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Introduction

La consommation de substances psychoactives chez les médecins résidents (les médecins en formation pour l’obtention du diplôme de spécialité médicale ou chirurgicale) est un problème sous-estimé, mal connu, et grave en raison de ses conséquences négatives sur la santé des médecins et aussi pour la santé et la sécurité des patients dont ils ont la charge (Herault et Dano, 2013). À l’échelle internationale, la prévalence de la consommation des substances psychoactives chez les médecins résidents varie selon les études et la substance consommée. Elle est entre 11 et 94 % pour l’alcool (Baptista et Uzcàtegui, 1993 ; Myers et Elliott, 1987), entre 5,9 % et 69,1 % pour le tabac (Desta et al., 2018 ; Coscas et Chavingnaud, 2017) et entre 5 % et 17,9 % pour le cannabis (Fond et al., 2018 ; Myers et Elliott, 1987).

De nombreux travaux ont également mis en évidence la détresse psychologique des médecins, caractérisée par des taux élevés de dépression, de suicide, et de syndrome d’épuisement professionnel (Abdulghafour et al., 2011 ; Barbarin et Goronflot, 2012). Des études anglo-saxonnes ont également mis en lumière la dépendance aux substances psychoactives parmi cette catégorie professionnelle (Milling, 2005).

Les médecins résidents, du fait de leur position délicate entre le statut d’étudiant et de médecin, font face à des défis spécifiques. Parfois sous-estimés et confrontés à un manque de reconnaissance (Barbarin et Goronflot, 2012), ils peuvent être exposés à des difficultés d’intégration et d’adaptation, augmentant ainsi le risque d’épuisement professionnel et de recours à l’usage de substances psychoactives (Dyrbye et al., 2006 ; Msaouel et al., 2010 ; Prins et al., 2007 ; Thomas, 2004 ; West et al., 2011).

L’absence, à notre connaissance, d’études similaires au Maroc souligne l’importance cruciale de notre enquête. Notre objectif principal est d’étudier la prévalence de la consommation de substances psychoactives et les facteurs associés chez les médecins résidents des différents centres hospitaliers universitaires du Maroc.

Dans une perspective plus étendue, cette étude revêt une signification particulière. Les différences culturelles peuvent jouer un rôle central dans la compréhension de la consommation de substances psychoactives. La prévalence élevée de la consommation de substances psychoactives au sein de cette population met en évidence la nécessité impérieuse d’une compréhension approfondie de la situation. Cela suggère également l’importance d’ajuster les services de prévention pour mieux répondre aux besoins spécifiques de cette population professionnelle.

Aperçu sur le résidanat au Maroc 

Les études médicales au Maroc se déroulent en 3 cycles. Leur durée totale varie de 8 ans (pour la médecine générale) à 13 ans (pour les spécialités). L’accès à une spécialité médicale se fait de 2 manières distinctes. La première option est la voie de l’internat du centre hospitalier universitaire CHU ; les étudiants ayant réussi leur cinquième année et validés tous les stages peuvent passer le concours d’internat. Les internes valident 2 années d’internat au CHU (quatre semestres : médecine, chirurgie, pédiatrie ou gynécologie obstétrique, stage de désidérata) à l’issue desquelles ils sont nommés résidents sur titre. La deuxième option est la voie du concours de résidanat ; les docteurs en médecine passent le concours de résidanat et sont nommés résidents sur concours.

La durée du résidanat varie de 4 à 5 ans (4 ans pour les spécialités médicales et la biologie, 5 ans pour les spécialités chirurgicales et la médecine interne). À la fin du résidanat, un examen de fin de spécialité donne accès au diplôme de spécialité médicale (DSM).

Méthodologie

L’étude a été réalisée dans le département de psychiatrie de la Faculté de médecine et de pharmacie d’Oujda ; le protocole de recherche a été approuvé par le Comité d’éthique pour la recherche biomédicale de Oujda (CERBO).

Type de l’étude et collecte des données

Nous avons réalisé une étude transversale multicentrique descriptive et analytique sur une période de 11 mois s’étalant de septembre 2021 au juillet 2022. La population de l’étude était constituée des médecins résidents de différentes spécialités, provenant des 7 centres hospitaliers universitaires du Maroc.

