la confiance dans les institutions et dans les autres (cf. graphique ci-après).
Nous retrouvons ici certaines des observations et interprétations faites par Galland (2009) et Van de Velde (2008) sur les jeunesses européennes. Quand on les compare aux jeunes Danois, par exemple, les jeunes Français se montrent extrêmement défiants et pessimistes : ils craignent le chômage, n’ont confiance ni en eux, ni dans l’État dont ils attendent beaucoup : et comme ces attentes sont déçues, ils perdent confiance tout en refusant que l’État soit moins présent. Cette faible confiance vient de ce qu’ils pensent que la totalité de leur avenir se joue dans la « perfection » de leurs parcours scolaires, alors que les jeunes Danois ou les jeunes Anglais n’attendent pas tout de leurs études et savent qu’ils auront d’autres qualités à faire valoir et d’autres chances à jouer que celles que reconnaît et sanctionne l’école. Si l’on suit cette piste, l’emprise des diplômes s’avérerait délétère pour la cohésion sociale en ce qu’elle induit une forte compétition scolaire nourrie par l’utilité des diplômes. Dans ce cas, on peut imaginer que les groupes les plus favorisés tirent mieux leur épingle du jeu scolaire, ce qui accentue la reproduction sociale des statuts entre générations[15].
De manière plus générale, la relation négative entre l’emprise des diplômes et la cohésion sociale ainsi que la force du lien entre l’emprise et la reproduction sociale invitent à reprendre les analyses du sociologue américain Randall Collins (1971) autour de la notion de crédentialisme. Il désignait sous ce terme la tendance des sociétés modernes à fonder l’accès aux positions sociales sur les diplômes, et sur des diplômes de plus en plus élevés parce qu’on les croit socialement justes et économiquement efficaces. Dans ce cas, l’élévation du niveau de formation n’est pas nécessairement une réponse fonctionnelle aux besoins de l’économie, mais bien plus une stratégie défensive de social closure, de préservation de son pré carré, dirait-on en langue française[16]. Les diplômes fonctionnent alors comme des critères d’exclusion puisque ceux qui n’en possèdent pas ou en possèdent peu sont marqués par un stigmate négatif d’incompétence professionnelle et parfois d’indignité sociale. Les groupes professionnels ont ainsi pour stratégie défensive d’imposer la croyance dans leurs compétences scolairement certifiées et dans la légitimité des avantages sociaux qu’ils en retirent.
Le crédentialisme rigidifie ainsi l’allocation des places puisque seuls les détenteurs de certains diplômes peuvent accéder à certains emplois. La sélection est faite d’emblée, avec moins de mobilité professionnelle ensuite, et le crédentialisme renforce lui-même la cristallisation des classes sociales et la reproduction sociale. Il est probable que la croyance dans les certifications scolaires accentue le sentiment d’exclusion des moins qualifiés qui peuvent penser qu’ils ont laissé passer leurs chances puisque l’école seule débouche sur des places « honorables » dans le monde du travail. Aujourd’hui, les élèves et leurs parents savent bien que les effets des inégalités sociales sur les performances scolaires sont difficiles à éliminer en raison de l’inégalité des conditions dans lesquelles grandissent les enfants (Duru-Bellat et Meuret, 2009). Dans ce cas, un modèle méritocratique tronqué qui ne retient que l’adéquation des diplômes aux emplois, alors même que les diplômes sont inégalement accessibles, peut avoir des effets négatifs sur la cohésion sociale et notamment sur la confiance globale.
De plus, le crédentialisme pèse sur les relations de travail elles-mêmes dans la mesure où les certifications scolaires écrasent souvent les compétences et les formes de mérite dégagées dans le cadre du travail, par le jeu des postes réservés aux diplômés et les blocages de carrières qu’il induit sur les moins diplômés qui ne sont pas forcément les moins compétents (voir Duru-Bellat, 2009 ; Dubet et al., 2006), tout ceci pouvant être accentué par le fait que les qualités sanctionnées par les qualifications scolaires sont parfois distantes des qualités requises par les activités professionnelles.
Toutes ces raisons rendent compréhensible, sociologiquement parlant, la corrélation négative que l’on observe entre l’emprise des diplômes et la cohésion sociale. Néanmoins, toute cette interprétation en termes de crédentialisme est datée. On peut ainsi penser, comme Goldthorpe (2003), que plus s’accroît l’emprise de l’école, plus les catégories dominantes sont susceptibles de choisir d’autres manières de maintenir leurs positions quand elles risquent d’être « perdantes » dans une école trop ouverte les invitant à abandonner leurs avantages au profit de challengers. On observe d’ailleurs une baisse tendancielle de l’intensité des relations formation-emploi, comme le montrent les analyses comparatives récentes de la mobilité (Breen, 2004). Toujours est-il que cette notion de crédentialisme invite à prendre en compte, dans l’exploration des fondements de la cohésion sociale, les jugements que les personnes portent sur les réalités sociales elles-mêmes, jugements qui en constituent, en quelque sorte, la face subjective.
