Résumés
Résumé
Objectif Les individus provenant d’une minorité sexuelle rapportent plus de problèmes de santé mentale que les individus ayant une identité hétérosexuelle. Or, la majorité des recherches canadiennes sur ce sujet ont été réalisées il y a plusieurs années, bien avant les changements culturels et légaux concernant la population lesbienne, gay et bisexuelle. Ces changements culturels, sociaux et légaux ont sans aucun doute influencé le portrait clinique de cette population. Cette étude vise à identifier les différences en santé mentale chez les gens qui sont issus ou non de minorités sexuelles.
Méthode Un échantillon régionalement représentatif d’adultes en Estrie, Québec (n = 10 687) a participé à un sondage téléphonique. Pour ce faire, les participants devaient répondre à des questions concernant leur identité sexuelle et la présence de problèmes de santé mentale incluant la détresse psychologique, la dépression, et de problèmes de surconsommation d’alcool et de drogues.
Résultats Les résultats ont indiqué plusieurs différences significatives entre les individus appartenant à une minorité sexuelle et les individus hétérosexuels. Les différences sont surtout observées lorsque les individus bisexuels ou principalement hétérosexuels sont comparés aux individus hétérosexuels. La majorité de ces différences sont principalement expliquées par les variables de contrôle (l’âge, le niveau d’éducation, le revenu et le fait d’appartenir à une minorité visible).
Conclusions Ces résultats suggèrent l’importance d’atténuer les différences sociodémographiques pour améliorer la santé mentale chez les individus issus d’une minorité sexuelle. Les vulnérabilités spécifiques des individus ayant une identité bisexuelle et principalement hétérosexuelle devraient être davantage considérées.
Mots-clés :
- Minorités sexuelles,
- dépression,
- détresse,
- consommation
Abstract
Objectives Individuals with sexual minority identities (e.g., identities other than heterosexual such as gay, lesbian bisexual or mostly heterosexual) are at increased risk for a number of negative health outcomes compared to individuals who identify as heterosexuals. The majority of existing Canadian population-based studies on this topic, however, were conducted prior to major cultural and legal changes with regards to sexual minority population. Furthermore, much of the more recent work focuses on adolescents or identifies mental health outcomes among urban populations. The goal of the current study was to assess if sexual minority-based health disparities were observed within a population-based sample of adult men and women from Estrie, a semi-urban administrative region of Quebec.
Method In 2014-15, an independent firm surveyed a random sample of adults in Estrie, Quebec. A total of 10,687 individuals completed telephone surveys about their mental health (psychological distress, depression, alcohol use and drug consumption) and their sexual identities (i.e., heterosexual, gay, lesbian, bisexual or mostly heterosexual). Analyses were performed separately for men and women.
Results Significant differences, specifically with regards to distress and cannabis use were observed across sexual minority status. Specifically, bisexual and mostly heterosexual participants reported poorer mental health outcomes compared with heterosexual participants. The majority of differences observed, however, were explained by variation in demographic variables (age, education, revenue and visible minority status).
Conclusion These findings suggest the importance of demographic factors with regards to understanding vulnerability to mental health outcomes among sexual minority adults. Furthermore, the specific vulnerabilities experienced by mostly heterosexual and bisexual participants need to be taken into consideration by mental health professionals.
Keywords:
- sexual minority,
- depression,
- distress,
- substance use
Corps de l’article
Les minorités sexuelles auraient plus tendance à présenter des problèmes de santé mentale (dépression, détresse psychologique, surconsommation d’alcool et consommation de drogues) que les personnes hétérosexuelles (Bolton et Sareen, 2011 ; Graham et coll., 2011). Le but de cette étude est de mieux comprendre l’incidence sur la santé mentale d’appartenir à une minorité sexuelle en utilisant un échantillon populationnel de l’Estrie, au Québec.
