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Contexte et vie de Kieron O’Connor

Au tournant des années 90 et 2000, le Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (CIUSMM), nommé à l’époque Centre de recherche Fernand-Seguin, veut s’implanter solidement en tant que centre d’excellence dans le développement d’approches cognitivo-comportementales pour le traitement des troubles de santé mentale. Un des pionniers et instigateurs de cette approche dans ce milieu est le psychologue et chercheur Kieron Philip O’Connor. Né à l’hôpital militaire de Mtafa sur l’île de Malte d’un père officier dans la marine britannique, et plus tard à l’Amirauté, il passe une partie de son enfance à la base navale de Simonstown, en Afrique du Sud avant de s’installer dans le port de Sheerness, dans le Kent, et plus tard à Taunton, dans le Somerset, au Royaume-Uni. Il obtient son baccalauréat en sciences sociales de la North London Polytechnic (1972), sa maîtrise en psychologie expérimentale à la University of Sussex (1979) à Brighton et son doctorat en psychologie à la University of London (1984) sous la direction de Hans Eysenck. Il obtient également un diplôme en psychologie clinique de la British Psychology Society (1986) après avoir fait des allers-retours entre l’Angleterre, l’Europe, le Canada et l’Australie. En 1988, il décide d’immigrer à Montréal et devient citoyen canadien. C’est à ce moment-là qu’il démarre une carrière de chercheur boursier du Fonds de recherche en santé du Québec (FRSQ) et s’installe au Centre de recherche Fernand-Seguin inauguré en 1992. Il fonde ensuite le Centre d’études sur les troubles obsessionnels compulsifs et les tics (CÉTOCT) en 1996. Il oeuvre comme professeur au Département de psychiatrie et addictologie de l’Université de Montréal, et ce, jusqu’à sa mort survenue le 26 août 2019. Il est l’un des psychologues les plus prolifiques de cette génération, principalement pour ses travaux dans le domaine du traitement du syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) et les tics chroniques ainsi que les troubles obsessionnels-compulsifs (TOC).

Le syndrome de Gilles de la Tourette : définition et bref contexte historique

Nous visons tout d’abord à définir et recadrer le contexte historique du SGT qui a permis de jeter les bases empiriques de la recherche contemporaine. Le syndrome de Gilles de la Tourette (SGT) est un trouble neurodéveloppemental caractérisé par la cooccurrence de plusieurs tics moteurs et d’au moins un tic phonique. On peut noter une prévalence au Canada de 0,89 par 1000 personnes chez les hommes et 0,44 par 1000 personnes chez les femmes (Yang et coll., 2016). Ces tics sont semi-involontaires et surviennent de façon répétitive et non stéréotypée. Un tic moteur consiste en une contraction musculaire qui regroupe soit un tic simple ou plusieurs groupes de muscles pour les tics complexes. Les tics phoniques ou sonores peuvent, à l’instar des tics moteurs, être qualifiés de « simples » tels qu’un reniflement ou un raclement de la gorge, ou ils peuvent être qualifiés de « complexes » tels que l’écholalie et la coprolalie plus rare. De façon générale, les tics ont tendance à apparaître vers l’âge de 4 à 6 ans, avec une période plus sévère observée vers 10 à 12 ans. Cette période coïncide avec la puberté et une diminution apparente de la sévérité des symptômes à l’âge adulte (Robertson et coll., 2015).

Au cours de la dernière décennie, les études ont progressé dans le traitement de ce syndrome, mais de nombreuses questions subsistent. Pourquoi de nombreux patients n’ont-ils pas ou peu répondu aux traitements ? Pourquoi sont-ils souvent mal diagnostiqués ? Les symptômes disparaissent-ils vraiment chez les adultes ? Pourquoi les symptômes sont-ils si variables et fluctuants ? Est-ce que des marqueurs physiologiques pourraient prédire le devenir des patients à la suite d’un traitement psychologique ? Ces questions fondamentales préconisées par Kieron O’Connor, furent abordées avec une approche multidisciplinaire combinant la neurologie, la psychologie, la psychiatrie ou d’autres approches basées sur les neurosciences. Ainsi, une approche unidisciplinaire interdirait d’intégrer les niveaux cognitifs, structurels et fonctionnels du fonctionnement cérébral. Les entretiens cliniques structurés seraient bien entendu utiles pour suivre les états cliniques, mais ils ne fourniraient que des informations incomplètes ou indirectes. Une approche comportementale aurait donc le potentiel de caractériser les symptômes et de les relier à l’expression clinique de la maladie qui, en retour, aurait un impact sur les stratégies thérapeutiques. Cependant, puisqu’il s’agit d’un trouble neurodéveloppemental, cette approche fournirait peu d’informations sur ses racines neurocognitives et évolutives. À ce titre, la neuropsychologie permettrait des inférences valides sur des anomalies discrètes et développementales, mais ces inférences sont principalement basées sur notre connaissance des lésions focales statiques, et assez peu sur des troubles fonctionnels et fluctuants régulièrement observés dans le SGT. Par ailleurs, l’imagerie cérébrale serait appropriée pour identifier les anomalies métaboliques et cérébrales localisées dans cette population (Goldstone et coll., 2015 ; Ueda et Black, 2021). Toutefois, elle est toujours limitée par sa faible résolution temporelle qui ne tient pas compte de la dynamique en millisecondes des mécanismes neurocognitifs impliqués dans la cascade du traitement de l’information. Un modèle neurocognitif cohérent à partir d’une seule approche est donc peu probable, car cette pathologie est hautement multiforme et variable, ce qui conduit à un traitement incorrect ou au mieux, peu optimisé.

