Résumés
Résumé
Les psychothérapies structurées sont des traitements des troubles dépressifs ou anxieux recommandés par les guides de bonne pratique internationaux, dont l’efficacité et l’impact positif sur la santé et les coûts, ont été largement démontrés. Toutefois en France, malgré le lourd fardeau économique que ces troubles représentent, les psychothérapies effectuées avec un psychothérapeute non-médecin ne sont pas remboursées.
L’étude vise à évaluer les coûts et bénéfices qu’un programme de prise en charge partiel des psychothérapies permettrait pour les Français souffrant de troubles dépressifs ou anxieux.
Les données sont issues d’une enquête transversale portant sur 20 777 adultes en population générale. L’évaluation économique s’est inspirée de la méthodologie du programme anglais Improving Access for Psychological Therapies adaptée à la France. Le coût de la séance a été estimé à 41 EUR, le taux de remboursement à 60 % ; les coûts annuels induits par les troubles dépressifs à 4 702 EUR, par les troubles anxieux à 1 500 EUR ; et le taux de rémission attribuable aux psychothérapies à 30 % +/-10 %.
Résultats Pour le suivi moyen de 12,1 séances, le coût du suivi psychothérapeutique annuel s’élèverait à 308 millions EUR pour le régime obligatoire, pour traiter 2,3 % de la population. Le ratio coût-bénéfice de la psychothérapie s’élèverait, pour les troubles dépressifs à 1,95 EUR (1,30-2,60) et pour les troubles anxieux à 1,14 EUR (0,76-1,52).
Financer les psychothérapies s’avère être un investissement rentable à court et long terme, d’autant plus que l’impact sur la rémission des troubles somatiques n’a pas été évalué. Le nombre de psychothérapeutes nécessaires s’avère suffisant pour cette prise en charge.
Mots-clés :
- psychothérapies,
- analyse medico-économique,
- accès aux services de santé mentale,
- programme national de santé,
- économie de la santé,
- analyse coût-bénéfice utilisation des services de santé mentale,
- troubles dépressifs et anxieux,
- France
Abstract
Objectives Depressive or anxious disorders are a major source of social and economic burden. Many international good practice guidelines recommend structured psychotherapy for treating depressive or anxious disorders. The positive impact of psychotherapy on health, quality of life, productivity, and on the direct and indirect costs has been widely demonstrated. Nevertheless, the psychotherapies provided in private practice with a non-medical psychotherapist are not reimbursed to patients by French health cover systems.
This article aims (1) to assess the cost and benefit of providing a funding program for psychotherapies for the community for French adults suffering from severe or recurrent depressive or anxious disorders, and (2) to estimate the number of psychotherapists that this program would be needed.
Methods Data are based on the Enquête Indicateurs de santé mentale dans quatre régions françaises: a cross-sectional survey of a representative sample of 20,777 adults in the general population conducted in 2005. The questionnaires were administered by a telephone interview with the Composite International Diagnostic Interview – short form. A financial evaluation of covering the cost of psychotherapies was performed using the methodology of the British program Improving Access for Psychological Therapies adapted to the French context. The annual cost generated by depressive disorders was estimated at EUR4,702, cost generated by anxiety disorders at EUR1,500. The remission rate attributable to psychotherapies was assessed to be 30% ±10%. The number of sessions to be covered was defined according to clinical guidelines of the National Institute for Health and Clinical Excellence. The cost of a session was estimated at EUR41, the reimbursement rate by the compulsory health insurance system at 60%.
Results The yearly cost for the cover of psychotherapeutic care – for 12.1 sessions on average was M EUR 514 (M EUR 308 for the compulsory systems) to treat 1,033M individuals in France, or 2.3% of the population. In terms of the cost-benefit ratio, EUR1 invested in psychotherapeutic treatment could, save from EUR1.14 (0.76-1.52) to EUR1.95 (1.30-2.60) for anxious or depressive disorders respectively.
France has the 14,300 professionals qualified to provide the psychotherapies required to treat this population.
Conclusion A funding program for psychotherapies proves to be a cost-efficient investment for the community from the short term, for both direct (health costs) and indirect (productivity, quality of life) costs, that is further that the positive impact and costs of psychotherapy on somatic disorders were not taken into account.
With a view to providing appropriate care for patients, inter-professional collaboration among GPs and mental health professionals, and between clinical psychiatrists and psychologists, appears essential. These recommendations should be defined in national good practice guidelines.
