PrésentationLes mouvements sociaux et la complexité institutionnelleContent[Notice]

  • Marcos Ancelovici et
  • Stéphanie Rousseau

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Le 29 avril 2008, Charles Tilly nous quittait. Il lègue une oeuvre impressionnante par sa richesse empirique, historique et théorique. Parmi ses nombreux livres qui ont fait date, nous voudrions retenir comme point de départ pour ce numéro thématique From Mobilization to Revolution (1978). Dans ce dernier, Tilly étend l’étude de la mobilisation des ressources, centrée sur le rôle des organisations et des entrepreneurs, afin de prendre en compte le contexte politique et institutionnel de l’action collective, et présente l’émergence des mouvements sociaux comme allant de pair avec la construction de l’État-nation. Bien que Tilly ne soit pas le premier ni le seul à avoir insisté sur le rôle structurant des institutions et des facteurs politiques — citons, par exemple, le fameux ouvrage de Piven et Cloward, Poor People’s Movements (1977) —, son approche a fait école et est devenue la base du modèle du processus politique qui domine aujourd’hui l’étude des mouvements sociaux dans le monde anglo-saxon. Dominer un champ d’étude implique également d’être décortiqué, critiqué, voire attaqué. L’approche du processus politique a été remise en question par le virage culturel en sciences humaines et par la transnationalisation de l’action collective. Tandis que le virage culturel a amené plusieurs auteurs à souligner la dimension symbolique et discursive des processus qui modèlent l’action collective, la transnationalisation de cette dernière semble remettre en cause la centralité de l’État-nation qui est au coeur de l’approche du processus politique. Plus récemment, certains auteurs (Armstrong et Bernstein, 2008 ; Snow, 2004) ont remarqué que l’approche du processus politique postule une seule source de pouvoir — l’État — qui organiserait de façon déterminante les formes de la domination contestée par les mouvements sociaux. Selon ceux-ci, les mobilisations collectives ne peuvent se réduire au rapport à l’État, aussi central soit-il. Ils proposent ainsi d’élargir notre conception des mouvements sociaux en incluant la contestation de différentes formes de domination socialement instituées, qu’elles soient liées ou non à l’État ou à d’autres institutions telles que la famille, l’Église, le marché. Cette nouvelle approche est fondée sur la reconnaissance de la complexité institutionnelle des sociétés contemporaines, où s’entrecroisent différents champs de la vie sociale constitués par des éléments matériels et symboliques. Afin d’introduire ce numéro thématique, nous voudrions tout d’abord revenir brièvement sur les principaux éléments d’explication de l’approche du processus politique pour ensuite poursuivre la réflexion critique en nous concentrant notamment sur la notion centrale de structure des opportunités politiques ainsi que sur la conceptualisation du pouvoir et du politique qu’elle sous-tend. Bien que nous partagions plusieurs des critiques qui sont adressées à l’approche du processus politique, nous pensons néanmoins que certains éléments conservent leur pertinence et leur valeur explicative, notamment dans la version développée depuis quelques années par Tilly, Doug McAdam et Sidney Tarrow (McAdam, Tarrow et Tilly, 2001). Telle qu’initialement développée par Tilly (1978), l’approche du processus politique prend comme point de départ le rapport entre les acteurs et l’État. Tilly postule en effet que, parmi l’ensemble des acteurs politiques, certains participent à la politique institutionnelle — ce sont les insiders ou encore, les polity members — et jouissent d’un accès routinier aux ressources matérielles, légales et symboliques de l’État, tandis que d’autres sont exclus de cette même politique institutionnelle ; ces challengers, ou outsiders, viseraient alors principalement à accéder à la politique institutionnelle, à devenir des polity members, pour bénéficier des ressources de l’État. Le rapport à l’État a donc un effet structurant à la fois sur les stratégies et les tactiques des acteurs ainsi que sur leurs intérêts et leurs motivations. Tilly identifie quatre facteurs clés qui expliquent l’action collective : …

Parties annexes