À partir des années 70, on présente le modèle de renversement des habitudes qui considère les tics comme une réponse accentuée en termes de fréquence, maintenu par un processus de conditionnement. Ce traitement comprend un entraînement à la prise de conscience, à la relaxation musculaire progressive et au développement d’une réponse incompatible aux tics (Azrin et Nunn, 1973). Bien qu’efficace, ces résultats ont été recueillis au cours d’expériences menées auprès d’un nombre relativement restreint de participants de diverses populations hétérogènes atteintes de tics chroniques, de SGT ou de comportements répétitifs centrés sur le corps (Deckersbach et coll., 2006 ; Wilhelm et coll., 2003). Au fur et à mesure de son évolution, le renversement des habitudes a été incorporé dans un nouveau modèle de traitement : l’intervention comportementale compréhensive pour les tics ou CBIT. Cette approche est maintenant plus largement étudiée et comprend les principes de base de renversement des habitudes, auxquels des étapes d’éducation psychologique et d’intervention fonctionnelle furent ajoutées (Woods et coll., 2008). Certains résultats montrent que les séances de CBIT réduisent significativement la fréquence des tics par rapport à la thérapie de soutien avec, en plus, des effets durables chez les enfants (Piacentini et coll., 2010) et chez l’adulte (Wilhelm et coll., 2012). Actuellement, les lignes directrices de l’Académie américaine de neurologie recommandent le CBIT et d’autres interventions TCC validées comme traitement de première intention, seul ou en association avec des médicaments si nécessaires. (Pringsheim, Holler-Managan et coll., 2019 ; Pringsheim, Okun et coll., 2019).

D’autres interventions plus comportementales pour les tics peuvent être proposées, telles que l’exposition et la prévention de la réponse (exposition and response prevention - ERP) (Verdellen et coll., 2011). Cette intervention est originellement basée sur le principe que les symptômes sont déclenchés et entretenus par un processus de renforcement négatif où le tic permet la neutralisation d’une sensation désagréable et la réduction de la tension musculaire (Evers et van de Wetering, 1994 ; Hoogduin et coll., 1997 ; Verdellen et coll., 2004). La méthode ERP vise à identifier les sensations prémonitoires puis à les tolérer tout en résistant à la manifestation du tic (van de Griendt et coll., 2013). Cette approche comportementale aborde le tic lorsqu’il est produit ou quand il est sur le point de se produire (c.-à-d. avec des sensations prémonitoires). Bien que ce traitement semble efficace, en particulier avec des tics sévères qui ne se prêtent pas à d’autres approches, une large proportion des personnes atteintes de tics n’éprouvent pas de sensations prémonitoires. (Woods et Himle, 2004). Par ailleurs, une autre contrainte de l’ERP est qu’il est souvent émotionnellement difficile pour l’enfant de résister aux tics parce que le processus thérapeutique n’opère pas suffisamment sur les pensées déclenchant les tics.

Le trouble obsessionnel-compulsif : définition et contexte historique

Le TOC touche environ 2 à 3 % de la population adulte, et on croit que cette prévalence est sous-évaluée (APA, 2013 ; Geller et Williams, 2016). Les estimations sont en grande partie tirées des populations cliniques, et celles extraites de la population générale placent plutôt la prévalence à vie entre 3 % et 4 % (Karno et coll., 1988 ; Vismara et coll., 2023).

Les compulsions courantes comprennent : 1) le nettoyage qui prend la forme d’un désir de se nettoyer à plusieurs reprises les mains ou d’autres parties du corps pour se libérer d’une contamination imaginée ; 2) la vérification qui se traduit par la volonté de vérifier et de revérifier pour s’assurer que rien n’a été oublié ou manqué lorsque la personne effectue un acte tel que quitter la maison ou éteindre un appareil ou encore toucher de façon répétitive des objets afin de s’assurer qu’ils sont correctement placés. D’autres obsessions et compulsions peuvent inclure la phobie d’impulsion et les scrupules exagérés. Le doute obsessionnel peut également se manifester par la lenteur obsessionnelle, ou l’indécision, ou comme une rumination mentale répétitive sans compulsion ouverte. Typiquement, une action mentale ou physique conçue pour neutraliser ou éviter l’anxiété associée à la croyance obsessionnelle suit le début d’une obsession. Cela peut prendre la forme d’une compulsion ritualisée ou d’une autre neutralisation manifeste, mais discrète. Un doute obsessionnel peut amener la personne à s’engager dans un rituel à plusieurs reprises pendant un certain nombre d’heures. Donc le trouble peut être socialement, professionnellement et physiquement handicapant. Les coûts sociaux du TOC peuvent être énormes, y compris la détresse, l’isolement social, le manque d’emploi rémunérateur et l’incapacité de fonctionner normalement (Fontenelle et coll., 2010).

