L’héritage que Marcel Mauss (1872-1950) a laissé en anthropologie est considérable, et son actualité, toujours grande. Ses travaux, de l’« Essai sur la nature et la fonction du sacrifice » aux « Techniques du corps » en passant par ses études sur la magie et sur le don, ont été, et sont toujours, l’objet de nombreuses discussions, critiques et réinterprétations chez nos collègues anthropologues. Mais qu’en est-il en sociologie ? La formation et la carrière de Marcel Mauss se situent au carrefour de diverses disciplines. D’abord la philosophie : études à l’université de Bordeaux où il suit les cours de son oncle Émile Durkheim, agrégation de philosophie en 1895. Ensuite, la philologie, l’histoire des religions et l’ethnologie religieuse : formation spécialisée à l’École pratique des hautes études, section histoire des religions, à Paris (il y suit les cours de Sylvain Lévi et y rencontre celui qui deviendra son ami et « jumeau de travail », Henri Hubert, jeune agrégé d’histoire), séjour d’études en Hollande et en Angleterre, et, à partir de 1901, titulaire de la conférence d’histoire des peuples dits non civilisés à l’École pratique des hautes études. Enfin, l’anthropologie et la sociologie : collaboration étroite avec Émile Durkheim depuis la parution en 1898 de L’Année sociologique, mise sur pied de l’Institut d’ethnologie de l’Université de Paris en 1925. Et sans oublier la psychologie, avec la présidence de la Société de psychologie en 1923 et publication du texte « Rapports réels et pratiques de la psychologie et de la sociologie » (Mauss, 1924). Bref, voilà, on l’aura compris, une trajectoire marquée par l’interdisciplinarité. Lorsque Mauss présente, à la toute fin des années 1920, sa candidature au Collège de France, ses amis, dont le linguiste Antoine Meillet, l’identifient plus spontanément à l’ethnologie : « Ethnologie c’est mieux, lui disent-ils, que sociologie. » Pour sa part, même s’il est conscient qu’« Ethnologie est le titre électoral par excellence », Mauss n’en refuse pas moins de l’employer : « (...) Si j’ai encore une certaine durée de vie devant moi, je suis bien décidé à lâcher d’un cran les primitifs, et ce m’est une gêne morale en ce moment d’y être cantonné. » Donc, pour lui, « rien de mieux que la sociologie ». Mauss vient de publier dans L’Année sociologique, nouvelle série, dont la parution est plus que jamais précaire, un long article programmatique intitulé « Divisions et proportions des divisions de la sociologie » (Mauss, 1927). À la suite d’une lutte très serrée, Mauss est élu au Collège de France fin novembre 1930 et nommé titulaire de la chaire de sociologie : « Dame sociologie fait, ironise certains, son entrée au Collège. » C’est la « revanche » des durkheimiens. Une fois dans la « forteresse », Mauss expose les travaux de Durkheim sur la morale civique et professionnelle, mais, dans les faits, il ne s’éloigne guère des « sociétés de type archaïque » auxquelles il consacre son premier cours.. Son attention se porte sur les phénomènes généraux de la vie collective : les phénomènes de la vie nationale (cohésion sociale, éducation et tradition), les phénomènes internationaux (guerre et paix, phénomènes de civilisation) et la psychologie collective (mentalité et rapport collectif). Mauss, sociologue ? Avec ses collègues durkheimiens, il participe à la création de l’Institut français de sociologie et de la revue Annales sociologiques, dans laquelle il publie en 1934 son « Fragment d’une sociologie générale descriptive » (Mauss, 1934) ; plus que jamais préoccupé de développer le « côté purement descriptif » des sciences sociales, il déclare : « Plût …
Parties annexes
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