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Les processus par lesquels un domaine d’étude, une spécialité scientifique ou une démarche intellectuelle acquièrent une existence officielle autonome ne figurent pas parmi les objets familiers de la sociologie française. D’abord investie par des chercheurs nord-américains et canadiens (Collins et Ben-David, 1966 ; Clark, 1971 et 1973 ; Fournier, 1973), la question de la naissance des sciences sociales a suscité une vague de travaux au tournant des années 1970-1980[1]. Plus récemment, des éclairages latéraux ont été apportés dans une perspective socio-historique sur les conditions qui ont tari ou longtemps différé les revendications scientifiques de la « sociologie municipale » ou de la démographie (Schweber, 1997 ; Payre, 2005). Suivant une problématique différente, l’auteur de ces lignes avait étudié les aspects épistémologiques et sociaux de l’intégration de l’urbanisme à l’Université (Chevalier, 2000)[2].

Si elle ne peut guère s’inspirer que d’exemples historiques, l’analyse de l’institutionnalisation des savoirs n’est pas pour autant vouée à scruter indéfiniment les stratégies des pères fondateurs du xixe siècle. Outre que les décennies récentes ne manquent pas d’exemples dignes d’être étudiés avec la même attention, cette question rencontre celle de la production des connaissances, débattue depuis les années 1990 (Pestre, 1997 ; Novotny, Scott et Gibbons, 2003) à la suite de l’essai de Gibbons et al., The New Production of Knowledge (1994). Eu égard au quasi-monopole que l’enseignement supérieur détient en France dans ce domaine (Clark, 1971 et 1973), l’émergence d’un régime de recherche transdisciplinaire et hors des cadres académiques pose notamment le problème de la certification des acquis et de leur transmission. Plus avant, l’hypothèse d’une nouvelle économie de la connaissance place la mission, l’organisation et le fonction-nement des institutions publiques au centre des réflexions sur les politiques éducatives.

Bien qu’elle cristallise les enjeux multiples (propriété intellectuelle, contrôle économique et politique de la production scientifique ou de l’enseignement, avenir de la recherche fondamentale, etc.) qui trouvent certaines résonances dans la réforme en cours des universités, cette évolution représente cependant une donnée encore marginale dans le contexte français. Partant, elle ne change pas la nature du problème. L’analyse de l’institutionnalisation des savoirs suppose en effet la recomposition de combinatoires complexes dont aucun modèle ne peut prétendre rendre compte complètement aujourd’hui. S’y conjuguent de façon variable autant les caractéristiques des promoteurs et leurs appuis politiques et sociaux que la valeur épistémologique de leur démarche, l’attitude de l’opinion savante, l’état du champ intellectuel et le rôle de l’Université. S’agissant par ailleurs d’analyser des processus de légitimation institutionnelle et non d’expliquer la construction sociale des énoncés scientifiques au sein des disciplines établies, cet objet ne se confond pas avec celui de l’anthropologie des sciences (Callon et Latour, 1990). Bien que certains principes de cette dernière, tels que le fonctionnement concurrentiel du champ scientifique, la légitimation simultanée d’un objet et de ses initiateurs ou l’influence des idéologies sur la formation des théories, rejoignent naturellement la problématisation proposée, les controverses qui ont pour raison la reconnaissance officielle s’inscrivent dans un jeu beaucoup plus large où interviennent des logiques tant institutionnelles que sociales ou politiques. La même exigence de globalité démarque cet objet des présupposés « internalistes » en vigueur dans l’histoire des sciences. Car les formes de l’institutionnalisation ne se déduisent pas mécaniquement du degré de maturité épistémologique des théories. Pour suivre Kuhn (1970), toutes les théories de quelque importance historique ont été, au moins partiellement, en accord avec les faits tels que les conceptions de leur époque permettaient de les construire. Et quand bien même un tel critère pourrait être privilégié, la question des logiques et des protagonistes de la reconnaissance institutionnelle garderait toute sa validité.

Cet article a trois objectifs complémentaires. Il vise d’abord à cerner les conditions de l’institutionnalisation des savoirs en s’intéressant à la genèse de l’Université, à son fonctionnement interne et à ses rapports avec son environnement. Il s’agit ensuite de dégager le principe des processus d’institutionnalisation en s’appuyant sur des exemples historiques et des données actuelles. Enfin, il souhaite répondre à une interrogation plus générale sur l’existence d’un contrôle intellectuel, formalisé ou non, des savoirs intégrés à l’enseignement supérieur en France. Le tout représentant un cadre d’analyse, ou encore une grille de lecture guidée par une théorie, dont on verra plus loin les référents. Sans imposer un ordre d’exposition strict, ce questionnement suppose de considérer en premier lieu l’extension du champ universitaire et son fonctionnement.

Une sédimentation historique

S’agissant d’abord d’en tracer les contours, la question des éléments constituants s’impose d’emblée. S’il n’apporte pas formellement de réponse, le détour par l’histoire permet de fixer certaines idées. Il montre en particulier que l’idée universitaire n’a retrouvé un semblant d’application que longtemps après la suppression des universités médiévales par la Convention (août 1793). Les écoles (droit, médecine, pharmacie) créées sous la Révolution et que le Premier Empire rebaptisa « facultés » avaient une vocation strictement professionnelle. Instituées en 1808, les facultés de lettres et de sciences servaient essentiellement à fournir les professeurs nécessaires aux jurys du baccalauréat. Sous le Second Empire (1851-1871) encore, leur activité se limitait à l’organisation de conférences publiques en soirée et les inscriptions étaient prises à la veille des examens[3].

Après la loi Falloux (1850) qui favorisait l’enseignement confessionnel, le Second Empire infléchit son attitude envers la communauté universitaire, en même temps qu’il mit fin à son alliance avec l’Église. Des voix célèbres (Pasteur, Bernard, le chimiste Berthelot) s’étaient élevées pour dénoncer la misère de l’enseignement scientifique. Aussi, les résultats de l’enquête sur l’état de la science française (1868) et le sentiment de supériorité du système allemand au lendemain de la défaite de 1870 contribuèrent à imposer l’idée d’une grande réforme. Toutefois, la mobilisation des enseignants et l’écho rencontré par l’idée universitaire dans les milieux républicains ne parvinrent pas à imposer la vaste réorganisation qu’ils appelaient de leurs voeux, malgré le vote de la liberté de l’enseignement supérieur (juillet 1875). Le consensus sur la nécessité d’une rationalisation du système des facultés et des écoles spéciales recouvrait en réalité des revendications contradictoires d’indépendance corporative et de protection par l’État, en même temps qu’il cristallisait des conflits d’intérêts entre facultés et des rivalités entre Paris et la province. Débattue depuis les années 1860, la question soulevait par ailleurs le problème du déplacement des établissements auquel ni les facultés ni les villes n’étaient prêtes.

Ces résistances furent à l’origine d’une politique essentiellement incitative et dont le déroulement témoigne du poids des intérêts locaux dans le renforcement du système des facultés qui en résulta finalement. Après un décret de juillet 1885, qui accordait la personnalité civile aux facultés et leur permettait de recevoir des subventions, l’action parlementaire menée par les notables de province pour transformer tout groupe de facultés — même les plus restreints composés de deux facultés seulement — en université, aboutit en partie avec la création du « corps des facultés » (loi de finance du 28 avril 1893), simple réunion des établissements d’une même académie, et qu’une loi du 10 juillet 1896 rebaptisa « universités »[4].