L’observation de ce trouble n’est pas récente, mais il n’a pas été cliniquement caractérisé avant la fin 19e siècle. Déjà en 1877, Karl Westphal a offert l’une des premières descriptions cliniques des patients atteints de TOC au 19e siècle (Osborn, 1998). Celui-ci a attribué les obsessions à une fonction intellectuelle dite « désordonnée ». À cette époque, le TOC fut intégré dans la catégorie diagnostique de la neurasthénie aussi qualifiée de « tonus inadéquat » du système nerveux, avec plusieurs autres troubles associés. Plus tard, Pierre Janet (1903) a proposé d’isoler le TOC de la neurasthénie en identifiant un nouveau terme : la psychasthénie. Dans ce cadre intégrant des éléments cognitifs, Janet a proposé que les obsessions et les compulsions surviennent parce que l’individu a une faible tension psychologique ou « énergie nerveuse ». Cette faible tension ne lui permet pas d’effectuer un traitement cognitif de niveau supérieur comme l’attention dirigée. En conséquence, cette énergie est détournée et active des opérations psychologiques plus primitives qui incluent des obsessions et des compulsions. Depuis Pierre Janet, le terme de psychasthénie n’a pas cessé d’être utilisé, bien que ses références étiologiques se soient embrouillées derrière la psychanalyse, alors qu’il est généralement synonyme de névrose ou même de personnalité obsessionnelles (Lanteri-Laura, 1994). Par exemple, Freud considérait le TOC ou névrose obsessionnelle comme le résultat de faibles limites de l’ego conduisant à une défense ritualisée contre les émotions inacceptables. Le consensus récent, cependant, est que le TOC doit intégrer une forte composante cognitive, comportementale et aussi physiologique. Au cours de la dernière décennie, des recherches ont été mises au point parallèlement aux nouvelles technologies émergentes. Il y eut pléthore de résultats, mais peu de cohérence, en particulier lorsqu’il s’agit d’établir un déficit organique absolu. De toute évidence, certaines incohérences peuvent être attribuées aux différences méthodologiques, à la sélection des échantillons et à la sensibilité limitée des mesures.

Pourtant, certains psychologues cliniciens ont contesté la présence d’une étiologie purement biologique dans le TOC, comme Rachman (1997), tout en soulignant le succès des traitements comportementaux basés sur des principes cognitifs. Cette prémisse a été remise en question par les premières découvertes montrant que le comportement lui-même peut produire des changements chroniques dans le métabolisme et la physiologie cérébrale, plutôt que d’être lui-même un produit de tels changements (Saxena et coll., 2008).

Originellement, l’approche comportementale (exposition et prévention de la réponse – ERP) pour les TOC implique une exposition comportementale (ou mentale) délibérée et prolongée à l’objet (ou à la pensée) redouté combinée à la prévention des rituels ou des comportements de sécurité (Meyer, 1966). D’autres modèles basés sur l’évaluation (appraisal) affirment que les cognitions intrusives se transforment en obsessions dues à des évaluations mésadaptées et à des croyances dysfonctionnelles, qui engendrent de la détresse et des actions compulsives (Frost et Steketee, 1997). Un certain nombre de croyances obsessionnelles ont été formulées pour sous-tendre l’évaluation dysfonctionnelle des cognitions intrusives (Obsessive Compulsive Cognitions Working Group, 1997 ; 2001), bien que la recherche sur leur spécificité au TOC ait été mitigée, amenant certains à remettre en question leur rôle dans sa pathogenèse (Anholt et Kalanthroff, 2014).

Néanmoins, la TCC basée sur l’évaluation (appraisal-TCC ou a-TCC) est l’un des ingrédients de la thérapie contemporaine pour le TOC avec une réévaluation de l’importance des pensées intrusives en tant que composante cognitive centrale ainsi que divers éléments tirés de l’ERP en tant que composante comportementale pour s’attaquer aux TOC (Clark, 2020). Certaines méta-analyses indiquent que la plupart des patients bénéficient de la TCC (Olatunji et coll., 2013), bien que les symptômes résiduels persistent généralement (Fisher et Wells, 2005). Il y a aussi des sous-groupes de patients, en particulier, ceux qui ont des idées surévaluées, qui ne semblent pas en bénéficier dans la même mesure que d’autres (Visser et coll., 2015). De plus, l’approche ERP, constituant une composante centrale du traitement, a été associée à une faible acceptabilité (Shafran et coll., 2013), ainsi qu’à une pertinence plus faible pour des sous-types spécifiques (Clark, 2020) et à des niveaux élevés de refus de traitement et d’abandon (Foa et Franklin, 1999). Enfin, malgré les tentatives d’améliorer les résultats grâce à des interventions cognitives fondées sur l’approche comportementale, il n’y a que peu ou pas de preuve d’un quelconque avantage à le faire (Ost et coll., 2015).

Le traitement psychothérapeutique du TOC pose donc de nombreux défis aux chercheurs. C’est dans cette perspective que s’inscrit le modèle développé par O’Connor et ses collaborateurs. Selon cette perspective il faut adapter, tout comme dans le SGT, les approches cognitivo-comportementales dans une perspective intégrant les résultats de recherche en psychologie cognitive et en psychophysiologie. Tout cela s’imbriquant dans un modèle clinique cohérent qu’il a développé tout au long de sa carrière, étayé par une démarche empirique et enrichie par une solide connaissance de la phénoménologie et de la philosophie.

Objectif principal

Notre but principal est de présenter les principaux travaux de Kieron O’Connor et les développements scientifiques qu’il a poursuivis au Centre de recherche de l’IUSMM. Nous présenterons les nouvelles stratégies développées en psychothérapie cognitivo-comportementale, en particulier son oeuvre maîtresse déclinée en 2 axes : un modèle conceptuel et une thérapie basée sur les inférences (O’Connor et coll., 2005) pour traiter les TOC et un autre modèle conceptuel et la thérapie publiée la même année sur la prise en charge cognitivo-comportementale et psychophysiologique pour les personnes aux prises avec les tics chroniques et le SGT (O’Connor, 2005). Nous tenterons ensuite de résumer les approches développées par Kieron O’Connor au sein de notre établissement sur plus de 3 décennies en capitalisant sur le SGT et le TOC. Enfin, nous soulignerons aussi les découvertes collatérales et les perspectives qui vont bien au-delà de ces 2 principaux thèmes s’inscrivant dans la continuité et dans la pérennité.

