Résumés
Résumé
L’olfaction est souvent négligée en sémiologie psychiatrique, malgré sa pertinence clinique et son impact sur le fonctionnement social. Le syndrome de référence olfactive (SRO), qui se manifeste par une fausse croyance selon laquelle une personne émet une odeur nauséabonde, entraîne une détresse sévère et altère le fonctionnement social. Cet article cherche à souligner la pertinence de l’olfaction dans la sémiologie psychiatrique, en mettant l’accent sur le SRO. Nous présentons une étude de deux hommes atteints de SRO, suivis en unité de troubles psychotiques, selon les critères CARE. Une revue de littérature effectuée selon les critères PRISMA, examine 53 études issues de PubMed, PsychInfo, Google Scholar et Cairns et complète les présentations cliniques.
Cette analyse permet ainsi une discussion sur les connaissances actuelles du SRO, en réfutant, nuançant et validant les hypothèses en vigueur sur la nosographie et l’étiologie du trouble. Nous proposons d’approfondir le rôle de l’olfaction, en explorant son association avec les émotions, la formation des impressions et la Théorie de l’Esprit. Affiner notre compréhension de l’influence de l’olfaction sur le fonctionnement psychique et social pourra enrichir nos approches diagnostiques et thérapeutiques en psychiatrie du SRO.
Mots-clés :
- odorat,
- autodysosmophobie,
- syndrome de référence olfactive,
- hallucination olfactive,
- étude de cas
Abstract
Olfaction is often neglected in psychiatric semiology, despite its clinical relevance and impact on social functioning. The olfactory reference syndrome (ORS), characterized by a false belief that a person emits a foul odor, causes severe distress and disrupts social functioning. This article aims to highlight the importance of olfaction in psychiatric semiology, with a focus on ORS. We present a study of two men with ORS, followed in a psychotic disorder unit, using the CARE criteria. A literature review conducted according to PRISMA guidelines examines 53 studies from PubMed, PsychInfo, Google Scholar, and Cairns. By complementing the clinical presentations, our analysis facilitates a discussion of current knowledge on ORS, refuting, nuancing and validating existing hypotheses regarding its nosography and etiology. We suggest to further explore our understanding of olfaction through its association with emotions, the formation of impressions, and the Theory of Mind. Better grasping how olfaction influences psychological and social functioning could improve diagnostic and therapeutic approaches to ORS in psychiatry.
Keywords:
- olfaction,
- autodysosmophobia,
- olfactory reference syndrome,
- olfactory hallucination,
- case study
Corps de l’article
Introduction
En psychiatrie, une attention particulière est portée aux difficultés perceptuelles. Il est usuel de questionner les perceptions auditives et visuelles. Toutefois, d’autres modalités sensorielles, tel l’odorat, ne sont pas aussi systématiquement explorées. Un des auteurs (ES) de cet article a pu constater que, sur une cohorte de 125 patients, 98 % des notes médicales ne faisaient aucune mention de l’odorat. Soit l’évaluation de l’olfaction n’avait pas été réalisée, soit les signes étaient négatifs et n’ont pas été rapportés. Néanmoins, cette absence contraste avec l’attention portée aux perceptions auditives et visuelles.
Dans un programme de suivi externe pour psychoses, nous avons observé deux cas de syndrome de référence olfactive (SRO), rarement décrits dans la littérature, et propices à l’apprentissage clinique. Ils sont originaux dans leur concomitance avec la dépression majeure, le contexte d’anosmie covidienne, et de personnalité sensitive.