Le recrutement des participants s’est effectué en envoyant un autoquestionnaire par courriel. Les adresses courriel des médecins résidents ont été obtenues auprès des associations médicales, garantissant ainsi leur provenance légitime et leur conformité aux réglementations de protection des données et de confidentialité. En complément, nous avons utilisé les réseaux sociaux, en particulier des groupes dédiés aux médecins résidents, pour assurer une meilleure diffusion de l’étude. Les médecins résidents ont été invités à participer volontairement à l’étude en remplissant un autoquestionnaire anonyme créé sur Google Forms.

Conception et prétest du sondage en ligne

Notre méthodologie a été inspirée d’études antérieures abordant des problématiques similaires (Fond et al., 2016, 2018 ; Micoulaud-Franchi et al., 2014 ; Papazisis et al., 2018). Les questions ont été formulées de manière claire et concise pour faciliter la compréhension des participants. Avant le lancement officiel de l’étude, un prétest du sondage a été réalisé auprès d’un petit groupe de 20 médecins résidents au sein du même établissement. Ce prétest avait pour objectif d’évaluer la clarté des questions, la pertinence des choix de réponse, et d’identifier toute ambiguïté potentielle. Les ajustements nécessaires ont été effectués en fonction des retours du prétest afin d’améliorer la qualité du questionnaire.

Les réponses incomplètes ont été minimisées grâce à l’utilisation d’une fonctionnalité dans le questionnaire en ligne. Dans Google Forms, nous avons configuré l’option qui empêche les répondants de passer à la question suivante s’ils n’ont pas répondu à la question en cours. Cela a contribué à garantir que les participants fournissent des réponses complètes pour chaque item du questionnaire.

Le questionnaire comportait au total 31 items organisés autour de plusieurs axes : caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe, niveau de formation, situation familiale, etc.), antécédents médicaux (troubles gastro-intestinaux, affections dermatologiques, asthme, migraine, diabète, dysthyroïdie, et autres, en précisant le traitement prescrit par le médecin traitant), l’inclusion de ces antécédents visait à examiner s’il existe des liens potentiels entre les problèmes de santé physique et la consommation de substances chez les médecins résidents. De plus, les antécédents psychiatriques et tentatives de suicide étaient explorés, incluant les troubles psychiatriques les plus courants tels que la dépression, les troubles anxieux (trouble panique, trouble anxiété généralisée), l’état de stress posttraumatique, le trouble obsessionnel-compulsif, le trouble bipolaire, la schizophrénie, et autres, en se référant au diagnostic posé par le médecin psychiatre traitant.

Un volet important du questionnaire portait sur la consommation de substances psychoactives, notamment alcool, tabac, cannabis, cocaïne, héroïne, benzodiazépines, ecstasy, et autres, en précisant l’âge de début, la fréquence d’utilisation, la quantité consommée, le budget consacré, et les principales raisons de la consommation. Les critères du DSM-5 ont été utilisés pour évaluer la sévérité des troubles liés à la consommation d’une substance. Notre approche d’évaluation, en utilisant les critères du DSM-5, s’est conformée à une échelle dichotomique. Les participants ont été invités à choisir entre les réponses « OUI » ou « NON » pour chaque critère énuméré, en fonction du nombre de critères symptomatiques présents (sur un total de 11 critères). En outre, les niveaux de trouble étaient définis en fonction du nombre de symptômes présents : un trouble léger avec 2 ou 3 symptômes, un trouble moyen avec 4 ou 5 symptômes, et un trouble grave avec 6 symptômes ou plus.

Consentement éthique 

Le questionnaire comportait une fiche de consentement pour participer à cette étude. Nous demandions aux participants de donner leur consentement avant de répondre aux différentes questions. Afin que le participant puisse être en mesure de donner son consentement, on devait lui communiquer le plus clairement et honnêtement possible les objectifs de notre étude et le sort réservé aux informations données ainsi que le respect total de l’anonymat.