Keywords:
- psychotherapy/economics,
- community mental health services/supply & distribution,
- national health programs,
- policy making,
- public health/economics,
- cost-benefit analysis,
- mental health services utilization,
- mental disorders,
- France
Corps de l’article
Contexte de l’étude
En France, l’ensemble des troubles diagnostiqués comme « de santé mentale » occupe le deuxième poste de dépenses de santé hors prévention (Fenina, Geffroy, Minc et al., 2006). Pour la population en âge de travailler, les coûts directs et indirects liés à la dépression s’élèvent à 14,5 milliards d’euros, ceux liés aux troubles anxieux à 5,4 milliards d’euros (Andlin-Sobocki, Jonsson, Wittchen, et al., 2005).
L’efficacité des psychothérapies a été largement démontrée sur la rémission des symptômes et sur la persistance des effets et la prévention des rechutes (Roth et Fonagy, 2005 ; INSERM, 2004 ; Lambert, 2013 ; Wampold, 2013 ; Biesheuvel-Leliefeld, Kok, Bockting, et al., 2015) et de nombreuses études médico-économiques ont démontré un impact positif du recours aux psychothérapies sur les consultations médicales, les hospitalisations, la consommation de médicaments, en réduisant la consommation de ces services et leurs coûts directs associés, ainsi que sur les coûts indirects, en particulier sur les arrêts de travail (deMaat, Philipszoon, Schoevers et al., 2007 ; Abass, Kisely, Rasic et al., 2015). Les études ont aussi montré que les psychothérapies contribuent à améliorer la qualité de vie des patients et de leur entourage (Hertenstein, Thiel, Herbst et al., 2013).
Appuyées sur ce type de données scientifiques, les psychothérapies structurées sont des traitements des troubles dépressifs ou anxieux qui sont recommandés par de nombreux guides de bonne pratique clinique internationaux et français (APA, 2010 ; GAC, 2007 ; NICE, 2005 ; NICE, 2009 ; NICE, 2011 ; HAS, 2001 ; HAS, 2002), ainsi que par de récents rapports français (HAS, 2014 ; INSERM, 2004 ; Clery-Melin, Pascal et Kovess, 2003 ; Briot, 2006 ; Couty, 2009).
Plusieurs pays industrialisés ont développé une politique de prise en charge partielle ou totale des psychothérapies pour les personnes souffrant de troubles dépressifs ou anxieux, parmi lesquels l’Angleterre, l’Australie, les Pays-Bas, la Finlande, la Suède, l’Autriche, l’Allemagne, et depuis janvier 2015 la Suisse. Le nombre de séances remboursées varie selon les pays et la symptomatologie psychique et son degré de sévérité, allant généralement de 6 à 40 séances (Dezetter, Briffault, Ben Lakhdar et al., 2013).
Malgré ces recommandations, en France, les psychothérapies effectuées en libéral avec un psychothérapeute non-médecin ne sont remboursées ni par le régime obligatoire de santé, ni par les régimes complémentaires à l’exception de très rares contrats d’assurance. Notons que le régime obligatoire couvre l’ensemble de la population dont les soins (consultations, médicaments) sont généralement couverts à hauteur de 60 % à 70 %. Plus de 90 % des Français sont couverts par un régime complémentaire de santé, qui rembourse généralement le reste à charge du patient. (Dezetter, Briffault, Bruffaerts et al., 2013 ; Dezetter, Briffault, Ben Lakhdar et al., 2013).
Ceci engendre une situation paradoxale incitant les patients à avoir recours aux psychiatres, auprès desquels les séances sont au moins partiellement remboursées, mais qui sont les professionnels les plus coûteux pour la société et aussi les plus rares, tout en encourageant la médicalisation des soins (Kovess-Masféty, Saragoussi, Sevilla-Dedieu et al., 2007). Malgré le fait que les psychothérapies soient un traitement préféré aux traitements psychotropes (Kovess-Masféty, Saragoussi, Sevilla-Dedieu et al., 2007), la balance entre les traitements psychothérapeutiques et pharmacologiques reste fortement déséquilibrée en faveur de ces derniers (Briffault, Morvan, Rouillon et al., 2008), la France demeurant un pays très consommateur de médicaments pour des problèmes de santé mentale (Briot, 2006).