Nez en moins – Nez en plus
L’importance accordée à l’odorat en psychiatrie a varié au cours de l’histoire, les psychiatres, tout comme les sommeliers et les philosophes, n’étant pas unanimes quant à son rôle (Stip, 2021). L’odorat est déprécié par René Descartes en faveur de l’ouïe et la vision, considérées plus subtiles. Pour Emmanuel Kant, il constitue même un obstacle à la liberté et à la sociabilité ; il sert uniquement la jouissance et non le savoir. Pourtant l’odorat peut être considéré comme le sens qui interroge le plus finement la relation entre le corps et l’esprit (Hanon, 2020). Des associations croissantes sont établies entre la dysosmie et des affections psychiatriques, comme la schizophrénie et la dépression. Des patients développent une anosmie, d’autres, à l’inverse, une hyperosmie et même, pour certains, l’odorat peut devenir l’objet d’une souffrance telle que la relation aux autres est perturbée (Marin et coll., 2023).
Le lien entre l’activation neuronale des zones de traitement de l’information sociale et les odeurs corporelles suggère le rôle de ces dernières dans l’interprétation des situations sociales ; la force de ce lien semblant être liée au degré d’ouverture sociale (Lübke et coll., 2014 ; Lundström et coll. 2009 ; Schäfer et coll., 2021). Les odeurs influencent la perception de caractéristiques faciales telles que le genre, l’attractivité, la fiabilité et la dominance. Ainsi, dès l’enfance, l’olfaction contribue à la perception sociale, notamment par l’influence de l’odeur maternelle sur la perception du visage (Damon, 2021). Les odeurs corporelles peuvent également refléter des états émotionnels tels que l’anxiété (Prehn-Kristen et coll., 2009 ; de Groot et coll., 2020 ; Kontaris et coll., 2020) et véhiculer des informations sur la personnalité (Mallet et coll., 1998 ; Sorokowska et coll., 2016). Par exemple, une odeur corporelle perçue négativement peut être associée à des traits peu attrayants voir hostiles (McBurney et coll., 1976). L’olfaction sert ainsi de guide dans les interactions sociales complexes.
Le syndrome de référence olfactive (SRO)
En 1971, Pryse-Philipe définit le SRO comme une croyance persistante qu’une personne émet une odeur nauséabonde, générant une détresse et un impact fonctionnel. Décrit pour la première fois en 1891 par Potts, le SRO est aussi connu sous divers noms, tels qu’autodysosmophobie, bromidrose, syndrome phobique olfactif, syndrome paranoïaque olfactif chronique ou encore, au Japon, taijin kyofusho (Feusner, 2010). Malgré un intérêt de longue date pour ce syndrome, des défis persistent dans sa prise en charge, notamment en raison des incertitudes sur sa pathophysiologie et sa nosographie.
Méthode
Nous présentons une étude de cas de 2 hommes suivis dans la clinique de trouble psychotique, telle que définie selon les critères de liste CARE (Case Report). Ces patients ont consenti à la publication. Nous complétons la description clinique de leurs cas d’une discussion alimentée par une revue de littérature sur le SRO.
Présentation du cas 1
Le patient 1, un Italo-Canadien de 63 ans, a été référé par son médecin de famille pour « trouble délirant chronique ». Il percevait sa propre odeur corporelle comme nauséabonde, variant en intensité, et accompagnée d’une sensation désagréable en bouche. L’odeur émanait de son corps ou de l’environnement extérieur, puis se propageait par sa gorge ou son nez. Il disait également voir dans des gestes et des remarques anodines de son entourage des réactions à sa mauvaise odeur (se toucher le nez, s’éclaircir la gorge, « cacao » interprété pour « caca »). Il s’était livré un temps à des pratiques d’hygiènes compulsives (bains de bouche, antiacides), maintenant cessées. Sa préoccupation pour son odeur corporelle était la source de conflits sur son lieu de travail, mais aussi d’un évitement des transports publics et des évènements sociaux. Il maintenait toutefois des amitiés, une relation amoureuse, ainsi qu’un emploi stable.
Il datait l’apparition de ses symptômes à l’âge de 20 ans, une période coïncidant avec son retour aux études et, plus spécifiquement, un incident particulier : la douche de sa résidence universitaire s’était brisée, ce qui l’empêcha de se laver comme d’habitude. Le patient décrivait un parcours médical complexe, avec des investigations, non concluantes, en neurologie et en gastro-entérologie, et un diagnostic de dystrophie génétique nécessitant une stomie.