Analyse statistique

Les données ont été analysées statistiquement par le logiciel d’analyse statistique SPSS (Statistical Package for the Social Sciences, version 26). L’analyse a été faite lors d’une première étape, par la description de notre population selon les différentes caractéristiques, par des variables quantitatives exprimées en moyenne et des variables qualitatives exprimées en effectif et en pourcentage. Au cours d’une deuxième étape, nous avons réalisé une étude analytique en divisant notre échantillon en 2 groupes, 1 groupe des résidents consommateurs de substances psychoactives (SPA) et 1 groupe des résidents non consommateurs. Puis, nous avons comparé les différents paramètres en fonction des 2 groupes. La comparaison des pourcentages a été faite par le test de Chi-2 ou le test exact de Fisher. Afin de quantifier l’association entre la consommation de substances psychoactives et les autres paramètres étudiés, nous avons calculé les rapports de cotes avec un intervalle de confiance de 95 %. Le niveau de signification a été établi à 0,05 pour toutes les analyses réalisées.

Résultats

Le questionnaire a été rempli par 310 médecins (11,07 % de la population totale des résidents au Maroc), avec une répartition de 51,9 % (n = 161) de femmes et 48,1 % (n = 149) d’hommes, ayant un âge moyen de 28,13 ans +/- 2,4. Environ 37,1 % (n = 115) étaient en spécialité chirurgicale et 62,9 % (n = 195) en spécialité médicale (Tableau 1).

Tableau 1

Caractéristiques de vie socioprofessionnelle de la population étudiée

Caractéristiques de vie socioprofessionnelle de la population étudiée

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Des antécédents médicaux ont été trouvés chez 31 % (n = 94) des participants, notamment la migraine (21,9 % [n = 24]), les troubles gastro-intestinaux (21,1 % [n = 23]), l’asthme (19,3 % [n = 22]), et d’autres. Concernant les antécédents psychiatriques, 11,9 % (n = 37) avaient des diagnostics confirmés par un psychiatre, avec une prévalence de 43,2 % (n = 16) pour les troubles dépressifs, 16,2 % (n = 6) pour les troubles anxieux, 8,1 % (n = 3) pour le trouble bipolaire, et 2,7 % (n = 1) pour les accès psychotiques aigus (Tableau 2).

Tableau 2

Les antécédents médicaux et psychiatriques

Les antécédents médicaux et psychiatriques

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Il est à noter que 29,7 % (n = 11) présentaient une comorbidité dépressive et anxieuse. Parmi les résidents ayant un trouble psychiatrique, 78,4 % (n = 29) suivaient un traitement médicamenteux prescrit sur ordonnance (Tableau 3).

Tableau 3

Répartition des traitements médicamenteux chez les résidents ayant un trouble psychiatrique

Répartition des traitements médicamenteux chez les résidents ayant un trouble psychiatrique

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De plus, 3,2 % (n = 10) des résidents avaient déjà fait au moins une tentative de suicide. Par ailleurs, des antécédents familiaux psychiatriques ont été signalés par 32,3 % (n = 100) des participants, tandis que 41,9 % (n = 130) ont indiqué des antécédents familiaux de consommation de substances psychoactives.

Parmi les médecins résidents, 16,1 % (n = 50) consommaient des substances psychoactives, tandis que 9,03 % (n = 28) d’entre eux consommaient simultanément 2 substances psychoactives ou plus. Les prévalences spécifiques pour le tabac, l’alcool, et le cannabis étaient respectivement de 11,9 % (n = 37), 10 % (n = 31), et 6,1 % (n = 19). Les consommations d’ecstasy et de cocaïne étaient moins fréquentes, étant signalées chez 0,7 % (n = 2) pour chaque substance. Parmi les médecins résidents consommateurs de tabac, seulement 8,3 % (n = 3) ne présentaient pas un usage problématique. En ce qui concerne l’alcool, 32,3 % (n = 10) des résidents ne manifestaient pas un usage problématique, tandis que 16,1 % (n = 5) d’entre eux avaient une addiction sévère. Pour les consommateurs de cannabis, 36,8 % (n = 7) présentaient une addiction sévère (Tableau 4).

Tableau 4

Prévalence de consommation des SPA et degré d’addiction selon les critères DSM-5

Prévalence de consommation des SPA et degré d’addiction selon les critères DSM-5

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La majorité des consommateurs (75 % (n = 38) avaient initié leur consommation pendant leurs études médicales générales, entre l’âge de 18 et 25 ans et seulement 12,2 % (n = 6) avaient débuté pendant le résidanat, tandis que 5,8 % (n=3) avaient commencé au lycée et au collège.

Parmi les raisons évoquées pour la consommation, la principale (52 % [n = 26]) était la récréation, suivie par l’automédication (34 % [n = 17]) pour soulager la tension et le stress, ou pour se détendre, et enfin, 14 % (n = 7) consommaient dans le but d’améliorer le rendement au travail et la vigilance.

