PrésentationÉcritures et documents personnels, une source sociologique?ContentWritings and personal documents : a sociological source ?[Notice]

  • Jean-François Laé et
  • Marianne Kempeneers

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  • Jean-François Laé
    Département de sociologie, Université Paris 8, GTM-CNRS, 2, rue de la Liberté, 93526 Saint-Denis cedex, France
    j-f.lae@orange.fr

  • Marianne Kempeneers
    Département de sociologie, Université de Montréal, C.P. 6128, succursale Centre-ville, Montréal (Québec) H3C 3J7
    marianne.kempeneers@umontreal.ca

Ce numéro dessine les contours d’une sociologie des documents personnels. Habituellement réservé aux historiens avec leurs concepts de micro-histoire, de critique des documents, de corpus, le terrain où nous nous situons ici questionne le grand partage qui cantonne le sociologue aux interactions avec les vivants et l’historien aux seules archives. En recourant à l’expression « sociologie des documents personnels », nous souhaitons ébranler cette ligne de partage, peser sur les questions communes à ces deux disciplines : les cadres de l’écriture dans l’espace personnel, les prises subjectives activant ces documents (lettres, notations, curriculum vitae, cahiers de comptes, dossiers de réclamations, albums de photos, etc.), les injonctions qui les suscitent, les formes recherchées d’expression et, enfin, la réflexivité qui s’en dégage, tant pour le scripteur que pour le lecteur. Rappelons qu’après Jack Goody, les ouvrages collectifs dirigés par Daniel Fabre, Béatrice Fraenkel et Philippe Artières ont ouvert l’étendue des domaines et des terrains sur les écritures, notamment par les usages et les pratiques graphiques dans les sociétés contemporaines. Le début des années quatre-vingt-dix marque un véritable tournant dans la recherche sur les écritures et la lecture en sciences sociales. Souvent décliné comme moyen d’introspection, l’écrit permet tout autant d’accroître le champ de l’activité critique, comme le répète J. Goody (La raison pratique, 1979), il favorise « la rationalité, l’attitude sceptique, la pensée logique ». Par la connaissance des scripteurs, l’observation de ce qu’ils en disent, l’attention au contexte immédiat, le sociologue est fort bien placé pour recueillir les effets de cette réflexivité écrite. Comment agit-elle sur le scripteur en formant une réserve de sens, et comment celle-ci est-elle cryptée pour ne pas être immédiatement accessible ? C’est un gain précieux que de parvenir à saisir le halo d’interactions qui se mêle au discours. Sans tarder, levons un malentendu. Ces documents personnels ne sont pas forcément enfermés dans une armoire privée, ils naviguent hors du domicile et sont en prise avec de multiples institutions. Ils sont le corrélat de lieux, coextensifs à un milieu, à un moment donné où l’individu agit sur lui-même, dans une relation ou à l’intérieur d’un réseau de forces. On peut les trouver dans des endroits surprenants. Parce que ces prises d’écriture s’attachent à fixer le quotidien, affermir une relation sociale, résoudre un problème, soutenir une manière de faire, elles forment parfois des opérations concrètes à l’intérieur même des institutions, dans des gestes professionnels, dissimulées dans les interstices des documents administratifs. C’est pourquoi on les trouve éparpillées dans des services publics, dans des espaces inattendus, comme des objets étranges que des imprimés engendrent, ou encore dans des catégories de pensée très établies qui les gomment. C’est par un effet d’estrangement envers ces documents, selon l’expression de Kracauer, une désaffection en somme, que les lectures sociologiques successives ont escamoté le sens de ces écrits. Si leurs lectures ne vont pas de soi, comme nous le verrons, les ambiguïtés sont telles que les considérer comme « des détails infimes et sans conséquences » a été le plus commode. À cela s’ajoute le terrible mot « personnel », au côté duquel se dresse immédiatement le secret, à la racine du secrétariat et de la sécrétion corporelle, autant dire une ligne jaune infranchissable. C’est l’un des arguments ayant conduit à l’abandon de ces archives mineures, si pauvres, disaient certains. Et c’est pour cette raison que ce numéro prend les chemins des enquêtes sociologiques, avec cette question, que sont devenus ces documents personnels dans ces aventures empiriques ? Que fait-on des correspondances données, du livre de comptes de la famille, des lettres de demande d’aide aux administrations, des écrits sous …

Parties annexes