Dans ce champ composite, que dominaient les féodalités corporatives des anciennes facultés, l’École normale supérieure gardera longtemps encore un rôle prépondérant dans la formation et la certification de l’élite universitaire scientifique et littéraire. Sans moyens, les facultés des sciences virent dans la réforme la possibilité d’échapper à leur marginalité par la création d’enseignements appliqués, en prise sur les besoins de leur environnement industriel et bénéficiant d’appuis financiers tant publics que privés. Aussi le décret du 31 juillet 1920 en vertu duquel fut créé l’Institut d’urbanisme consacrait-il de nombreuses initiatives périphériques, écoles spéciales et instituts, dispensant des formations variées (électrotechnique, chimie, papeterie, agronomie, travaux publics, etc.) dont l’unification n’est effective qu’après 1945 (Pestre, 1984 ; Fox, 1985 ; Chatelet, 1952).

Cette organisation, centrée sur des regroupements formels par académie et prolongée par une multitude d’écoles spéciales et d’instituts, perdurera jusqu’à la loi Faure du 12 novembre 1968. En démantelant les anciennes facultés et en leur substituant des établissements pluridisciplinaires divisés en Unités d’Études et de Recherches (UER), ce texte entendait réaliser ce que les réformateurs des années 1890 n’avaient pas pu imposer. Si la définition des UER et leurs regroupements ont été largement conduits sur des bases disciplinaires favorisant la simple juxtaposition des facultés (Aust, 2003), il est incontestable que l’instauration de conseils élus et l’autonomie accordée aux nouveaux établissements ont réduit le poids des corporations en leur imposant des règles de gestion communes. Si l’on suit Musselin (2001), ce processus n’a véritablement pris corps qu’avec la mise en place des contrats quadriennaux en1989 et la modification des modes de fonctionnement ministériel.

Deuxième grande réforme contemporaine dans ce domaine, la loi Savary du 26 janvier 1984 témoignait aussi d’une ambition unificatrice en regroupant (chapitre 1er) l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur sous la bannière des « établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel » (EPCSCP). S’y retrouvaient à la fois les universités et les instituts nationaux polytechniques, les écoles et les instituts extérieurs aux universités, ainsi que les écoles normales supérieures, les écoles françaises à l’étranger et les « grands établissements ». S’agissant d’apprécier l’extension et l’organisation de ce champ, il s’avère cependant qu’adopter cette catégorie administrative reviendrait à fondre l’idée universitaire dans un ensemble plus vaste. De plus, les classifications ont évolué depuis. Les EPCSCP ont été limités ultérieurement aux grandes écoles techniques et reclassés parmi les grands établissements, dont certains, soulignons-le, tels l’Institut d’études politiques de Paris ou l’École des hautes études en sciences sociales, dispensent des formations qui, sans relever administrativement de l’Université, ne lui sont pas moins étroitement apparentées.

Dernière réforme en date, la loi LRU[5] du 10 août 2007 ne modifie la composition du champ étudié que par la possibilité de créer des fondations universitaires et des fondations partenariales (article 28) sous contrôle d’État et juridiquement dépourvues de la personnalité morale. Si cette loi, dont la mise en application doit être effective dans les cinq ans à venir, aura vraisemblablement des effets importants (cf. infra) sur le fonctionnement des établissements qu’elle ouvre aux financements privés et dont elle réforme en profondeur la « gouvernance », elle ne change pas la physionomie d’ensemble du champ. Et à considérer aussi bien la multitude d’écoles spéciales, d’instituts ou d’observatoires créés au cours de son histoire[6] que les intérêts corporatifs et locaux qui l’ont traversée, l’Université française apparaît, en première analyse, comme un conglomérat à multiples entrées où des savoirs de natures très diverses sont susceptibles de prendre place. Sédimentation administrative, elle comprend aussi bien des cursus longs à vocation de recherche que des filières courtes ou moyennes à finalité professionnelle. Outre la fragilité de la définition de ses missions et l’incertitude de ses limites[7], que reflète l’embarras des classifications administratives[8], on peut relever également que les formations les plus élitistes — École Polytechnique (ministère de la Défense), École des Mines (Industrie), etc.— relèvent de tutelles différentes.

Fonctionnements institutionnels et logiques contextuelles

Le fonctionnement de cette nébuleuse apporte d’autres indices sur les conditions d’institutionnalisation des connaissances nouvelles. Formellement, l’Université française apparaît comme un appareil autosuffisant de production et de reproduction des savoirs. Outre les laboratoires placés sous sa tutelle — dont le démantèlement en cours des organismes publics de recherche (CNRS, INRA[9], etc.) accroît chaque jour le nombre — elle entretient des liens organiques avec les établissements de recherche, liens dont le statut d’enseignant-chercheur défini par la loi de 1984 (article 54) et les UER puis les Unités de Formation et de Recherche (UFR) constituent des codifications volontaristes. Selon la vision administrative, l’encadrement des thèses dans les laboratoires et les écoles doctorales constitue le creuset de la transmission et, pour une part, de la production des connaissances qui irrigueront les programmes de demain.

Toutefois, les choses sont probablement moins simples et le problème reste entier quant à savoir ce qui, dans la masse des travaux produits, accèdera au statut de spécialité reconnue et ce qui restera sans lendemain. Certes, la collaboration des chercheurs et enseignants-chercheurs dans les différents lieux (colloques, commissions de spécialistes, comité national du CNRS) où les résultats des travaux sont exposés ou évalués confirme la symbiose inscrite dans les textes. De fait, les délais relativement courts qui ont séparé l’affirmation de certaines spécialités (par exemple, chimie des surfaces, photonique) et leur enseignement laissent supposer des processus institutionnels fondés sur la reconnaissance précoce de leur valeur scientifique et de leur utilité pour l’avenir. Cependant, l’hétérogénéité du champ universitaire et l’histoire des sciences humaines suggèrent d’autres logiques.

À cet égard, la loi Savary présentait certaines contradictions qui laissent entrevoir la marge de liberté dont disposent les personnels. À côté des enseignants-chercheurs, ce texte distinguait « d’autres enseignants ayant également la qualité de fonctionnaires » sur lesquels il n’était rien dit de plus, ainsi que des enseignants associés ou invités et des chargés d’enseignement (article 54). Cette dualité de statuts et d’obligations de service, qui laisse toute liberté de conduire des recherches ou non, rejoignait la « pleine indépendance » et l’« entière liberté d’expression dans l’exercice de leurs fonctions » (article 57) dont jouissent les enseignants et les chercheurs, conformément à l’histoire de cette institution. La même latitude d’action se retrouve dans les formations, où coexistent des diplômes nationaux soumis à habilitation ministérielle et des diplômes d’établissement (article 17).

