Résumés
Résumé
Objectifs Les catastrophes naturelles ont des conséquences importantes sur la santé mentale. Les données recueillies auprès de la population offrent une occasion unique de surveillance après les catastrophes pour aider à identifier les besoins de soutien psychologique. L’objectif de cette étude est : 1) d’identifier les aspects psychopathologiques pour la commune du Prêcheur soumise au risque de lahars (laves volcaniques) ; et 2) de phénotyper les aspects psychopathologiques à partir des données recueillies auprès de la population.
Méthode Nous avons appliqué une méthode de psychophénotypage assistée par l’intelligence artificielle (IA) sur les données de 40 personnes sur une durée de 20 mois, pour extraire les aspects psychopathologiques et psychiatriques liés aux aléas naturels traumatisants (lahars). Ensuite, nous les avons comparées aux résultats de tests psychométriques mesurant l’état global de santé mentale ainsi que l’état de stress posttraumatique.
Résultats La rumination et la négativation figuraient parmi les aspects psychopathologiques les plus importants identifiés. De plus, nous avons noté la présence de la reviviscence et de l’évitement comme dimensions psychiatriques de base au fil du temps. Parmi celles-ci, l’évitement cognitif et l’évitement émotionnel ont été identifiés et semblent avoir émergés après la catastrophe.
Conclusion Nous avons proposé une nouvelle approche de surveillance syndromique pour la santé mentale basée sur les données numériques qui peut soutenir les approches conventionnelles en fournissant des informations supplémentaires utiles dans le contexte d’une catastrophe. D’autres études sont nécessaires pour mieux contrôler les biais, identifier les associations avec des instruments valides et explorer des méthodes de calcul pour un ajustement continu du modèle d’analyse assisté par IA.
Mots-clés :
- psychotrauma,
- catastrophe naturelle,
- intelligence artificielle,
- phénotypage numérique,
- évaluation,
- prédiction
Abstract
Objectives Natural disasters have a significant impact on mental health. Data collected from the population offer a unique opportunity for post-disaster monitoring to help identify psychological support needs. The aim of this study is: 1) to identify psychopathological aspects for the county of Prêcheur at risk from lahars (volcanic lava), and 2) to phenotype psychopathological aspects from data collected from the population.
Method We applied an artificial intelligence (AI) assisted psycho-phenotyping method to data from 40 people over a 20-month period, to extract psychopathological and psychiatric aspects linked to traumatic natural hazards. These were then compared with the results of psychometric tests measuring overall mental health and post-traumatic stress.
Results Rumination and negativation were among the most important psychopathological aspects identified. In addition, we noted the presence of re-experiencing and avoidance as core psychiatric dimensions over time. Among these, cognitive avoidance and emotional avoidance were found and seem to have emerged after the disaster.
Conclusion We have proposed a new syndromic surveillance approach for mental health based on digital data that can support conventional approaches by providing additional useful information in the context of a disaster. Further studies are needed to better control bias, identify associations with valid instruments, and explore computational methods for continuous adjustment of the AI-analysis model.
Keywords:
- psychotrauma,
- natural disaster,
- artificial intelligence,
- digital phenotyping,
- evaluation,
- prediction
Corps de l’article
1. INTRODUCTION
Les catastrophes naturelles, y compris les phénomènes volcaniques comme les lahars, ont un impact profond sur la santé mentale des populations. Norris et al. (2002) soulignent, dans une analyse exhaustive de la littérature, que les conséquences des catastrophes naturelles affectent de manière significative les communautés sur le plan psychologique. Cela est particulièrement pertinent dans le contexte de la commune du Prêcheur en Martinique, située au pied de la montagne Pelée. Cette localité des Antilles françaises, régulièrement frappée par des menaces multiples incluant lahars, tsunamis et inondations, représente un cas d’étude intéressant pour comprendre les répercussions psychologiques des alertes répétées et des événements traumatiques.
La menace constante des lahars, définis comme des coulées boueuses de matériaux volcaniques, est un facteur de stress significatif pour les communautés vivant à proximité des volcans. Leonard et al. (2008), dans leur étude sur le volcan Ruapehu en Nouvelle-Zélande, ont démontré que la communication efficace des risques et la préparation des communautés sont essentielles pour atténuer l’impact psychologique des alertes volcaniques. Dans le cas du Prêcheur, l’observation continue des lahars par l’Observatoire volcanologique et sismologique de la Martinique (OVSM) représente une source à la fois de réconfort et d’anxiété pour la population locale.
Notre étude vise à examiner comment la population du Prêcheur gère ce stress constant. Nous nous appuyons sur l’approche de Mundt et al. (2002) qui soulignent l’importance de mesurer l’ajustement social et professionnel dans l’évaluation des troubles psychologiques. L’étude EP3LAN (Évaluation psychométrique et psycholinguistique des psychotraumatismes liés aux aléas naturels dans la commune du Prêcheur) a été conçue pour évaluer la santé mentale de la population de cette commune, en se concentrant sur la manière dont les événements répétés liés aux lahars influencent leur vie quotidienne et leur bien-être psychologique.