La conjonction du lourd fardeau économique que les troubles dépressifs ou anxieux représentent, de l’existence d’approches psychothérapeutiques structurées à l’efficacité démontrée, et l’intérêt accordé par les autorités sanitaires nationales et internationales à la prise en charge psychothérapeutique, incitent aujourd’hui à repenser la question du remboursement des psychothérapies en France.
Objectifs
Il s’agira (1) d’estimer les coûts et bénéfices qu’un programme de prise en charge des psychothérapies présenterait pour la collectivité, pour les adultes français souffrant de troubles dépressifs ou anxieux, sévères ou récurrents, et (2) d’estimer le nombre de psychothérapeutes nécessaires à cette prise en charge.
Méthode
Enquête, échantillon, données collectées
Les données sont issues de l’Enquête Indicateurs de santé mentale dans quatre régions françaises 2005, qui est une enquête transversale réalisée par téléphone, auprès d’un échantillon aléatoire dans quatre régions françaises (Île-de-France, Haute-Normandie, Lorraine et Rhône-Alpes). Les données ont été recueillies auprès de 20 777 personnes avec un taux de réponse de 62,70 %. Le redressement de l’échantillon a porté sur les variables : genre, âge, catégorie professionnelle, catégorie de commune et département pour chacune des quatre régions.
Troubles de santé mentale
Le Composite International Diagnostic Interview Short-Form (CIDI-SF) a été utilisé pour collecter les informations sur les troubles de santé mentale selon les critères du DSM-IV (APA, 1994). Dans cet article, les troubles dépressifs et anxieux incluent : l’épisode dépressif majeur (EDM), le trouble d’anxiété généralisée (TAG), la phobie spécifique, la phobie sociale, les troubles panique, avec ou sans agoraphobie, le trouble obsessionnel compulsif, et l’état de stress post-traumatique.
Le Sheehan Disability Scale (SDS) a permis de déterminer, sur une échelle de 0 (absence de retentissement) à 10, le retentissement fonctionnel que les troubles psychiques peuvent engendrer dans quatre domaines de la vie quotidienne du souffrant (les tâches ménagères, la capacité de travail, la capacité à établir ou maintenir des relations proches avec les autres, la vie sociale) (Leon, Olfson, Portera et al., 1997).
Définition des seuils diagnostiques de sévérité et de chronicité des troubles
Dans le cadre d’une prise en charge financière des psychothérapies, il s’agit de proposer un traitement qui s’adresse aux personnes souffrant d’une gêne importante due à leurs troubles de santé mentale, et d’écarter de la prise en charge les personnes souffrant de troubles passagers – dont la rémission naturelle surviendrait quelques semaines après le diagnostic – et/ou souffrant de troubles n’entraînant pas de gêne manifeste dans leur vie quotidienne. En l’occurrence, ont été considérées comme éligibles à une prise en charge psychothérapique les personnes souffrant d’un EDM pendant au moins 6 mois avec un score ≥ 4 sur le SDS (soit un retentissement modéré à sévère), ou souffrant d’un TAG avec un score ≥ 4, ou souffrant d’un autre trouble anxieux avec un score ≥ 7 (soit un retentissement sévère). Trois niveaux de sévérité des troubles ont été définis selon le nombre de domaines de la vie quotidienne du SDS sur lequel le trouble psychique a un retentissement : (1) léger : un seul domaine ; (2) modéré : deux domaines ; (3) sévère : trois ou quatre domaines.
Recours aux soins pour un problème de santé mentale
La question du recours à un professionnel de santé pour un problème de santé mentale, au cours de l’année précédant l’entretien, a été posée à l’ensemble des enquêtes dans deux sections du questionnaire : à la fin de chaque section diagnostique et dans la section consommation de services (n = 6 950). La question du recours aux psychothérapies a été posée dans la section consommation de services (n = 479).
Estimation de l’intensité de la psychothérapie
L’estimation du nombre de séances nécessaires, selon la symptomatologie et le degré de sévérité du trouble psychique a été basée sur les recommandations de bonne pratique clinique du NICE (NICE, 2005 ; NICE, 2009 ; NICE, 2011 ; Glover, Webb et Evison, 2010).
