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Introduction

La schizophrénie, en particulier la schizophrénie résistante aux traitements (SRT), est considérée comme l’un des troubles psychiatriques les plus complexes, graves et invalidants en termes d’effets indésirables sur la qualité de vie (QV) des patients (Awad et Voruganti, 2012 ; Bobes et coll., 2007 ; Evans et coll., 2007 ; Millier et coll., 2014 ; Yanos et Moos, 2007 ; Zouari et coll., 2012). Le tableau clinique comprend une variété de symptômes psychopathologiques, ainsi que des trajectoires allant du rétablissement à des états sévères de chronicité (American Psychiatric Association, 2013). Les hallucinations sont parmi les symptômes qui suscitent le plus de détresse, ceci est notamment le cas pour les hallucinations plus prévalentes que sont les hallucinations auditives (HA) (David, 1999 ; Rector et Beck, 2001 ; Sartorius et coll., 1986). La présence d’HA, c’est-à-dire « entendre des voix », en particulier celles ayant des propos négatifs et critiques, peut avoir un effet dévastateur sur le bien-être émotionnel des patients ainsi que sur leur QV en raison des niveaux élevés d’angoisse et de dépression (Birchwood et Chadwick, 1997 ; Birchwood et coll., 2004 ; Janaki et coll., 2017), du risque accru de suicide (Kjelby et coll., 2015), du fonctionnement social altéré (Favrod et coll., 2004), et du rétablissement retardé (de Jager et coll., 2016).

Alors que les antipsychotiques sont le traitement de première ligne pour traiter ces symptômes, jusqu’à 50 % des patients sont résistants aux traitements (SRT) et continueront de souffrir d’HA persistantes (Elkis et Buckley, 2016 ; Howes et coll., 2017 ; Nucifora et coll., 2018). Les approches psychologiques sont de plus en plus proposées en complément aux traitements pharmacologiques (Burns, Erickson et Brenner, 2014 ; National Collaborating Centre for Mental Health, 2014 ; Thomas et coll., 2014). La thérapie cognitivo-comportementale (TCC) pour la psychose demeure la psychothérapie la plus largement recommandée par les lignes directrices de traitement (Galletly et coll., 2016 ; Lehman et coll., 2004 ; National Collaborating Centre for Mental Health, 2014). Pourtant, au mieux, seuls des effets modérés sont obtenus, et environ 50 % des patients ne répondent pas à cette approche (Thomas et coll., 2011). Par ailleurs, il existe peu d’études sur les effets des interventions psychosociales recommandées, telles que la TCC, sur les mesures non symptomatiques comme la QV (Laws et coll., 2018 ; Puolakka et Pitkänen, 2019 ; Valiente et coll., 2019). Ainsi, pour plusieurs patients ayant une SRT, les traitements recommandés par les lignes directrices ne sont pas suffisants pour traiter les HA suscitant une détresse importante et ainsi les mener vers une meilleure QV.

À cet égard, le traitement de la schizophrénie peut être perfectionné si, en plus du traitement des symptômes, l’accent thérapeutique est mis sur d’autres sphères importantes pour les patients (p. ex. améliorer l’estime de soi et le fonctionnement, réguler les émotions) (Valiente et coll., 2019). Parmi les interventions personnalisées et basées sur des processus d’intérêts pour le rétablissement, il y a une nouvelle vague d’approches relationnelles qui s’appuient sur la perspective que les HA sont vécues comme venant d’entités qui ont des identités personnelles et avec lesquelles les entendeurs de voix établissent une relation personnelle (Chin, Hayward et Drinnan, 2009 ; Craig et coll., 2018 ; du Sert et coll., 2018 ; Hayward et coll., 2015 ; Hayward, Berry et Ashton, 2011 ; Leff et coll., 2013). Les thérapies dialogiques (p. ex. (Corstens, Longden et May, 2012 ; Craig et coll., 2018 ; du Sert et coll., 2018 ; Hayward et coll., 2017 ; Hayward et coll., 2009 ; Leff et coll., 2013) visent à améliorer la relation entre les entendeurs de voix et leurs HA en encourageant les interactions affirmatives avec les voix, en négociant de nouvelles façons d’être en relation avec leurs voix et en améliorant la perception de soi (Birchwood et coll., 2002 ; Chadwick, 2006 ; Hayward, 2003 ; Hayward et Fuller, 2010). Avec les progrès de la technologie, AVATAR Therapy va plus loin et utilise une représentation visuelle de leur HA qui permet au thérapeute de jouer le rôle de la voix pour aider le patient à pratiquer différentes réponses de manière plus directe en temps réel (Craig, Ward et Rus-Calafell, 2016 ; Leff et coll., 2014 ; Leff et coll., 2013). Cette thérapie a été adaptée de manière indépendante de l’équipe initiale en utilisant la réalité virtuelle (RV) avec un « visiocasque » immersif plutôt que la technologie informatisée conventionnelle (p. ex. écran d’ordinateur) afin d’augmenter le sentiment de présence ainsi que la stimulation de forte émotion. Celle-ci s’intitule la Thérapie assistée par la RV (TRV) ou communément connut sous le nom Virtual Reality-assisted Therapy (Dellazizzo et coll., 2020, 2021 ; du Sert et coll., 2018). Ces interventions innovantes permettent aux patients de converser avec leur voix dans le but de réduire la détresse ressentie en prenant le contrôle de leur expérience et en modifiant leurs perceptions de soi négatives (Craig, Ward et Rus-Calafell, 2016 ; Dellazizzo et coll., 2021 ; du Sert et coll., 2018 ; Leff et coll., 2014 ; Ward et coll., 2020).