2. OBJECTIFS
Cette étude vise à répondre à un besoin vital de surveillance et de compréhension approfondie des enjeux psychopathologiques locaux dans la commune du Prêcheur, soumise aux risques de lahars. Les objectifs spécifiques de cette étude sont les suivants :
1. Évaluer l’impact psychologique des lahars sur les habitants du Prêcheur : il s’agit d’examiner comment la menace constante et la réalité des lahars influencent la santé mentale, le bien-être psychologique et le comportement des habitants. Ceci inclut l’analyse des symptômes de stress posttraumatique, d’anxiété et d’autres troubles psychologiques potentiellement liés aux alertes répétées ;
2. Identifier et caractériser les aspects psychopathologiques spécifiques aux catastrophes naturelles : à travers l’utilisation de méthodes d’évaluation psychométriques et psycholinguistiques, notre objectif est de déterminer les aspects psychopathologiques manifestés par les personnes affectées par les lahars. Cela comprend l’étude des schémas de pensée, des comportements et des réponses émotionnelles spécifiques à ce contexte ;
3. Développer un modèle de surveillance syndromique pour la santé mentale dans le contexte de catastrophes naturelles : il s’agit ici de proposer un cadre basé sur les données numériques pour la surveillance continue de la santé mentale, qui peut compléter les approches conventionnelles et offrir des informations en temps réel sur les besoins et les réponses psychologiques des populations touchées ;
4. Établir des bases pour des interventions et des stratégies de prévention : en identifiant les schémas psychopathologiques et les réponses comportementales, l’étude vise à fournir des informations essentielles pour le développement de stratégies de soutien psychologique et de prévention adaptées aux réalités locales et aux défis spécifiques posés par les lahars et autres menaces naturelles similaires.
3. MÉTHODE
L’étude EP3LAN, approuvée par le CPP (Comité de Protection des Personnes) le 08 avril 2020 et promue par le CHU de Martinique (Antilles françaises), est une investigation clinique en écopsychiatrie[1] visant à étudier l’impact des lahars sur la santé mentale dans la commune du Prêcheur. Elle a été conçue comme une étude longitudinale prospective d’une durée totale de 20 mois. La période d’inclusion des participant(e)s s’étend sur 6 mois, avec un suivi à M0 (début de l’étude), M6 (6 mois après le début) et M12 (12 mois après le début).
Les participant(e)s ont été recruté(e)s parmi les habitant(e)s adultes de la commune du Prêcheur. Les critères d’inclusion comprenaient : être majeur(e), résider au Prêcheur depuis au moins un an, et avoir été présent(e) lors des alertes de lahars récentes. Les critères d’exclusion incluaient les antécédents de troubles psychiatriques diagnostiqués avant les événements liés aux lahars.
Cette étude mixte combine des approches quantitatives et qualitatives pour évaluer la santé mentale des participant(e)s. Des entretiens individuels semi-dirigés ont été menés par des intervenant(e)s formé(e)s de l’association SOS Kriz, et complétés par des questionnaires psychométriques standardisés, incluant le Questionnaire général de santé (General Health Questionnaire, GHQ) et la Liste de l’échelle du stress posttraumatique (Posttraumatic Stress Disorder Check List Scale, PCLS). Ces entretiens ont été enregistrés, transcrits et analysés via une méthode d’apprentissage automatique semi-supervisée pour pouvoir réaliser le phénotypage numérique des données collectées.
Le critère de jugement principal est la variation de l’usage du langage, évaluée par une méthode mixte quantitative et qualitative. Cette variable est déterminée pour chaque sujet en comparant l’usage standard du langage (tel qu’évalué dans la population générale) avec le phénotype psychotraumatique spécifique (appris sur de grands volumes de données). L’analyse se base sur des aspects quantitatifs (fréquences, concordances, récurrences) et qualitatifs (cohésion, cohérence, référence) du langage, évaluant la similarité ou la dissimilarité du lexique employé par chaque participant(e). Cette approche vise à détecter de manière précoce l’émergence d’une psychopathologie ou à confirmer la présence de dimensions psychopathologiques, en utilisant des marqueurs sémantiques et psychologiques associés à des pathologies de stress posttraumatique.
L’objectif final est de caractériser le phénotype numérique individuel en identifiant des marqueurs sémantiques et psychologiques précis et récurrents. Ces marqueurs sont ensuite corrélés avec des mesures psychométriques pour évaluer leur impact sur la récupération psychologique et physiologique à long terme.
3.1. Réalisation du prélèvement de verbatim
Les personnes ont été orientées vers le dispositif par le Centre communal d’action sociale (CCAS) de la ville du Prêcheur en fonction de leur lieu résidence. Les personnes sollicitées ont pu accepter ou refuser de participer à l’étude par un recueil du consentement éclairé. L’inclusion a été ensuite validée par une équipe pluridisciplinaire du CHU de la Martinique. La recherche a été présentée aux participant(e)s sur site avec remise de la notice d’information et du formulaire de consentement.
La collecte de verbatim a consisté à prélever un fragment de discours (récit ou témoignage), afin de l’analyser au moyen d’un outil assisté par l’intelligence artificielle (IA). Ce prélèvement était limité à 10 minutes de verbatim environ en raison de la saturation des données constatée au-delà de cette durée dans des études similaires[2].