Rapporté à l’organisation sédimentaire décrite au point précédent, ce principe d’autonomie permet de mieux apprécier la variabilité des conditions de l’institutionnalisation des savoirs. Coalescence historique aux frontières insaisissables, l’Université agrège des finalités, des modes d’accès et d’organisation divergents qui soumettent l’évolution des connaissances à des influences extérieures. Historique et structurelle, cette tendance a été accentuée par les politiques menées depuis la loi de 1968. La contractualisation des universités, le développement des logiques d’établissement et, dans certains cas, l’instauration de relations avec le secteur privé ou les collectivités locales ont représenté des évolutions propres à redéfinir les conditions et les enjeux des créations d’enseignements. À ce sujet, le mouvement de « professionnalisation » noté par Musselin (2001 : 148-151) au cours des années 1990, avec notamment un accroissement de la capacité décisionnelle des conseils scientifiques et des conseils d’administration, a limité l’« anomie » qui prévalait antérieurement. Toutefois, il apparaît que les tâches les plus en rapport avec l’intégration des nouveaux champs de connaissances, telles que les habilitations de cursus et les créations de postes, ne relèvent pas de procédures formalisées. L’instruction des projets revient, selon des circuits variables, à des groupes préparatoires ou aux exécutifs de direction qui ne jugent pas eux-mêmes de leur valeur scientifique, mais qui « font confiance au conseil de département ou au conseil d’UFR » (Musselin, 2001 : 145-146). Si l’on ajoute que les arbitrages produits par ces instances ne reposent « pas sur une évaluation scientifique ou pédagogique des demandes » (id. : 152) et que l’inflation du nombre des maquettes de diplômes contraint les services ministériels à élargir toujours plus les normes d’habilitation (id. : 99-100), on voit se dessiner un contexte général d’institutionnalisation des spécialités éloigné de la vision esquissée plus haut. La nécessité d’organiser des « consultations, discussions, négociations » en amont des habilitations de cursus et « l’importance d’avoir de bons relais dans les instances universitaires » pour les créations de postes (id. : 145-146) mènent en particulier à l’hypothèse selon laquelle le fonctionnement social de l’institution est plus déterminant pour la promotion des savoirs que sa capacité de régulation scientifique.

La loi d’août 2007 ne fait qu’accentuer les orientations déjà mentionnées. Toutefois, ce texte introduit des changements plus décisifs quant aux conditions de légitimation des nouveaux domaines. Avec le transfert aux établissements des charges de gestion et d’entretien du patrimoine, se profile sans ambiguïté la nécessité d’accroître les financements extérieurs, d’augmenter significativement les droits d’inscription et de promouvoir les diplômes d’établissements payants. Compte tenu de la régression des dotations quadriennales, la loi organise la dépendance du champ universitaire à l’égard du secteur privé par la création de fondations (article 28) et la possibilité d’une participation des employeurs au financement des licences professionnelles (article 33). Cette pratique comptait déjà quelques exemples[10], mais elle s’inscrit à présent dans le cadre d’une redéfinition « manageriale » de la fonction des présidents d’université. Les conseils scientifiques n’ont plus aujourd’hui que la possibilité « d’émettre des voeux » en matière de politique de recherche, d’affectation des crédits et des personnels enseignants (articles 8 et 9). Les commissions de spécialistes qui assuraient les recrutements disparaissent au profit de comités de sélection nommés par un conseil d’administration restreint et sur proposition du président (article 25). Si l’on retient que ce dernier a maintenant la possibilité de recruter des enseignants contractuels (article 19) et que le conseil d’administration, seule instance décisionnelle de la nouvelle architecture, doit comporter au moins un quart de personnalités extérieures[11] nommées par le même président (article 7), on réalise que le paysage universitaire français évolue dans le sens d’une concentration du pouvoir et d’une dualisation des établissements selon leurs ressources.

Conçue sans disposer des ressources nécessaires[12] ni de la tradition politico-administrative adéquate, cette évolution à l’américaine ne remet cependant pas en cause l’hypothèse avancée plus haut. Son principal effet sera vraisemblablement d’ouvrir les jeux d’acteurs impliqués dans la reconnaissance des nouvelles disciplines à des légitimités politiques ou économiques et à des enjeux qui leur étaient majoritairement étrangers jusque-là. Cela au détriment des formes de contrôle scientifique. Compte tenu de l’hétérogénéité du champ et de la réforme des fonctionnements, la loi de 2007 devrait aussi élargir l’éventail des sciences appliquées ou des savoirs techniques qui recevront le label universitaire. À cet égard, le nouveau mode de production des connaissances — le mode 2 — avancé par Gibbons et ses collaborateurs (1994) induit, si on en reconnaît la réalité, des changements de même sens. L’idée d’une science transdisciplinaire, produite par des réseaux extra-universitaires provisoires et non hiérarchisés, intégrant des acteurs variés (chercheurs des secteurs public et privé, représentants de la société civile, etc.) et guidée par un ensemble de considérations plus large que la recherche traditionnelle (utilité sociale, compétitivité, qualité, caractère consensuel, accountability) trouve certains points d’accord avec les orientations décrites. Et à lire l’actualité de la recherche française telle que la donne à voir, par exemple, Le Journal du CNRS, il est patent que l’on ne compte plus les exemples de partenariats avec l’industrie et de jeunes entreprises dans les sciences de l’environnement, les biotechnologies, les nanotechnologies, la chimie des surfaces, etc. Toutes choses que la multiplication des technopoles vise à favoriser et dont le nombre de brevets déposés constitue le principal critère de réussite scientifique.

Au regard de cette tendance, le problème que pose le mode 2 est précisément celui du caractère démocratique et responsable dont ses auteurs l’avaient initialement paré et qu’ils relativisent fortement dans un article postérieur (Nowotny et al., 2003). Ils soulignent en particulier les risques d’appauvrissement intellectuel (2003 : 182) engendrés par la baisse des financements publics et l’alignement sur les exigences des marchés. Sachant que les connaissances produites par le mode 2 ne sont pas diffusées par les canaux ordinaires et qu’elles se transmettent dans le cadre de réseaux successifs ou font l’objet d’une appropriation privée (brevets), c’est l’ensemble de l’économie des savoirs qui se trouverait ainsi modifiée. Car en dépit des systèmes d’audit apparus dans différents pays (2003 : 184), la confidentialité commerciale et l’impossibilité de la critique auraient inévitablement pour conséquence une dérégulation de la production scientifique ajustée à celle des marchés. Cela notamment, peut-on ajouter, parce qu’on ne voit pas dans quel cadre les « structures d’ordre partielles » (1994 : 23) découvertes ici et là pourraient faire l’objet des synthèses propres à faire avancer la recherche fondamentale. Et, à n’en pas douter, l’hypothèse avancée plus haut ferait avec ce scénario — dont le désengagement de l’État fait le lit — l’objet d’illustrations diversifiées.

Une fois décrites à grands traits les conditions universitaires de l’institutionnalisation des savoirs et posée l’hypothèse de la prévalence du fonctionnement social des établissements sur la capacité institutionnelle de contrôle des savoirs, la nécessité s’impose d’en définir le principe. Car sauf à imaginer des processus de légitimation guidés par la seule évidence naturelle des démarches expérimentales et des théories, tout nouveau champ de connaissances suscite des résistances, notamment en raison des intérêts disciplinaires qu’il contrarie (Fournier, 1973 : 7) ou de ceux (rentabilité, utilité sociale, politique d’établissement) qu’il ne satisfait pas. Se pose alors la question de ce qui, dans les caractéristiques ou les stratégies de leurs promoteurs, permet aux uns de faire admettre la nécessité d’un nouvel enseignement et de ce qui l’interdit aux autres. Les enquêtes contemporaines faisant défaut sur ce point, la réponse doit être recherchée dans l’histoire.