Estimation de la proportion de la population à soigner
L’estimation de la proportion de patients à soigner annuellement, s’est inspirée de la méthodologie du Programme IAPT (Layard, Clark, Knapp et al., 2006 ; Layard,Clark, Knapp et al., 2007) qui a intégré les facteurs et hypothèses suivants : (1) Le taux de personnes consultant, pour et avec un problème de santé mentale, un professionnel de santé, (a) appuyé sur l’hypothèse selon laquelle l’ensemble des personnes souffrant de troubles dépressifs ou anxieux ne consultera pas pour ces problèmes, (b) ajouté au fait qu’un premier accès au système de soin favorisera l’accès aux psychothérapies (Glover, Webb et Evison, 2010). (2) Le taux de patients qui accepteraient ou refuseraient la psychothérapie. (3) Enfin l’hypothèse d’un recours aux psychothérapies plus élevé dans le cadre de la mise en place d’un programme de santé publique (Layard, Clark, Knapp et al., 2006 ; Layard, Clark, Knapp et al., 2007).
À partir de ces indicateurs, le Programme IAPT a estimé que 30 % des patients consultant un professionnel de santé, avec et pour un trouble dépressif ou anxieux, accéderaient à et accepteraient la psychothérapie. Cette méthodologie a été choisie après avoir vérifié que les prévalences des troubles dépressifs et anxieux, de la consommation de médicaments psychotropes et de psychothérapie entre l’Angleterre et la France étaient similaires.
La population de référence
La population de référence concerne les personnes âgées de 18 à 75 ans vivant en France métropolitaine ou dans un département d’outre-mer.
Coût de la séance et taux de remboursement
Le coût de la séance de psychothérapie a été estimé à 41 EUR qui est le coût d’une consultation avec un psychiatre conventionné de secteur 1 (CNAM-TS 2015) et qui est cohérent avec la somme déclarée pour une séance de psychothérapie auprès d’un psychiatre (40,70 EUR) ou d’un psychologue (40,30 EUR) (Dezetter, Briffault, Ben Lakhdar et al., 2013). Le taux de remboursement d’une séance de psychothérapie se base sur celui d’une consultation avec un auxiliaire médical, soit 60 % pour le régime obligatoire, 40 % pour le régime complémentaire ou reste à charge de l’usager (CNAM-TS, 2015).
Coûts induits par les troubles dépressifs et anxieux
Les coûts induits par les troubles dépressifs ou anxieux sont issus des données de Andlin-Sobock, Jonsson, Wittchen et al. (2005). Les auteurs ont estimé le coût global annuel, par patient français, induit par l’EDM à 4 702 EUR et celui induit par l’ensemble des troubles anxieux à 1 500 EUR.
Concernant l’EDM, les coûts directs associés aux consultations médicales et aux hospitalisations représentent 26 % de ce coût global, ceux associés aux médicaments à 9 %. Les coûts indirects associés aux arrêts de travail et aux retraites anticipées sont estimés à 61 % et ceux associés à la mortalité prématurée à 4 % (Sobocki, Ekman, Agren et al., 2006). La répartition par poste de dépenses varie selon la pathologie anxieuse (Sobocki, Ekman, Agren et al., 2006) qui a été basée sur celle du TAG (coûts directs : 33 %, coûts indirects : 67 %). Ce choix a été motivé par les raisons suivantes : d’une part les prévalences des symptomatologies anxieuses autres que le TAG non comorbide sont faibles ; d’autre part, les analyses économiques sur les coûts induits par poste de dépenses, concernant les symptomatologies anxieuses autres que le TAG, chez les patientèles comparables à celle de la présente étude, sont quasiment inexistantes, ou sont elles aussi regroupées en une seule catégorie symptomatologique.
Taux de rémission attribuable aux psychothérapies
L’évaluation du taux de rémission attribuable aux psychothérapies pour les symptomatologies dépressives ou anxieuses se base sur une importante revue de littérature incluant des revues de méta-analyses, méta-analyses d’ECR, ECR et enfin des études prospectives (Dezetter, Briffault, Ben Lakhar et al., 2013). Le groupe contrôle devait être une absence de traitement ou un traitement habituel. On considère comme une rémission le fait que le patient n’est plus diagnostiqué comme souffrant d’un trouble modéré ou sévère. L’évaluation du suivi varie selon les études, variant du post-traitement à 24 mois. Au final, le taux de rémission inclut les critères suivants : (1) Taux de rémission, moins (2) taux de rechute, moins (3) taux de rémission naturelle, hors (4) taux de rechute chez les patients ayant présenté une rémission naturelle.