Voici un exemple de verbatim issu de l’étude EP3LAN :
« Au sujet des lahars, ce que je garde comme souvenir, j’en garde un souvenir assez traumatisant, je ne sais pas si c’est le bon mot, mais très très angoissant. Personnellement, je n’avais pas été touché, parce que je n’y habitais pas, j’étais pas riverain. En revanche, j’ai mes parents qui étaient des riverains, donc ça a engendré une situation très angoissante. Alors, le premier jour où ça s’est passé, quand ça a commencé à arriver, bah bien sûr ils sont partis avec moi, et les fois d’après, dès qu’il y avait la sirène qui se déclenche, ils viennent sans rien chez moi. C’est une très forte angoisse. Au moment où j’allais les voir les jours suivants, c’était pas possible… » (Voir d’autres verbatim en Annexes).
Ce type d’échantillon a été recueilli de manière active (participation de la personne) et consigné à l’aide d’un transcripteur automatique (dictée intégrée à la tablette de recueil). La personne était invitée à parler de sa situation et de son ressenti à partir de simples questions d’amorce, sans interruption de la part de l’enquêteur(-trice), l’objectif étant d’obtenir un aperçu de la situation passée, mais aussi actuelle du sujet, pour mettre en lien le vécu avec la problématique amenée.
On peut ainsi considérer le prélèvement de verbatim dans cette étude comme un extrait écologique de la biographie du sujet, qui permet de cerner le contexte précis de ses troubles. Contrairement à l’anamnèse, cet échantillon ne vise pas à recueillir de la part du patient le plus grand nombre de souvenirs concernant son histoire, mais seulement les marqueurs pertinents pour assurer une évaluation adéquate du trouble éventuel. En effet, l’intérêt et l’avantage de ce type de prélèvement restreint et ciblé est qu’il n’impose pas une remémoration exhaustive de la personne, mais autorise une recherche anamnestique sur un simple échantillon.
Cette démarche a une double justification. Premièrement, une partie, voire la majorité des informations recueillies dans une anamnèse, n’impacte pas la décision diagnostique et n’a pas toujours de justifications en termes d’action clinique. Certaines informations sont peu utiles cliniquement et peuvent, dans certains cas, brouiller le jugement diagnostique. Deuxièmement, cette démarche pallie les lacunes de la technique de l’interrogatoire qui cherche souvent à orienter le récit du patient vers les éléments objectifs et à les recouper de manière directe ou indirecte, ce qui peut constituer un biais grave dans le cas des approches préventives.
3.2. Le psychophénotypage des données
Dans notre étude, le concept de « phénotype » englobe un ensemble de caractéristiques observables chez un sujet, incluant des traits cognitifs, physiques, émotionnels et comportementaux. Il englobe des signes de type « cognitif » (p. ex. « je ne comprends rien de ce qui se passe »), « physique » (p. ex. « j’ai le coeur qui s’emballe »), « émotionnel » (p. ex. « j’ai peur pour mes enfants ») et « comportemental » (p. ex. « je préfère ne pas retourner sur place »).
Ces traits peuvent être déduits à partir de l’échantillon de discours prélevé, mais au lieu de réduire cet ensemble complexe de traits en une seule étiquette psychopathologique, l’objectif est de déduire les caractéristiques de la personne de manière globale et méthodique en exploitant les informations obtenues à partir de ces prélèvements.
Quant au phénotypage, il désigne l’analyse et la prédiction des caractéristiques phénotypiques, et repose sur des méthodes statistiques et de modélisation prédictive. Cette approche est appuyée par les travaux de Tausczik et Pennebaker (2010), qui ont démontré l’efficacité de l’analyse du langage pour évaluer les états psychologiques.
L’analyse a débuté par l’exploration du lexique utilisé par les participant(e)s, en se focalisant sur les expressions émotionnelles liées aux événements traumatiques. L’objectif était d’identifier des motifs discursifs récurrents et des champs lexicaux spécifiques.
Nous avons également utilisé des critères de similarité (ressemblance) et de dissimilarité (écart)[3] dans la vectorisation des mots pour produire une interprétation fonctionnelle basée sur des processus transdiagnostiques, s’alignant sur les travaux de Beck et al. (2019), soulignant l’importance de reconnaître les processus communs dans le diagnostic des troubles psychologiques.
En complément, des questionnaires psychométriques standardisés ont été utilisés, y compris le GHQ-12 (General Health Questionnaire) et la PCL-5 (Posttraumatic Stress Disorder Check List for DSM-5), permettant une triangulation des résultats entre l’analyse discursive et les mesures psychométriques.
3.3. L’outil utilisé
L’outil PSYCHOLING a été spécifiquement conçu pour analyser le langage en contexte clinique. Ce logiciel s’appuie sur des techniques avancées d’intelligence artificielle (IA), fondées sur le traitement automatique du langage naturel et l’apprentissage automatique supervisé. Il permet d’analyser le discours en extrayant des données telles que la fréquence des mots, les structures syntaxiques, la cohérence du discours et l’emploi de mots spécifiques liés à des états émotionnels.
Les algorithmes au coeur de PSYCHOLING ont été choisis pour leur capacité à traiter des nuances complexes dans le langage humain en s’appuyant sur la vectorisation des mots (embeddings). Nous avons principalement utilisé des modèles de réseaux neuronaux, tels que des réseaux de neurones récurrents et des modèles de traitement du langage basés sur des transformers, reconnus pour leur efficacité dans la compréhension du contexte et de la cohérence du sens.