Le primat des acteurs

Si l’on regarde quelles furent les pratiques durant la phase de gestation de l’université française, l’exemple des « chaires politiques » montre en particulier que l’appréciation des matières dignes d’être enseignées cristallisait des motifs étrangers à l’organisation des formations sur des personnes singulières. La première chaire d’archéologie créée à Paris (1876) était destinée intuitu personae à Perrot, apparenté à Ferry. Un ex-collaborateur de ce dernier (Buisson) se vit également attribuer la première chaire parisienne de science de l’éducation (1886). D’autres disciplines ou sous-disciplines — géographie coloniale, histoire de l’économie sociale, histoire de la Révolution — ont obtenu droit de cité au sein de l’université de Paris grâce aux initiatives ou aux dotations d’institutions (sous-secrétariat d’État aux Colonies, Conseil de Paris) ou de notabilités (comme le comte de Chambrun) extérieurs à l’administration de l’Instruction publique (Charle, 1985). Si l’évolution du fonctionnement universitaire consacra progressivement la prédominance des intérêts corporatifs dans le choix des postulants, l’appréciation de la valeur des connaissances et des démarches intellectuelles resta attachée aux caractéristiques personnelles des prétendants.

Le travail cité (Chevalier, 2000) sur la création de l’Institut d’urbanisme a montré que le label universitaire lui avait été accordé essentiellement sur la base d’une somme de notoriétés individuelles, sans évaluation scientifique. De manière convergente, le rituel officialisant la cooptation de la communauté enseignante intégrait des considérations éloignées de la recherche d’une objectivité scientifique. Durant les six heures que durait en moyenne une soutenance de thèse au début du siècle précédent, l’appréciation du jury portait aussi sur le profil social et l’identité du candidat : exercice de fonctions officielles, appartenance à l’Église, milieu et lieu d’origine, réputation, relations et recommandations. Elle s’appuyait sur des critères psychologiques et moraux : sincérité, modestie, caractère désintéressé voire « passionné » du travail accompli ou au contraire carriérisme de certains agrégés jugés trop jeunes. Selon Noiriel (1991), elle s’attachait à des signes tels que manières, élocution et accent, teint, voix, finesse de la physionomie, témoignant d’une « logique d’identification par connaissance directe »[13]. Le jugement des professeurs portait ainsi sur la totalité de la personne du candidat autant que sur la valeur de sa recherche. Une remarque convergente avait été faite antérieurement par Clark (1971 : 27), lequel soulignait les signes sociaux mis en jeu lors de la « visite » d’un postulant à un « patron » universitaire pour obtenir son appui.

Cette prédominance du crédit individuel, dans les différentes dimensions qui pouvaient lui être reconnues[14], est loin d’avoir été sans incidence sur le destin des disciplines. En particulier à travers les stratégies que leurs promoteurs s’estimaient en position de pratiquer. Si la géographie dut pour une part sa reconnaissance universitaire à son utilité commerciale et à la pression exercée par les sociétés savantes, elle échappa au statut de matière scolaire et d’annexe de l’histoire grâce aux atouts que Vidal de la Blache pouvait faire valoir face aux multiples revendications disciplinaires[15] suscitées par son projet. Dans un contexte institutionnel marqué par une forte articulation entre la Sorbonne et les lycées (Clark, 1973 : 244), ce jeune agrégé et docteur en histoire, maître de conférences puis professeur à l’École normale supérieure, était en mesure d’accréditer l’idée d’une discipline autonome et d’attirer à lui les auteurs des meilleures thèses régionales du tournant du siècle.

Le cas des sciences politiques apparaît non moins probant en raison du type d’atouts que possédait son principal promoteur pour défendre son projet. Si Boutmy, créateur de l’École libre des sciences politiques (ouverte en février 1872) ne pouvait se prévaloir d’aucun titre universitaire, il participait néanmoins à la production intellectuelle de son époque depuis une dizaine d’années, par la rédaction d’articles et d’études à caractère philosophique ou historique. Protégé et ami de Taine, il avait appliqué sa vision de l’histoire des civilisations dans un ouvrage (1870) sur la Philosophie de l’architecture en Grèce. Cette influence tutélaire, enrichie par la lecture de Tocqueville, de Comte et de Le Play, nourrit le projet d’une « faculté libre » consacrée à l’étude scientifique des civilisations et conçue comme un instrument d’éducation des « classes libérales ». Un second projet, recentré autour de l’histoire comparée des États européens, fut formulé après la Commune (1871) et mis en oeuvre durant la première année d’enseignement (Damamme, 1987 ; Favre, 1981).

Pour avoir pesé d’un poids déterminant dans cette entreprise, le parrainage de Taine, puis de Laboulaye, professeur au Collège de France, et de Guizot, figure historique de la « monarchie bourgeoise », n’ont représenté que la part la plus militante d’un réseau de soutien très étendu. À la différence de la stratégie d’institutionnalisation engagée par les élus et les hauts fonctionnaires (Chevalier, 2000) partisans d’une science urbaine universitaire, la science politique a mobilisé, cinquante ans plus tôt, tout un pan de la bourgeoisie libérale et de l’aristocratie, en démultipliant le capital social d’un entrepreneur privé[16]. Par le jeu des relations et des notoriétés accumulées au sein d’un cercle restreint et grâce au soutien de sociétés telles que la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, la Société d’économie sociale de Le Play, et la Société d’économie politique de Paris, le recrutement des actionnaires de l’école et des donateurs s’est étendu, par delà les clivages religieux et politiques, à un ensemble d’acteurs clés de la haute bourgeoisie financière et industrielle (Damamme, 1987). Grâce à un corps enseignant composé pour une large part de hauts fonctionnaires, les résultats de ses élèves aux concours permirent à cet établissement de conquérir rapidement le monopole de la préparation aux grands corps d’État[17].

Tout aussi significatif de l’importance des légitimités individuelles fut en France le cas de la psychologie sociale. Comme on le verra plus loin, l’explication de l’oubli durable dans lequel est tombée cette discipline dépasse le rayonnement personnel de Tarde. Il est cependant remarquable que ce magistrat de province, auteur d’une quinzaine de livres et de nombreux articles (criminologie, anthropologie, philosophie, géographie, psychologie, histoire, etc.), élu à la chaire de philosophie moderne du Collège de France (1900) de préférence à Bergson et ayant mené la tentative la plus continue de son époque pour fonder une psychologie sociale, n’ait eu longtemps pour seule postérité que celle des manuels de criminologie ou de psychologie de l’enfant[18]. Indépendamment des aspects théoriques et de l’état des sciences sociales de l’époque, il convient cependant de souligner que ses atouts dans ce champ étaient faibles. Même si les facultés de droit assuraient une certaine audience à ses travaux en matière criminelle, il n’officia que quatre ans au Collège de France, institution prestigieuse mais qui ne comptait pas parmi les formations régulières. Orateur sans éclat, professeur sans élèves, théoricien sans disciples ni revue, il dispensa l’essentiel de ses prestations en marge du système universitaire, à l’École libre des sciences politiques (1896) et dans le cadre d’autres instances semi-officielles du « réseau académique parallèle » (Karady, 1979), telles que le Collège libre de sciences sociales ou l’École des hautes études sociales. Il fut notamment le membre le plus éminent et le plus actif de l’organisation de la sociologie entreprise par Worms[19], à une époque où cette discipline ne comptait guère que des enseignements apparentés[20].