Stratégie et méthode de recherche

Les critères d’inclusion initiaux de cette revue sont essentiellement orientés vers les critères suivants : 1) articles publiés par Kieron O’Connor sans limites d’années (c.-à-d. nous avons inclus les articles publiés après son décès en 2019) ; 2) articles rédigés en français ou en anglais ; 3) études sur les humains ; 4) articles de recherche originaux révisés par les pairs. Les critères d’exclusion étaient essentiellement basés sur les doublons ou les journaux non reconnus par les bases de données utilisées. De façon plus précise, la présente recension a été réalisée avec le logiciel Endnote en utilisant les bases de données de Medline, PubMed et PsycInfo en divisant selon les thèmes primaires (Syndrome de Gilles de la Tourette et Troubles obsessionnels-compulsifs) et secondaires (Benzodiazépines, Comportements répétitifs centrés sur le corps, Troubles alimentaires, Accumulation compulsive, Tabagisme, Délire) [voir Annexe A]. Nous avons aussi consulté le CV le plus récent de Kieron O’Connor afin de compléter et valider les informations bibliographiques.

Résultats

Nous avons recensé un total de 240 articles de journaux scientifiques révisés par les pairs et publiés entre les années 1975 et 2023. Parmi ce corpus, nous avons retenu 175 articles directement utiles à la présente recension. Le thème primaire regroupant le SGT et le TOC recense 115 articles séparés en 2 sous-thèmes : 1) Syndrome de Gilles de la Tourette – 34 articles ; et 2) Troubles obsessif-compulsifs – 81 articles. Nous retrouvons aussi un thème secondaire qui dénote une vaste gamme d’intérêts qui dénombre 60 articles séparés en 6 sous-thèmes 1) Benzodiazépines -14 articles ; 2) Comportements répétitifs centrés sur le corps – 11 articles ; 3) Troubles alimentaires – 8 articles ; 4) L’accumulation compulsive – 7 articles ; 5) Tabagisme – 16 articles ; et 6) Délire – 4 articles. Les articles non retenus (n = 65), recoupent la thérapie en réalité virtuelle (3 articles), la psychose (2 articles), les phobies (4 articles), le stress posttraumatique (3 articles), l’anxiété (5 articles), articles écrits en allemand (n = 2), la psychophysiologie (n = 18 articles) ou d’autres thématiques plus générales (28 articles).

Résultat 

Thème primaire 1 : l’intégration des composantes comportementales, cognitives et psychophysiologiques pour un traitement holistique des tics chroniques

Pour répondre aux nombreux défis posés par l’évaluation et le traitement des tics chroniques, l’approche développée par Kieron O’Connor fut, à l’origine, de proposer une évaluation structurée des symptômes. Cette approche était appariée à des évaluations de construits cognitifs associés aux tics (Stip et coll., 1999 ; O’Connor, 1994 ; O’Connor et coll., 1993). En résultante, une connaissance du fonctionnement psychophysiologique permettait de bien caractériser un profil particulier relatif aux groupes atteints du SGT et cette approche dite « psychophysiologique » fut raffinée avec la collaboration du chercheur Marc Lavoie, neuroscientifique intégré au Centre au début des années 2000. L’avantage potentiel de cette approche qualifiée de cognitive et psychophysiologique (CoPs) serait d’extraire un profil complet permettant de prédire le développement des symptômes ou le succès du traitement (Lavoie et coll., 2011 ; Morand-Beaulieu et coll., 2015 ; O’Connor et coll., 2008).

Les premières tentatives sérieuses du traitement des tics étaient issues des approches béhavioristes, notamment l’étude de Azrin et Nunn. Il y n’avait pas de lien entre les aspects cognitifs-comportementaux et les aspects sensorimoteurs physiologiques pour évaluer ce syndrome et le traiter. L’unification des approches cognitivo-comportementales avec l’approche psychophysiologique touchait justement aux enseignements qu’avait reçus Kieron O’Connor à l’école de Hans Eysenck à Londres. Ainsi, le modèle d’intervention, au coeur de l’approche développée par O’Connor, cible à la fois les facteurs cognitifs, comportementaux et psychophysiologiques inhérents au déclenchement et au maintien des tics (O’Connor et coll., 2002 ; O’Connor et coll., 2017). La psychophysiologie est un domaine des neurosciences qui cherche à comprendre comment l’état mental (psychologie) et les réponses biologiques (physiologie) d’une personne interagissent pour s’affecter mutuellement (Lang et coll., 2014). Puisque les tics fluctuent temporellement en fréquence, en intensité et topographiquement, O’Connor (2002) proposait que l’identification des processus cognitifs et de l’état physiologique soit d’un intérêt clinique crucial. Avec cette approche, les résultats avec des patients atteints de SGT ont affirmé l’identification de modèles cohérents dans le traitement moteur et cognitif. Ceux-ci se sont reflétés par des améliorations dans certains comportements observés (O’Connor et coll., 2003 ; O’Connor et coll.,1994 ; O’Connor. et coll., 2005). Nous avons aussi noté des améliorations de performances aux tests neuropsychologiques liées à la motricité (Lavoie et coll., 2007 ; Morand-Beaulieu et coll., 2017 ; O’Connor et coll., 2008), et une normalisation des mesures électrocorticales suite à la thérapie (Lavoie et coll., 2011 ; Morand-Beaulieu et Lavoie, 2019 ; Morand-Beaulieu et coll., 2018 ; 2015). Ces études ont montré que les adultes atteints de tics présentent un mode d’action qui augmente l’activation sensorimotrice et la tension musculaire qui peut être abordée directement dans un traitement spécifique (O’Connor et coll., 2016 ; O’Connor et coll., 2008). Ces découvertes ont soutenu empiriquement le modèle cognitivo-comportemental et psychophysiologique (CoPs). Ce modèle proposait d’atténuer les tics, par une meilleure gestion de la tension sensorimotrice générale observée chez les adultes (O’Connor et coll., 2017). De plus, la thérapie CoPs a été adaptée pour les enfants et les adolescents par Julie Leclerc, professeure titulaire au département de psychologie de l’UQAM. Cette thérapie se nomme Façotik (Leclerc et coll., 2008 ; Leclerc et coll., 2016a ; Leclerc et coll., 2016b ; Leclerc et coll., 2016c).