L’outil a été préentraîné sur un large corpus de verbatim issus d’entretiens cliniques, incluant des discours de sujets avec et sans diagnostic psychologique. Ce corpus diversifié a permis au logiciel de reconnaître une large gamme de motifs linguistiques et de schémas de pensée, associés à divers états psychologiques et pathologies. L’entraînement a également inclus des données issues d’études existantes sur la santé mentale, permettant au logiciel de développer une compréhension fine des marqueurs linguistiques spécifiques aux troubles psychologiques.
La validation de l’outil PSYCHOLING a été effectuée en comparant ses analyses avec des évaluations cliniques réalisées par des cliniciens (médecins psychiatres). Les résultats ont montré une forte corrélation entre les diagnostics du logiciel et les évaluations cliniques d’experts, confirmant la précision et la fiabilité de l’outil dans l’identification des schémas linguistiques et cognitifs, associés aux psychotraumatismes.
La sensibilité de l’outil se réfère à sa capacité à détecter avec précision les variations subtiles dans le langage qui peuvent indiquer la présence de troubles psychologiques. Le seuil de détection a été établi sur la base des études de fiabilité, permettant de distinguer entre discours normaux et discours indicatifs de troubles psychologiques. Ces paramètres ont été ajustés pour optimiser la relation entre sensibilité et spécificité.
Dans le cadre de l’étude EP3LAN, l’outil a été utilisé pour analyser les verbatim recueillis lors des entretiens avec les participant(e)s. PSYCHOLING a pu identifier des motifs linguistiques récurrents et des anomalies dans l’utilisation du langage, qui ont été corrélés avec les mesures psychométriques obtenues à travers les questionnaires GHQ-12 et PCL-5.
Cela a permis de visualiser l’état psychique de chaque personne sous la forme d’un « psychophénotype » représentant ses pensées et ses émotions à un moment donné. Les informations retenues indiquent les éléments sur lesquels repose l’interprétation diagnostique. Il est ainsi possible pour les cliniciens de consulter les processus communs avec d’autres phénotypes issus de l’apprentissage automatique sur le verbatim d’autres participant(e)s. (Figure 2)
4. RÉSULTATS
Les résultats de l’étude EP3LAN démontrent une bonne sensibilité de l’outil assisté par l’IA pour identifier les processus psychopathologiques dans le verbatim des participant(e)s à l’étude.
– M0 (début de l’étude) : à ce stade, les participant(e)s ont montré des niveaux de stress et d’anxiété relativement élevés, comme indiqué par les scores élevés sur le PCL-5 et les analyses de PSYCHOLING. Cela a révélé une prévalence significative de symptômes de TSPT immédiatement après les lahars.
– M6 (6 mois après) : après six mois, une légère diminution des scores PCL-5 a été observée, suggérant une adaptation ou une atténuation des symptômes de stress. Néanmoins, les résultats de PSYCHOLING indiquaient toujours une présence notable de discours centrés sur le traumatisme, particulièrement en termes de réviviscence et d’évitement.
– M12 (12 mois après) : à un an, bien que certain(e)s participant(e)s aient continué à montrer des symptômes, une tendance générale vers une amélioration a été observée. Les scores PSYCHOLING ont montré une adaptation plus significative, avec une réduction des marqueurs linguistiques liés au stress et au traumatisme.
L’analyse psycholinguistique a révélé une moyenne de score à 53,5, avec un écart-type de 7,53 (voir Tableaux 1). Trois participant(e)s (7,5 %) présentaient des scores élevés, indiquant une souffrance psychique plus marquée. Les résultats ont montré que la situation maritale, la présence d’enfants et le niveau d’étude influençaient significativement les scores psycholinguistiques.
Nous avons observé une évolution des discours au fil du temps, indiquant une progression dans le traitement émotionnel et cognitif des événements traumatisants. Les variations dans le contenu du verbatim reflétaient différents parcours psychologiques, avec des indications claires de réexpérience et d’évitement chez certains participant(e)s.
L’étude a appliqué une analyse à double échelle : individuelle et groupale. À l’échelle individuelle, nous avons pu identifier des motifs spécifiques de langage et de comportement liés à des états psychopathologiques. Au niveau groupal, l’analyse a permis d’identifier des tendances et des schémas communs parmi les participant(e)s, fournissant des pistes intéressantes pour des interventions ciblées et pour la mise en place de stratégies de soutien personnalisées.
4.1. Résultats concernant les principaux critères d’évaluation
L’analyse des données recueillies semble montrer au premier abord une souffrance psychique non négligeable d’une distribution équitable avec une moyenne de score psycholinguistique à 53,5 et un écart-type de 7,53 (voir Tableaux 1).
L’étude révèle que 15 % des participant(e)s présentent des symptômes de TSPT. On relève 3 participant(e)s (7,5 %) ayant un score psycholinguistique entre 69 et 83, connotant une souffrance psychique plus importante avec des symptômes plus marqués et conduisant à des restrictions dans leur mode de vie quotidienne.[4]
Il semble que la situation maritale influe sur le score psycholinguistique avec une tendance à un score plus élevé selon que les personnes vivaient seules. Le fait d’avoir des enfants semble être un facteur de risque avec une moyenne de scores psycholinguistiques inférieure aux participant(e)s sans enfant. Le niveau d’étude semble également corrélé avec le ressenti de la souffrance psychique : on observe une tendance à un score plus élevé chez les personnes ayant un plus faible niveau d’étude.