Le statut de minorité sexuelle fait référence à des individus qui rapportent des attirances sexuelles, émotionnelles ou romantiques vers des personnes du même sexe ou qui déclarent des identités conformes à ces modèles d’attraction (les identités gaies, lesbiennes ou bisexuelles) (Igartua et Montoro, 2015). Le statut de minorité sexuelle et l’identité sexuelle diffèrent de l’identité de genre ou de la manière dont une personne exprime son genre (Centre de lutte contre l’oppression des genres de l’Université Concordia et Communauté LGNTQA, 2015). En ce sens, toutes les personnes ont à la fois une identité sexuelle ainsi qu’une identité de genre.
Le Minority Stress Theory suggère que les populations minoritaires sexuelles sont plus susceptibles de connaître des problèmes de santé mentale négatifs en raison de la stigmatisation associée au statut de minorité sexuelle (Meyer, 2003). Suivant la théorie classique du stigmate (Link et Phelan, 2001), appartenir à une identité dévaluée socialement augmente les risques d’exposition aux facteurs de stress. Les individus qui s’identifient aux minorités sexuelles sont donc plus susceptibles de vivre des difficultés de santé mentale et de recourir à des mécanismes d’adaptation inadéquats (Pascoe et Smart Richman, 2009 ; Goldbach et coll., 2014 ; Martin-Storey et Crosnoe, 2012).
L’intérêt de cette étude repose sur le fait que la majorité de la recherche sur les échantillons populationnels canadiens sur le sujet a été effectuée à partir de données colligées depuis près vingt ans (Pakula et Shoveller, 2013 ; Brennan et coll., 2010). Or, il y a plusieurs raisons de croire que la situation des dernières années, surtout en regard des réalités structurelles (p. ex. la légalisation du mariage chez les couples du même sexe), pourrait avoir une influence sur la santé mentale des personnes de minorités sexuelles du Québec et du Canada. En effet, avec la reconnaissance des minorités sexuelles par la Charte des droits et libertés de la personne en 1977, les droits des minorités sexuelles sont de plus en plus reconnus (Tremblay, 2013 ; Smith, 2008). Un nombre grandissant de recherches en santé mentale indique, effectivement, que la discrimination structurelle joue un rôle important dans l’explication des disparités personnelles et sociales entre les personnes des minorités sexuelles et les personnes hétérosexuelles (Hatzenbuehler et coll., 2012 ; Hatzenbuehler et coll., 2010).
Les études plus récentes sur la santé mentale des minorités sexuelles ont surtout été réalisées auprès des populations adolescentes (Montoro et coll., 2015 ; Chamberland et coll., 2011 ; Renaud et coll., 2010 ; Peter et coll., 2017), ou auprès des populations urbanisées (Tulloch et coll., 2015 ; Zhao et coll., 2010). Ces recherches indiquent que les minorités sexuelles vivent plus de dépression et rapportent plus de consommation d’alcool que les individus hétérosexuels. En ce sens, le portrait des problèmes de santé mentale chez les personnes de minorités sexuelles demeure incomplet en ce qui concerne les adultes, les échantillons populationnels et les réalités régionales. Cette perspective est importante, car les adultes vivent des défis différents des jeunes et la recherche qualitative nous indique que l’expérience des minorités sexuelles en région présente des similarités et des différences par rapport à celle dans les métropoles, surtout concernant leur visibilité et leur isolement social, ce qui influence les problèmes de santé mentale (Chamberland et Paquin, 2007).
Toutes les personnes appartenant à des minorités sexuelles ne sont pas également vulnérables aux troubles de santé mentale. Les travaux antérieurs suggérant que les personnes ayant une identité monosexuelle (les individus dont l’identité sexuelle reflète l’attraction à un seul genre, p. ex. gaie ou lesbienne) rapportent des niveaux de fonctionnement plus élevés que les individus qui déclarent une identité bisexuelle ou principalement hétérosexuelle (Kuyper et Bos, 2016 ; Vrangalova et Savin-Williams, 2014). Cette vulnérabilité accrue chez les non-monosexuels pourrait refléter le rejet qu’ils subissent de la part des communautés hétérosexuelles ainsi que des minorités sexuelles elles-mêmes (Saewyc et coll., 2009). De façon similaire, les recherches au Québec, au Canada et aux États-Unis suggèrent qu’il existe des différences significatives entre les populations hétérosexuelles et les minorités sexuelles selon les caractéristiques sociodémographiques comme l’âge, le revenu personnel et le niveau d’éducation (Chamberland et Lebreton, 2012 ; Black et coll., 2000 ; Gonzales et Blewett, 2014). En ce sens, mieux comprendre les différences significatives entre les minorités sexuelles et les populations hétérosexuelles requiert un contrôle des caractéristiques sociodémographiques associées aux troubles de santé mentale.