L’approche CoPs est multimodale et cible les processus sensorimoteurs sous-jacents plutôt que les tics abordés plus directement dans les autres approches CBIT et ERP. Dans ce cadre, les tics libèrent temporairement la tension musculaire par un processus d’autorégulation, mais cela tend à renforcer le cycle des tics à moyen terme. Par conséquent, les tics représentent un critère d’évaluation où, de manière proximale, un niveau élevé de tension musculaire déclenche le tic. Toutefois, les causes distales sont attribuées à la façon dont la personne a planifié l’action vers un mode télique et géré l’interaction de l’inhibition/facilitation dans la planification de l’action (O’Connor, 2005). En résultante, cette thérapie vise une restructuration cognitive, émotionnelle et comportementale globale de l’anticipation dans les situations à haut risque de manifester des tics, conduisant à une rééducation de la planification du mouvement et, par conséquent, à une réduction des tics. Des études utilisant cette méthode ont montré une diminution significative de la fréquence des tics, autant chez les adultes (O’Connor et coll., 2016 ; O’Connor et coll., 2001 ; O’Connor et coll., 2009) que chez les enfants (Leclerc et coll., 2016). De plus, les principales mesures globales des tics ainsi que les mesures associées à l’humeur ont révélé que le traitement CoPs est aussi efficace en combinaison avec des médicaments ou administré seul (O’Connor. et coll., 2009).

D’autres résultats de l’équipe de Kieron O’Connor ont montré une réduction significative de la fréquence des tics après une intervention CoPs (d de Cohen - 1,43-2,34), maintenue au suivi de 6 mois. De plus une réduction significative des symptômes de tics moteurs (d de Cohen - 2,36-2,81) a été signalée après un traitement CoPs chez des patients des groupes avec tics chroniques ou avec le SGT (O’Connor et coll., 2016). Malgré ces chiffres prometteurs, 35 % des personnes atteintes de tics chroniques et 25 % du groupe avec SGT ont répondu de manière sous-optimale avec moins de 35 % d’amélioration du traitement CoPs, même avec des médicaments pour certains d’entre eux. Cependant, ces résultats sont comparables à ceux obtenus avec une équipe américaine à partir du CBIT obtenue chez les enfants (Piacentini et coll., 2010) et chez les adultes (Wilhelm et coll., 2012) avec une diminution significative des symptômes dans les 2 populations.

Les études menées auprès d’adultes axées sur le traitement CoPs ont aussi montré des améliorations motrices comme une meilleure coordination et un meilleur contrôle pendant l’exécution des mouvements. (O’Connor et coll., 2005 ; O’Connor, 2008). Pour la première fois, des modifications spécifiques sur l’activation du cortex prémoteur et de l’aire motrice supplémentaire (Lavoie et coll., 2011 ; Morand-Beaulieu et coll., 2018 ; 2015) ont montré que ce traitement induit un changement dans les schémas d’activation sensorimotrice. En fait, ces schémas tendraient à se normaliser après le traitement et permettraient, entre autres, de développer un meilleur contrôle moteur.

Par ailleurs il est important de souligner que ces adultes avec le SGT développent également des symptômes au cours d’une période où les régions cérébrales impliquées dans les tics sont encore en développement, en particulier entre 15 et 25 ans (Langen et coll., 2011). Ainsi, il est logique d’émettre l’hypothèse que l’insertion du traitement pendant cette période sensible devrait avoir un impact plus important chez les patients plus jeunes avec des effets à long terme plus durables. Par conséquent, il a été proposé d’améliorer ces traitements psychologiques pour qu’ils soient plus bénéfiques chez les patients adultes émergents qui répondent parfois moins bien au traitement (Leclerc et coll., 2008 ; Leclerc et coll., 2016).

La prochaine question a été de savoir si la thérapie CoPs fonctionne aussi bien avec les enfants et les adolescents qu’avec les adultes, et si la thérapie CoPs est comparable au CBIT dans ces 2 tranches d’âges. Ceci a conduit à un essai clinique[1] comparant la thérapie CoPs au CBIT avec des échantillons d’enfants et des adultes. Les résultats récents (Leclerc et coll., 2023 ; Leclerc et coll., 2024) montrent que les thérapies CoPs et CBIT réduisent efficacement la sévérité des tics et améliorent le fonctionnement global chez les enfants et les adultes atteints de tics chroniques et du SGT. Ces 2 traitements représentent donc des outils efficaces, comparables et complémentaires avec des résultats similaires dans les 2 couches d’âge.