Bien que les autres approches actuelles recommandées manquent de preuves quant à leur efficacité sur la QV, nous stipulons que la TRV qui demeure personnalisée peut améliorer non seulement les symptômes associés à la schizophrénie, mais qu’elle peut également s’étendre à la vie quotidienne des patients menant vers une meilleure QV. La TRV met en évidence l’avenir des approches adaptées aux objectifs des patients qui intègrent plusieurs processus pertinents pour potentiellement améliorer la QV des patients atteints d’une SRT. Au-delà de la symptomatologie, les résultats des projets pilotes portant sur cette thérapie technologiquement innovante ont montré des résultats significatifs sur la QV (Dellazizzo et coll., 2020, 2021 ; du Sert et coll., 2018). Or, une caractéristique centrale de la QV est l’intégration de la perspective des patients pour obtenir un regard plus fin et riche des changements de vie. Afin de peaufiner les résultats quantitatifs trouvés, cet article explorera les thèmes émergents d’une analyse de contenu découlant du discours spontané de 10 patients ayant bien répondu à la TRV, c’est-à-dire ayant montré une diminution significative de leurs HA.

Méthodologie

Participants

Les participants ont fait partie d’un essai clinique qui a comparé les effets de la TRV à la TCC sur les HA verbales (numéro d’identification sur Clinicaltrials.gov : NCT03585127) (Dellazizzo et coll., 2021). Des patients de 18 ans et plus avec des HA réfractaires et atteints de schizophrénie ou d’un trouble schizoaffectif ont été recrutés à l’Institut Universitaire en Santé mentale de Montréal (lieu de la thérapie) ainsi que dans la communauté. Les patients ont été sélectionnés s’ils entendaient des voix persécutrices et s’ils ne répondaient pas à au moins deux antipsychotiques. Ils ont été exclus s’ils présentaient un trouble neurologique, une maladie physique grave et instable, un trouble concomitant de trouble lié à l’usage de substances dans les 12 derniers mois ou un niveau symptomatologique hautement instable (p. ex. actuellement dans une unité de soins intensifs en psychiatrie). Parmi les patients considérés comme de bons « répondeurs » à la TRV (c’est-à-dire presque la moitié de l’échantillon total de l’essai), 10 patients ont été sélectionnés aléatoirement pour cette étude qualitative. La réponse au traitement a été définie par une diminution à court terme de 20 % sur l’échelle HA du Psychotic Symptoms Rating Scale (PSYRATS-HA ; (Haddock et coll., 1999) à la suite de la thérapie. Le projet a été approuvé par le comité d’éthique institutionnel et le consentement verbal ou écrit a été obtenu de tous les patients.