Pour contribuer aux connaissances actuelles des problèmes de santé mentale chez les personnes des minorités sexuelles, l’objectif de cette étude vise à identifier les différences de santé mentale chez les gens qui sont issus ou non de minorités sexuelles en utilisant un échantillon populationnel de l’Estrie, au Québec. Plus spécifiquement, cette étude vise à comparer les personnes de minorités sexuelles (gai ou lesbienne, bisexuelle, principalement hétérosexuelle) aux personnes hétérosexuelles quant aux niveaux de dépression, de détresse psychologique, de surconsommation d’alcool et de consommation de cannabis, en contrôlant les caractéristiques sociodémographiques que sont l’âge, le niveau d’éducation, le revenu familial et le statut de minorité visible. Il est attendu que les participants d’une identité de minorité sexuelle présenteront plus de problèmes de santé mentale. Plus précisément, il est attendu que les individus non-monosexuels (soit les individus avec des identités bisexuelles et principalement hétérosexuelles) se différencient des hétérosexuels en ce qui concerne les résultats concernant la santé mentale.
MÉTHODE
Conception de l’étude
L’Estrie compte approximativement 310 735 habitants, dont 250 330 sont âgés de 18 ans ou plus (statistique Canada, 2011). Selon le recensement de 2011, la région a une superficie de 10 214 km2 et une densité de population de 30,4 habitants par kilomètre carré. Approximativement 2/3 des Estriens habitent dans les centres urbains, et le reste, dans les régions rurales.
En 2013, une compagnie de sondages indépendante a été engagée par le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CIUSSS) pour mener une enquête sur les comportements de santé des adultes habitant l’Estrie. Après avoir obtenu l’approbation du comité d’éthique de l’Université de Sherbrooke, le CIUSSS a sélectionné au hasard des adultes (18 ans et plus) pour participer à une enquête téléphonique sur les comportements de santé entre les mois de juin et d’octobre 2014. Pour élargir son échantillon en lien avec les changements administratifs de la région, le CIUSSS y a ajouté 2 000 individus en 2015. Pour les participants, l’enquête prenait environ 25 minutes à compléter. Le taux de réponse a été de 40 %.
Au total, 10 687 adultes (54,1 % des femmes) ont complété l’enquête, ce qui représente approximativement 3,4 % de la population totale des adultes de l’Estrie. La majorité des participants ont répondu que le français était la langue principale utilisée à la maison (92,3 %), suivi de l’anglais (6,6 %) et d’autres langues (1,1 %). Les participants pouvaient compléter l’enquête en français ou en anglais. Les caractéristiques sociodémographiques de l’échantillon sont présentées dans les tableaux 1 et 2. Selon la composition sociodémographique de l’Estrie établie par le recensement du Canada de 2011, la moyenne d’âge de l’échantillon était plus élevée que celle de la population estrienne. La différence quant à l’âge entre l’échantillon et la population de l’Estrie a été corrigée par l’utilisation des poids d’échantillonnage développés par la compagnie de recherche. Les poids d’échantillonnage ont été utilisés pour toutes les statistiques descriptives et multivariées subséquentes.
Variables dépendantes
Problèmes de santé mentale. Le questionnaire auquel les participants ont répondu en lien avec les problèmes de santé mentale a été construit à partir de différents instruments de mesure. Le questionnaire incluait d’abord deux items de dépistage du National Population Survey of Public Health, et le National Comorbidity Survey (Kessler et coll., 1994) utilisés pour détecter la dépression. Ces deux items questionnaient la présence de tristesse, de mélancolie, de perte d’intérêt et la durée de ces symptômes. Les participants pouvaient répondre par « oui » ou par « non ». Ensuite, les deux items ont été additionnés et un score plus élevé représentait une dépression plus sévère (alpha de Cronbach = 0,71).