Le patient nous fut référé après un suivi mensuel en psychiatrie de 13 ans, puis à intervalles espacés, consultant notamment pour des épisodes dépressifs et anxieux. Diverses thérapies médicamenteuses avaient été tentées (clonazépam, clomipramine, olanzapine, pimozide, trifluopérazine, zopicone, trazodone). Il avait mal toléré le pimozide et la trifluopérazine.
Lors de notre première rencontre, le patient était calme en dépit d’une préoccupation évidente pour les odeurs et une surinterprétation du non verbal chez ses interlocuteurs. Son autocritique était très altérée. Le patient affirmait être excessivement tourmenté par des conflits avec sa belle-famille. Il ne présentait pas de tableau dépressif.
Les diagnostics de SRO et d’hyperosmie chronique ont été posés. Le patient présentait par ailleurs des traits de la « personnalité sensitive » de Kretschmer, caractérisant une sensibilité accrue au jugement d’autrui. Nous lui avons proposé un suivi mensuel et avons encouragé l’observance de son traitement médicamenteux de duloxétine 60 mg et prégabaline 150 mg, ainsi qu’une meilleure hygiène de sommeil. Dans les mois qui ont suivi, le patient a continué d’exprimer une tristesse et une frustration induites par sa perception de dégager une odeur nauséabonde. Néanmoins, sa préoccupation première n’était plus son odeur corporelle, mais ses relations familiales tendues.
Présentation du cas 2
Le patient 2, un Canadien de 53 ans, nous a été référé pour « trouble délirant et dépression » par son ancien psychiatre. Le patient avait été suivi précédemment pour un trouble lié à l’alcool et des crises suicidaires répétées.
Il disait percevoir une odeur de selles émanant de sa bouche et de son rectum, qui fluctuait au cours de la journée. Il interprétait des commentaires et des comportements de son entourage (p. ex. tousser), comme des réactions à sa mauvaise odeur. Il se plaignait d’une inquiétude envahissante à l’idée d’incommoder ses voisins d’appartement par son odeur. Il décrivait par ailleurs des hallucinations auditives dénigrantes. Lors de consultations ultérieures, il présentait des symptômes dépressifs et anxieux. Il affirmait avoir des pensées suicidaires passives, ainsi que de fréquentes attaques de panique. Il disait se doucher de 2 à 3 fois par jour. La préoccupation pour son odeur corporelle l’avait conduit à progressivement restreindre son cercle social et vivre en reclus, évitant les lieux publics et s’enlisant dans un chômage prolongé.
Le patient datait l’apparition de ses symptômes en 2021, à un moment où il disait avoir été victime d’intimidation sur son lieu de travail en raison de son odeur corporelle. Cette période de sa vie avait été aussi marquée par le décès de ses parents. Le diagnostic de SRO a été posé dès 2021, en concomitance avec celui de trouble psychotique non spécifique. Un rapport radiologique du CT scan était dans les limites de la normale.
Depuis 2021, le patient a été hospitalisé à 2 occasions pour dépression et crise suicidaire, avec pour arrière-plan un tableau de difficultés conjugales. Il avait bénéficié d’un suivi en thérapie cognitivo-comportemental et s’était vu prescrire des antipsychotiques (olanzapine, aripriprazole, risperidone, paliperidone) ainsi que du citalopram. Il a été pris en charge dans un cadre multidisciplinaire, qui incluait de l’ergothérapie. Un dernier élément ressort : durant la pandémie de la COVID-19, le patient a présenté une anosmie persistante de plus de 10 jours, tout en conservant une interprétation olfactive délirante.
Lors de l’entretien, le patient présentait un tableau dépressif. On notait une préoccupation envahissante de son odeur corporelle, des idées de référence à l’avant-plan, et un discours affecté par des hallucinations auditives. Le patient était toutefois capable d’autocritique sur ses idées délirantes de mauvaise odeur.
