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Où en sommes-nous ?
Depuis sa fondation en 1919, Albert-Prévost a vécu plusieurs métamorphoses sans jamais y laisser son âme. Du Sanatorium des débuts, au bord de la belle Rivière-des-Prairies dans un parc verdoyant, il est devenu Institut, puis Pavillon de l’Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal et enfin, en 2015, Hôpital en santé mentale Albert-Prévost. L’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost est maintenant membre d’un vaste département de psychiatrie, celui du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal, et a fêté en 2019 son centième anniversaire. Il venait d’éprouver, avec la Loi 10 constitutive des CISSS et des CIUSSS, le dernier épisode de son histoire qui forçait une alliance avec la pédopsychiatrie de l’Hôpital Rivière-des-Prairies, la psychiatrie de l’Hôpital Jean-Talon et celle de l’Hôpital Fleury, et les équipes de santé mentale des CLSC. Toutes les composantes de ce grand ensemble ont vacillé avec la crainte pour chacune de perdre son identité propre. Sous le choc, aucun collègue ne voulait s’engager dans la réorganisation. Plusieurs ont pris leur retraite. Cinq ans plus tard – c’est bien peu dans l’histoire d’Albert-Prévost – il a su, grâce à sa réputation, aller chercher du sang neuf dans toutes ses composantes. Le mot d’ordre est toujours d’accueillir et d’humaniser l’accès en particulier à notre urgence grâce à la Fondation de l’Hôpital du Sacré-Coeur de Montréal. Comme le dit bien un pair aidant : « La reconnaissance de l’ampleur des problèmes de santé mentale dans la société est gagnée […] la bataille contre la stigmatisation est en voie d’être gagnée […] la bataille, maintenant, c’est l’accès à des services pertinents dont la psychothérapie. »
Albert-Prévost au-delà de 2015… Albert-Prévost a été, est et sera un précurseur dans l’avancement des connaissances et des services offerts à nos patients. Albert-Prévost va continuer à partager son expertise et à former la relève dans le cadre de notre Département universitaire de psychiatrie et d’addictologie de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal. Cependant, il ne faudrait jamais oublier que dans un système public des services insuffisamment financés ne sont pas accessibles et pertinents. Des représentations devront être faites avec insistance auprès du gouvernement pour que la santé mentale et la psychiatrie aient la place qui leur revient.
Présentation des articles
Les articles contenus dans ce numéro thématique créé en l’honneur des 100 ans de l’Hôpital en santé mentale Albert-Prévost (HSMAP) mettent en lumière son passé et son présent, ses racines et ses axes de développement.
Ainsi, Dre Magalie Lussier-Valade a fait un résumé élégant de la conférence d’ouverture des célébrations du centenaire de l’Institution, présentée par des psychiatres qui ont marqué l’histoire de la psychiatrie au Québec et qui ont enseigné leur métier à des générations de résidents du Québec. Dr Alexandre Klein, historien, propose également deux articles sur l’histoire de l’HSMAP, dont un qui décrit la contribution essentielle de Charlotte Tassé, infirmière et fidèle collaboratrice du fondateur de l’Institution, et l’autre qui présente les premiers médecins qui ont oeuvré à l’HSMAP et façonné son devenir. On apprend dans ce trio d’articles que l’HSMAP a toujours été un dispositif de soins innovateur, axé sur l’enseignement des traitements à la fine pointe des connaissances. Il a ainsi hébergé la première école de gardes-malades auxiliaires du Québec (Charlotte Tassé), le premier cours de perfectionnement en nursing psychiatrique pour les infirmières professionnelles (Charlotte Tassé), été un des trois premiers établissements hospitaliers canadiens à recevoir l’accréditation de l’American Psychiatric Association, proposé le premier service de pédopsychiatrie en dehors des enseignes d’un hôpital ou d’un asile (Ernest Tétreault), le premier service dédié aux adolescents (Robert Buies), la première équipe d’urgence psychiatrique à domicile (Jacques Drouin), la première clinique externe de gérontopsychiatrie (Bernard Gauthier), le premier Module d’évaluation liaison (Bernard Gauthier), le premier dispositif des soins spécialisés en psychiatrie au Québec (décrit dans Farand et coll., 1999 ; Bertelli, 1999), la première clinique externe québécoise spécialisée dans le traitement des troubles de personnalité et le plus ancien hôpital de jour psychiatrique encore en fonction (Christiane Bertelli).