Les participants ont aussi répondu à la version française du K6+ (Kessler et coll., 2010), un questionnaire sur la détresse psychologique comprenant six items. Ce questionnaire demandait aux participants le nombre de fois, au cours des derniers mois, où ils avaient été nerveux, désespérés, agités, déprimés, où ils avaient l’impression que tout était un effort et qu’ils n’étaient bons à rien. Ces questions comportaient cinq choix de réponses : « jamais », « rarement », « parfois », « la plupart du temps » et « tout le temps ». Les scores plus élevés indiquaient plus de détresse. Cet instrument a une bonne fiabilité (alpha de Cronbach = 0,80).
Toujours en lien avec leur santé mentale, les participants ont été questionnés sur leur consommation d’alcool et leur consommation de cannabis. Ils devaient indiquer combien de fois au cours des 12 derniers mois ils avaient consommé cinq consommations et plus (une procédure courante pour évaluer la consommation excessive dans les recherches populationnelles) (Room, 1990). En lien avec leur consommation de cannabis, les participants devaient indiquer à quelle fréquence ils avaient consommé du cannabis et ses produits dérivés au cours des 12 derniers mois. Ces deux variables étaient des variables continues, composées d’une échelle de Likert à six choix de réponse allant de « jamais » à « plus d’une fois par semaine ».
Variable indépendante
Statut de minorité sexuelle. L’appartenance à un groupe de minorité sexuelle était mesurée à l’aide d’une question adaptée du National Survey of Midlife Development (Brin et coll., 1995-1996), déjà utilisé dans les échantillons canadiens. Les participants devaient indiquer leur identité sexuelle parmi ces quatre options : 1) hétérosexuel(le) (avoir des relations sexuelles ou une attirance envers les personnes du sexe opposé seulement) ; 2) principalement hétérosexuel(le) (avoir principalement des relations sexuelles ou une attirance envers les personnes du sexe opposé) ; 3) bisexuel (le) (avoir des relations sexuelles ou une attirance envers les personnes des deux sexes) ; 4) homosexuel(le) (lesbienne ou gaie : avoir des relations sexuelles ou une attirance envers les personnes du même sexe). L’option « principalement hétérosexuelle » était incluse parce que la littérature suggère qu’il s’agit d’une catégorie distincte et que les personnes s’identifiant comme telles démontrent généralement une stabilité de leur identité sexuelle (Savin-Williams et Vrangalova, 2013).
Dans l’échantillon, 93,5 % des participants se sont identifiés comme « hétérosexuels » (5 431 femmes et 4 561 hommes), 4,1 % se sont identifiés comme étant « principalement hétérosexuels » (232 femmes et 206 hommes), 1,4 % comme « homosexuels » (61 femmes et 84 hommes) et finalement 1,0 % comme « bisexuels » (58 femmes et 54 hommes). La prévalence des minorités sexuelles parmi les répondants correspond aux données d’autres échantillons canadiens (Tjepkema, 2008).
Variables de contrôle
Données sociodémographiques. Les participants ont été interrogés à propos de leur âge, une variable continue. Ils devaient également préciser leur niveau d’éducation, soit : 1) diplôme d’études secondaires ou moins ; 2) diplôme d’études collégiales ou d’école de métier complété ; 3) un ou plusieurs diplôme(s) universitaire(s) complété(s). Ces catégories étaient codées comme variables nominales. La catégorie « diplôme d’études secondaires ou moins » était la catégorie de référence dans les analyses multivariées subséquentes. Les participants ont ensuite été questionnés par rapport à leur revenu annuel. La variable comprenait quatre niveaux : 1) moins de 20 000 $ ; 2) entre 20 000 et 49 999 $ ; 3) entre 50 000 et 79 999 $ ; 4) 80 000 $ et plus. Ces catégories étaient codées comme variables nominales. La catégorie « moins de 20 000 $ » était la catégorie de référence. Enfin, les participants devaient répondre à la question suivante : « Faites-vous partie d’une minorité visible (de descendance ou originaire d’Haïti, d’Afrique, de Chine, des pays arabes, d’Amérique latine ou des peuples autochtones du Canada ? ». Cette variable était codée comme une variable dichotomique. La non-appartenance à une minorité visible a servi de catégorie de référence dans les analyses.