La consommation des SPA chez les médecins résidents au Maroc était significativement corrélée au sexe masculin (4,59 [2,20-9,57] ; p = 0,000), et à la spécialité chirurgicale (0,48 [0,26-0,88] ; p = 0,017). Par ailleurs, nous avons noté une prévalence de consommation des SPA plus élevée chez les médecins résidents ayant des antécédents médicaux (17 % versus 15,7 % ; p = 0,77), des antécédents psychiatriques (27 % versus 14,7 % ; p = 0,05), des antécédents de tentative de suicide (40 % versus 15,3 % ; p = 0,06) et des antécédents familiaux de consommation de SPA (20 % versus 13,3 % ; p = 0,11) (Tableau 5).

Tableau 5

Facteurs associés à la consommation de SPA chez les médecins résidents

Facteurs associés à la consommation de SPA chez les médecins résidents

Tableau 5 (suite)

Facteurs associés à la consommation de SPA chez les médecins résidents

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Discussion

Les résultats de notre étude soulignent la prévalence de la consommation de SPA parmi les médecins résidents au Maroc, avec une incidence globale de 16,1 % (n = 50). La consommation est plus marquée pour le tabac (11,9 % [n = 37]), suivie de près par l’alcool (10 % [n = 31]) et le cannabis (6,1 % [n = 19]). Une analyse approfondie des facteurs associés à la consommation de SPA a révélé des corrélations significatives avec le sexe masculin et la spécialité chirurgicale.

Notre prévalence globale de consommation de SPA chez les médecins résidents au Maroc (16,1 %) est nettement inférieure à celles observées chez la même population en Éthiopie (48,8 %) et au Venezuela (56,3 %) (Baptista et Uzcàtegui, 1993 ; Desta et al., 2018). Selon l’enquête nationale de prévalence des troubles mentaux et des toxicomanies réalisée en 2003 au Maroc (Rammouz et al., 2020), 4,8 % de la population générale marocaine (plus de 15 ans) consommaient des drogues, une prévalence qui reste inférieure à celle retrouvée chez les médecins résidents. En France, la prévalence de l’usage de substances au cours des 12 derniers mois, pour la tranche d’âge de 18 à 40 ans, en population générale, est de 11 % (Bellamy et al., 2005), ce qui demeure inférieur à la prévalence observée chez la population des médecins résidents au Maroc.

Dans notre étude, la prévalence de consommation d’alcool au Maroc est placée en deuxième position, après la consommation du tabac. Elle est de 10 % (n = 31) sur l’ensemble de l’échantillon, ce qui est bien inférieur comparativement aux études réalisées dans d’autres pays. Comme le Canada (94 %) (Myers et Elliott, 1987), la France (92,1 % et 34 %), (Coscas et Chavingnaud, 2017 ; Fond et al., 2018) et la Turquie (79,5 %) (Akvardar et al., 2004). Par contre, l’étude menée en Éthiopie a trouvé une prévalence moins importante (25,3 %) comparativement aux autres études précédemment citées, mais qui reste supérieure à la prévalence retrouvée dans notre étude (Desta et al., 2018). L’étude menée au Venezuela (Baptista et Uzcàtegui, 1993), a montré une prévalence de 11 %, presque comparable à celle retrouvée dans notre étude. Dans ces études (à l’exception de l’étude de Baptista et Uzcàtegui), la consommation d’alcool était la substance psychoactive la plus utilisée, contrairement à notre étude qui a objectivé que le tabac est le plus consommé, suivi par l’alcool, puis le cannabis. Cette différence de prévalence peut être attribuée à des aspects culturels, sociaux et éducatifs propres à chaque, ainsi qu’à des variations d’accessibilité à ces substances. L’influence culturelle est particulièrement notable ; les normes culturelles peuvent à la fois encourager et décourager l’usage de substances psychoactives (Room, 2021). En France, l’alcool, en particulier le vin, joue un rôle symbolique profondément enraciné dans la vie quotidienne (Adės, 2021). Roland Barthes souligne que le vin est associé à des cérémoniaux et à une sociabilité, devenant un élément décoratif essentiel (Barthes, 1957).