Sur le plan psychopathologique, les résultats montrent que les verbatim des participant(e)s variaient entre les points d’évaluation, avec une élaboration progressive de l’événement traumatique au cours des 3 phases de recueil (M0, M6, M12), passant d’une perspective factuelle, au traitement des émotions, puis à une restructuration émotionnelle et cognitive intégrée de l’événement.
Le contenu du verbatim différait selon les trajectoires des personnes. Plus précisément, les verbatim de traumatisme étaient plus longs et contenaient plus d’autoréférences, de détails sur l’expérience somatosensorielle et de mots d’émotion négative. À 6 mois, les verbatim contenaient également plus de répétitions, plus de mots émotionnels et plus de mots somatosensoriels. Ces résultats suggèrent que la surveillance des changements de langage dans le temps peut fournir un indicateur fiable de la réponse au traitement sans les biais rencontrés dans les autoévaluations traditionnelles.
Sur le plan cognitivo-discursif, les résultats suggèrent à la fois une forte relation concomitante et prédictive entre la désorganisation narrative et le trouble de stress posttraumatique (TSPT). Trois aspects de l’organisation narrative (répétition de mots et de pensées négatives, segments non consécutifs, cohérence discursive) prédisaient la gravité du TSPT à 6 mois. Il existe également une corrélation négative entre l’accent mis sur le passé et le nombre de mots, et une corrélation positive entre la catégorie sociodémographique et le nombre de mots dans le récit traumatique.
Les scores les plus élevés dans l’analyse psycholinguistique indiquaient une sévérité accrue des symptômes de réexpérience (reviviscence) qui était associée à une plus grande utilisation des pronoms personnels singuliers (je, me, mon, ma) et à une plus faible utilisation de mots cognitifs (de raisonnement et de causalité). En outre, une sévérité accrue des symptômes d’évitement (cognitif et émotionnel) était associée à une utilisation moins fréquente de mots anxieux.
Ces résultats sont cohérents avec les recherches antérieures suggérant que l’utilisation du langage est un puissant prédicteur de la psychopathologie du TSPT (Jehel et Guidère, 2023) et étendent les preuves pour inclure les caractéristiques psycholinguistiques de verbatim non liés aux traumatismes (Jehel et Guidère, 2024).
4.2. Corrélation des résultats psychométriques et psycholinguistiques
Bien que l’étude EP3LAN ait initialement visé à inclure 60 partici- pant(e)s, seuls 40 ont complété l’ensemble du processus d’étude sur 20 mois. Cette différence est due à divers facteurs tels que le retrait volontaire de certains participant(e)s et des contraintes logistiques communes dans les études longitudinales.
Les corrélations entre le PCL-5 (Posttraumatic Stress Disorder Check List Scale) et PSYCHOLING ont été examinées sous 2 modèles principaux : à 6 facteurs et à 4 facteurs. Le modèle à 6 facteurs est plus détaillé, abordant des aspects spécifiques comme la réviviscence et l’évitement, tandis que le modèle à 4 facteurs est une version condensée, se concentrant sur des domaines plus larges. Ces 2 modèles fournissent des aperçus complémentaires des corrélations et de la validité des mesures.
Nous avons constaté des corrélations positives significatives entre les scores du PCL-5 et de PSYCHOLING, indiquant une concordance entre les mesures psychométriques traditionnelles et les analyses psycholinguistiques. Les scores élevés de PSYCHOLING étaient associés à des symptômes plus sévères de TSPT, tels que la réviviscence et l’évitement, confirmant l’utilité de l’analyse d’échantillons discursifs dans l’évaluation des troubles psychologiques.
L’analyse des verbatim a notamment révélé que les personnes avec des symptômes de TSPT utilisaient fréquemment le temps présent et la première personne du singulier, indiquant une immersion continue dans l’expérience traumatique. Cette observation suggère que les modalités du discours peuvent refléter la subjectivité et la persistance des symptômes de TSPT.
Au niveau des statistiques descriptives, les participant(e)s ont obtenu un score moyen au PCL-5 de 53,56 (É-T = 11,94) avec un score minimal de 17 et un score maximal de 70 sur une échelle de 80.
Pour PSYCHOLING, les participant(e)s ont obtenu des scores moyens de 74,11 (É-T = 13,44) avec un score minimal de 36 et un score maximal de 83 sur une échelle de 100.
Nous avons utilisé les corrélations de Pearson pour évaluer la validité convergente et divergente du PCL-5 avec PSYCHOLING.
La corrélation à 6 facteurs entre le PCL-5 et PSYCHOLING (voir Tableau 2) a donné une corrélation positive significative (r = 0,76) suggérant une forte validité convergente. En ce qui concerne les sous-échelles correspondantes, un résultat positif et statistiquement significatif de corrélation a été observé dans chaque cas (reviviscence : r = 0,60 ; évitement : r = 0,40 ; affects négatifs : 0,93 ; anhédonie : 0,70 ; hypervigilance dysphorique : r = 0,84 ; hypervigilance anxieuse : r = 0,48).
Les facteurs concernant les affects négatifs et l’anhédonie obtiennent de fortes corrélations avec (r = 0,93 ; r = 0,70). Seul le facteur d’hypervigilance anxieuse obtient une corrélation modérée (r = 0,48).