Le choix du possible

L’échec de Tarde fut indissociablement celui de la psychologie sociale durant les 44 années qui s’écoulèrent depuis sa mort (1904) jusqu’à la création de la première chaire en 1948. Il fournit une illustration par défaut de l’importance des ressources pertinentes — sociales, académiques et intellectuelles — dans un état du champ des sciences humaines qui laissait place à nombre d’initiatives concurrentes et où rien n’était alors joué[21]. Mais encore convient-il de s’arrêter un instant sur cette lecture. Car s’ils permettent de poser ex post un lien entre le type et le degré de légitimité de ses promoteurs et la réussite d’une discipline, les exemples historiques ne justifient aucune relation mécanique entre les premiers et la seconde. Cette relation ne concerne que l’appréciation subjective des atouts ou des handicaps et les ambitions qu’elle fait naître.

Par exemple, les animateurs de l’École des hautes études urbaines pouvaient certes s’appuyer sur des professeurs de la faculté de droit, sur des légitimités électives, sur l’obligation légale de l’urbanisme et sur la cause nationale que représentait après-guerre la lutte contre les taudis. Il n’en reste pas moins qu’à une époque de progrès décisif des sciences sociales et expérimentales, leur légitimité « scientifique » et, indissociablement, celle de leur projet intellectuel ne justifiait pas plus qu’une place marginale au sein de l’Université. Celle-là même qu’ils revendiquaient. Négociée dans l’intérêt bien compris des uns et des autres, la procédure visait autant à légitimer un mode d’action publique et à produire un corps de professionnels pour la mise en oeuvre de la loi de 1919 sur les plans d’aménagement urbains qu’à promouvoir une nouvelle discipline.

De même, si pénétré que fût Boutmy du caractère scientifique de la méthode historique de Taine, sa place dans le champ intellectuel français ne lui permettait pas autre chose que la création d’une structure privée, sur la base d’un projet marqué dès l’origine par la dualité de ses objectifs. Car il ne s’agissait pas, à proprement parler, de faire reconnaître un nouveau champ disciplinaire. Pour un groupe d’initiateurs (Boutmy, Taine, Guizot, Laboulaye), liés par leur intérêt commun pour l’histoire des civilisations, le développement universitaire de cette discipline aurait pu représenter un objectif raisonnable. Mais la dimension scientifique de l’entreprise valait pour autant qu’elle servait un projet politique. Elle représentait un instrument de la lutte des libéraux contre les conservateurs, les socialistes et les étatistes de toute obédience[22]. Dans le contexte de la défaite et au lendemain de la Commune, l’idée d’une école privée réalisait l’ajustement parfait des possibilités objectives de son promoteur dans le champ universitaire et des attentes techniques et politiques de la bourgeoisie protestante au sein de laquelle il évoluait.

Avancer que les ressources de légitimité de leurs initiateurs ont conditionné le destin des disciplines suppose que l’appréciation subjective de la valeur des savoirs revendiqués et la stratégie adoptée s’ajustent tendanciellement aux possibilités inscrites dans la position occupée par les prétendants, position dont le volume et la nature des certifications, grades, distinctions, soutiens et parrainages permettent de se faire une idée. Les choix de Tarde témoignaient en ce sens des limites imposées à l’élaboration d’une démarche scientifique par la place qu’occupait son promoteur dans le champ intellectuel. Sur ce point, l’interprétation proposée par Clark (1971) s’inscrivait dans une tradition utilitariste attachée à l’idée de liberté des choix individuels. Dans les jeux de stratégie et d’obligation réciproque propres au centralisme universitaire de la fin du xixe siècle, le cas de Tarde lui apparaissait comme l’antithèse de la figure du « patron », comme celle du « solitaire » qui « refusait précisément cet agiotage universitaire » (1971 : 25). Bien qu’on ne sache pas précisément quelle appréciation Tarde avait de sa situation, on peut avancer néanmoins que la représentation de sa place dans le champ intellectuel — suivant les caractéristiques de cette dernière (magistrature, éloignement provincial, etc.) et suivant l’image que lui renvoyait le monde académique — ne lui permettait pas de concevoir son activité autrement. De fait, comme l’a noté Clark (1973 : 158), une fois Tarde élu au Collège de France, son intérêt pour le Collège libre des sciences sociales (1895) et pour les autres institutions marginales dans lesquelles il officiait antérieurement baissa sensiblement.

Inversement, l’exemple des durkheimiens atteste, en même temps que l’efficience des « cercles » décrits par Clark, les possibilités tant institutionnelles qu’intellectuelles permises par l’appartenance à l’enseignement public et par la maîtrise de ses codes. Par l’importance accordée à la construction d’objet et à la rigueur méthodologique, par l’exclusion des données évènementielles et des problèmes sociaux ordinaires, par le refus de l’enquête et la valorisation des matériaux nobles (statistiques, historiques, ethnographiques et juridiques), par l’investissement des thèmes philosophiques classiques et l’usage de références germaniques, ce groupe s’est appliqué à construire, sur les brisées de Comte et de Le Play, l’image d’une démarche respectable et parée de tous les signes de la légitimité intellectuelle. Aux efforts de différenciation critique déployés dans L’Année sociologique répondait une cooptation limitée aux détenteurs des titres les plus élevés, agrégés et normaliens en particulier (Karady, 1979). Toutes choses qui marquent une distance entre les ambitions et les intérêts spécifiques pouvant naître chez ceux qui appartiennent à l’institution et chez ceux qui n’y appartiennent pas.

Dans ce cas comme dans les précédents, la position des acteurs a conditionné leur représentation du possible et leur aptitude à discerner les opportunités. Si l’on suit Karady, il s’agissait pour les durkheimiens de tirer parti de la crise de la philosophie universitaire pour en réformer l’enseignement au profit de leur champ d’étude et créer ainsi une « demande » de sociologie[23]. La même stratégie de redéfinition de rôle avait été avancée antérieurement (Collins et Ben-David, 1966) pour expliquer l’origine de la psychologie. Dans un système universitaire allemand structuré plusieurs décennies avant le système français, la généralisation des chaires de sciences naturelles et de physiologie n’offrait plus que des perspectives de carrière médiocres. Conjointement, la perte d’influence des philosophies spéculatives et idéalistes consécutive aux critiques scientistes des années 1840-1860 avait rendu ce domaine moins attractif et donc moins soumis à la concurrence universitaire. Tel a été selon Collins et Ben-David le contexte dans lequel Wundt, physiologiste confirmé, a formé le projet de lier la réflexion philosophique à l’étude empirique de la perception avant d’obtenir une chaire de philosophie à Leipzig (1875). La psychologie expérimentale est née de cette conjonction d’intérêts intellectuels et statutaires, bientôt suivie par des philosophes convertis aux méthodes empiriques (Stumpf, Muller, Brentano), avant de connaître des dévelop-pements inégaux aux États-Unis, en France (Ribot) et en Angleterre.