Analyses
Avant l’étape de l’analyse, l’enjeu des données manquantes doit être abordé. Bien que seulement 1 % des données étaient manquantes dans l’ensemble de l’échantillon, enlever tous les participants avec au moins une donnée manquante aurait entraîné une perte de 9 % de l’échantillon. Le test de Little a donc été réalisé « données manquantes complètement au hasard (missing completely at random ; MCAR) » et a démontré que les données manquantes étaient aléatoires (X2 = 1,44, df = 4, n.s.), ce qui a permis d’envisager l’imputation de ces données. Le logiciel Amelia 2 (Honaker et coll., 2001), qui utilise la méthode bootstrap pour estimer les valeurs manquantes a été utilisé. Au total, 20 banques de données ont été imputées, avec des itérations ayant des échelons situés entre trois et quatre. Ces 20 banques ont été agrégées et c’est sur la moyenne obtenue de cette banque agrégée que les analyses ont été effectuées.
Les analyses ont été effectuées en deux étapes. Premièrement, des analyses bivariées ont été réalisées à l’aide de Stata 13 (StataCorp, 2013). Les poids d’échantillonnage fournis par la compagnie de sondage ont été employés afin d’assurer la représentativité de l’échantillon grâce à la commande svyset. Les différences bivariées entre les identités sexuelles, en ce qui concerne les variables de santé mentale, ont été évaluées et testée à l’aide de χ2 ou de régressions, selon le type de variable. Dans la deuxième série d’analyses, des régressions linéaires hiérarchiques ont été effectuées à l’aide de MPlus 7.4 (Muthén et Muthén, 1998-2011) et des poids d’échantillonnage. Les modèles présentés utilisent toujours le groupe « hetérosexuel » comme catégorie de référence. Les analyses supplémentaires ont toujours été effectuées pour comparer les différentes identités sexuelles minoritaires. Ces analyses ont exploré le lien entre le fait d’avoir une identité sexuelle minoritaire et les problèmes de santé mentale en tenant compte de l’âge, de l’éducation, du revenu et du statut de minorité visible.
RÉSULTATS
Présentés dans le tableau 1, les résultats des statistiques bivariées indiquent d’abord que pour les hommes, des différences significatives concernant la détresse ont été observées selon l’identité sexuelle. Les hommes ayant une identité « principalement hétérosexuelle » ont rapporté plus de détresse que les hommes ayant une identité « hétérosexuelle ». Toujours chez les hommes, des différences sont également observées quant à la consommation de cannabis. En effet, les hommes ayant une identité « homosexuelle » indiquent un plus haut taux de consommation de cannabis que les hommes ayant une identité « hétérosexuelle » et les hommes ayant une identité « bisexuelle ». De plus, il y avait des différences significatives en ce qui concerne les variables sociodémographiques entre les groupes à l’étude en ce qui concerne l’âge et le statut socioéconomique. En effet, les hommes ayant une identité « homosexuelle » étaient plus jeunes que les hommes ayant une identité « hétérosexuelle », principalement « hétérosexuelle » et « bisexuelle ». La plupart des hommes ayant une identité « hétérosexuelle » avaient un plus faible niveau scolaire que les hommes « hétérosexuels » et « homosexuels ». De même, les hommes ayant une identité « bisexuelle » avaient un plus faible niveau scolaire que les hommes ayant une identité « homosexuelle ». En ce qui concerne le revenu, les hommes ayant une identité « hétérosexuelle » étaient moins susceptibles que les hommes ayant une identité « homosexuelle » de se retrouver dans la tranche de revenu inférieure (moins de 20 000 $ par année), tandis que les hommes ayant les identités « principalement hétérosexuelle » et « homosexuelle » étaient plus susceptibles que les hommes « hétérosexuels » de se retrouver dans la tranche de revenu le plus élevé (80 000 $ par année ou plus). Enfin, les hommes ayant une identité « bisexuelle » étaient significativement plus susceptibles de s’identifier à une minorité visible que les hommes des autres sous-groupes.