4. Jugements sur les inégalités et cohésion sociale
Les jugements portés sur les inégalités sociales pourraient être conçus comme une des dimensions de la cohésion sociale ; une société dont les membres penseraient que les inégalités sont acceptables et légitimes serait nécessairement plus cohésive qu’une société qui ne le croirait pas. Mise à l’épreuve des perceptions des inégalités, la notion de cohésion sociale est alors interrogée comme une « idéologie », c’est-à-dire comme un ensemble de représentations et de croyances justifiant l’existence d’inégalités plus ou moins grandes. Dans la mesure où, dans les sociétés démocratiques, l’école mobilise des conceptions de la justice scolaire, notamment du mérite, et par là, de la justice sociale (Duru-Bellat et Tenret, 2009), on peut se demander si l’emprise des diplômes contribue à légitimer les inégalités, ou si, au contraire, elle affaiblit cette légitimité.
Inégalités réelles, inégalités perçues
Le jugement sur les inégalités dans les divers pays peut être appréhendé notamment à partir des réponses à une question figurant dans les enquêtes ISSP[17] : « Les inégalités sont-elles trop grandes dans votre pays ? » Figurent également dans ISSP deux questions portant sur la perception de la méritocratie : « Diriez-vous que dans votre pays, les personnes sont récompensées pour leurs efforts ? » et « Diriez-vous que dans votre pays, les personnes sont récompensées pour leurs capacités ou leurs compétences ? » Les réponses à ces deux questions étant évidemment très redondantes (corrélation de 0,973), ceci a justifié la création d’une variable unique dénommée mérite[18].
Rappelons qu’un certain nombre d’analyses comparatives (Forsé et Parodi, 2010 ; Chauvel, 2006) montrent que les jugements que les membres des diverses sociétés portent sur les inégalités sociales ne sont pas le reflet des inégalités objectives révélées par divers indicateurs de mesure. Il suffit de croiser les jugements des individus avec la mesure des inégalités dans les divers pays de notre échantillon pour aboutir au même constat.
Le graphique 4 montre clairement que la perception des inégalités comme excessives ne reflète pas les inégalités sociales objectives appréhendées ici par les inégalités de revenus (la corrélation est de – 0,172). La France et les États-Unis sont des cas particulièrement contrastés de cette disjonction. Alors que l’éventail des inégalités est près de deux fois plus ouvert aux États-Unis qu’il ne l’est en France, les Français sont bien plus nombreux que les Américains à penser que celles-ci sont excessives. Bien que les pays scandinaves soient les moins inégalitaires de l’échantillon, les Norvégiens et les Suédois pensent que les inégalités sont moins légitimes que les Américains. Les pays scandinaves et les États-Unis ayant, par ailleurs, des scores de cohésion sociale proches et élevés, il est clair qu’on ne peut faire des jugements portés sur les inégalités une simple dimension de la cohésion sociale telle que nous la définissons ici.
Perception des inégalités et cohésion sociale
Quand on examine plus précisément la situation des divers pays en fonction de leur cohésion sociale et de la perception des inégalités (graphique 5), il s’avère que, de manière générale, le sentiment que les inégalités sont trop grandes est associé à un degré moindre de cohésion sociale, ou, à l’opposé qu’un niveau élevé de cohésion sociale est associé à une atténuation de la dénonciation des inégalités. On remarque à nouveau la position très particulière du Japon où la cohésion est très faible alors que les inégalités ne sont pas perçues comme trop grandes[19]. Mais les autres pays sont très concentrés autour de la droite de corrélation.