Thérapie assistée par la réalité virtuelle (TRV)

La thérapie fut donnée par un clinicien expérimenté (AD) qui a environ 7 années d’expérience en tant que psychiatre et qui a traité au-delà d’un millier de patients qui souffrent de troubles mentaux sévères incluant la schizophrénie. La thérapie a été décrite précédemment (Dellazizzo et coll., 2021 ; Dellazizzo et coll., 2018b ; du Sert et coll., 2018). Brièvement, la thérapie est généralement constituée de 9 séances (voir tableau 1). Les patients ont d’abord créé et personnalisé le visage et la voix d’un avatar afin que celui-ci ressemble le plus possible à la personne ou à l’entité considérée comme étant la voix suscitant le plus de détresse. Chacune des séances suivantes s’est déroulée en 3 étapes. Avant l’immersion, le thérapeute discute de la semaine précédente et détermine avec le patient l’objectif de la séance. Durant l’immersion, le patient est immergé dans l’environnement de RV et est encouragé à entrer en dialogue avec son avatar qui est animé en temps réel par le thérapeute. Après l’immersion, le thérapeute fait un compte rendu avec le patient et évalue ses sentiments concernant son expérience en immersion. Les premières séances d’immersion visent à confronter le patient avec ses expériences hallucinatoires. Le thérapeute introduit un dialogue entre le patient et son avatar avec des phrases que le patient a préalablement rapportées. Il s’agit généralement de remarques critiques, offensives et hostiles. Le patient est amené à entrer en dialogue avec l’avatar pour améliorer sa régulation émotionnelle, son affirmation de soi et son estime de soi. Au fur et à mesure que la thérapie progresse, l’interaction de l’avatar devient graduellement plus encourageante à mesure que le patient prend le contrôle de son expérience. Dans les dernières séances de consolidation, le patient a l’opportunité d’appliquer les apprentissages qui lui ont été transmis pendant les séances d’immersions précédentes.

Tableau 1

Description des séances de la Thérapie assistée par la Réalité Virtuelle

Description des séances de la Thérapie assistée par la Réalité Virtuelle

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Évaluations cliniques

Pour obtenir la perspective des patients sur la TRV, des entrevues ouvertes centrées sur le déroulement du quotidien des patients ont été menées. Ce type d’entrevue était dans le but de ne pas induire ni d’orienter le patient vers une réponse quelconque, ce qui permet une grande latitude et laisse le patient s’exprimer spontanément. Les entrevues ont été enregistrées et transcrites.

Procédure analytique

Une analyse de contenu des propos des patients a été menée (Wildemuth, 2016). L’analyse de contenu permet l’interprétation des communications verbales à travers le processus de classification systématique de codage et d’identification de thèmes ou de modèles (Hsieh et Shannon, 2005). L’unité d’analyse a été définie comme un groupe de mots pouvant relever d’un thème spécifique. Le processus d’identification des thèmes et des catégories était inductif et itératif. En premier lieu, les transcriptions des 6 premiers patients ont été analysées par SG et LNH. Autant de thèmes que nécessaire ont été systématiquement écrits pour décrire tous les aspects du dialogue. Individuellement, les catégories ont été collectées, classées en concepts connexes, puis regroupées sous des thèmes d’ordre supérieur. Les analyses ont été comparées entre les évaluateurs et les divergences ont été discutées jusqu’à ce qu’un premier consensus soit atteint. Une grille de codage a été élaborée pour normaliser la catégorisation des extraits entre évaluateurs. Un audit indépendant a été réalisé par LD suivant cette grille pour examiner la cohérence de l’analyse et le fondement des interprétations à partir des données (Lincoln et Guba, 1985). Un accord entre tous les auteurs a été systématiquement recherché, aboutissant à un consensus. Les thèmes définitifs ont été appliqués aux transcriptions des nouveaux patients jusqu’à ce qu’un point de saturation ait été atteint où l’analyse de plus de transcriptions n’a pas permis l’émergence de nouveaux thèmes.

Résultats

Caractéristiques des participants

Parmi les 10 participants inclus, il y avait une proportion plus élevée d’hommes (60 %). Tous étaient caucasiens et la plupart étaient célibataires (80 %) avec un âge moyen de 48 ans (écart-type = 11,6). La durée moyenne d’année d’étude était de 13 ans (écart-type = 4,8). La majorité des patients avait un diagnostic de schizophrénie (80 %) avec une durée de la maladie moyenne de 18 ans (écart-type = 12,7). Les patients étaient tous sous antipsychotiques atypiques et deux tiers étaient sous la clozapine.