En compilant ces données, le bénéfice attribuable aux psychothérapies est estimé à 30 % de rémissions supplémentaires avec une sensibilité variant de - à + 10 %.
Analyses statistiques
Les taux de consultations sont exprimés en nombre absolu et en pourcentage pondérés avec un intervalle de confiance à 95 %. La signification statistique a été testée en utilisant le test du Chi2, le seuil de probabilité a été fixé à 5 %. Les analyses ont été effectuées avec le logiciel Stata/IC 11.1.
Analyses économiques
Les coûts évitables par les psychothérapies correspondent aux coûts induits par les troubles hors coûts de non-rémission attribuable aux psychothérapies et hors coûts investis dans la psychothérapie. Le ratio coût-bénéfice du suivi de la psychothérapie a été évalué selon la formule : coûts épargnés par la psychothérapie/coûts investis dans la psychothérapie.
Ces éléments méthodologiques sont regroupés dans le modèle présenté dans le Tableau 2.
La méthode est présentée en détail dans l’article de Dezetter, Briffault, Ben Lakhdar et al. (2013).
Résultats
Estimation du nombre de patients à traiter
Parmi les répondants âgés de 18 à 75 ans, 31,61 % (IC = 30, 87-32,35) ont eu recours, au cours des 12 derniers mois, à un professionnel de santé, pour des raisons de santé mentale, qu’ils soient ou non diagnostiqués comme souffrant de troubles de santé mentale.
Parmi ces 31,61 % de patients consultant pour un problème de santé mentale, 24,0 % (IC = 22, 82-25,21) souffrent d’un trouble dépressif ou anxieux récurrent ou sévère. Parmi eux, 5,7 % souffrent d’un EDM pur, 2,6 % d’une comorbidité EDM et TAG, 4,8 % d’un TAG pur et 10,9 % d’un autre trouble anxieux. Les prévalences varient selon le niveau de retentissement de chaque symptomatologie. Extrapolé à l’ensemble de la population, 7,59 % de Français consultent un professionnel de santé avec et pour un trouble dépressif ou anxieux récurrent ou sévère.
En estimant que 30 % de ces 7,59 % des patients consultant avec et pour un trouble dépressif ou anxieux accepteraient et accéderaient aux psychothérapies, on estime au final que 2,28 % de la population française de 18 à 75 ans bénéficieraient de la prise en charge psychothérapeutique, soit 1 032 677 Français.
Évaluation du nombre de séances par patient
À partir des recommandations du NICE, en moyenne 12,1 séances seraient suivies par patient : 17,6 séances pour ceux souffrant d’EDM et 9,6 séances pour ceux souffrant de troubles anxieux.
Estimation des coûts du suivi psychothérapeutique
Le coût total annuel moyen d’une psychothérapie (à 41 EUR la séance) s’élèverait à 498 EUR par patient (723 EUR pour les EDM, 395 EUR pour les troubles anxieux). En adoptant l’hypothèse d’un remboursement par le régime obligatoire de 60 %, le coût de la psychothérapie pour le régime obligatoire s’élèverait à 299 EUR (434 EUR pour les EDM, 237 EUR pour les troubles anxieux). Le coût restant à la charge du régime complémentaire et/ou du patient serait de 199 EUR (289 EUR pour les EDM, 158 EUR pour les troubles anxieux).
Pour traiter les 1,033 million de Français, le coût annuel du suivi des psychothérapies s’élèverait à 514 millions d’euros (178 M EUR pour les EDM, 336 M EUR pour les troubles anxieux), dont 60 % pour le régime obligatoire soit 308 M EUR.
Estimation des coûts évitables et des coûts-bénéfices des psychothérapies
Pour évaluer les coûts évitables et les coûts-bénéfices pour la société des psychothérapies, la démarche utilisée est la suivante : (1) nous utilisons l’évaluation des coûts induits par les troubles de santé mentale en France réalisée par Andlin-Sobock, Jonsson, Wittchen et al. (2005) soit 4 702 EUR pour l’EDM pur ou comorbide et 1 500 EUR pour les troubles anxieux sans comorbidité avec un EDM ;(2) ces coûts sont répartis selon les postes de dépenses estimés par les études de Andlin-Sobock, Jonsson, Wittchen et al. (2005) et Sobocki, Ekman, Agren et al. (2006). (3) les coûts totaux de prise en charge par la psychothérapie sont estimés par notre étude à 723 EUR pour les EDM (dont EDM comorbide aux troubles anxieux) et à 395 EUR pour les troubles anxieux sans comorbidité avec un EDM. (4) le taux de rémission attribuable à la psychothérapie est estimé à 30 % +/-10 %. (5) Les coûts évitables par la psychothérapie pour la population à traiter, par symptomatologie, ont été estimés pour l’EDM à 1 411 EUR (selon l’analyse de sensibilité entre 640 EUR et 1 881 EUR) et pour les troubles anxieux à 450 EUR (selon l’analyse de sensibilité entre 300 EUR et 600 EUR).