La corrélation à 4 facteurs entre le PCL-5 et PSYCHOLING (voir Tableau 3) a donné également une corrélation positive significative (r = 0,76), suggérant une forte validité convergente. Au niveau des facteurs, le facteur de l’hypervigilance est celui qui a présenté les corrélations les plus faibles (r = 0,40) alors que le facteur concernant l’altération négative des cognitions et de l’humeur a obtenu des corrélations fortes (r = 0,83).
Ces corrélations ont révélé que les participant(e)s à l’étude ressentaient majoritairement des émotions à valence négative. Les émotions les plus saillantes s’articulaient autour de 3 processus corrélés entre les 2 outils :
1) La rumination anxieuse code les pensées répétitives négatives avec une orientation temporelle passée, et est corrélée avec les réminiscences et les intrusions ;
2) La négativation code les humeurs négatives et est corrélée avec les altérations de la cognition et de l’humeur via les expressions émotionnelles ;
3) L’évitement qui se présente sous 2 formes discursives : l’évitement cognitif qui est corrélé aux processus de dissociation permettant d’éviter de penser à certaines choses, et l’évitement émotionnel qui est corrélé aux réactions de fuite permettant de soulager la personne temporairement de certains sentiments.
Au niveau psycholinguistique, les verbatim traumatiques étaient différenciés des verbatim non traumatiques grâce à des marqueurs : « cognitifs » (pensée désorganisée ou perturbée, raisonnement pauvre, causalité faible ou absente) ; « émotionnels » (mots intensifs, négatifs, dépréciatifs) ; « sensoriels » (lexique relatif au corps et aux entrées sensorielles notamment la vue et l’ouïe, ainsi que des verbes de perception et de mouvement) ; « temporels » (mots au présent pour évoquer des événements passés, temporalité perturbée ou redondante) ; « indiciels » (pronoms personnels au singulier, marques énonciatives indiquant la situation du sujet).
Ainsi, l’analyse sémantique et processuelle des verbatim apporte des éléments de compréhension quant au processus de subjectivation qui se manifeste dans le lexique employé. Par exemple, il est apparu que le discours des personnes avec des symptômes de TSPT se déclinait au temps présent, avec une utilisation majoritaire de la première personne du singulier (je) et une diminution significative des indicateurs causaux et spatiaux.
5. DISCUSSION
L’étude EP3LAN est l’une des premières études françaises à combiner des méthodes psycholinguistiques et psychométriques assistées par l’IA pour l’évaluation et le suivi des troubles psychotraumatiques. Cette approche innovante a permis une analyse plus nuancée et précise des symptômes présymptomatiques et de l’évolution des troubles psychotraumatiques.
5.1. Résultats clés
L’étude EP3LAN a permis de montrer que le prélèvement d’un échantillon de discours (verbatim) et l’analyse de phénotypes numériques pouvaient fournir un moyen efficace pour identifier les personnes aux stades présymptomatiques d’une pathologie. Ainsi, des prédictions ont pu être faites sur le plan psychologique et comportemental à partir des données numériques collectées.
L’outil utilisé a détecté la plupart des processus psychopathologiques identifiés par les évaluateurs humains (sensibilité PSYCHOLING = 0,92). En outre, les analyses corrélationnelles ont suggéré une excellente validité convergente et discriminante de l’outil pour l’identification rapide de l’expression psychotraumatique dans un verbatim.
Étant donné que très peu d’études de validation sur le PCL-5 rapportent les corrélations entre les sous-échelles et d’autres mesures, il est difficile de comparer nos données avec celles de la littérature scientifique. Mais si l’on analyse les mesures convergentes réalisées pour les fins de cette étude, on constate que les facteurs de la reviviscence, de l’altération négative des cognitions et de l’humeur, ainsi que l’évitement, ont tous obtenu des corrélations fortes avec les mesures psycholinguistiques associées.
En outre, si l’on examine la composition des facteurs psycholinguistiques (rumination anxieuse, évitement cognitif, évitement émotionnel, humeurs négatives, négativation, dissociation), on remarque que la division du facteur de l’évitement en deux pourrait améliorer notre capacité à discriminer les symptômes du TSPT de ceux de la dépression. Comme on sait déjà que la comorbidité entre le TSPT et la dépression majeure atteint en moyenne 50 % des patient(e)s (Flory et Yehuda, 2015), il importe de développer des outils de mesure plus précis qui permettent de départager entre les différents symptômes.
Les résultats montrent que l’outil PSYCHOLING présente, pour ce qui est du français, une bonne validation de l’identification émotionnelle et psychopathologique des évaluateurs humains, permettant ainsi de mieux comprendre les constructions psychologiques sous-jacentes aux expressions émotionnelles dans le verbatim d’une personne.
5.2. Limites
Bien que l’étude EP3LAN ait apporté des informations plus précises sur les troubles psychotraumatiques postcatastrophe, des recherches descriptives et longitudinales supplémentaires sont nécessaires, notamment pour approfondir la compréhension de l’apparition et de l’évolution des troubles psychiatriques après divers types de catastrophes naturelles. Ces études futures devraient également se concentrer sur la clarification du rôle des expositions traumatiques dans le développement de la psychopathologie postcatastrophe et démêler les facteurs confondants influençant les conséquences sur la santé mentale.