Quatre thèmes ont émergé des entretiens avec les patients dans cette analyse de contenu (voir figure 1 pour un sommaire). Les résultats seront discutés ci-dessous avec des descriptions étayées par des extraits de patients.

Thème I : Impact de la thérapie sur les voix

Bien que les patients aient été sélectionnés sur la base de leur bonne réponse au traitement dans le cadre de ce projet, un thème récurrent dans le discours spontané des participants fut avant tout la réduction de la fréquence des voix. Certains patients ont même mentionné l’absence totale des HA : « Avant la thérapie, j’entendais mes voix davantage, là, je ne les entends plus » (P1).

Aussi, les patients ont verbalisé l’utilité dans leur vie quotidienne des nouvelles stratégies apprises pour faire face aux voix. Ces stratégies se sont avérées plus efficaces pour repousser leurs voix. Pour 1 patient, lorsque questionné sur l’efficacité des stratégies d’adaptation sur une échelle de 0 à 10, celui-ci (P1) a indiqué que ses stratégies initiales avant la thérapie étaient modérément efficaces (6-7/10), ce qui s’est amélioré avec les nouvelles stratégies apprises lors de la TRV (efficacité de 8-9 sur 10).

Étant donné l’approche relationnelle de la TRV, certains patients ont divulgué l’obtention d’une meilleure relation avec leurs voix. Ils ont mentionné être capables de vivre avec leurs voix et d’accepter qu’elles soient présentes : « D’avoir compris que c’est juste un bonhomme […], je n’ai pas à me battre contre lui […], j’ai juste à l’accepter et vivre avec » (P10). Les voix ont eu moins d’emprise sur les patients et ils sont arrivés à mieux les gérer sans que celles-ci puissent perturber leurs activités et fonctionnement. Un patient a ainsi mentionné que les voix n’avaient plus « autant [d’effet] qu’avant » (P6). Un autre patient a affirmé qu’il aurait « appris à communiquer avec [ses] voix, à en parler, à [s]’exprimer » et a pu « avoir un certain contrôle sur [sa] maladie » (P9).

Thème II : Relations interpersonnelles

Au-delà des relations que les patients entretiennent avec leur voix, la TRV a eu un impact sur les relations des patients avec leur entourage. Les patients se sont sentis plus épanouis dans leurs relations avec autrui après la TRV et étaient maintenant capables d’entretenir des discussions plus profondes sans crainte : « Parce qu’avant, j’avais de la misère à communiquer avec d’autres personnes. Aujourd’hui, je suis capable puis je réussis à parler. […] J’ai recommencé à vivre. » (P2).

Les liens avec leur famille, leurs amis, et même avec de nouvelles connaissances, ont paru plus forts et sincères. Un patient a affirmé avoir renforcé sa relation avec ses filles : « Ça toujours été bien notre relation, mais […] il manquait de quoi. Juste le fait de leur dire que je les aimais, que j’étais fière d’elles […], elles m’appellent plus souvent on dirait. » (P10).

Thème III : Bien-être psychologique

La TRV a plusieurs cibles permettant d’améliorer le bien-être psychologique des patients tel que l’acceptation de soi, le développement de souhaits/objectifs et l’amélioration de l’autonomie. Plusieurs patients ont remarqué une capacité accrue à s’affirmer et une augmentation de leur estime de soi : « J’ai plus confiance en moi […], je suis plus calme, je suis plus sereine […], puis, je prends ma place. » (P2).

Conjointement à une estime de soi accrue, certains patients ont amélioré leur relation avec eux-mêmes par une rétroaction positive. Apprendre à s’affirmer devant leur avatar leur a procuré un sentiment de soulagement et de libération interne : « La thérapie a été formidable pour moi. Ça a changé complètement ma vie […], j’ai réussi à me libérer, à me pardonner […], puis là ça va bien. » (P2).

D’autres changements dans la gestion de soi ont aussi été notés, comme une capacité accrue à contrôler leurs émotions : « Parce que dans ce temps-là, j’étais obsédée par des pensées […] beaucoup plus anxieuses, j’avais de la misère à contrôler mes émotions davantage, maintenant c’est beaucoup mieux. » (P1).