Thème primaire 2 : le développement d’une approche cognitive basée sur les inférences pour traiter les obsessions et les compulsions

Tout comme il a été précédemment avancé avec la thérapie CoPs développée pour les personnes atteintes du SGT, l’argument principal de l’approche développée par Kieron O’Connor est que la théorisation comportementale du TOC ne peut pas expliquer la nature multidéterminée du trouble. Il argumentait sur les incohérences ainsi qu’un manque de reproductibilité dans ce domaine. De plus, le manque de cohérence théorique entre les chercheurs dans des disciplines distinctes a également un impact considérable en entravant le développement de stratégies de traitement clinique plus efficaces. L’approche cognitive et comportementale de Kieron O’Connor présentait un modèle heuristique pour guider la recherche dans le TOC. Ce modèle permettait l’étude de sphères d’influence distinctes sur l’expression des symptômes qui pouvaient être intégrées dans le même paradigme expérimental ou clinique, conduisant ainsi à la fertilisation croisée plutôt qu’au feu croisé entre des perspectives multidisciplinaires. Ainsi, il abordait de face des questions contemporaines controversées dans les sciences comportementales, psychiatriques (O’Connor et coll., 1999 ; K. P. O’Connor et coll., 2006) et neuropsychologiques (Roth, Baribeau, Milovan et coll., 2004 ; Roth, Baribeau, Milovan et O’Connor, 2004 ; Roth et coll., 2005). Plus précisément, on proposait ici un modèle qui prenait appui sur l’interaction entre le contexte émotionnel, l’expression symptomatique de sous-types de TOC, et le type de réponse physiologique observée. Ceci permettait d’expliquer certaines incohérences dans les résultats (Llorens-Aguilar et coll., 2021 ; O’Connor, 2001 ; Roberts et coll., 2013). La même demande cognitive, par exemple, effectuée dans différents contextes émotionnels pouvait conduire à une amélioration ou à une aggravation des symptômes dans le TOC. Une telle sensibilité particulière à l’interaction des émotions et des cognitions peut en effet être l’une des caractéristiques déterminantes du TOC. Dans cette perspective, un aspect clé du modèle jette les bases d’un construit sur le raisonnement et les métacognitions (c.-à-d. pensées sur les pensées) qui pourraient avoir un impact sur les composantes physiologiques et cognitives de la symptomatologie (O’Connor et coll., 2014).

Découlant de ces travaux, le traitement psychologique de choix pour le TOC est présentement évoqué par la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), seule ou avec une pharmacothérapie (O’Connor et coll., 2006). La TCC usuelle pour le TOC implique principalement l’administration de la technique d’exposition et prévention de la réponse (ERP).

Sur la base de ses observations cliniques initiales de patients atteints de TOC, en collaboration avec la psychologue Sophie Robillard, Kieron O’Connor a noté que les personnes obsessionnelles n’étaient pas phobiques des objets et des événements observables. Ils étaient plutôt dans l’anticipation de ce qui « pourrait être » (O’Connor et Robillard, 1995 ; O’Connor et coll., 1999). Ces connaissances cliniques ont conduit à une nouvelle approche cognitive pour considérer les obsessions comme un produit du raisonnement inductif, en particulier le phénomène de « l’inférence inverse », où les gens confondent les possibilités imaginaires avec la réalité. Le phénomène de l’inférence inverse s’est ensuite élargi au concept de confusion basée sur les inférences. Ce dernier concept a conduit à un traitement original, la thérapie cognitivo-comportementale basée sur les inférences (i-TCC), qui a été développée et élargie en collaboration avec Frederick Aardema, professeur titulaire au département de psychiatrie et addictologie (Université de Montréal). Celui-ci a collaboré au développement de cette approche en mettant au point la première étude empirique sur l’approche basée sur les inférences avec son directeur de thèse à l’Université d’Amsterdam, Paul Emmelkamp, puis comme postdoctorant sous la direction de Kieron OConnor. Ce travail a permis de générer un manuel de traitement original, qui a permis à son tour la validation et la reconnaissance de ce traitement pour le TOC (Aardema et coll., 2022 ; Aardema, O’Connor, Delorme et Audet, 2017 ; O’Connor et coll., 2005 ; O`Connor et Aardema, 2012). Une approche psychométrique a aussi permis le développement de nouveaux questionnaires pour évaluer plus exactement la confusion inférentielle (Aardema et coll., 2005), les dimensions symptomatiques (Radomsky et coll., 2006), le style de planification (O’Connor et coll., 2015) et le soi craint (Aardema et coll., 2021) spécifiques aux TOC.

Cette approche alternative représente un prolongement de la conception historique de Janet (1903) qui considère le doute pathologique comme le problème central du TOC (Julien et coll., 2016 ; O’Connor et coll., 2005). Ce modèle soutient que les obsessions forment des inférences fondées sur des doutes erronés (p. ex. « J’aurais peut-être oublié de verrouiller la porte » ; « Je pourrais blesser quelqu’un »), qui représentent une dimension distincte des évaluations (appraisal) qui se produisent après le doute initial ou à la suite d’une pensée intrusive (Aardema et O’Connor, 2012 ; Aardema et coll., 2009 ; O’Connor, 2002 ; O’Connor, Wilson et coll., 2018 ; Pelissier et O’Connor, 2002). En effet, la manifestation du doute est de plus en plus considérée comme une caractéristique centrale du TOC, le doute étant l’intrusion la plus couramment signalée (Radomsky et coll., 2014) et qui exerce la plus forte influence sur les autres dimensions des symptômes (Cervin et coll., 2020).

