À propos du territoire du sociologue et de l’œuvre de fiction : débat autour de l’article de N. HeinichOn the Territories of the Sociologist and the Work of Fiction : Debate about N. Heinich’s Article

Quelques remarques sur la pragmatique et la réflexivitéRemarks on Pragmatics and Reflexivity[Notice]

  • Antoine Hennion

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  • Antoine Hennion
    Centre de sociologie de l’innovation
    École nationale supérieure des Mines de Paris/CNRS
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    75006 Paris, France
    antoine.hennion@ensmp.fr

Que peut-on dire d’une oeuvre littéraire ? La question est importante. La sociologie ne l’a pas épuisée, c’est le moins qu’on puisse dire. Nathalie Heinich se propose dans son article de montrer l’intérêt sociologique des fictions : on la suit volontiers. La réponse qu’elle donne prend la forme d’une analyse structurale d’un roman, très clairement formulée dans le cadre d’une grille d’interprétation sociologique rapidement définie. L’auteure renvoie en notes à ses propres travaux pour l’explicitation d’une problématique qu’elle a appliquée dans ses derniers ouvrages aux divers « états de femmes » mis en scène par les romans, ou à la relation mère-fille. Ces analyses sur les femmes renvoient aussi au thème plus général de la singularité qu’elle a traité auparavant, comme régime de valeur spécifique, en particulier développé par les mondes de l’art. Nathalie Heinich affiche clairement, d’emblée, les limites de son article : roman pris comme « document » et non comme oeuvre d’art ; analyse visant à la façon de Lévi-Strauss à en dégager les structures sous-jacentes, pour faire apparaître le mythe que développe le texte et le rapporter à un modèle général ; refus croisé d’une analyse esthétique ne s’intéressant à la fiction qu’en vertu de ses qualités artistiques, et d’une sociologisation critique rapportant à des causalités externes et cachées les véritables enjeux du texte. Haussant les épaules devant l’ignorance des temps présents, elle rejette aussi le déconstructionnisme et les tendances postmodernes « à la mode », mis dans le même sac, comme disant tout et n’importe quoi et s’affranchissant des contraintes scientifiques. Elle se démarque enfin des approches pragmaticiennes, « plus récentes », cette fois au nom de la pluralité des points de vue et (à nouveau malgré les oukases de la mode) du droit à analyser les oeuvres autrement qu’en s’intéressant à leurs effets et aux usages réels qu’en ont les publics ou les lecteurs. On peut regretter une telle disqualification de théories différentes des siennes sur le mode de la dénonciation d’erreurs scientifiques ou méthodologiques et de l’accusation de céder aux caprices du temps : elle se paie inévitablement d’une vue quelque peu caricaturale des thèses combattues. Les diverses théories que le linguistic turn et le constructivisme ont élaborées sont très riches, en particulier sur les textes littéraires, elles ne se résument pas à la confusion de toutes les valeurs. Elles ont en particulier permis d’éviter d’analyser sur le même mode le contenu d’un roman et la réalité des situations décrites, en élaborant de façon très argumentée les enjeux de l’écriture. Il en va de même avec le pragmatisme. Lorsque celui-ci montre que l’énoncé ne peut être séparé de l’énonciation, que la langue a besoin de l’appui sur le contexte pour faire sens, il attaque de front la division entre une structure de la langue, générale, abstraite et inconsciente, et un usage de la parole, local, situé et manipulé en partie sciemment par le locuteur. Le pari radical du pragmatisme, c’est non pas que le texte a des effets, mais qu’il est ce qu’il fait. On est bien sûr en droit de ne pas avaliser cette hypothèse, mais cantonner le pragmatisme à n’être qu’un volet « usages » qui viendrait compléter une analyse structuraliste, c’est le contraire du pragmatisme : c’est rétablir la coupure entre la langue et la parole qu’il a explicitement refusée. Dans le cas présent, c’est dans l’interprétation même du roman qu’on pourrait (ou non) appliquer une conception pragmatique, et non en ajoutant à une analyse structurale inchangée une analyse complémentaire de ses effets et de ses usages (en l’occurrence, pour la renvoyer à d’autres). Cela revient à assimiler le pragmatisme …

Parties annexes