Thème IV : Mode de vie

Ce thème a désigné tous les changements dans les habitudes de vie quotidienne des patients. Cela a inclus, entre autres, l’hygiène de vie (p. ex. sommeil, alimentation, activité physique), qui semble plus saine chez les participants : « Je dors assez bien, là. […] Avant la thérapie, je ne dormais pas, je voyais du monde au bout de mon lit, qui me faisait du mal, qui allait me droguer puis me violer. » (P7).

Certains patients ont même réduit leur consommation de substances nuisibles (alcool, drogues, cigarette) à la suite de la TRV : « Je ne buvais plus, et mes cigarettes ont diminué à un paquet à peu près. » (P2). Un autre patient, lorsque questionné sur ses habitudes de consommation d’alcool, a mentionné qu’il a passé de 4 à 5 bières par jour (avant la thérapie) à 1 ou 2 de temps en temps (actuellement).

Enfin, certains patients ont remarqué une modification dans leurs activités quotidiennes. La fréquence de certaines activités a augmenté : « J’ai commencé à sortir plus souvent, à faire plus d’activités avec mes parents, par moi-même aussi, surtout par moi-même. » (P9). De plus, quelques patients ont incorporé de nouvelles activités dans leur vie de tous les jours : « Ce matin, je me suis levé bien de bonne heure, j’ai lavé mon appartement au complet de A à Z, ce n’est pas quelque chose que je fais d’habitude. Ça m’a donné […] du courage et aussi de l’énergie. […] Des sorties, tout seul, cinéma, restaurant, je ne faisais pas ça avant […] c’est une bonne chose à faire pour se désennuyer. » (P10).

Figure 1

Sommaires des thèmes identifiés à la suite de l’analyse qualitative des entretiens avec les patients ayant suivi la Thérapie assistée par la Réalité Virtuelle

Sommaires des thèmes identifiés à la suite de l’analyse qualitative des entretiens avec les patients ayant suivi la Thérapie assistée par la Réalité Virtuelle

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Discussion

Cet article avait pour but d’enrichir les données quantitatives identifiées de la TRV sur la QV dans les projets pilotes (Dellazizzo et coll., 2020, 2021 ; du Sert et coll., 2018) en explorant les thèmes émergents d’une analyse de contenu découlant du discours spontané de 10 patients ayant bien répondu à la TRV. La TRV a permis de montrer des effets positifs sur plusieurs sphères de vie des patients qui montraient une résistance aux traitements avant l’amorce du processus thérapeutique. Quatre thèmes généraux ont émergé : 1) impact de la thérapie sur les voix ; 2) relations interpersonnelles ; 3) bien-être psychologique ; et 4) mode de vie.

De manière attendue, la première sphère de vie ayant été verbalisée par les patients a été l’impact de la TRV sur leurs HA. Il est intéressant de noter que cette approche psychothérapeutique est l’une des seules à montrer un potentiel à réduire la fréquence réelle des HA allant jusqu’à l’absence totale des HA pour certains patients (Craig, Ward et Rus-Calafell, 2016 ; Craig et coll., 2018). La TRV, visant à améliorer la relation entretenue avec leurs voix (p. ex. interactions plus affirmatives et négociation de nouvelles façons d’être en contact), a montré une efficacité sur la réduction des HA, ce qui a pu améliorer de manière significative la QV. Ceci peut s’expliquer par le fait que la perception que les entendeurs de voix ont d’eux-mêmes s’est modifiée et ceci leur a permis d’établir une relation plus constructive avec leurs HA (Birchwood et coll., 2002 ; Chadwick, 2006 ; Hayward, 2003 ; Hayward et Fuller, 2010 ; Thomas et coll., 2014). Cet aspect entre dans le mouvement des entendeurs de voix qui préconise qu’il est essentiel de comprendre la perspective des entendeurs de voix et de développer un cadre thérapeutique adapté afin que ceux-ci puissent attribuer un sens à leur voix (Lakeman, 2001 ; Romme et Escher, 1989). Dans cette perspective, nos résultats montrent l’importance de la relation entre l’entendeur de voix et la voix. Les patients ont pu améliorer la relation avec leurs voix et ont appris de nouvelles stratégies d’adaptation plus efficaces pour y faire face. De plus, une dimension importante de la TRV est son approche holistique pour induire des changements dans la vie des patients allant bien au-delà de l’effet sur la symptomatologie. Ainsi, cette thérapie se concentre sur plusieurs sphères importantes pour améliorer le bien-être psychologique en permettant aux patients de travailler sur l’amélioration de l’estime de soi, de l’acceptation de soi et de la régulation des émotions (Craig et coll., 2018 ; Dellazizzo et coll., 2018a ; Dellazizzo et coll., 2021 ; du Sert et coll., 2018 ; Leff et coll., 2013 ; Ward et coll., 2020). Ces gains se sont également étendus à leur vie en général en les rendant plus ouverts aux autres, améliorant ainsi les relations interpersonnelles. Avec leurs nouveaux acquis, la TRV a permis d’améliorer le fonctionnement des patients en leur permettant de créer des objectifs de vie et d’entreprendre des activités de vie plus saine, ce qui s’insère dans le dernier thème verbalisé par les patients, soit les changements de mode de vie.