Selon l’approche basée sur les inférences, le processus de raisonnement dysfonctionnel donne lieu à des doutes obsessionnels. Ces doutes se traduisent par une dépendance excessive aux scénarios hypothétiques ou aux possibilités qui ne sont pas basés sur des preuves directes ou des apports sensoriels de l’environnement immédiat à la fois interne et externe (O’Connor et coll., 2005). Ce type de raisonnement peut être qualifié de « confusion inférentielle » (Aardema et coll., 2005 ; Baraby et coll., 2023). Ce type de confusion serait lié à des symptômes de TOC indépendants des croyances obsessionnelles, des états liés à l’humeur (Aardema et coll., 2022) ou aux résultats obtenus par suite des traitements (Aardema et coll., 2017). Par conséquent, la thérapie focalisant sur l’i-TCC se concentre principalement sur le raisonnement sous-jacent au doute obsessionnel au lieu des évaluations et des comportements qui pourraient découler de ces pensées (Aardema et O’Connor, 2012 ; Wu et coll., 2009). Ces différents poids mis sur l’i-TCC et l’a-TCC (appraisal-TCC) mettent donc l’accent sur des points distincts soit en amont ou en aval de la séquence de pensée obsessionnelle (Clark et O’Connor, 2005). La thérapie basée sur les inférences fut adaptée pour les enfants et les adolescents avec le TOC (Fontaine et coll., 2012) en soulignant le rôle de la confusion inférentielle et de l’accommodation familiale dans les processus cognitifs menant au doute (Bombardier et coll., 2018 ; Bombardier et coll., 2023).

Thèmes secondaires : au-delà des tics et des TOC[2]

Kieron O’Connor avait d’abord suivi une formation de maîtrise en psychophysiologie et a terminé sa thèse sur les caractéristiques électrophysiologiques de la démence. Les résultats ont permis de préciser les fonctions d’une onde électrocorticale appelée variation négative contingente, une découverte qui avait déjà des applications cliniques pour la prise en charge des personnes âgées (O’Connor, 1981 ; O’Connor, 1980 ; O’Connor et coll., 1979).

Durant ses années doctorales, il s’intéressait aux différences individuelles dans le comportement et il a validé un questionnaire sur le tabagisme (O’Connor et Physant-Skov, 1989 ; O’Connor et Stravynski, 1982). Ce modèle, déjà ancré dans la psychophysiologie (O’Connor, 1986 ; O’Connor et Stravynski, 1982), a mené à la création d’un traitement du tabagisme intitulé B.R.E.A.K. (Boredom, Relaxation, Emotion, Attention, Keeping company). Ce traitement novateur fut développé en collaboration avec des intervenants communautaires qui travaillaient auprès de groupes d’abandon du tabac dans la région de Londres et plus tard à Montréal. Ce protocole a été adopté, depuis, par l’organisme InfoTabac.ca.

Il a également créé, avec des collègues cliniciens de l’Université du Québec en Outaouais, un programme basé sur la recherche de la réduction progressive de la dépendance aux benzodiazépines (P.A.S.S.E.). Ce protocole a été validé (Allary et coll., 2020), publié comme guide (O’Connor et coll., 2006) et adapté pour les populations âgées (Perodeau et coll., 2016). Il a également mis sur pied un groupe de recherche qualitative (GREQ) avec les psychologues Gilles Dupuis et André Marchand du département de psychologie de l’UQAM. Cette démarche visait à rechercher la signification des symptômes et des expériences subjectives en psychologie clinique afin de déconstruire de grands termes abstraits associés à l’anxiété. Ainsi, il a été l’un des premiers à proposer un continuum entre anxiété, obsession et trouble délirant (Aardema et coll., 2005 ; O’Connor et coll., 2007 ; O’Connor, Stip et Robillard, 2001). Par ailleurs, il a proposé un modèle d’intervention pour la dysmorphophobie (Body dysmorphic disorder) qui a démontré des effets originaux et prometteurs avec la thérapie basée sur les inférences et les idées surinvesties (Taillon et coll., 2013). Ces résultats l’ont conduit à s’intéresser aux troubles alimentaires qui ont une composante obsessionnelle (Bertrand et coll., 2011 ; Lalonde et coll., 2016 ; Ouellet-Courtois et coll., 2021 ; Purcell Lalonde et coll., 2015 ; Wilson et coll., 2017, 2020) ou sont associés aux comportements répétitifs centrés sur le corps (Houazene et coll., 2021).

Quelques années avant son décès, Kieron O’Connor a adapté le modèle basé sur les inférences, développé originellement pour les TOC, pour traiter le trouble de la thésaurisation ou d’accumulation compulsive (Bodryzlova et coll., 2019 ; Bodryzlova et O’Connor, 2018 ; Bodryzlova et coll., 2020 ; O’Connor, Bodryzlova et coll., 2018). Dans ce contexte, il a été l’un des membres fondateurs d’un comité panquébécois composé de plus d’une cinquantaine de municipalités et d’une vingtaine de disciplines (inspecteurs, patients, partenaires et services d’incendie) afin d’élaborer des lignes directrices et un effort concerté pour lutter contre ce trouble psychologiquement, socialement et économiquement coûteux.