Ces données permettent d’estimer le bénéfice médico-économique pour la collectivité, en termes de ratio coût-bénéfice de la psychothérapie par an et par patient : pour les patients souffrant d’EDM, 1 EUR dépensé dans la totalité du suivi psychothérapeutique permettrait d’épargner 1,95 EUR des coûts directs et indirects induits par ce trouble (de 1,30 EUR à 2,60 EUR selon l’analyse de sensibilité). Concernant les troubles anxieux, le ratio coût-bénéfice de la psychothérapie est estimé à 1,14 EUR (selon l’analyse de sensibilité de 0,76 EUR à 2,60 EUR).
Effectif des psychothérapeutes nécessaires à la prise en charge thérapeutique
En s’appuyant sur deux études (Samacher 2005 ; Sarnin 2011), on peut estimer le nombre de psychologues cliniciens qui seraient disponibles, en équivalent temps plein, selon le domaine à 5 000 en libéral ; 3 000 en hôpital psychiatrique ; 2 800 en demande d’emploi ; 2 000 en équivalent temps plein dont le métier de psychologue est à temps partiel ; et parmi les 3 870 psychologues cliniciens qui exercent un autre métier, on fait l’hypothèse que 20 % d’entre eux pourraient accepter un emploi adapté à leur formation, soit 770 professionnels. Selon ces estimations, au total 13 570 psychologues cliniciens seraient disponibles. Sur les 2 000 psychanalystes pouvant légalement user du titre de psychothérapeute, on estime à au moins un tiers de professionnels qui seraient disponibles, soit environ 700 psychanalystes. Au final, en équivalent temps plein, 14 270 psychothérapeutes habilités (psychologues cliniciens ou psychanalystes) seraient disponibles pour une prise en charge psychothérapeutique par an.
Les études de Layard estiment qu’un thérapeute peut traiter 80 patients par an sur une base de 11 séances par psychothérapie (Layard, Clark, Knapp et al., 2006 ; Layard, Clark, Knapp et al., 2007). Ainsi, pour une psychothérapie de 12,14 séances – estimation de la présente étude – 72,5 patients pourraient être traités par psychothérapeute par an. En conséquence, pour prendre en charge 1 033 M de Français, 14 244 psychothérapeutes en équivalent temps plein par an seraient nécessaires.
En conclusion, l’offre de professionnels de santé mentale disponible en France, en particulier celles des psychologues, se révèle suffisante pour prendre en charge les patients pouvant bénéficier d’un traitement psychothérapeutique.
Discussion
Limites
Les prévalences des troubles de santé mentale courants et de leurs niveaux de chronicité et de sévérité ont été extrapolées à partir des données de l’Enquête Indicateurs 4 régions (2005) comptant 20 777 adultes. Il serait nécessaire de répliquer et de comparer ces résultats avec une autre enquête d’envergure française, telle que le Baromètre Santé de l’Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé.
Le coût de la séance envisagé est le même, quel que soit la méthode psychothérapeutique, la durée de la séance ou le professionnel impliqué. À l’instar du programme IAPT, il pourrait être envisagé deux types de psychothérapie, adaptés aux symptomatologies de la patientèle, ayant des coûts de séances sensiblement différents (qui varie de 20 % pour le programme IAPT : des psychothérapies de basse intensité avec des conseillers psychologiques (« counselor ») pour les troubles les plus légers, et haute intensité avec des psychothérapeutes confirmés pour les troubles plus sévères (Layard, Clark, Knapp et al., 2006 ; Layard, Clark, Knapp et al., 2007). Dans ce cas, deux types de formation seraient à envisager.