Une autre limite de l’étude concerne la population cible. Notre échantillon se composait exclusivement d’adultes non hospitalisés, sans antécédents psychiatriques connus, et recrutés sur la base du volontariat. Cette sélection peut induire un biais, car elle exclut potentiellement des personnes avec des antécédents psychiatriques ou celles qui n’étaient pas disposées ou capables de participer volontairement à l’étude.
Enfin, la taille relativement restreinte de l’échantillon appelle à une interprétation prudente des résultats. Même si ceux-ci se montrent rigoureux méthodologiquement et précis formellement, ils ne peuvent pleinement rendre compte de la complexité de certaines formes de psychotraumatismes. Le profil clinique des participant(e)s pourrait limiter la généralisation des résultats à d’autres populations, notamment à celles présentant un TSPT avec des comorbidités, un aspect fréquent de cooccurrence de troubles dans les contextes posttraumatiques.
6. CONCLUSION
L’étude EP3LAN a permis une évaluation détaillée de l’évolution de la santé mentale des habitants de la commune du Prêcheur après une catastrophe naturelle. Nous avons observé une tendance stable avec une légère baisse des symptômes de trouble psychotraumatique de M0 à M12.
Cette étude souligne l’importance de la présence régulière des équipes de recherche dans la communauté, ce qui semble avoir eu un impact positif sur le bien-être mental des habitant(e)s. Les retours fréquents de notre équipe tous les 6 mois ont été perçus positivement, contribuant au sentiment de considération et d’apaisement au sein de la population.
La méthodologie mixte, associant des outils psycholinguistiques assistés par l’IA et des mesures psychométriques, a été bien reçue par la population, qui a exprimé un vif intérêt pour des études centrées sur la santé mentale. L’approche numérique de collecte des données a non seulement facilité une documentation méthodique des psychotraumatismes, mais a également aidé à détecter précocement les personnes à risque, permettant ainsi l’application de mesures préventives adéquates.
L’étude a bénéficié de la collaboration active de l’association SOS Kriz, mettant en lumière l’importance cruciale des acteurs de santé communautaire dans la collecte de données, souvent effectuée au domicile des participant(e)s.
L’utilisation des données numériques a contribué à minimiser le biais de sélectivité dans les rapports des participant(e)s et le biais de confirmation chez les soignant(e)s. De plus, cette méthodologie a permis de réduire le biais rétrospectif, les participant(e)s rapportant leur état mental actuel, ce qui a aidé à focaliser sur l’état psychologique le plus immédiat.
Enfin, cette étude ouvre la voie à des modèles plus élaborés basés sur l’IA et capables de détecter de manière prospective les risques pour la santé mentale ou de prévenir l’apparition de troubles dans des zones à risque pendant et après des catastrophes. Elle met en évidence la nécessité d’intégrer de telles approches dans les stratégies de prévention et d’intervention, pour contribuer à un meilleur suivi des populations touchées par des événements traumatiques.
Parties annexes
Annexes
Données descriptives de la population étudiée
FIGURES DE L’ÉTUDE
VERBATIM
Verbatim de personnes psychotraumatisées en lien avec les lahars (laves volcaniques)
Verbatim 1
« Depuis l’éruption de 2020, je ne dors plus. Chaque nuit, je fais des cauchemars avec la lave qui se rapproche de notre maison. Je me réveille en sueur, le coeur qui bat fort, et il me faut des heures pour me calmer. Au travail, je n’arrive plus à me concentrer et je suis toujours inquiet. La peur d’une nouvelle éruption me paralyse complètement. J’ai toujours cette crainte que ça revienne et que je ne puisse rien faire pour protéger ma famille. C’est comme si je vivais constamment dans l’attente de la prochaine catastrophe. Cette peur m’accompagne chaque jour et me gâche la vie. »
Verbatim 2
« Chaque fois que je regarde vers la montagne, j’ai des frissons dans le dos. Je revois encore les cendres noires tomber du ciel. Cette image est gravée dans ma tête et me hante jour et nuit. Même les bruits forts me rappellent cette journée et je panique directement. Je me sens tout le temps en danger, même quand tout semble calme. Cette peur m’empêche de vivre normalement, de profiter de ma famille et de mes amis. Je me demande si je pourrai un jour retrouver une vie normale. »
Verbatim 3
« Vivre si près de la montagne me rend hyper anxieux. Dès que j’entends parler de tremblements de terre, je pense directement à une nouvelle éruption. J’ai toujours un sac près de la porte et je ne peux pas me détendre tant que je suis à la maison. Mes amis et ma famille disent que je suis obsédé, mais je ne peux pas m’empêcher de penser au pire. Cette situation m’empêche de dormir, de me concentrer et même de profiter des moments agréables. Je suis sur le qui-vive, prêt à évacuer à n’importe quel moment. Cette peur m’épuise et m’empêche de vivre. »
Verbatim 4