Dans les pays musulmans, tels que le Maroc, la consommation d’alcool est socialement inacceptable en raison de son interdiction par la religion musulmane. Ceci entraîne des attitudes et des normes sociales négatives envers la consommation d’alcool, de même qu’une stigmatisation sociale et une pression pour éviter cette substance, afin de respecter les normes religieuses et de se garder du jugement de la communauté (Bourmaud et Znaien, 2022), tandis que le tabac peut être considéré comme moins tabou ou plus traditionnellement accepté et facilement accessible. En revanche, dans des pays tels que le Canada, la France et les États-Unis, l’alcool est considéré comme socialement acceptable et joue un rôle important dans diverses célébrations. De plus, l’alcool est largement accessible dans ces pays, avec une disponibilité et des prix favorables, ce qui peut contribuer à une consommation plus élevée par rapport à d’autres substances psychoactives.

La prévalence globale du tabagisme dans notre étude s’élève à 11,9 % (n = 37) pour l’ensemble de l’échantillon, ce qui se situe en dessous des taux rapportés par d’autres études menées en Turquie (21,4 %) et en France (41,1 % et 69,1 %) (Akvardar et al., 2004 ; Coscas et Chavingnaud, 2017 ; Fond et al., 2018). Par ailleurs, les études réalisées au Canada (8,3 %), en Éthiopie (5,9 %) et en Espagne (6,5 %) ont révélé des prévalences de consommation de tabac inférieures à celles présentées dans notre étude (Desta et al., 2018 ; Myers et Elliott, 1987 ; Ranchal Sánchez et al., 2018).

La consommation de cannabis dans notre étude est présente chez 6,1 %, ce qui est légèrement supérieur à celles retrouvées en France (5 %) et en Turquie (5,5 %) (Akvardar et al., 2004 ; Fond et al., 2018).

Dans notre étude, la cocaïne et l’ecstasy étaient les substances les moins consommées avec une prévalence de 0,7 % pour chaque substance et aucun cas de consommation d’héroïne ou usage détourné de benzodiazépines n’a été trouvé. Par ailleurs, dans une étude incluant 2 744 médecins résidents en anesthésie réanimation, l’abus ou la dépendance ont été trouvés chez 10,9 % (n = 366) dont 41 % (n = 150) des cas présentaient un abus ou dépendance pour les tranquillisants et les hypnotiques, 5,5 % (n = 20) pour les opiacés et 1,9 % (n = 7) pour les amphétamines et cocaïne (Beaujouan et al., 2005). Une autre étude incluant 1 785 médecins résidents a montré que 5,4 % des cas ont déclaré avoir consommé de la cocaïne au cours de la dernière année, alors que seulement 1,5 % a indiqué avoir consommé les amphétamines au cours de la dernière année, et 0,1 % en avoir consommé quotidiennement (Hughes et al., 1991). Dans la même étude, l’héroïne était la substance la moins consommée, avec seulement 1 % des résidents en ayant déjà consommé et aucun consommateur quotidien n’a été trouvé (Hughes et al., 1991).

L’analyse croisée de la consommation de SPA et les caractéristiques personnelles de la population nous a permis d’identifier que les résidents consommateurs sont majoritairement de sexe masculin avec un test significatif (p = 0,000). Ces constatations s’alignent sur d’autres recherches qui ont également signalé une consommation plus élevée chez les médecins résidents de sexe masculin (Baptista et Uzcàtegui, 1993 ; Bourbon, 2017 ; Da Silveira et al., 2008).

La consommation des SPA par les médecins résidents dans notre étude est significativement corrélée à la spécialité chirurgicale (0,48 [0,26-0,88] ; p = 0,014). Cependant d’autres études ont exclu cette corrélation (Baptista et Uzcàtegui, 1993 ; Ouagazzal et al., 2018). Une étude française a montré que les résidents des spécialités médicales étaient plus consommateurs de tabac que les autres résidents, mais cette différence n’était pas significative (p = 0,112) (Bourbon, 2017). Pour le cannabis, les résidents des spécialités chirurgicales étaient plus consommateurs avec un p non significatif (p = 0,33). En ce qui concerne l’alcool dans cette étude, aucune différence selon la spécialité n’a été trouvée (Bourbon, 2017). Cette corrélation entre la consommation des SPA et la spécialité chirurgicale peut être expliquée par le fait que le résidanat en chirurgie est plus épuisant et stressant, avec un nombre de gardes et des heures de travail plus élevés. Une étude a montré que 87 % des résidents en chirurgie ont déclaré que la majeure partie de la dernière année de résidanat avait été de « quelque peu » à « extrêmement » stressante. La pression du temps et les heures de travail étaient déclarés par 90 % des résidents comme des facteurs de stress les plus importants (Aminazadeh et al., 2012). Une autre étude évaluant 250 résidents a identifié que les résidents de spécialité chirurgicale sont plus exposés au syndrome d’épuisement professionnel (burnout) (Rodrigues et al., 2018), entraînant une association positive avec le recours à l’usage de substances psychoactives qui a été démontrée dans plusieurs études (Ouagazzal et al., 2018).