Chez les femmes, les résultats indiquent que celles ayant une identité « principalement hétérosexuelle » ont rapporté plus de détresse, plus de symptômes dépressifs et plus de consommation de cannabis que les femmes ayant une identité « hétérosexuelle ». Les femmes ayant une identité « principalement hétérosexuelle » rapportent également plus de détresse et une consommation plus fréquente de cannabis que les femmes ayant une identité « homosexuelle ». En ce qui concerne les femmes avec une identité « bisexuelle », elles ont rapporté plus de symptômes dépressifs et une fréquence plus élevée de consommation de cannabis que les femmes avec une identité « hétérosexuelle ». Les femmes avec une identité « homosexuelle » rapportaient une consommation de cannabis plus fréquente que les femmes « hétérosexuelles ». Les différences significatives en ce qui concerne les variables sociodémographiques (âge et statut socioéconomique) entre les groupes ont été observées. Les femmes « hétérosexuelles » étaient plus âgées que les femmes ayant une identité « principalement hétérosexuelle » et « homosexuelles ». Les femmes ayant une identité « homosexuelles » étaient également moins susceptibles d’avoir un diplôme d’études secondaires que les femmes ayant une identité « hétérosexuelle » ou « bisexuelle », mais elles étaient plus susceptibles que les femmes « hétérosexuelles » et « principalement hétérosexuelles » de présenter un diplôme universitaire. En ce qui concerne le revenu, les femmes ayant une identité « bisexuelle » étaient significativement plus susceptibles d’appartenir au groupe à faible revenu que les femmes de toutes les autres identités, alors que les femmes ayant une identité « homosexuelle » étaient plus susceptibles que toutes les autres identités d’appartenir au groupe à revenu élevé. Enfin, les femmes ayant une identité « bisexuelle » étaient plus susceptibles de déclarer appartenir à une minorité visible que les femmes ayant les identités « hétérosexuelles » ou « principalement hétérosexuelles ».
Présentés dans le tableau 3, les résultats des analyses multivariées ont indiqué que les hommes ayant une identité « principalement hétérosexuelle » rapportaient plus de détresse comparés aux hommes ayant une identité « hétérosexuelle ». Les résultats n’indiquent toutefois pas de différence significative pour la dépression selon l’identité sexuelle chez les hommes. Pour la surconsommation d’alcool, les hommes ayant une identité « bisexuelle » ont rapporté une fréquence plus élevée de surconsommation que les hommes avec une identité « hétérosexuelle » et que les hommes avec une identité « principalement hétérosexuelle » (β = 0,06, p < 0,05). Enfin, les hommes ayant une identité « homosexuelle » ont rapporté une fréquence de consommation de cannabis plus élevée que les hommes avec une identité « hétérosexuelle » et que les hommes avec une identité « bisexuelle » (β = 0,06, p < 0,05).
Présentés dans le tableau 4, les résultats des analyses multivariées ont indiqué que chez les femmes, le fait d’avoir une identité « principalement hétérosexuelle » était associé à des niveaux de détresse psychologique plus élevée que chez les femmes « hétérosexuelles ». Les résultats n’indiquent toutefois pas de différence significative pour la dépression selon l’identité sexuelle chez les femmes, une fois les variables sociodémographiques incluses dans le modèle. Pour la surconsommation d’alcool, les femmes ayant une identité « principalement hétérosexuelle » ont rapporté une fréquence plus élevée de surconsommation d’alcool comparativement aux femmes « hétérosexuelles » uniquement. Les femmes ayant des identités « principalement hétérosexuelle » et « bisexuelle » ont aussi rapporté une fréquence plus élevée de consommation de cannabis que les femmes « hétérosexuelles ». De plus, les femmes ayant une identité « principalement hétérosexuelle » (β = - 0,05, p < 0,01), et une identité « bisexuelle » (β = - 0,06, p < 0,05) ont aussi démontré une fréquence plus élevée de consommation de cannabis que les femmes ayant une identité « homosexuelle ».