Les coûts restant à charge des régimes complémentaires ou des usagers n’ont pas été détaillés, du fait des nombreux modèles économiques qui pouvaient être envisagés. En effet, les taux de remboursement des soins varient à la fois entre les mutuelles ou assurances santé couvrant plus de 90 % de la population et selon les forfaits proposés. L’analyse n’a pas pris en compte la proportion de personnes bénéficiant d’une prise en charge financière totale dans le secteur public (centres hospitaliers, centres médico-psychologiques), tel que pour celles présentant une affection de longue durée.
Les seuils de sévérité et chronicité des troubles pourraient être abaissés, afin de prendre en charge des personnes dont le retentissement sur la vie quotidienne est moins important, ou dont la durée de l’EDM est inférieure à six mois. On peut émettre l’hypothèse qu’en fonction des situations, une psychothérapie peut être proposée à des patients souffrant de chronicité ou de retentissement inférieurs à ceux estimés dans cette étude, cela avec l’accord du médecin-conseil du régime obligatoire de santé.
Concernant les limites méthodologiques relatives à l’évaluation du bénéfice attribuable aux psychothérapies, les résultats issus de la revue de littérature présentent les limites méthodologiques intrinsèques aux méta-analyses (étendue de la période des études, groupe de patients hétérogènes, pondérations variables selon la taille de l’échantillon) (Cuijpers, Andersson, Donker et al., 2011), dont les résultats varient selon la sélection des ECR. Les scores d’efficacité clinique des ECR varient selon la symptomatologie, l’échelle diagnostique utilisée, la méthode thérapeutique employée (Ioannidis, 2008) et le moment auquel ont été évaluées les rémissions ou les rechutes. Les ECR inclus dans notre revue de littérature ont généralement étudié les bénéfices du traitement chez les moins de 65 ans, alors que notre estimation intègre aussi les personnes âgées de 65 à 75 ans, ce qui réduit sensiblement les bénéfices en termes de productivité. L’étude ne distingue pas la part relative ou les effets conjoints que pourraient représenter les prises en charge pharmacothérapiques et psychothérapeutiques combinées sur les taux de rémission des différents troubles.
Le bénéfice attribuable aux psychothérapies a été estimé pour l’ensemble des troubles dépressifs et anxieux, sans distinction entre les différentes pathologies en raison du fait que rares sont les études qui distinguent les différentes symptomatologies, et que les données portant sur les différentes symptomatologies anxieuses sont rares. Pour pallier ces limites, l’analyse de sensibilité devait permettre d’inclure ces différentes variabilités.
Une estimation de l’offre de psychologues et de psychanalystes qui seraient disponibles devrait être plus approfondie, en intégrant les professionnels qui quittent la profession et ceux qui arrivent sur le marché de l’emploi (estimés à 3 700 psychologues par Sarnin [2011]).
Malgré ces limites, l’étude suggère qu’une participation financière dans la prise en charge des psychothérapies s’avérerait être un investissement rentable pour la collectivité à court et long terme. Cela d’autant plus que les bénéfices médico-économiques des psychothérapies ont été estimés au plus bas. En effet, (a) les coûts induits par les troubles dépressifs ou anxieux ont été minimisés, car ils ont été basés sur les coûts induits incluant aussi les troubles légers alors que le coût des psychothérapies concerne les troubles dépressifs ou anxieux sévères ou récurrents. Ainsi, pour l’EDM, les coûts induits par les troubles modérés ou sévères peuvent être augmentés de 12,6 % par rapport à l’ensemble des EDM (Sobocki, Ekman, Agren et al. 2006) et les coûts associés aux troubles comorbides peuvent être majorés de 60 % par rapport à un trouble non comorbide (Andlin-Sobock, Jonsson, Wittchen et al., 2005). (b) De plus, deux types de coûts évitables par la psychothérapie n’ont pas été intégrés : les coûts collatéraux induits par les troubles somatiques interagissant avec les troubles psychiques, tels que les maladies cardio-vasculaires, les troubles musculo-squelettiques, le diabète qui sont des fardeaux économiques très lourds (Prince, Patel, Saxena et al., 2007) et les coûts intangibles tels que ceux associés aux conséquences sur l’entourage du souffrant (Wang, Simon et Kessler, 2005). Les données sur la répartition par poste montrent que la majorité (61 %) des coûts induits par les EDM sont associés aux arrêts de travail et retraites anticipées. Ainsi pour cette patientèle, le bénéfice de la prise en charge financière des psychothérapies présente un intérêt particulier pour les employeurs, qui sont, par ailleurs, les principaux financeurs de la branche maladie de la sécurité sociale (Direction de la Sécurité sociale, 2011) via la baisse de l’absentéisme et de la perte de productivité.