Plus on juge que les inégalités sont excessives, moins, dans le même temps, la cohésion sociale est forte. Il faut rappeler aussi que la corrélation entre la cohésion sociale et les inégalités « réelles » est de – 0,451. On peut donc conclure que le niveau de la cohésion sociale est certes lié à l’ampleur des inégalités réelles de revenus, mais, plus encore à l’évaluation qui en est faite, puisque, à l’aune de la question « les inégalités sont-elle trop grandes ? », la corrélation est de – 0,675. Et si l’on introduit cette variable dans un modèle visant à expliquer statistiquement la cohésion sociale, on observe qu’à niveau d’inégalités de revenus équivalent, le seul fait de considérer les inégalités comme excessives affecte négativement et significativement la cohésion sociale. Un modèle n’incluant que cette variable de jugement parvient à rendre compte de 41,7 % de la variance de la cohésion sociale, ce qui souligne à nouveau le poids spécifique des représentations et leur autonomie. Le jugement porté sur les inégalités est donc une composante importante de la cohésion sociale. Deux interprétations sont évidemment possibles : soit la perception des inégalités atténue la cohésion sociale telle que nous l’avons définie ici ; soit la cohésion sociale conduit à accepter les inégalités. Quoi qu’il en soit, les deux dimensions sont fortement liées.
La croyance dans le mérite
À son tour, cette tolérance plus ou moins forte face aux inégalités ne renvoie-t-elle pas à la force de la croyance dans le mérite, dès lors que les épreuves qui sanctionnent ce mérite sont tenues pour équitables et ouvertes ? Il semble bien qu’il en soit ainsi (voir le graphique 6).
Dans les pays où l’on pense vivre dans une société récompensant le mérite, les inégalités sont moins souvent perçues comme trop grandes (la corrélation est de – 0,723). Ce résultat est si net que l’on peut considérer que la croyance dans le mérite, comme principe de justice incontestable, constitue aussi une idéologie permettant de faire accepter les inégalités sociales. Cette interprétation est d’autant plus vraisemblable que les sociétés dans lesquelles les inégalités sont perçues comme étant « trop grandes » ne sont pas nécessairement les plus inégalitaires, puisque, nous venons de le voir, la corrélation entre les inégalités de revenus et le fait de les considérer comme trop grandes est non significative. Ceci se comprend aisément puisque la foi méritocratique suppose que l’ampleur des inégalités n’est pas contestable dès lors qu’elle procède d’une compétition ouverte et équitable dans laquelle chacun peut faire valoir son talent et ses efforts.
Cependant, la croyance méritocratique n’est pas en parfaite cohérence avec l’emprise des diplômes, diplômes qui sont censés refléter le mérite et dont l’emprise sur la vie professionnelle consacrerait la méritocratie. Au contraire même, puisqu’on observe une corrélation négative entre l’emprise des diplômes et la croyance dans le mérite (– 0,627) : les sociétés dans lesquelles les diplômes sont indispensables pour occuper une position sociale ne sont pas celles dans lesquelles les individus pensent que le mérite est récompensé. En fait, tout se passe comme si, lorsque l’emprise des diplômes est élevée, la perception des inégalités était accentuée, puisque les inégalités de diplômes se transforment en inégalités de revenus et de positions sociales. Ces inégalités peuvent même sembler d’autant plus excessives que l’emprise des diplômes consacre le seul mérite scolaire. Il y a d’ailleurs une corrélation positive assez forte entre cette emprise et le fait de percevoir les inégalités comme trop grandes (0,638). Au total, quand l’emprise des diplômes est forte, les individus n’adhèrent donc pas forcément au crédentialisme et la critique de Collins évoquée plus haut concerne probablement plus les idéologies constituées de diverses institutions sociales que les croyances des individus.
Pour ce qui est des relations entre tous ces jugements et la cohésion sociale, les corrélations s’avèrent très fortes entre la cohésion sociale et les deux variables de perception et d’explication des inégalités. D’un côté, on observe une corrélation négative, élevée et significative (– 0,675), entre le fait de percevoir les inégalités comme trop grandes et la cohésion sociale. La cohésion est faible quand les inégalités sociales sont perçues comme excessives. D’un autre côté, de manière un peu moins marquée, le fait de croire que le mérite est récompensé affecte positivement la cohésion sociale (0,535). En même temps, et fort logiquement, ces deux jugements varient de façon inverse ; les inégalités apparaissent d’autant moins excessives que prévaut, dans le pays, la croyance selon laquelle le mérite est récompensé. Même si l’on ne peut inférer automatiquement de ces corrélations au niveau pays des conclusions au niveau individuel, il semble bien que l’on retrouve ici un des leitmotivs des spécialistes de la justice qui montrent que dans l’élaboration de leurs jugements sur la justice des inégalités, les individus donnent une grande place à la façon dont ils pensent que ces inégalités se sont constituées (cf. notamment Boudon, 1995).
Types de société, mérite et inégalités
Il est possible de croiser une typologie grossière des sociétés construite à partir de leur niveau global d’inégalités de revenus et de leur niveau de cohésion sociale, et de regarder dans quelle mesure chaque type de société est associé à des ensembles de jugements sur les inégalités sociales et sur la croyance dans le mérite (voir tableau 4).