« Depuis la dernière éruption, je ne vis plus normalement. Je fais des crises d’angoisse dès que j’entends parler de fumeroles. Chaque jour, je vérifie les bulletins de volcanologie à la recherche de la moindre alerte. Je me sens piégée, incapable de quitter ma maison, mais terrifiée à l’idée de rester. C’est comme si le volcan contrôlait ma vie. Cette peur m’empêche de faire des projets, de sortir et même de me détendre chez moi. J’ai l’impression de vivre dans une prison, avec cette menace constante au-dessus de ma tête. C’est insupportable. »
Verbatim 5
« Les souvenirs de l’éruption sont encore frais dans ma tête. J’oublierai jamais le bruit et la chaleur. J’ai tout le temps peur pour mes enfants, peur qu’ils vivent la même terreur que moi. Les jours de pluie sont très difficiles, car le bruit de l’eau me rappelle les lahars. Je vis dans une angoisse permanente. Chaque fois qu’il pleut, je me mets à surveiller le moindre signe de danger, prête à évacuer. Cette peur pour mes enfants me ronge et m’empêche de profiter des moments avec eux. »
Verbatim 6
« En 2010, quand les lahars ont détruit le pont du Prêcheur, j’ai ressenti une terreur indescriptible. Voir cette masse boueuse déferler et tout emporter m’a laissé paralysé de peur. Depuis, chaque saison des pluies est un cauchemar. Je crains le moment où la vallée se remplira à nouveau de ces coulées horribles. Cette peur m’empêche de dormir et me stresse. Je me demande comment je pourrais protéger ma famille si ça se reproduisait. La menace des lahars est au-dessus de nous, et c’est vraiment épuisant. »
Verbatim 7
« Depuis les lahars de 2020, je me sens comme un prisonnier, toujours à surveiller les signes de danger, à écouter les rumeurs et les alertes. La crainte des lahars et des éboulements me ronge. Je ne peux pas m’empêcher de penser que cela peut arriver à tout moment. Cette peur est épuisante et m’empêche de vivre normalement. Je suis toujours en alerte, prêt à partir à la moindre alerte. Le fait de ne pas savoir quand cela se reproduira me paralyse et m’empêche de faire quoi que ce soit. »
Verbatim 8
« En septembre 2020, ils ont dit qu’il y a eu plus de 50 secousses, même si on les a pas ressenties. Mais moi, les séismes sous-marins et les remontées de gaz me font peur. Je vis dans une anxiété constante, toujours prête à évacuer. Chaque tremblement, chaque nouvelle secousse me rappelle la fragilité de notre situation. Je ne peux pas me détendre ou profiter des moments de calme, car je suis toujours inquiet. Comme je ne vois plus personne, je me sens isolé et incompris. »
Verbatim 9
« Aux infos, les fumerolles et les séismes sous-marins de novembre 2020 ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase si je peux dire. Voir à la télé ces colonnes de gaz me panique. J’ai du mal à me concentrer sur quoi que ce soit, car je suis constamment inquiet, je crains une éruption imminente. Je suis toujours à la recherche de signes de danger, incapable de me détendre. Cette peur affecte mon travail et mes relations. C’est vraiment épuisant et déprimant. »
Verbatim 9
« Moi, j’en ai marre de cette situation, on en parle tout le temps, du coup on a peur. Ils disent que c’est pour nous informer mais ils ne font que nous inquiéter à chaque fois. La dernière fois, ils ont donné à la tété le nombre de secousses et ça m’a choqué, ça tremble tout le temps en fait, c’est toujours en activité et ça pourrait débouler sur nous n’importe quand. Moi, je ne peux pas vivre avec cette épée sur la tête, ce n’est pas possible, déjà que je vois tous les jours aux infos plein de catastrophes naturelles et d’inondations, mais là c’est trop, je ne dors plus, je pense à partir, je n’en peux plus de vivre dans la peur. »
PHÉNOTYPES
Ces phénotypes sont définis par des manifestations psycholinguistiques exprimant des processus tels que la rumination, l’évitement, la catastrophisation, l’amplification, etc.
Remerciements
À l’équipe de recueil de SOS KRIZ et à l’équipe du CHU de la Martinique.
Au député-maire de la commune du Prêcheur, monsieur Marcellin Nadeau.
Notes
-
[1]
Écopsychiatrie : ce terme décrit l’étude des interactions entre les facteurs environnementaux (comme les catastrophes naturelles) et la santé mentale. Dans notre étude, il souligne l’impact des lahars sur les troubles psychologiques chez les habitants de la commune du Prêcheur aux Antilles françaises.
-
[2]
Dans Jehel, L. et Guidère, M. (2022), Psychotraumatologie : les mots du trauma (Paris : Éditions Lavoisier, Collection Psychiatrie en pratique), les auteurs estiment la saturation des données psycholinguistiques à 30 verbatim d’une durée de 5 à 10 minutes, soit environ 100 à 300 mots par échantillon prélevé.
-
[3]
Guidère, M. (2024). The Language Within : Exploring Mental Health through Predictive Linguistics. Montreal : Psynum.
-
[4]
Pour rappel, la mesure de l’intensité du trauma par PSYCHOLING est représentée par un score dont la répartition repose sur des marqueurs psycholinguistiques et sur des calculs de similarités avec les cas appris par l’IA, suivant l’échelle suivante : ≤ 25 = Pas de processus psychopathologiques particuliers ; ≤ 49 = Présence de processus psychopathologiques non significatifs ; ≥ 50 = Processus modérés avec un retentissement mineur sur la vie quotidienne ; ≥ 65 = Processus importants conduisant à certaines restrictions dans le mode de vie ; ≥ 80 = Processus sévères empêchant une existence normale.
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