L’expansion impériale européenne qui commence au début du xvie siècle et accompagne la première phase du capitalisme naissant, c’est-à-dire sa phase commerciale, présente, en ce qui concerne le mouvement des personnes, des caractéristiques particulières suivant les continents, voire les contrées, dans lesquels se produit cette expansion. Ainsi, bien que les flux de personnes prennent surtout la direction du centre européen vers ses périphéries asiatique, africaine et, surtout, américaine, un mouvement de personnes se développe entre l’Afrique noire et les Amériques, autrement dit d’une périphérie vers une autre périphérie. Je fais, bien entendu, référence ici au gigantesque mouvement de personnes provoqué par la redécouverte de l’esclavage au début même du capitalisme et dont la cause ou la raison se trouve dans le besoin d’une nombreuse main d’oeuvre dans des plantations d’espèces tropicales ou semi-tropicales qui se développent bientôt en Amérique (coton, tabac, sucre, pour l’essentiel). Lorsqu’il s’agit du mouvement de personnes du centre européen vers ses périphéries il faut distinguer — et la distinction, on le verra, est lourde de conséquences —, ce que l’on peut appeler, dans un cas, un flux de gestionnaires, dans l’autre un flux de migrants. Dans le premier cas, l’objectif est la création, sur place, de centres de gestion coloniale — dont la figure typique est le comptoir —; dans le deuxième, l’objectif est l’occupation et l’exploitation directe du territoire colonial. Ce qui caractérise l’expansion impériale européenne dans les Amériques — et ce, à la différence des périphéries africaines et asiatiques — est l’occupation et l’exploitation directe du territoire par l’installation de migrants d’origine européenne — doublées, certes, dans les contrées tropicales et semi-tropicales, situées, toutes, dans l’est des Amériques depuis le sud des États-Unis jusqu’au sud du Brésil — d’un flux de travailleurs agricoles noirs sous le régime de l’esclavage. L’euphémisme utilisé communément pour désigner ce phénomène est celui de « colonisation de peuplement », comme si cette colonisation se faisait dans des territoires vierges. Un autre aspect important pour saisir le destin de ces mouvements de personnes dans la périphérie américaine concerne la forme ou le genre d’occupation du territoire qui sera soumis à une nouvelle occupation et à une nouvelle exploitation, autrement dit la forme ou le genre d’occupation indigène. Tandis que l’ouest tropical et semi-tropical des Amériques — c’est-à-dire depuis le nord du Mexique jusqu’au sud du Pérou — est occupé et exploité par de vastes empires indigènes, le reste des Amériques est « sous-développé » et occupé par des populations relativement éparses et peu nombreuses. Les migrants européens qui se sont installés dans les Amériques se sont donc trouvés dans deux situations différentes : ou bien avec des populations indigènes bien organisées et relativement « développées » — les empires aztèque, maya et inca, tout particulièrement — (situation 1) ; ou bien dans des espaces peu peuplés et occupés par des populations relativement « sous-développées », faibles du point de vue de leur organisation politique, économique et culturelle — l’Amérique du Nord, le Brésil et le sud de l’Amérique du Sud, c’est-à-dire ce qui deviendra le vice-royaume du Rio de la Plata (pour l’essentiel, l’Argentine actuelle) (situation 2). Si dans tous les cas l’occupation des territoires indigènes a passé par l’utilisation de la violence — depuis la destruction militaire des grands empires précolombiens jusqu’aux récents massacre et expulsion de populations indigènes dans le sud de l’Argentine (campañas del desierto au début du xxe siècle) et autres formes de génocide —, les deux situations paradigmatiques dans lesquelles se sont trouvés les migrants d’origine européenne ont eu des conséquences différentes. Dans la situation 1, l’existence d’une population …
Parties annexes
Bibliographie
- Durham, J. G. L. (1990), Le Rapport Duhram, trad. et intr. de Bertrand et Albert Desbiens, Montréal, Hexagone.
- Habermas, J. (1987), Théorie de l’agir communicationnel, Tome 2, Paris, Fayard.
- Thériault, J. Y. (2002), Critique de l’américanité. Mémoire et démocratie au Québec, Montréal, Éditions Québec Amérique.