Les pays, en général les plus libéraux, qui associent de grandes inégalités à une forte cohésion sociale sont aussi les moins critiques à l’égard des inégalités et les plus confiants dans le mérite. À l’opposé, les pays, en général ceux « du capitalisme tardif[20] », où se conjuguent une faible cohésion et de fortes inégalités dénoncent fermement les inégalités sociales et ont une faible confiance dans le mérite. Ils sont suivis des pays, que l’on peut étiqueter comme corporatistes, qui sont peu inégalitaires et peu cohésifs, et dans lesquels les inégalités sont très critiquées alors que la croyance dans le mérite y est un peu plus forte. Enfin les pays sociaux-démocrates, égalitaires et cohésifs, dénoncent relativement peu les inégalités, tout en ayant une assez faible confiance dans le mérite.
Dans les pays qui conjuguent de fortes inégalités et une forte cohésion, les inégalités sociales paraissent peu excessives et sont perçues comme étant méritées par les individus. La cohésion repose donc bien sur une lecture particulière de la réalité : elle se fonderait davantage sur des représentations que sur des faits. Ceci suggère deux interprétations théoriques opposées entre lesquelles il est difficile de trancher. Soit on considère que les attitudes et les valeurs mesurées par les indicateurs de la cohésion sont des idéologies indépendantes des « faits » et contribuent à les rendre « acceptables ». Il faut alors interroger les indicateurs choisis pour mesurer l’opinion des individus en matière de cohésion et se demander s’ils n’appréhendent pas des stéréotypes convenus ou des rhétoriques valorisées dans les sociétés démocratiques. Soit on considère que la mesure de la cohésion concerne des croyances profondes et des attitudes sociales ayant des conséquences pratiques, et dans ce cas la disjonction de la cohésion et des « faits » est une caractéristique des sociétés modernes qui n’est pas des systèmes cohérents, emboîtés, entre des structures sociales et des cultures. Les sociétés sont alors des ensembles de tensions plus ou moins vives entre des cultures et des faits, tensions qui se manifestent à la fois dans les mouvements sociaux et les expériences des individus. Dans ce cas, les États-nations que nous avons comparés ne peuvent plus être considérés comme des déclinaisons d’un système général, d’une « société » (Dubet, 2009), ce sont des combinatoires singulières entre des types de capitalisme et des modèles culturels et politiques. Combinatoires dont l’harmonie ne peut pas être un postulat puisque certaines d’entre elles connaissent de fortes tensions entre les inégalités et leurs représentations, entre leur structure et leur culture.
5 La société et l’école dans la production de la cohésion
À l’évidence, la cohésion sociale est sous l’influence d’une pluralité de facteurs. Bien qu’il s’agisse d’un exercice participant avant tout d’une démarche analytique (et que l’identification de strictes relations causales soit hors de portée de l’analyse conduite ici[21]), on peut chercher à démêler l’influence de ces différents facteurs sur la formation de la cohésion sociale afin d’évaluer leur rôle respectif. Ceci passe par la construction de modèles multivariés mettant en regard la variable cohésion sociale avec les diverses caractéristiques des sociétés et de leur système scolaire et en proposant une explication statistique.
Facteurs sociaux et facteurs scolaires
Dans une première famille de modèles, nous avons estimé l’impact statistique des caractéristiques globales de la société et des caractéristiques globales de leurs systèmes éducatifs sur la cohésion sociale. Rappelons que, concernant les caractéristiques sociales, une part très élevée — 67 % — de la variance de la cohésion sociale s’avère expliquée par le dynamisme du marché du travail, le niveau du PIB et les inégalités de revenus (cf. tableau 1). Dans un modèle évaluant le poids des caractéristiques des systèmes scolaires (intégration, inégalités et cohésion), leur rôle dans l’explication de la variance de la cohésion sociale se révèle plus faible (25 % ; cf. tableau 3). De prime abord, les caractéristiques globales des sociétés rendent mieux compte du niveau de la cohésion sociale que les seules caractéristiques scolaires, comme si les modalités du fonctionnement de l’école importaient moins que le cadre économique et social dans lequel se niche cette influence.