Le travail en interdisciplinarité, tel que présenté dans l’article de Dr Klein sur la contribution de garde Tassé, celui des Drs Ngô, Chaloult, Fortier, Monday, Jomphe, Turcotte, Bouthillier et Bérubé sur l’histoire de la thérapie cognitivo-comportementale à l’HSMAP et celui de Mmes Alexandre et Tanguay, sur le projet musical élaboré par des membres de l’hôpital en collaboration avec le Cégep de Saint-Laurent pour favoriser le rétablissement des patients hospitalisés en psychiatrie, a permis de concevoir des programmes qui répondaient de façon holistique, pertinente et créative aux besoins des patients. Les liens que l’HSMAP a toujours cherché à tisser avec le reste de la communauté ont aussi permis d’élargir son champ d’action hors des murs de l’Institution (p. ex. par la création de l’organisme Revivre, partenariat entre Dr Brian Bexton et d’autres psychiatres de l’HSMAP et des patients souffrant de maladies affectives et troubles anxieux).
Son ouverture vers les autres disciplines continue d’enrichir sa conception de la pratique de la psychiatrie et la qualité des soins prodigués aux patients. L’enrichissement de la psychiatrie par l’étude des humanités est une des particularités de l’HSMAP. Des exemples sont la postface du Dr Camille Laurin (plus tard ministre et père de la Loi 101) de l’ouvrage dénonciateur des conditions de traitement inhumaines à l’asile psychiatrique Les fous crient au secours, l’essai Soigner, aimer du Dre Ouanessa Younsi (2016) finaliste des Prix littéraires du Gouverneur général qui fait le pont entre la littérature et le métier de psychiatre, le cours Science psychiatrique et humanité développé par les Drs Vincenzo Di Nicola, Ouanessa Younsi et Alexis Thibault, philosophe-psychiatre, auteur d’un article sur l’evidence based medicine qu’il décrit comme un projet épistémologique et éthique en porte-à-faux avec la psychiatrie. Ces réalisations sont en phase avec le développement récent de la recherche intersectorielle à l’HSMAP, un des axes prioritaires de développement qui s’ajoute aux autres secteurs d’excellence, dont l’enseignement de la psychothérapie et l’étude du sommeil.
Lieu d’enseignement pour les résidents et fellow en psychiatrie depuis 1958, Prévost accueille régulièrement la moitié du contingent du programme de résidence en psychiatrie de l’Université de Montréal dans ses stages. Il est, entre autres, considéré comme un lieu d’excellence pour l’enseignement de la psychothérapie. Dès sa création, le Sanatorium a joué un rôle de pionnier dans le développement de la psychiatrie au Québec en y introduisant les approches thérapeutiques les plus reconnues aux États-Unis et en Europe à cette époque. Le docteur Camille Laurin a joué un rôle de premier plan à ce moment-là, en assurant la transition entre traitement par compassion et thérapie spécifiquement appuyée sur les problématiques psychiatriques rencontrées et sur les modalités de traitement en constante évolution à cette époque. Un des pôles majeurs d’attraction de l’Institution a longtemps été l’enseignement de la psychanalyse, entre autres, à l’Unité de psychothérapie psychanalytique qu’il a créée en 1985 (on surnommait même le PAP la « Mecque de la psychanalyse francophone québécoise »). L’article des Drs Blondeau et Reid décrit les origines et l’évolution de ce projet clinique et pédagogique (déjà partiellement abordé dans Reid et Amyot, 2015 et Desgroseilliers, 2001). Dans les années 1980 et 1990, d’autres types de psychothérapies ont pris leur place dans la pratique clinique courante et le cursus de l’enseignement en psychothérapie psychiatrique pour permettre aux professionnels de la santé d’offrir le bon traitement au bon patient au bon moment en enrichissant leur arsenal thérapeutique. C’est ainsi qu’en 1997, le Centre de psychothérapie fût créé pour enseigner l’ensemble des psychothérapies basées sur des données probantes. D’autres numéros de la revue Santé mentale au Québec ont déjà présenté le développement de l’enseignement en thérapie interpersonnelle (Leblanc et Streit, dir., 2008), de la thérapie systémique et familiale (Bertelli et Bélisle, 2004), de la pleine conscience (Ngô, 2013). Ce numéro présente l’article des Dre Ngô et coll. sur l’histoire de la thérapie cognitivo-comportementale à l’HSMAP, en particulier ses innovations au niveau de la recherche, de la programmation clinique et de l’enseignement. Un autre article, écrit par les Drs Lussier-Valade, Ngô et Leblanc décrit le dernier projet du Centre de psychothérapie, www.psychopap.com, un site web créé en l’honneur des 100 ans de l’HSMAP. Sa mission est de favoriser le transfert de connaissances au sujet de tous les types de psychothérapies basés sur des données probantes, et ce, par le biais de la technologie.