Nous avons identifié un SRO et des symptômes dépressifs secondaires. S’ajoutent à cela des traits de personnalité évitante et dépendante. Nous avons proposé au patient un suivi mensuel et une pharmacothérapie avec un seul antipsychotique longue-action, le palipréridone injectable 150 mg au mois, puis en raison d’une réponse insuffisante antidépressive de plus de 4 semaines nous avons combiné l’ISRS avec la mirtazapine. Il recevait ainsi 40 mg de citalopram, 30 mg de mirtazapine. La réponse clinique étant encore partielle après 4 semaines, nous avons proposé une potentialisation avec la rTMS. La stimulation consiste en des séquences iTBS sur le cortex dorsolatéral préfrontal (F3), avec 120 % du seuil moteur. Le patient exprimait à ce jour après 5 séances une amélioration sur une échelle de 10 de son humeur puis de son anxiété de 9 à 6. Le SRO montre encore une variabilité.
Discussion
Les personnes atteintes de SRO sont souvent confrontées à l’errance diagnostique et thérapeutique, principalement en raison d’une réticence à parler de symptômes « honteux », d’une altération de l’insight mais aussi d’un manque de reconnaissance clinique. Elles sont ainsi exposées à des risques de surmédicamentation, multipliant en vain les consultations chez divers spécialistes (dermatologue, dentiste…) ; elles présentent souvent des idéations suicidaires (Chernyak et coll., 2021 ; Greeberg et coll., 2018). Les deux cas que nous présentons montrent comment ces patients structurent progressivement leur vie autour de la fausse conviction de dégager de mauvaises odeurs et d’incommoder leur entourage, les plongeant dans une profonde détresse.
Nosologie, nosographie et étiologie
Le diagnostic du SRO est complexe, car, entre autres, sa nosologie est controversée. Comme l’illustrent nos deux cas, les symptômes du SRO partagent des similitudes avec ceux de plusieurs troubles psychiatriques.
Initialement, le DSM-3-R, la CIM-10 et le DSM-4 classent les manifestations du SRO comme relevant des troubles délirants somatiques (sans mention explicite du SRO). Toutefois, bien que le patient 1 présente effectivement des manifestations délirantes, le patient 2 présente une capacité d’autocritique relative.
Ensuite, le DSM-4 réfère également de manière implicite au SRO dans sa description de l’anxiété sociale et des syndromes culturels (taijin kyofusho). Cependant, le patient 1 ne présente pas de signe d’anxiété sociale en dehors de son trouble et arrive à maintenir une vie sociale active. Quant à lui, le patient 2 présente des traits de personnalité dépendante et évitante, sans répondre aux critères d’anxiété sociale. D’ailleurs, l’anxiété sociale est essentiellement caractérisée par une peur démesurée d’être jugé en public pour ses comportements (parler, manger…). Or, dans le SRO, le sentiment de honte est lié exclusivement à l’odeur corporelle, et peut se ressentir en dehors des situations sociales.
Enfin, le DSM-5 et la CIM-11 incluent désormais le SRO dans la catégorie Autres comportements obsessionnels-compulsifs (TOC). Effectivement, des pensées intrusives peuvent être observées chez nos deux patients. Malgré cela, seules les compulsions passagères du patient 1 sont significatives. Le caractère délirant de son trouble s’apparente moins au profil typique des TOC qu’à celui de la dysmorphophobie. De plus, la prévalence des idées de référence est plus élevée chez les personnes atteintes de SRO que chez les personnes atteintes de TOC (Reuter, 2024,b).