Cependant, dans la mesure où l’emprise des diplômes est à l’intersection de l’école et de la société, il convient de l’intégrer dans ce type de questionnement et donc dans un modèle expliquant statistiquement le niveau de la cohésion sociale. De fait, comme le montre le tableau 5, tenir compte de l’emprise des diplômes ne bouleverse pas ce que nous avons constaté quant à l’influence des caractéristiques scolaires, mais cela accroît nettement le pouvoir explicatif du modèle. Il se confirme que le niveau d’intégration scolaire et celui de la cohésion scolaire sont tous deux associés positivement et significativement à la cohésion sociale. Au-delà de ces variables, et par conséquent pour des pays dont l’intégration et la cohésion scolaires sont à des niveaux comparables, le degré d’emprise des diplômes est associé spécifiquement et négativement au niveau de la cohésion sociale.
On dispose ainsi de deux manières alternatives d’expliquer statistiquement la cohésion des sociétés, soit par des caractéristiques « macro-sociales », soit par des caractéristiques « macro-scolaires ». Le pouvoir explicatif de ces deux familles de modèles est élevé, mais la première explique davantage la variété du niveau de cohésion sociale observée dans notre échantillon. Il se confirme donc que ce que fait l’école, son niveau d’intégration et d’acquis, le style éducatif qui s’y déploie et son emprise sur les situations professionnelles futures constituent certes des vecteurs de cohésion sociale importants, mais qui pèsent moins que certaines caractéristiques globales de la société comme la richesse économique, le dynamisme du marché du travail et le niveau des inégalités.
Il reste à intégrer dans un même modèle (cf. tableau 6) toutes ces caractéristiques sociales et scolaires, pour examiner comment elles combinent leur influence. En ne gardant que les quatre variables significativement associées au degré de cohésion sociale, on parvient à un pourcentage de variance expliquée très élevé[22]. Même si le dynamisme du marché du travail apparaît toujours comme le paramètre le plus important, même si l’on note à nouveau l’impact négatif des inégalités de revenus, ces caractéristiques économiques et sociales conjuguent leur action avec des caractéristiques globales des systèmes éducatifs, à savoir la cohésion scolaire et, toujours dans un sens négatif, le degré d’emprise des diplômes. C’est dire que dans des pays dont les structures sociales sont globalement comparables, le niveau de la cohésion sociale peut varier selon le climat éducatif dans lequel évoluent les élèves et en particulier la qualité de relations humaines (entre pairs et avec les enseignants) telle qu’ils la ressentent. Mais la dureté de la compétition que nourrit une forte rentabilité des diplômes est à même de contrarier l’influence bénéfique d’un « bon » climat.
Au-delà des facteurs de contexte objectifs comme la richesse ou le dynamisme économique des pays, les relations et les attitudes sont donc une composante essentielle de la cohésion sociale, sans qu’il soit, à nouveau, aisé et peut-être même sensé de chercher à démêler causes et effets. Toujours est-il que cette influence des jugements se trouve confirmée par le modèle ci-après (cf. tableau 7) : à niveau d’inégalités de revenus comparable, la cohésion sociale est d’autant plus faible que les inégalités sont jugées trop grandes. Certes, l’ampleur des inégalités de revenus est toujours associée négativement au niveau de la cohésion sociale — la cohésion sociale est d’autant plus faible que les inégalités de revenus sont fortes —, mais les jugements portés sur ces inégalités importent, sachant que ces deux variables, rappelons-le, ne sont pas corrélées. Dans certains pays de fait inégalitaires comme les États-Unis ou l’Australie, les inégalités sont moins souvent perçues comme trop grandes et cette lecture particulière des inégalités « objectives », qui renvoie elle-même à une manière de les expliquer, en l’occurrence par le mérite, permet de comprendre que ces pays présentent par ailleurs (et pourtant) un niveau élevé de cohésion sociale. Ce sont vraiment les degrés d’inégalités objectives et subjectives qui sont les variables décisives puisque, à ce stade, le dynamisme économique des pays ne joue plus. Par contre, la cohésion scolaire, et ce, quels que soient les modèles, reste toujours en cohérence avec la cohésion sociale. L’ampleur des inégalités sociales, les jugements que l’on porte sur elles et la cohésion scolaire expliquent plus des trois quarts (77,6 %) de la variance de la cohésion sociale.