L’offre de psychothérapeutes – psychologues cliniciens et psychanalystes, estimés à 14 270 en équivalent temps plein, serait suffisante pour prendre en charge ces 1 033 millions de patients à traiter. Une étude plus approfondie mériterait d’être menée pour estimer le contingent de psychothérapeutes nécessaires pour traiter les patients souffrant de troubles de santé mentale courants au-dessous du seuil diagnostique envisagé ou souffrant d’autres pathologies psychiques.
Enfin, une étude plus approfondie serait nécessaire pour détailler les coûts et bénéfices de la prise en charge des psychothérapies par et pour les différents acteurs concernés par ce financement (régimes de santé obligatoire et complémentaire, pour les usagers et les employeurs) et ses retombées (en termes de coûts directs et indirects), ainsi que le reste à charge supportable par le patient.
Conclusions
En plus de permettre aux régimes de santé et à la société d’épargner des coûts de santé et de morbidité, d’accroître la qualité de vie du souffrant et de son entourage, une participation financière à la prise en charge des psychothérapies permettrait de contribuer à réduire les inégalités sociales de santé en permettant l’accès aux psychothérapies à des personnes jusqu’alors empêchées par la barrière économique.
Promouvoir l’accès aux psychothérapies structurées permettrait de diminuer rapidement le recours aux seuls traitements pharmacologiques, et d’améliorer l’adéquation des soins chez les personnes souffrant de troubles dépressifs ou anxieux.
Rembourser les séances auprès des psychothérapeutes non-médecin permettrait également d’améliorer l’allocation des ressources de professionnels de santé mentale, en particulier en désengorgeant la file active des psychiatres, leur permettant de se recentrer sur leur coeur de métier, les troubles psychiatriques.
Afin de permettre une prise en charge psychothérapeutique adéquate des patients, la mise en place de dispositifs de coordination, de collaboration et d’échanges interprofessionnels intégrant a minima médecins généralistes, professionnels de santé mentale, psychiatres et psychothérapeutes sera enfin nécessaire.
Parties annexes
Annexe
Annexe 1
Recours aux professionnels pour un problème de santé mentale
Questions posées dans la section « diagnostic »
« Avez-vous parlé à un médecin de ces problèmes de tristesse ? »
« S’agissait-il d’un (réponse à choix multiple) : médecin généraliste ; psychiatre ; un autre médecin »
« Et en avez-vous parlé à (réponse à choix multiple) : un psychologue ; un psychothérapeute qui n’était ni un médecin ni un psychologue ; une assistante sociale ou une infirmière ou un autre intervenant »
Questions posées dans la section « consommation de services »
« Je vais vous citer un certain nombre de professionnels de quelque nature que ce soit, médecin ou non-médecin. Dites-moi, si au cours des 12 derniers mois, vous êtes-vous adressé à l’un d’entre eux, pour des problèmes psychologiques ou psychiatriques ou encore des problèmes de consommation d’alcool et de drogue ? » (réponses à choix multiple) : un médecin généraliste ; un psychiatre ; un médecin spécialiste non-psychiatre pour des problèmes psychologiques ou psychiatriques ou encore des problèmes de consommation d’alcool et de drogue ; un psychologue ; un psychanalyste ; un psychothérapeute qui n’était ni un psychiatre, ni un psychologue, ni un psychanalyste ; un travailleur social pour des problèmes psychologiques ou psychiatriques ou encore des problèmes de consommation d’alcool et de drogue ; une infirmière pour des problèmes psychologiques ou psychiatriques ou encore des problèmes de consommation d’alcool et de drogue ; un spécialiste des médecins douces qui n’est pas un médecin pour des problèmes psychologiques ou psychiatriques ou encore des problèmes de consommation d’alcool et de drogue ; un prêtre, un pasteur ou un autre officier du culte pour des problèmes psychologiques ou psychiatriques ou encore des problèmes de consommation d’alcool et de drogue »
Recours aux psychothérapies
« Au cours de votre vie, avez-vous déjà suivi une psychothérapie pour des problèmes psychologiques ou psychiatriques ou des problèmes de drogues ou d’alcool ? »
« Avez-vous suivi une séance de psychothérapie au cours des 12 derniers mois ? »
Remerciements
La recherche a reçu le soutien financier de la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts).
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