Les perspectives des travaux initiés par K. O’Connor : le futur et au-delà

Les auteurs du présent article ont tous débuté leurs carrières respectives en tant que doctorants (J. Leclerc) ou postdoctorants (F. Aardema ; M. Lavoie) initialement sous la supervision de Kieron O’Connor. Ils se sont ensuite établis en tant que chercheur au sein du Centre d’étude sur les TOC et les tics basé au Centre de recherche de l’IUSMM. Ils portent toujours les idées développées par ce chercheur prolifique et sont maintenant tous des chercheurs autonomes qui continuent d’initier de nouvelles recherches innovantes repoussants ainsi les limites de la recherche sur les psychothérapies. Julie Leclerc dirige le groupe d’étude sur les tics, les troubles d’accumulation et les TOC (GE-tictactoc) financé par le Fonds de recherche du Québec – société et culture (FRQ-SC) alors que Frédérick Aardema dirige le nouveau Centre d’étude clinique sur les troubles obsessionnels-compulsifs, nouvellement inauguré.

Citons aussi en exemple les travaux de Julie Leclerc et Marc Lavoie qui ont obtenu conjointement une nouvelle subvention des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) portant sur l’optimisation du traitement cognitif psychophysiologique des tics par le biofeedback chez des adolescents et adultes émergents ayant le SGT. Le financement obtenu permettra de mener cet essai clinique sur une période de 6 ans soit de 2024 à 2030. Cette démarche s’inscrit donc en droite ligne avec la pensée de Kieron O’Connor en utilisant les mesures physiologiques pour renseigner le psychothérapeute dans ses interventions. Cet essai randomisé permettra d’investiguer un nouveau traitement combinant la thérapie CoPs+, axée sur la régulation motrice, et le biofeedback comparé à la thérapie CoPs seule. Les modalités de traitement seront offertes aux adolescents et adultes émergents touchés par le SGT. Cette tranche d’âge, qui correspondrait à une fenêtre idéale d’intervention, est souvent négligée avec moins de 10 % des études qui furent menées auprès des 19-24 ans. De plus, afin de mieux comprendre les différences individuelles quant à la réponse au traitement proposé, cette étude va étudier les variables biopsychosociales, dont la qualité de vie et le stress, qui modulent la réponse au traitement.

Par ailleurs, un autre essai randomisé, initié par Frédérick Aardema, a aussi été financé par les IRSC sur 6 ans pour la période 2023-2029. Cette recherche vise l’étude de l’efficacité de la thérapie cognitivo-comportementale basée sur les inférences (i-TCC) lorsque le traitement standard a échoué. Comme nous l’avions exposé dans les sections précédentes, l’approche i-TCC s’est déjà avérée aussi efficace que l’approche par exposition (ERP). Les recherches de Aardema et O’Connor avaient initialement montré qu’il existe également des preuves que l’i-TCC est plus efficace chez certains sous-groupes de patients. Par conséquent, ce projet de recherche actuellement financé sera axé sur l’amélioration des résultats des traitements contemporains pour ceux qui sont résistants aux traitements avec l’ERP. Dans ce nouveau protocole, après un traitement initial avec ERP, ceux qui ont été incapables d’atteindre la rémission, seront randomisés vers la thérapie d’approche i-TCC ou la thérapie d’approche ERP. L’originalité de ce projet sera de maximiser les résultats bénéfiques en matière de santé et de travailler à un choix plus personnalisé en étant en mesure de jumeler les patients avec le TOC à l’avance avec le traitement qui leur conviendra le mieux.

Conclusion

En conclusion, il peut être ardu de condenser l’entièreté de l’oeuvre scientifique laissée par Kieron O’Connor sur une période de plus de 30 ans et sachant qu’il a couvert plusieurs sphères de recherche. Ce travail ne peut être que partiel et même partial. Lorsqu’on parcourt l’intégralité de son oeuvre, on peut saisir qu’il a maîtrisé plusieurs thèmes de recherche, et ce, bien au-delà du SGT et du TOC.

Il nous semble donc incontestable que dans les 150 années d’existence de l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal, Kieron O’Connor a marqué son histoire scientifique et l’a fait rayonner, tant à l’internationale qu’au niveau communautaire. En plus des 240 articles évalués par des pairs que nous avons recensés ici, nous pouvons compter 60 livres et chapitres de livres et plus de 400 présentations scientifiques ou vulgarisées qui ont fait autorité dans les domaines de la psychologie et de la psychiatrie clinique. Durant toutes ces années, plusieurs étudiants et stagiaires internationaux, sous sa gouverne, ont pu profiter d’infrastructures uniques. Il a aussi joué un rôle important dans le transfert de connaissance pour tous les cliniciens de la santé mentale et dans le rayonnement international du CRIUSMM. Certains de ses étudiants ont pu se propulser vers d’excellentes universités au postdoctorat et sont devenus des chefs de file dans les domaines cités plus haut. Dans son ensemble, la base de données, constituée par ses recherches, contient plus de 2500 patients et participants sains ayant fournis des données cliniques, neuropsychologiques, électrophysiologiques, neurologiques sur un plan longitudinal, et permettra encore pour de nombreuses années l’étude et le raffinement des prédicteurs et de la signature de ces atteintes, faisant partie du spectre des tics et des troubles obsessifs compulsifs.