Types de société, emprise des diplômes et cohésion sociale
Pour en revenir aux quatre types de société que nous avons distingués précédemment en croisant intégration et cohésion sociales, un dernier modèle les met en perspective, en tenant compte de la cohésion scolaire et de l’emprise des diplômes (voir tableau 8). Encore une fois, les sociétés sociales-démocrates apparaissent nettement comme les plus cohésives, avec un écart important par rapport aux sociétés relevant du modèle « capitalisme tardif », et un écart moindre, mais significatif, avec les sociétés libérales et avec les sociétés corporatistes qui ne se distinguent pas significativement entre elles. Ce trait tient-il à la qualité de la cohésion scolaire ou à la faible emprise des diplômes qui caractérise ces sociétés ? Sans doute aux deux éléments, mais le modèle montre que la cohésion scolaire est toujours associée positivement au niveau de la cohésion sociale quel que soit le type de société. En revanche, l’emprise du diplôme, « toutes choses égales par ailleurs », n’exerce plus d’influence significative. Ceci s’explique par le fait que l’emprise est très forte dans les sociétés qui s’avèrent par ailleurs les moins cohésives, à savoir celles relevant du « capitalisme tardif[23] ». Il reste que ce faible niveau de cohésion s’explique sans doute aussi par d’autres facteurs non pris en compte ici ; on pense évidemment aux bouleversements qu’ont connus ces pays dans la période récente.
Pour ce qui est des relations globales entre école et cohésion sociale, nos conclusions sont assez proches de ce que suggéraient Green et coll. (2006), faisant l’hypothèse que le rôle de l’éducation sur la cohésion sociale dépend, d’une part, de la socialisation qu’elle réalise, appréhendée ici par la cohésion scolaire, et, d’autre part, de ses relations avec les emplois, appréhendées ici par l’emprise scolaire. Tout ceci est inclus dans un contexte défini par le dynamisme du marché du travail et par l’ampleur des inégalités, mais aussi par toute une histoire et un fonctionnement politique exprimés ici grossièrement par les différents types de société que nous avons distingués.
L’école semble donc bien affecter la cohésion sociale, mais ce n’est pas par les voies qui sont le plus souvent privilégiées, à savoir le niveau de scolarisation et celui des acquis. En revanche, les attitudes et le climat scolaires, ici dénommés la cohésion scolaire, joueraient un rôle important. Par ailleurs, la cohésion sociale semble, en moyenne, affaiblie par l’emprise des diplômes sur la position sociale et les revenus, mais cette relation négative entre cette emprise et la cohésion ne peut être dissociée de son contexte historique, économique et social. Il reste qu’au total, en matière de cohésion sociale, les caractéristiques de la société, notamment son niveau de richesse et de dynamisme, sont sans doute plus décisives que les caractéristiques des systèmes scolaires.
* * *
En conclusion de cette analyse des ressorts de la cohésion sociale dans un échantillon de pays économiquement développés, analyse qui appelle nécessairement des compléments et des prolongements, il faut souligner que deux types de variables, qui ne sont pas les plus explorées dans la littérature, s’avèrent influents, si tant est que l’on puisse conclure de manière définitive sur la base des analyses de corrélation proposées ici. Tout d’abord, une forte emprise des diplômes semble plutôt délétère quant à la cohésion sociale. Si sur le plan individuel, une forte correspondance entre titres scolaires et emplois peut apparaître positive en termes d’insertion sociale et professionnelle, on ne saurait oublier que ceci accroît l’exclusion de ceux qui n’ont pas de diplômes et durcit forcément la compétition interindividuelle. On comprend donc que la cohésion sociale s’en trouve affaiblie au niveau agrégé, ce qui fournit un exemple de plus des contradictions qui peuvent exister entre les constats établis chez les individus et les constats établis dans les ensembles sociaux[24]. Dans le même sens, les sociétés comparées dans cette recherche s’avèrent d’autant plus cohésives qu’y prévaut la croyance que le mérite y est récompensé et que les inégalités sociales n’y sont pas jugées trop grandes. Ces représentations sont si efficaces qu’elles ne sont d’aucune manière le simple reflet des inégalités réelles puisque les jugements portés sur la légitimité des inégalités ne sont jamais le miroir des inégalités objectives.
Il reste que l’on a affaire, comme c’est immanquablement le cas dans la sociologie comparative, à des ensembles de variables qu’il est toujours discutable de séparer. On le voit bien ici avec cette variable emprise que nous avons mise en exergue, mais qui est peu dissociable de caractéristiques sociales plus globales, notamment le niveau de richesse du pays et l’état du marché du travail. Par ailleurs, même en choisissant des indicateurs relativement précis, le sociologue doit se défier des travers du benchmarking et ne pas prendre les indicateurs pour la réalité. La nature d’une société et d’un système social ne se réduit pas à quelques mesures, aussi fiables paraissent-elles (Rodriguez et Wachsberger, 2009). De plus, le niveau de la cohésion est largement biaisé par les postulats idéologiques inhérents à sa mesure et l’on ne doit pas oublier que les moyennes nationales peuvent cacher de fortes différences internes à chaque société et à chaque système scolaire. Enfin, l’espace retenu pour la comparaison détermine le sens et la force des corrélations observées. Aussi cette recherche ouvre des pistes bien plus qu’elle n’apporte des conclusions définitives ; mais elle a le mérite de baliser les directions dans lesquelles des comparaisons plus qualitatives et plus focalisées devraient être engagées. Et elle permet d’être raisonnablement affirmatif sur le fait que les bienfaits de l’éducation et ses effets en termes de cohésion sociale ne dépendent pas seulement de ce qui se passe avant l’école, dans les inégalités sociales, mais aussi et surtout de ce qui se passe après l’école, dans les mécanismes de l’emprise des diplômes et dans les jugements portés sur les inégalités sociales.