En considérant les résultats de notre étude, il est crucial d’envisager des initiatives préventives et des interventions adaptées. Les constats révélés soulignent l’importance d’aborder la question du stress chez les médecins résidents, un facteur fréquemment associé à la consommation de substances psychoactives (Ouagazzal et al., 2018). Des mesures préventives pour lutter contre le stress peuvent être mises en oeuvre dès la période estudiantine, incluant la création de groupes de formation ou de modules d’enseignement sur la gestion du stress (Agnès Buzyn, 2018 ; Diot et Arnault, 2019). Une sensibilisation accrue sur l’importance du temps personnel, des activités hors du domaine médical, et de la pratique sportive régulière pourrait contribuer à réduire le stress (Marra, 2018). Parallèlement, l’amélioration des conditions de travail en stage, le respect du repos, de la sécurité, et la limitation du temps de travail hebdomadaire à 48 heures sont des mesures à envisager (Agnès Buzyn, 2018). Le rôle préventif de la médecine du travail a été souligné par plusieurs études. Un suivi médical continu des médecins tout au long de leur carrière peut favoriser le dépistage précoce des troubles liés à la consommation de SPA et orienter les professionnels vers une prise en charge spécialisée (Pesci, 2018 ; Vayr et al., 2019).

Par ailleurs, la mise en place de programmes d’assistance spécifiques aux médecins, tels que les programmes de santé des médecins (Physician Health Programs— PHPs), peut jouer un rôle déterminant. Des études récentes ont démontré l’efficacité de ces programmes dans la gestion des troubles liés à la consommation de SPA (Merlo et al., 2022), soulignant leur utilité potentielle dans le contexte des médecins résidents. Enfin, la réduction de la stigmatisation liée à la consommation de substances psychoactives peut être atteinte par la sensibilisation et l’éducation des étudiants en médecine. Une meilleure compréhension de ces problématiques dès la formation initiale contribuerait à éliminer les barrières qui empêchent certains médecins de solliciter une aide nécessaire (Vayr et al., 2019).

Limites L’étude était basée sur des résultats d’un questionnaire autorempli, ce qui peut être sujet à des biais liés à l’autodéclaration et à la subjectivité des participants. La méthode d’échantillonnage utilisée pourrait également introduire des biais, car elle dépend de la volonté des participants de remplir le questionnaire.

La faible proportion d’échantillons étudiée peut limiter la généralisation des résultats à l’ensemble des médecins résidents.

Cependant, malgré ces limitations, nos résultats peuvent être utiles pour sensibiliser à cette problématique, susciter des efforts de prévention et de soutien adaptés aux médecins résidents, et encourager des futures recherches avec des échantillons plus vastes et représentatifs.

Conclusion 

Notre étude met en évidence l’importance de poursuivre les recherches sur les addictions chez les médecins résidents, étant donné l’impact potentiel sur leur santé personnelle et leur pratique médicale. Pour approfondir cette problématique, il serait pertinent d’explorer davantage les perspectives sociologiques liées aux addictions, en examinant comment les facteurs sociaux et culturels peuvent influencer les comportements de consommation de SPA au sein de cette population. Des études futures pourraient également se pencher sur les mécanismes de soutien social et professionnel pour les médecins résidents confrontés à des problèmes d’abus de substances, ainsi que sur les stratégies de prévention adaptées à cette population essentielle du domaine médical. L’intérêt de comparer les résultats avec d’autres catégories professionnelles de la santé est également essentiel. Une analyse comparative pourrait fournir des informations précieuses sur les spécificités des médecins résidents en matière de consommation de substances psychoactives.