Les jeux d’influence : pistes contemporaines

La discussion des exemples historiques pourrait être poursuivie sans que l’analyse de l’institutionnalisation des savoirs y trouve jamais un terme définitif. Si l’on retient les éléments apportés plus haut par la genèse de l’Université et par son fonctionnement, on conçoit qu’une nébuleuse aussi complexe que l’Université française actuelle soit au moins aussi propice que son aïeule aux entreprises personnelles ou groupusculaires. Concernant le rôle des acteurs, il faut cependant souligner la difficulté à produire autre chose qu’une représentation impressionniste dans le cadre de cet article.

Pour une démarche telle que la socio-anthropologie, à présent implantée dans quelques établissements[24], les noms de Godelier et de Bouvier s’imposent comme des références fondatrices. Nonobstant les racines historiques qui peuvent lui être reconnues[25], une « discipline-carrefour » (droit, histoire, sociologie, science politique, etc.) telle que la science administrative, initiative primitivement limitée à quelques acteurs dans l’orbe de la faculté de droit de Paris, aurait probablement connu un développement plus confidentiel sans l’action de Drago à partir des années 1960 et de Chevallier à sa suite. On pourra objecter que tous les champs de connaissances ont eu des initiateurs. Le problème, en l’occurrence, est de savoir si le destin universitaire de ces spécialités doit être référé aux atouts propres de leurs inventeurs ou à une dynamique endogène des champs de connaissances.

À l’appui de la première hypothèse, on pourrait évoquer des sous-spécialités qui, telle l’ethnomuséographie, ne concernent guère qu’un seul établissement en France[26]. De même doit-on signaler les formations à finalité professionnelle construites sur la base d’un mode d’intervention publique ou d’une thématique en vogue, tels certains masters option « politique de la ville »[27], ou encore « économie et gestion du développement durable »[28]. Autant de cas qui laissent entrevoir toute une gamme de jeux d’influence où se mêlent les motifs scientifiques et les stratégies personnelles, sur fond de conjoncture politico-administrative.

Suivant la même logique, l’exemple des sciences cognitives porte à croire que les facteurs sociaux modelant le destin des disciplines ne sont pas moins agissants dans une entreprise scientifique présentant toutes les apparences d’un processus institutionnel. Produit d’une décision de politique scientifique, ce domaine a conquis les positions les plus prestigieuses et suscité des enseignements dans la majorité des universités françaises[29]. Mais certains indices montrent que les intérêts disciplinaires et le poids des légitimités personnelles n’ont pas été sans incidence sur sa courte histoire.

Donner une définition satisfaisante de ce domaine n’est pas chose aisée. Sans entrer dans le détail des apports réels ou espérés de la mobilisation de nombreuses disci-plines, on peut retenir qu’il s’organise globalement autour de l’étude des facultés supérieures de l’intelligence, des mécanismes moteurs et de la perception[30]. Ses premières ébauches sont apparues aux États-Unis dans les années 1950, sous l’impulsion des informaticiens. Bien que l’intelligence artificielle ait toujours joué un rôle pivot dans la formalisation des théories, les autres spécialités mobilisées dès cette époque — logique et modélisation mathématique, neurophysiologie, psychologie expérimentale, linguistique et philosophie analytique — ont connu des avancées propres, parfois spectaculaires (comme l’étude du fonctionnement neuronal). Dans le même temps, l’interdisciplinarité a favorisé l’apparition de nombreuses sous-spécialités (biomécanique, ergonomie cognitive, neurosciences « computationnelles[31]  », sémantique cognitive...), tandis que ce champ attirait d’autres disciplines (économie, géographie, éthologie) et que s’affirmait l’influence de théories élaborées aux États-Unis au cours des années 1970 telles que l’anthropologie cognitive et la psychologie évolutionniste[32].

Après les premières initiatives (colloque en 1980 puis programme du CNRS en 1984) animées par un psychologue (Melher) puis par un sociologue (Wolton), la construction de ce champ a essentiellement été conduite par des spécialistes des sciences de la vie mondialement connus[33]. Même si les différentes instances organisatrices — comités scientifiques, groupes de pilotage ou de réflexion — ont joué le jeu de l’interdisciplinarité, les linguistes, les informaticiens, les psychologues et les philosophes, à l’exception de Jacob, n’ont jamais occupé le devant de la scène au cours des vingt dernières années[34]. D’autres indices des rapports de force entre disciplines ou au sein de celles-ci se rencontrent au détour des témoignages apportés par les promoteurs de ce secteur. Le neurophysiologiste Jeannerot (s.d.) évoquait en particulier les réactions suscitées par les programmes incitatifs successifs, accusés de favoriser l’un les neurosciences, l’autre l’intelligence artificielle, l’autre encore les sciences humaines, etc. Certaines observations formulées par des représentants connus de ce champ vont dans le même sens, qu’il s’agisse de l’anthropologue Sperber (2003) soulignant les « arrière-pensées » de la cohabitation pluridisciplinaire ou de la philosophe Proust (2003) évoquant « l’asymétrie » de la demande d’interdisciplinarité. Face à l’opposition d’une partie des sciences humaines, la sociologie en particulier (Lahire, 2005), les faiblesses structurelles de cette « aventure scientifique » se révèlent aussi à travers l’action associative quasi militante[35] dont elle fait l’objet et qui lui confèrent autant le caractère d’un mouvement que d’une nécessité scientifique. Toutes choses qui, en étayant l’idée d’une prévalence des facteurs sociaux et, en l’occurrence, des susceptibilités disciplinaires dans le développement des savoirs, incitent à s’interroger sur la viabilité de cette entreprise. Mais, comme on le conçoit, il s’agit là d’une question inséparable des autres dimensions évoquées en introduction.

Éléments pour une analyse de l’institutionnalisation des savoirs

Avant de les examiner, il est nécessaire de préciser la perspective esquissée jusqu’ici et son arrière-plan théorique. Elle s’inscrit dans la lignée bourdieusienne, mais n’en est pas une application orthodoxe. En orientant l’investigation vers le fonctionnement d’un système d’action, elle converge en effet vers l’analyse stratégique. Sur le plan opératoire, cette approche implique de rechercher, outre les indices permettant de qualifier la position du ou des prétendants (statut, grade, formation et discipline d’origine, soutiens, affectation, distinctions), des signes de la réalité collective de leur savoir, tels que l’existence de disciples, d’une revue spécifique, d’enseignements extra-universitaires, d’ouvrages et d’articles, d’associations ou de sociétés savantes, de journées ou de colloques. De même, l’analyse de données contextuelles telles que les politiques et les modes de gestion universitaires devrait être étendue aux fonctionnements ministériels (Musselin, 2001 : 118-128). Ce dont on ne trouve pas trace dans le travail de Bourdieu (1984).