Le Centre d’études avancées du sommeil (CÉAMS), autre pôle majeur de rayonnement du Département, est un centre d’excellence en recherche reconnu mondialement. Son histoire a été décrite en détail dans un article paru dans un autre numéro de la présente revue (Montplaisir, 2015). Un article sur la schizophrénie et le sommeil écrit par Dre Lussier-Valade en collaboration avec les Drs Godbout et Desautels du CÉAMS illustre comment le partage d’expertises entre les cliniciens et chercheurs en sommeil et autres troubles mentaux pourra continuer à enrichir l’efficacité et l’efficience des interventions offertes aux patients dans les années futures, et ce, tant sur les unités d’hospitalisation que dans les cliniques ambulatoires et en première ligne.
Une dernière particularité de l’HSMAP qui contribue à son développement et son caractère innovateur par la rencontre entre les champs d’expertise c’est qu’il s’agit de l’unique dispositif de soins psychiatriques québécois à offrir des soins aux individus de 0 à 100 ans et à l’ensemble des pathologies psychiatriques incluant la médecine psychosomatique et la médecine du travail. Les articles des Drs Dubois-Comtois, Sabourin-Guardo, Achim, Lebel et Terradas sur l’attachement et l’utilisation de la thérapie basée sur la mentalisation pour améliorer les capacités parentales en pédopsychiatrie, des Drs Shamlian, Bergeron et Decary sur la psychiatrie positive pour favoriser la résilience chez les personnes âgées et des Drs Boileau-Falardeau, Turcotte, Lafleur et Corbière sur les dilemmes des médecins traitants lors du retour au travail des personnes souffrant de troubles mentaux sont des manifestations du soin constant des cliniciens et chercheurs de l’HSMAP d’offrir des soins accessibles, adaptés aux patients qui se présentent dans ses cliniques afin de favoriser non seulement leur rétablissement, mais aussi leur épanouissement.
Conclusion et perspectives d’avenir
Ce milieu de santé mentale et de psychiatrie, comme vous le verrez au fil des articles, s’est construit dès le départ grâce au dévouement d’hommes et de femmes passionnés par les questions de santé mentale et de troubles psychiatriques, qui se sont dépassés pour penser et bâtir, jour après jour, une organisation permettant de prendre soin des patients parmi les plus vulnérables et souvent oubliés du système de santé.
La transmission des connaissances, l’implication dans la formation et le savoir-faire des étudiants, leur exposition à différents modèles de soin, leur accueil chaleureux et le soutien pour développer un savoir-être authentique essentiel à la pratique de la psychiatrie sont au coeur de la mission de cet établissement. Sources d’avenir, ces derniers apportent, en retour, enthousiasme, énergie et créativité à notre milieu.
Notre avenir, ce deuxième centenaire que nous abordons avec confiance et créativité, sera nécessairement celui du développement de la recherche. De nombreux psychiatres et professionnels se sont investis au cours des années dans une recherche clinique de qualité. Les efforts des différents directeurs de l’enseignement en font foi, particulièrement ceux du Dr Amyot qui a réussi, avec de proches collaborateurs, à créer la chaire de psychopharmacologie et à initier celle de schizophrénie en collaboration avec le Dr Rodriguez, auxquels se sont joints les Drs Lalonde et Stip pour en finaliser la création en septembre 2003. À l’image de ces différents protagonistes, dans les années à venir nous devrons mettre en place une infrastructure et une culture de la recherche qui soutiendront le développement d’une expertise et d’un savoir-faire durables. Notre développement devra s’effectuer tant au niveau de notre chaire de psychopharmacologie que de la recherche en psychothérapie dans le cadre de notre Centre de psychothérapie que de la recherche évaluative sur les services.