DISCUSSION
Des travaux antérieurs avec des échantillons canadiens ont suggéré des disparités dans la santé mentale entre les minorités sexuelles et la population hétérosexuelle. Or, la plupart de ces conclusions ont été obtenues avant d’importants changements sur les plans culturel et politique liés aux minorités sexuelles (Bolton et Sareen, 2011 ; Graham et coll., 2011 ; Pakula et Shoveller, 2013). La présente étude, avec un échantillon récent utilisant des évaluations plus nuancées de l’appartenance à une minorité sexuelle, visait à mettre à jour les différences actuelles quant à la santé mentale des hommes et des femmes selon qu’ils soient issus ou non de minorités sexuelles. Les résultats obtenus sont à la fois similaires et différents par rapport aux travaux antérieurs. En somme, les résultats indiquent que les individus appartenant à une minorité sexuelle rapportent des résultats plus négatifs, mais de façon modérée, en matière de santé mentale que leurs pairs hétérosexuels. De plus, beaucoup de ces différences sont attribuables à des variables sociodémographiques (âge et statut socioéconomique). Si les résultats de la présente étude suggèrent, dans l’ensemble, que les personnes appartenant à une minorité sexuelle rapportent peu de différences quant aux difficultés de santé mentale comparées à la population hétérosexuelle, ces différences suggèrent tout de même que les minorités sexuelles peuvent être plus vulnérables à certains problèmes de santé mentale.
Lorsque des disparités en santé mentale ont été observées, il s’agissait généralement de personnes ayant une identité « bisexuelle » ou principalement « hétérosexuelle ». Par exemple, les hommes ayant une identité « principalement hétérosexuelle » ont rapporté des niveaux de détresse plus élevés que les hommes « hétérosexuels ». De même, les hommes avec une identité « bisexuelle » ont indiqué une surconsommation d’alcool plus fréquente que les hommes avec une identité « hétérosexuelle ». Pour leur part, les femmes ayant une identité « principalement hétérosexuelle » ont signalé plus de détresse, une fréquence plus élevée de surconsommation d’alcool et de consommation de cannabis que leurs pairs « hétérosexuels ». Alors que les femmes avec une identité « bisexuelle » ont rapporté une consommation plus fréquente de cannabis que les femmes ayant une identité « hétérosexuelle ». Or, si les conséquences négatives de la surconsommation d’alcool sont claires (Wood et coll., 2018), de futures recherches sont nécessaires pour mieux comprendre les contextes de la consommation de cannabis. En effet, si l’usage de cannabis a des conséquences évidentes sur la santé (Hall et Degenhardt, 2009 ; Volkow et coll., 2014), comprendre comment et pourquoi la consommation de cannabis diffère entre les femmes avec des identités « hétérosexuelle » et « bisexuelle » permettrait d’expliquer ces disparités.
Ces résultats sont en grande partie conformes aux travaux antérieurs suggérant que les personnes ayant une identité monosexuelle rapportent des niveaux de fonctionnement plus élevés que les individus qui déclarent une identité « bisexuelle » ou « principalement hétérosexuelle » (Kuyper et Bos, 2016 ; Persson et coll., 2015). La vulnérabilité aux difficultés de santé mentale chez les non-monosexuels est particulièrement inquiétante, car les recherches suggèrent que de plus en plus de personnes s’identifient comme non-monosexuelles (Vrangalova et Savin-Williams, 2014). De fait, la majorité des personnes appartenant à une minorité sexuelle dans la présente étude se sont identifiées comme étant « principalement hétérosexuelles » ou « bisexuelles ». En effet, des recherches antérieures suggèrent que les personnes « bisexuelles » et « principalement hétérosexuelles » éprouvent des facteurs de stress uniques par rapport à leurs homologues « homosexuelles » (Persson et coll., 2015 ; Petterson et coll., 2017 ; Talley et coll., 2016). En effet, les personnes « bisexuelles » indiquent des niveaux plus élevés de discrimination et éprouvent le rejet, à la fois, de certaines communautés de minorités sexuelles et des communautés hétérosexuelles (Martin-Storey et Fromme, 2017 ; Saewyc et coll., 2009). Ces expériences, à leur tour, peuvent expliquer leur plus grande vulnérabilité en matière de santé mentale. Ces résultats soulignent donc l’importance de poursuivre l’examen des différences de santé mentale selon différents types d’identités de minorités sexuelles.