Opposer radicalement la recherche des logiques d’action et d’évolution à un modèle structural relèverait cependant d’une vision sectaire des emprunts théoriques. À travers la mise au jour de « configurations universitaires » nationales, Musselin ne revendiquait qu’un « cadrage des possibles » au sein duquel peuvent se dessiner « différents systèmes d’action concrets » (2001 : 166-180)[36]. L’une et l’autre perspectives, qui ne sont pas sans lien[37], apportent des principes d’analyse et des données factuelles. Mais la lecture présentée ici incite à s’interroger plus finement que ne le fait la sociologie des organisations sur ce qui fonde les atouts ou les « capacités » des prétendants. Cela pour la simple raison qu’en écartant l’idée d’une relation significative (tendanciellement causale) entre les caractéristiques sociales ou culturelles des individus et leurs pratiques, la conception des conduites individuelles théorisée par Crozier et Friedberg (1977) après March et Simon ferme la porte à toute influence inconsciente[38]. Elle repose sur une représentation quasi existentialiste de la liberté individuelle considérant les valeurs, les croyances et les attitudes comme des « contraintes » ou des « ressources » qui conditionnent les stratégies mais ne les déterminent pas (1977 : 48, 179). De même interprète-t-elle les attitudes comme des « orientations stratégiques » et tout ce qui relève de l’acquis culturel comme des « instruments » ou des « capacités » dont les acteurs se servent à leur gré. S’il n’a pas été question jusqu’ici de dispositions ou d’habitus, on réalise que l’accent mis sur les rapports entre la position des acteurs, leur représentation du possible et leurs stratégies traduit une orientation déterministe éloignée de cette perspective. Ce qui n’implique pas, à l’inverse, une adhésion sans nuance au modèle de Bourdieu. Car si le principe d’explication central de ce dernier — qui envisage les pratiques comme le résultat d’une relation entre un ensemble de propriétés (dispositions héritées, formations et trajectoires, ressources pertinentes) et l’état d’un champ à un moment donné — apporte un éclairage sur les stratégies, son application à l’institutionnalisation des savoirs soulève au moins deux types de difficultés.

Le premier tient à la nature de l’objet. L’explication des pratiques d’innovation, de reconversion ou de redéfinition de rôle ne peut prétendre saisir que l’une des faces d’un processus global qui met en jeu des conditions historiquement variables au sein et hors du champ universitaire. À cet égard, le système facultaire des années 1967-1971, auquel se référait Bourdieu (1984), a connu des transformations qui changent l’application de son modèle. Plus qu’un fonctionnement mandarinal dominé par les intérêts corporatifs et le capital social, le champ universitaire actuel prolonge des tendances qu’il avait notées — comme la diffusion du modèle scientifique et l’augmentation du nombre de chercheurs, l’inflation de la population étudiante et la dévaluation des diplômes — en même temps qu’il témoigne d’évolutions (cf. supra) que son cadre d’analyse et ses données ne lui permettaient pas de prévoir.

La seconde difficulté tient au rendement explicatif de la théorie de la pratique lorsqu’on l’applique au champ universitaire. Bien qu’elle ne soit pas conçue comme une implication mécanique, la relation posée entre les caractéristiques sociales et scolaires et les positions occupées dans un espace de production symbolique ne rend pas compte de l’acquisition des notoriétés et des ambitions qu’elles peuvent faire naître chez les intéressés. Même si l’existence de plusieurs principes de hiérarchisation permet des réagencements de positions au sein du champ, les couples d’opposés — recherche vs pouvoir, hérésie vs orthodoxie, dominés vs dominants — avancés par Bourdieu tendent à figer l’appréhension des trajectoires individuelles dans une analyse synchronique.

La valeur prédictive accordée à l’hérédité sociale et culturelle des acteurs suscite une réserve plus générale et de même sens. Sans doute peut-on poser que les milieux d’origine et les carrières scolaires conditionnent les réussites professionnelles. Toutefois, distinguer entre les plus « héritiers » des docteurs et les autres représente un critère trop mince pour rendre compte de l’innovation intellectuelle. À ce titre, seuls les universitaires et les chercheurs qui ont le plus complètement réalisé les potentialités de leurs origines et de leur formation, c’est-à-dire généralement ceux qui ont le moins intérêt à redéfinir leur position, seraient à même d’inventer de nouvelles spécialités. Si Bourdieu (1976) attribuait les « révolutions inaugurales » aux détenteurs d’un capital spécifique élevé, il en situait d’ailleurs l’origine dans des « variables secondaires » telles qu’une appartenance ethnique ou sociale atypique ou encore une position de transfuge d’une autre discipline. S’agissant de découvrir ex post des logiques d’institutionnalisation, les ressources de légitimité dont disposent les promoteurs des nouvelles disciplines représentent vraisemblablement une condition nécessaire soumise à certains seuils, mais pas une condition suffisante. Elles fournissent au total un principe d’explication de la forme et des limites des stratégies, voire de leur probabilité de réussite, mais comme le suggèrent les exemples de la sociologie et de la psychologie, leur rôle est à comprendre relativement au fonctionnement des champs disciplinaires et aux intérêts professionnels qu’ils suscitent.

Reste, au-delà des situations rencontrées par les innovateurs dans leur environnement proche, à considérer les autres dimensions contextuelles de l’institutionnalisation des savoirs. Bien qu’elle demeure muette sur le fonctionnement du champ universitaire, la « triple légitimation » — par le soutien d’un groupe social, par les médias et par la cité savante — proposée par Namer (1985) indique les principaux axes d’investigation. Concernant le premier, les liens de Tarde avec la haute bourgeoisie protestante ou l’engagement socialiste et dreyfusard des durkheimiens rappellent la nécessité de restituer les clivages philosophiques et idéologiques ainsi que leurs traductions politiques et sociales. Pour la période récente, les soutiens dont les sciences cognitives et leurs postulats naturalistes ont bénéficié posent une question similaire (Lahire, 2005). Il convient cependant de souligner que ce qui peut être identifié comme force sociale ou intérêts collectifs trouve d’autant plus de pertinence que le domaine considéré recouvre des enjeux idéologiques.

Sur le plan empirique, cette question ne se dissocie pas de l’analyse des pratiques qui lui confèrent une réalité observable. Elle conduit à considérer l’ensemble des instances de légitimation susceptibles de jouer un rôle dans « l’itinéraire social » (Namer, 1985) d’une nouvelle discipline. À cette fin, on peut rappeler que les revues et les sociétés savantes, le monde de l’édition et les médias représentent autant de sources de légitimité avec lesquelles l’Université entretient des rapports variés[39] et qui forgent parfois des notoriétés dépassant largement les positions universitaires des intellectuels concernés[40]. Le nombre de réécritures journalistiques ou parlementaires de l’histoire nationale (colonisation, période de l’Occupation...) montre par ailleurs que le débat public entend lui aussi faire valoir des questions et des interprétations dans un domaine où les professeurs font autorité. L’influence de cette production de légitimité sur les chances de réussite d’une discipline doit cependant être envisagée avec précaution et suivant les prescriptions d’une problématisation d’ensemble. Car elle engage non seulement la position ou « l’identité » des supports concernés (revue scientifique, journal d’opinion, quotidien généraliste, débat télévisé) dans l’univers médiatique, mais aussi les facteurs qui conditionnent la réception des contenus, en particulier les luttes internes au champ intellectuel et les politiques gouvernementales.