D’une manière générale, la littérature recense au moins 3 aspects caractéristiques du SRO : la perception erronée d’odeurs corporelles désagréables émanant en particulier des aisselles, des pieds ou des seins ; l’âge d’apparition dans la vingtaine ; des facteurs de mauvais pronostic, dont un faible insight et une altération significative du fonctionnement (Begum et Mckenna, 2010 ; Greenberg et coll., 2016). Le SRO est souvent accompagné de comorbidités, principalement la dépression (Philips et Ménard, 2011), suivie de l’anxiété sociale, puis des TOC (Reuter et coll., 2024, a, c). Cependant, d’autres aspects caractéristiques du SRO sont plus débattus : l’étendue du délire, la présence d’hallucinations et de compulsions.
Ensuite, l’étiologie du SRO reste également à préciser. Les quelques modèles neurobiologiques proposés suggèrent une origine commune avec divers troubles psychiatriques. Entre autres, une anomalie au niveau du sillon temporal supérieur gauche a été observée à la fois dans la schizophrénie et dans le SRO (Sofko et coll., 2020). De même, une hypoperfusion fronto-temporale gauche est présente dans la dépression et le SRO (Konuk et coll., 2006). Il est toutefois difficile de déterminer si ces anomalies sont à l’origine du SRO ou des troubles concomitants bien que, chez nos deux patients, le SRO persiste indépendamment des fluctuations de l’humeur dépressive.
De plus, Begum et McKenna suggèrent la présence d’un événement déclencheur, induit par un stress externe ou lié à une expérience olfactive singulière (2011). Nos deux cas cliniques tendent à valider la proposition. Si une période de stress entoure chaque apparition des symptômes (décès des parents, retour aux études), les deux patients identifient aussi à l’origine de leur trouble un « problème » d’odeur corporelle (impossibilité de se doucher ou moquerie sur son odeur corporelle).
Stratégies thérapeutiques et pistes de recherche
Enfin, bien que la prise en charge du SRO soit complexe, le pronostic est favorable dans environ deux tiers des cas selon la méta-analyse de Begum et McKenna (2010).
Le traitement thérapeutique et médicamenteux s’inspire souvent de ceux des troubles obsessionnels, anxieux et dépressifs. Ceci suggère là encore une étiologie partagée ou des comorbidités.
Par exemple, la TCC a démontré son utilité pour rectifier les pensées dysfonctionnelles, réduire l’anxiété et prévenir les comportements d’évitement (Allen-Crooks et coll. 2017 ; Kazuki et coll., 2024). Également, l’usage des anxiolytiques, tel que le lorazépam, peut faciliter les interactions sociales (Roshan et coll., 2024). De même, les antidépresseurs, particulièrement les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine, se sont montrés particulièrement efficaces lorsque combinés à la TCC (Begum et McKenna, 2010 ; AhHadi et coll., 2018 ; Chernyak et coll., 2021).
Concernant la composante délirante du SRO, une prise en charge similaire à celle des symptômes positifs de la psychose pourrait s’avérer utile. Quelques études de cas isolées rapportent une efficacité de la combinaison d’antidépresseurs et d’antipsychotiques, ou d’antipsychotiques en monothérapie, bien que ces derniers soient généralement moins performants que les antidépresseurs (33 % de rémission contre 55 % dans une étude sur 84 patients) (Begum et McKenna, 2010 ; Jegede et coll., 2018 ; Thomas et coll., 2015). Le traitement médicamenteux du patient 1 a associé au cours du temps, des antidépresseurs et anxiolytiques pour cibler à la fois les symptômes de TOC, dépression, anxiété et probablement la composante délirante avec l’ajout d’antipsychotique. Cependant, en raison d’un suivi imprécis, il est difficile d’évaluer l’efficacité de chaque traitement.
Finalement, la littérature suggère la pertinence d’un protocole d’EDMR dans un petit échantillon de patients (McGoldrick et coll., 2008 et 2016).
Des pistes de recherche futures méritent d’être explorées pour affiner notre compréhension de l’approche diagnostique et thérapeutique du SRO.