Même si ce n’était pas un objectif central de la présente étude, en ce qui concerne de nombreux facteurs sociodémographiques, des différences significatives ont été observées. En effet, les résultats suggèrent d’importantes disparités sociodémographiques parmi les hommes et les femmes de l’échantillon. Les hommes appartenant à une minorité sexuelle ont déclaré des niveaux d’éducation inférieurs et des niveaux de revenu inférieurs. Les femmes « homosexuelles » ont déclaré des niveaux d’éducation et de revenu plus élevés, tandis que les femmes « bisexuelles » rapportaient des niveaux de revenu inférieurs. Ces résultats appuient des travaux antérieurs suggérant généralement une plus grande pénalité socioéconomique pour les hommes appartenant à une minorité sexuelle que les femmes appartenant à une minorité sexuelle (Baumle et coll., 2011 ; Waite et Denier, 2015), mais les femmes ayant une identité « bisexuelle » subissent une pénalité socioéconomique différente de celle des femmes ayant une identité « homosexuelle » (Mize, 2016). Enfin, chez les hommes comme chez les femmes, les personnes ayants une identité « bisexuelle » étaient plus susceptibles de déclarer appartenir à une minorité visible, conformément aux travaux antérieurs (Gates, 2010).
Cette étude présente plusieurs forces soit l’utilisation d’un échantillon populationnel récent, l’identification plus nuancée des individus appartenant aux minorités sexuelles et l’inclusion de différents aspects de la santé mentale. Quelques limites doivent, toutefois, être considérées dans l’interprétation des résultats. Si l’utilisation d’un échantillon estrien offre une occasion unique de comprendre les enjeux de santé mentale chez les minorités sexuelles dans une région géographique qui regroupe des milieux à la fois urbains, ruraux et suburbains, il est difficile de savoir si le contexte socioculturel vécu par les minorités sexuelles en Estrie est similaire aux autres régions québécoises et canadiennes. Bien que les participants provenaient d’une région comprenant à la fois des zones rurales et urbaines, il n’a pas été possible d’identifier la provenance spécifique des participants. De plus, les participants n’ont pas été invités à indiquer s’ils étaient transgenres. Par ailleurs, bien que les outils utilisés soient valides, ils ne permettaient pas d’établir de diagnostic ou des seuils cliniquement significatifs. En ce sens, des recherches à l’échelle nationale devraient être menées en considérant : 1) les différents sous-groupes des minorités sexuelles pour tenir compte des changements légaux et sociaux actuels ; 2) l’utilisation d’outils permettant de poser un diagnostic clinique. De telles données permettraient de mieux adapter les interventions en santé mentale aux populations des minorités sexuelles. Si dans la présente étude, le statut de minorité sexuelle, comme dans la recherche en santé publique, était classifié de manière catégorielle (Pakula et Shoveller, 2013 ; Mize, 2016), de futures recherches devraient permettre une évaluation permettant de bien saisir les nuances de ces populations. Ces résultats sont corrélationnels et ne peuvent pas être interprétés de manière causale.
CONCLUSION
Les résultats de la présente étude indiquent que les disparités en santé mentale existent selon l’identité sexuelle des individus. Par contre, ils suggèrent aussi l’importance de considérer les différences sociodémographiques, celles-ci expliquant la majorité de ces différences. Ces résultats suggèrent l’importance de développer des programmes de santé mentale destinés aux populations des minorités sexuelles et de sensibiliser les intervenants de la santé aux vulnérabilités de ces populations.
Parties annexes
Bibliographie
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- Bolton, S. L. et Sareen, J. (2011). Sexual orientation and its relation to mental disorders and suicide attempts : Findings from a nationally representative sample. The Canadian Journal of Psychiatry, 56(1), 35-43.
- Brennan, D. J., Ross, L. E., Dobinson, C., Veldhuizen, S. et Steele, L. S. (2010). Men’s sexual orientation and health in Canada. Canadian Journal of Public Health/Revue canadienne de santé publique, 255-258.
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