À propos du territoire du sociologue et de l’œuvre de fiction : débat autour de l’article de N. HeinichOn the Territories of the Sociologist and the Work of Fiction : Debate about N. Heinich’s Article

Questions de contexte : théories postmodernes et déconstructionContextual Issues : Postmodern Theories and Deconstruction[Notice]

  • Mary Leontsini

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  • Mary Leontsini
    Department of Sociology
    School of Social Sciences
    University of Crete
    University Campus, Rethymnon 74100, Greece
    leontsini@social.soc.uoc.gr

Je voudrais d’abord exprimer mon admiration à l’auteure de cette analyse d’un roman comme celui de Kadaré, et ce, pour deux raisons : premièrement parce qu’il s’agit d’une narration non seulement nationale en raison de son ancrage dans une tradition historique, géographique et culturelle où tout se noue autour des questions des territoires (formation et déformation d’identités collectives et personnelles liées à des conflits à la fois sociaux et ethniques, stratégies de censure développées sur l’enjeu du territoire, investissements symboliques de la notion, circulation de mythes et de légendes à travers les frontières), et deuxièmement parce que l’oeuvre romanesque de Kadaré demeure, pour nous lecteurs éloignés et souvent mal informés sur l’actualité de l’Albanie, une sorte de cadre de référence pour la lecture d’une tradition entière. Les romans de Kadaré participent de notre culture néanmoins globale et y introduisent des défis qui restent à être « canonisés » ; ils constituent inévitablement une instance de médiation pour notre compréhension de l’expérience collective d’un pays entier longtemps méconnu. C’est à partir de ces fictions qu’on forge notre regard et notre discours à la fois sur une partie de l’Europe jusqu’à très récemment vouée au silence. Dans ce sens, il me paraît absolument intéressant d’entreprendre une analyse structurale d’un des textes qui se font l’écho d’une aire culturelle. Cette analyse structurale aurait pour autant un sens beaucoup plus riche si elle faisait le point sur les modalités selon lesquelles ce récit devient un des vecteurs de notre connaissance qui, dans ce cas, est fondée sur des fictions. Par ailleurs, je suis tout à fait Nathalie Heinich lorsqu’elle dit militer pour une pluralité d’approches, dans la mesure où cette pluralité n’évacue pas la connaissance recherchée et que chacune des approches fait nécessairement appel à une théorie de l’objet étudié. L’auteure propose une analyse structurale du texte de Kadaré et se refuse à prendre en compte les références contextuelles, ce qui, à son avis serait faire preuve soit d’une interprétation sociologisante soit d’une étude empirique des faits. Je voudrais aussi souligner le fait que je ne vise absolument pas à invalider les acquis de l’analyse structurale et que je ne suis en aucun cas ce que l’auteure appelle profession de foi déconstructionniste ou postmoderne. Je reviendrai sur ce point. Je dirais même que le point commun dans cette discussion est justement l’effort pour contribuer à prendre au sérieux des textes romanesques dans le cadre des travaux entrepris en sciences sociales. Je rejoins donc parfaitement le projet ou plutôt le cadre scientifique proposé par Nathalie Heinich lorsqu’elle favorise le développement d’une analyse des fictions dans le cadre de la sociologie. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que je tends à privilégier le domaine des sciences sociales à l’intérieur duquel la sociologie aurait beaucoup à gagner en s’enrichissant d’une pluralité de méthodes ; pluralité de méthodes ne signifie pas éclectisme relativisant mais, au contraire, ouverture à des modes de production du discours. En d’autres termes, à mon avis, surtout lorsqu’on a affaire à des textes comme celui de Kadaré, il est intéressant de mettre l’accent sur le mode de connaissance auquel la théorie de l’objet étudié nous conduit. Les questions dignes d’approfondissement et de discussion que le texte de Nathalie Heinich soulève étant très nombreuses (et c’est en fait là un de ses grands mérites), je me limiterai à la présentation de trois points qui me paraissent particulièrement intéressants : Essayer de contextualiser un texte romanesque ne signifie pas réduire le produit du savoir au sociologisme ou à l’empirisme. On y voit là deux partis pris à la fois exclusifs et impérieux, ce qui menace la …

Parties annexes