Notre avenir tiendra bien sûr compte des nouvelles technologies disponibles, en particulier la téléconsultation, pour offrir des soins plus variés et plus accessibles tout en étant sécuritaires.
Contrepoids nécessaire, nous désirons continuer à favoriser une réflexion riche sur les humanités et leur impact sur la clinique. Le développement d’un comité clinique humaniste permettra à l’ensemble des psychiatres et professionnels de santé mentale de bénéficier des lumières de nos collègues spécialisés en éthique et en philosophie, reflet de notre désir toujours renouvelé d’une capacité autoréflexive et d’une volonté d’ouverture à de nouvelles formes de soins adaptés aux besoins de nos patients et aux changements de la société.
Ces besoins nouveaux déterminent notre volonté de continuer à développer des services modernes et adaptés par rapport à l’enjeu des troubles de dépendance et d’usage de substances. De la même façon, la pathologie psychiatrique en lien avec le milieu de travail représente un domaine de grande souffrance qui nécessite le développement d’une expertise et de services adaptés, processus déjà en cours. Aussi, dans cette société fondée sur le multiculturalisme en général, dans un secteur très multiculturel sur l’île de Montréal en particulier, notre expertise en ethnopsychiatrie et psychiatrie transculturelle est appelée à prendre un essor majeur.
Dans chacun de nos programmes, de l’urgence à la consultation-liaison, de la gérontopsychiatrie à la pédopsychiatrie, de l’enseignement au centre de recherche, des projets créatifs de modernisation des soins sont en cours de réflexion ou en train d’être mis en place. Avec l’aide et les idées tant des patients partenaires que de leurs proches aidants et des ressources de la communauté, c’est une offre de soins élargie, innovatrice et inclusive qui s’annonce.
Grâce à l’apport créatif des collègues ainsi que l’implication solidaire et passionnée de tous les acteurs tant au niveau clinique qu’administratif jour après jour, nous construirons ensemble pour les prochains cent ans et plus longtemps encore une Institution qui concentre à bien des égards le meilleur de chacun d’entre nous, et ce, pour servir les patients les plus vulnérables avec la devise qui nous définit « Servir, Aimer, Espérer ».
Parties annexes
Bibliographie
- Bertelli, C. (1999). Le nouveau dispositif de soins pour adultes du Pavillon Albert-Prévost. Santé mentale au Québec, 24(2), 74-89.
- Bertelli, C. et Bélisle, M. C. (2004). Interventions de crise chez les patients aux prises avec un trouble de personnalité limite. Partie 2 : Thérapies systémique et familiale. Santé mentale au Québec, 29(2), 253-266.
- Desgroseilliers, R. (2001). L’histoire de la psychanalyse à Albert-Prevost. Filigrane, 10(1), 6-22.
- Farand, L., Champagne, F., Amyot, A., Denis, J. L. et Contandriopoulos, A. P. (1999). Évaluation de la réforme des services psychiatriques destinés aux adultes au pavillon Albert-Prévost 1. Santé mentale au Québec, 24(2), 90-125.
- Montplaisir, J. (2015). La médecine du sommeil : 1965-2015. Santé mentale au Québec, 40(2), 239-255.
- Ngô, T. L. (2013). Présentation : pleine conscience et psychiatrie. Santé mentale au Québec, 38(2), 9-17.
- Reid, W. et Amyot, A. (2015). Le rôle des psychanalystes dans l’histoire du Département de psychiatrie de l’Université de Montréal. Santé mentale au Québec, 40(2), 93-106.
- Streit, U. et Leblanc, J. (2008). La psychothérapie interpersonnelle : bien au-delà de ses premières applications. Santé mentale au Québec, 33(2), 7-29.
- Younsi, O. (2016). Soigner, aimer. Montréal, Canada : Mémoire d’encrier.