D’une part, les données préliminaires sur l’étiologie du SRO suggèrent des déficits de traitement de l’information cognitive, olfactive et émotionnelle (Sofko et coll., 2020). En ce sens, des recherches doivent être menées pour explorer des hypothèses de perturbation de la cognition sociale et de connectivité cérébrale dysfonctionnelle dans le traitement de l’information olfactive, à l’aide de paradigmes contemporains. Par exemple, l’anosmie virale due à la COVID-19 chez le patient 2 et la persistance du SRO méritent d’être discutées. Cette relation, même si on la révèle succinctement chez le patient, est postérieure au début du SRO. La compréhension de la fantosmie, en tant que manifestation d’un désordre olfactif liée à la COVID-19, reste limitée. Il s’agit d’un syndrome où un individu perçoit une stimulation olfactive en l’absence d’une source odorante (Butowt et coll., 2023). Le type de fantosmie le plus courant est « fumée/cendrier/cigarette/brûlé », suivi de « produit chimique » et « ammoniac/vinaigre » (Gary et coll., 2023 ; Bousquet et coll., 2023 ; İşlek et coll., 2022). De plus, la fantosmie induite par le vaccin est un effet indésirable rare et le SRO n’est pas apparu relié à une vaccination anti-COVID chez le patient (Barter et coll. 2023). Contrairement au SRO, la fantosmie n’est pas un délire autoréférentiel, et les deux pathologies diffèrent donc dans leur psychopathologie et la phénoménologie ; dans le SRO, le patient attribue les odeurs nauséabondes (péjoratives) à son propre corps et demeure convaincu que les autres les perçoivent. Donc, bien qu’une réflexion soit nécessaire sur les liens possibles entre ces deux syndromes, l’anosmie virale due à la COVID-19 semble être un phénomène distinct.
Enfin, d’autre part, les capacités métacognitives olfactives ont déjà été évaluées dans différents contextes tels que la dépression, l’anxiété et l’anxiété sociale (de Nijs et coll., 2028 ; Dal Bò et coll., 2022 ; Buron et coll., 2015). Il serait donc aussi pertinent d’étendre l’évaluation au SRO, non seulement en lien avec l’anxiété sociale, mais aussi dans la perspective d’un continuum potentiel entre le SRO et le trouble délirant.
Malheureusement, le SRO est sous-représenté dans la recherche clinique et il existe un manque de connaissances sur presque tous les aspects de la maladie (à l’exception de la symptomatologie dans laquelle s’inscrivent nos 2 cas). À la lumière des déficiences et des souffrances associées au SRO, son inclusion en tant que nouveau diagnostic dans la 11e révision de la Classification internationale des maladies (ICD-11) (OMS, 2019) augmentera, espérons-le, l’intérêt scientifique pour cette autodysosmophobie, un terme encore ambigu, car il réfère en français au spectre de la phobie seulement.
Enfin, l’une des principales limites de nos 2 cas est l’absence d’utilisation d’échelles spécifiques, telles que l’ORDQ ou bien l’ORD-YBOCS, qui ne sont pas encore traduites ni totalement validées (Reuters et coll., 2024 ; Zhou et coll., 2018).
Conclusion
Les 2 cas cliniques présentés dans cet article mettent en évidence l’importance du rôle de l’odorat dans le fonctionnement social et soulignent la pertinence en psychiatrie de procéder à l’évaluation systématique de ses manifestations symptomatiques, au même titre que les perceptions visuelles ou auditives.
L’étude de ces cas conduit à discuter l’état des connaissances sur le SRO et les domaines qu’il convient d’examiner en plus grand détail. La revue de littérature fait état de nombreux défis à sa prise en charge, notamment en raison de la difficulté à statuer sur son étiologie et sa nosographie. Trois axes de recherche pourraient être envisagés pour mieux comprendre les réponses aux odeurs corporelles et, par conséquent, améliorer la prise en charge du SRO : l’impact des signaux olfactifs sur les émotions, leur rôle dans la formation des impressions, et leur interaction avec la théorie de l’esprit.
Parties annexes
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