La QV subjective est une cible particulièrement cruciale pour l’efficacité d’un traitement, car une QV améliorée peut entraîner le rétablissement chez les patients atteints de schizophrénie (Torres-González et coll., 2014). Cette étude a permis de montrer que la TRV peut mener les patients ayant une SRT à améliorer plusieurs sphères de leur vie. Il s’agit d’un résultat important, car plus de la moitié des patients étaient considérés comme ultrarésistants, prenant un traitement à la clozapine. Néanmoins, cette étude a des limites nécessitant d’être évoquées. Premièrement, cette étude n’a considéré que les patients ayant une bonne réponse à l’intervention. Il aurait été opportun d’avoir le point de vue des patients considérés comme « non-répondeurs » dans l’optique de faire ressortir les effets potentiellement négatifs de la TRV, et ce, afin d’éventuellement améliorer la méthode thérapeutique. La TRV pourrait, par exemple, être trop anxiogène lors des premières séances pour certains patients. Ceux-ci pourraient bénéficier d’une TCC en premier lieu comme nous l’avons démontré précédemment (Dellazizzo et coll., 2020) et ainsi percevoir une amélioration de leurs symptômes et de leurs QV. Deuxièmement, nous n’avions pas de groupe témoin composé de patients ayant suivi une autre approche psychosociale telle que la TCC. Il est à noter, en revanche, que les données actuelles de revues et méta-analyses (Laws et coll., 2018 ; Puolakka et Pitkänen, 2019 ; Valiente et coll., 2019) montrent qu’il existe peu de preuves sur les bienfaits des autres approches psychosociales sur la QV des patients. L’essai pilote comparant la TRV à la TCC a d’ailleurs montré que la TCC n’a eu aucun effet significatif sur la QV des patients atteints de SRT (Dellazizzo et coll., 2021). Toutefois, il pourrait exister des cas de bons répondeurs à la TCC ayant vécu une amélioration de la QV, il serait donc important d’évaluer cela dans des études futures. Troisièmement, les entrevues de ce projet ont été effectuées uniquement après la fin de l’intervention à différents intervalles de temps. De ce fait, nous n’avons pas pu examiner de manière précise les changements dans le temps de la QV en ayant recours à des entrevues avant et après la thérapie.

Conclusion

Pour conclure, cette étude fut une première étape vers l’exploration des effets subjectifs de la TRV sur la vie des patients, et ce, au-delà des symptômes hallucinatoires. Cette intervention visant non seulement la réduction et la sévérité des HA, mais aussi plusieurs autres cibles thérapeutiques comme l’estime de soi, la régulation des émotions et l’affirmation de soi, a montré des effets pertinents sur la vie en général des entendeurs de voix. Ces changements s’effectuent probablement parce que la TRV permet aux patients de vivre de manière expérientielle les interactions avec les voix, ce qui favorise le transfert des apprentissages vers le quotidien des personnes. Étant donné que la schizophrénie, principalement la SRT, est un trouble extrêmement complexe associé à des altérations importantes du fonctionnement, la TRV peut avoir des implications potentiellement immenses sur la santé et la QV des patients. Les prochaines étapes du projet consistent à finaliser d’abord l’essai randomisé contrôlé à simple insu comparant la TRV à la TCC avec une méthodologie plus rigoureuse et d’amorcer dans un deuxième temps la formation de nouveaux thérapeutes pour pouvoir éventuellement implanter la TRV dans les pratiques cliniques régulières.