Le même effort pour restituer, sinon pour réduire, la complexité des processus d’institutionnalisation porte à considérer le rôle de l’opinion ou du débat savant en relation avec les aspects épistémologiques et le fonctionnement universitaire. S’il rejoint la question des soutiens sociaux et idéologiques, cet axe de recherche met plus fondamentalement en jeu la raison d’être des disciplines certifiées suivant l’alternative : nécessité vs contingence. Dans les années 1960, Collins et Ben-David s’entendaient pour affirmer que des idées médiocres avaient été reconnues scientifiques et que des idées fécondes étaient restées sans postérité. De même les analyses proposées ici militent-elles en faveur d’une posture relativiste. Inversement, Clark voyait la maîtrise d’un corps d’idées suffisamment solide et original comme un élément fondamental de la réussite d’un champ de connaissances (1973 : 242). Sur ce point, le cas de Worms illustre par défaut l’importance d’une cohérence conceptuelle et méthodologique appliquée à une classe d’objets circonscrite. Très éclectique dans ses choix théoriques et n’étant pas en mesure d’exercer une direction intellectuelle, Worms[41] ne pouvait maîtriser les auditoires hétéroclites de sa Société de sociologie de Paris (1895) (Clark, 1973 : 153). Accueillant aussi bien les études sociales descriptives que l’« interpsychologie » de Tarde, les essais organicistes, les travaux criminologiques, l’histoire du travail ou l’anthropologie, ses créations, comme les autres structures semi-privées de cette époque, n’ont pas franchi les portes de l’enseignement public. Cela en dépit des nombreux soutiens universitaires dont elles bénéficiaient[42].

L’astrologie fournit un exemple plus actuel du rôle régulateur du débat savant. Au début des années 1980 existait en France un Mouvement pour l’astrologie à l’Université et toute une kyrielle de structures privées : « haute école », « faculté », etc. (Chevalier, 1986) qui témoignaient d’une forte revendication de reconnaissance culturelle. Vingt ans plus tard, la thèse de sociologie soutenue par l’astrologue Tessier (2001) a montré que cette ambition n’était pas totalement dénuée de réalisme. Sans s’engager ici dans l’analyse de cette « affaire », on peut retenir que les réactions suscitées rendent peu probable la reproduction d’un tel événement avant longtemps. Dans le même sens, les condamnations et les vérifications expérimentales auxquelles avaient donné lieu antérieurement les thèses de l’immunologiste Benveniste sur la « mémoire de l’eau » (1988) ont renvoyé la résurgence de ce thème parascientifique à un futur indéfini.

Mais encore faut-il souligner l’ambivalence significative de ces exemples. Simultanément, ils confirment les faiblesses structurelles et fonctionnelles du système universitaire français ou le primat de ses acteurs et posent la question des facteurs à l’origine des prises de positions. Parce qu’ils mettaient en cause des principes fondamentaux de la connaissance scientifique, ils étaient propres à faire naître les plus vertueuses indignations. Loin du spectacle médiatique, certains enseignements scientifiquement discutables n’ont vraisemblablement engendré que des réactions de couloir, voire pas de réaction du tout. Si le degré de contradiction — épistémologique et institutionnelle — entre les savoirs candidats à la reconnaissance officielle et les disciplines en place doit être considéré, l’analyse doit s’attacher aussi aux caractéristiques de ceux qui prennent la parole et, comme on l’a vu plus haut, à celles des supports médiatiques concernés.

Conclusion

L’analyse proposée ici montre que l’Université française remplit une fonction de légitimation des savoirs, sans que ses structures ni son fonctionnement permettent l’exercice d’un contrôle intellectuel. Cette prérogative s’est imposée durant sa phase de structuration et hors de tout projet explicite, comme l’effet induit de sa vocation première de reproduction des compétences. Elle est née de la mission de progrès intellectuel et moral que la Troisième République assignait à la science et à l’enseignement supérieur, sans que ce dernier ait jamais été organisé à cette fin. Avec pour conséquence nécessaire la dépossession progressive de la fonction de contrôle et de validation que les académies assuraient jusque-là (Schweber, 1997 ; Azouvi, 1976).

Dans ce champ composite, l’accès à la reconnaissance officielle repose essentiellement sur les acteurs, leurs stratégies, leurs appuis et le capital d’autorité dont ils disposent, dans le cadre d’un milieu et de ses réseaux politico-administratifs. Au principe de ces stratégies, l’histoire des sciences humaines conduit à placer les ressources de légitimité qui définissent la position des initiateurs au sein d’un espace disciplinaire ou pluridisciplinaire, sachant qu’un ajustement tendanciel s’opère en permanence entre les possibilités objectives et les ambitions tant institutionnelles qu’intellectuelles. Inscrit dans des conjonctures toujours singulières, ce processus a conditionné le destin des sciences humaines[43]. Et tout porte à croire qu’il conditionnera d’autant plus l’évolution future des matières enseignées que les changements en cours ouvriront le jeu à d’autres intérêts. Pour autant, la conclusion de ce travail s’attachera aux mutations parallèles de la recherche, en risquant une hypothèse plus épistémologique.

On peut croire ou ne pas croire au Mode 2. Reste que les origines que lui attribuent ses auteurs — la massification des études supérieures qui engendre une diffusion des attitudes et des méthodes de recherche hors des structures traditionnelles, d’une part ; la quête constante de fonds qui pousse les chercheurs à sortir de leur discipline et qui favorise un changement d’éthos de la science, d’autre part (Gibbons et al., 1994 : 10-11, 23, 73 et suivantes) — sont peu contestables. Pour le cas français, le Mode 2 trouve par ailleurs des prémisses dans les politiques d’enseignement et de recherche. Mais, par delà ces facteurs et par delà même les causes économiques (compétition internationale, mondialisation des échanges) et idéologiques qui peuvent leur être attribuées, on peut se demander si les limites éthiques (manipulation du vivant) et logiques auxquelles se heurtent certaines recherches fondamentales ne représentent pas une des composantes de ce processus. L’exemple de la physique des particules, au sommet de la hiérarchie scientifique à en juger par les investissements publics, apparaît de ce point de vue assez significatif, encore que méconnu. À suivre les progrès de cette discipline sur une longue période et sans entrer dans des détails hors de propos ici, il semble en effet que les conditions d’une crise théorique se trouvent depuis longtemps réunies. Face aux complexités du paradigme corpusculaire des forces[44] (théorie des quanta) et à l’accord jamais réalisé entre ce dernier et la théorie de la relativité, l’apparition de théories concurrentes au modèle standard de la matière ces 15 dernières années (théories des cordes et des supercordes, supersymétrie) prend valeur de symptôme. Elles peuvent être vues comme les signes d’un tournant épistémologique, plus empirique sans être moins prometteur, dont le renoncement aux lois fondamentales et le repli sur des recherches à moyenne portée (Gibbons et al., 1994 : 23) constitueraient les manifestations les plus visibles. Artisans, chefs d’entreprises ou consultants, voici peut-être venu le temps des bricoleurs scientifiques.