Parties annexes
Notes
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[1]
Sur ce mélange de conceptions techniques et idéologiques dans la définition et la mesure de la cohésion sociale, voir notamment Chan, To et Chan, 2006 ; voir aussi les analyses de Jenson, 1998.
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[2]
On verra, par exemple que les scores de cohésion de la Corée et du Japon sont extrêmement faibles, alors que ce jugement n’est certainement pas partagé par les spécialistes de ces pays (voir par exemple les travaux de Sabouret et Sonoyama, 2005).
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[3]
Il serait possible d’engager une critique idéologique et théorique de la notion de cohésion, et surtout de son succès, afin de montrer comment, derrière des outils a priori techniques, elle porte avec elle une image des sociétés modernes et libérales (Donzelot et al., 2003 ; Dubet, 2009). Sans aller très loin dans cette voie, force est de noter que les analyses de la cohésion privilégient un ensemble de critères caractérisant généralement les sociétés associant les vertus du dynamisme libéral à celles de la solidarité social-démocrate : elles sont actives, confiantes, solidaires, tolérantes, profondément démocratiques…
-
[4]
Il va de soi que la multiplication des critères et des dimensions de la cohésion conduirait probablement à proposer autant de types de cohésion qu’il existe de pays comparés puisqu’on peut imaginer que toutes ces dimensions ne seraient pas congruentes dans le cadre d’une comparaison.
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[5]
On peut à cet égard rappeler la citation prêtée à A. Binet, l’inventeur de l’échelle de QI : « peu importent les tests, pourvu qu’ils soient nombreux », ou, de manière plus académique, renvoyer aux débats classiques sur la construction des variables et notamment l’interchangeabilité des indices (voir notamment Boudon et Lazarsfeld, 1965). Par exemple, concernant la variable agrégée « capital social », présentée ci-après, on considère comme substituables la proportion de personnes appartenant à telle ou telle association, ou bien le nombre moyen d’associations auxquelles les membres d’un pays adhèrent ; la cohérence interne de ces différents indicateurs peut être chiffrée par l’alpha de Cronbach, qui est en l’occurrence de 0,950.
-
[6]
Plusieurs questions mesurent la confiance et la tolérance dans les enquêtes WVS (World Values Surveys). Nous avons sélectionné les questions pour lesquelles nous avions des données pour tous nos pays. Il fallait de plus que les corrélations entre ces variables soient positives. Aussi des questions comme la confiance envers le système éducatif ont-elles été éliminées, ou bien encore la confiance envers l’église, la presse. Les échelles de confiance et de tolérance sont une simple moyenne ; l’alpha de Cronbach est de 0,798 pour la confiance et de 0,893 pour la tolérance. Évidemment, les réponses à ces questions n’échappent pas aux limites des enquêtes de ce type, notamment les biais toujours possibles de désirabilité sociale.
-
[7]
Compte tenu des disparités régionales de ces pays, notamment l’Espagne et l’Italie, cette typologie doit être appréhendée de manière prudente. Rappelons que la position de la Corée et du Japon dans cet ensemble étonne, et qu’elle découle peut-être de la nature des indicateurs choisis dans les enquêtes internationales.
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[8]
Sachant qu’il s’agit ici, quand le terme « effet » est utilisé, d’une métaphore, vu le niveau d’analyse retenu et la nature des donnés.
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[9]
Nous avons construit une variable « macro » exprimant le dynamisme du marché du travail, par l’agrégation de six variables :
moyenne des taux d’emploi de 1995 à 2005 des personnes âgées de 15 à 60 ans ;
moyenne des taux d’activité (chômeurs inclus) de 1995 à 2005 des personnes âgées de 15 à 60 ans ;
moyenne des taux d’emploi des 55-64 ans de 1995 à 2005 ;
moyenne des taux d’emploi des femmes de 2000 à 2005 ;
moyenne des taux de chômage de 1995 à 2005 ;
moyenne des taux de chômage de longue durée (supérieure à 12 mois) de 1995 à 2005.
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[10]
Nous avons utilisé à la fois des données de l’OCDE (disponibles dans Regards sur l’éducation) et les enquêtes PISA (donnant sur une base comparable, les scores en lecture, mathématiques et sciences des élèves de 15 ans) successives (2000, 2003 et 2006). Nous avons, par pays, calculé les moyennes des données des trois enquêtes pour plus de stabilité.
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[11]
L’alpha de Cronbach est de 0,760.
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[12]
Les données sont celles de 2002 (Regards sur l’éducation, OCDE, 2004). Pour la Grèce, le Japon et la République slovaque, la variable « emprise » ne mesure que le différentiel de taux d’emploi.
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[13]
Ce point est développé in Dubet, Duru-Bellat et Vérétout, 2010b.
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[14]
Comme il est heuristique de le faire dans les analyses comparatives, nous avons « testé » cette relation en modifiant l’échantillon afin de savoir si quelques pays ne « tirent » pas la tendance à eux seuls. Si on enlève ainsi la Hongrie et la Slovaquie qui sont en position extrême, avec une très forte emprise et une faible cohésion, la relation reste significative et négative, tout en étant un peu moins marquée que sur l’ensemble de l’échantillon.
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[15]
Dans une autre partie de cette recherche (cf. Dubet, Duru-Bellat et Vérétout, 2010b), nous avons construit une variable « reproduction sociale », appréhendée par la transmission des revenus d’une génération à l’autre ; elle s’avère très positivement corrélée (0,745) avec l’emprise des diplômes. Des analyses récentes de l’OCDE retrouvent ce type de relations (cf. OCDE, 2010).
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[16]
Une version contemporaine de cette thèse est proposée par les sociologues américains Grubb et Lazerson (2004) qui parlent, à propos des stratégies de poursuite d’études des étudiants américains, de stratégies de self-défense.
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[17]
L’International Social Survey Program est un programme de recherche qui conduit depuis 1985 des enquêtes comparatives internationales : trois enquêtes ont ainsi été menées sur la perception des inégalités sociales successivement en 1987 (10 pays), 1992 (17 pays) et 1999 (27 pays).
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[18]
Cette variable mérite appréhende en fait l’intériorisation de la méritocratie, qui est, dans les pays où prévaut ce que Goldthorpe (2003) appelle une « education-based meritocracy », un rouage essentiel de la légitimation des inégalités et résulte essentiellement de l’action même de l’école, suivant des sociologues comme Bourdieu et Passeron (1970).
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[19]
Ce qui invite, encore une fois, à s’interroger sur la nature « occidentalo-centrée » des indicateurs de la cohésion.
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[20]
Alors que les catégories « corporatiste », « libéral » et « social-démocrate » sont bien établies, notamment à la suite des travaux d’Esping Andersen, la catégorie « capitalisme tardif » (de même que celle de « nouveaux venus à la démocratie ») est beaucoup plus flottante et hétérogène. Elle englobe des pays qui ont été industrialisés relativement tard, même si le processus fut radical, comme au Japon, et des pays qui ont été modernisés par des régimes autoritaires, renvoyant ainsi aux analyses de S. M. Lipset (1983) et de B. Moore (1979) sur les conditions politiques de la formation des sociétés industrielles.
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[21]
La question de savoir s’il est possible d’établir des relations causales à partir d’analyses macro-sociologiques est évidemment ouverte ; on peut insister, à cet égard, si l’on entend rester à ce niveau « macro », sur l’intérêt de données diachroniques, ou bien souligner la nécessité de renvoyer à un modèle de l’acteur, acteur produisant les régularités observées au niveau « macro », démarche que nous ébauchons ici en interprétant la relation négative entre emprise du diplôme et cohésion par les stratégies des parents.
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[22]
Ce pourcentage de variance expliquée est plus faible que le modèle qui intégrait le PIB, car ce dernier est corrélé négativement avec la variable emprise des diplômes (R= –501 ; Sig = 0,008).
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[23]
L’Italie est incluse dans le groupe « capitalisme tardif », ce qui peut sembler spécieux si l’on considère la région nord du pays. Toutefois, lorsque l’on retire ce pays du modèle, les résultats sont pratiquement identiques.
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[24]
Une contradiction de ce type était soulignée par Boudon dès 1973, entre valeur économique du diplôme sur le plan individuel et inflation et dévaluation des diplômes sur le plan collectif, ce qu’ont confirmé un certain nombre de recherches (cf. notamment Duru-Bellat, 2006).
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