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La santé mentale jeunesse (SMJ) est un champ en émergence sur le plan mondial. L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) rappelle que plus de 50 % des problèmes de santé mentale chez les adultes se manifestent avant l’âge de 14 ans et souligne l’importance de la prévention et de la promotion précoces, tout en mettant en garde contre la médicalisation abusive (WHO, 2012). Si l’importance grandissante de la santé mentale des jeunes fait consensus, de multiples questionnements émergent cependant quant aux spécificités de ce domaine et au fait qu’il ne peut pas être conçu comme une extension des services adultes pour des groupes plus jeunes. Au Québec, la réforme proposée par le Plan d’action en santé mentale (PASM) invite à se pencher sur ces questions et à saisir leurs implications pour mieux penser la planification des services pour les jeunes.

Un premier groupe de questions concerne la définition du champ de la SMJ et en particulier le statut des troubles du développement. Un deuxième s’adresse à l’établissement éventuel de priorités sur le plan de certains groupes d’âge dans le champ de la promotion-prévention et de l’intervention. Un troisième groupe d’interrogations aborde la durée et le type d’intervention à privilégier. Enfin, un dernier ensemble de questions entoure les enjeux qui se posent sur le plan de l’organisation des services et la prise en compte des spécificités populationnelles dans celle-ci.

Cet article aborde ces questionnements dans le contexte du PASM au Québec en croisant deux types de savoirs : ceux qui proviennent de la documentation générale et ceux qui proviennent des savoirs d’expérience des professionnels en santé mentale de la première ligne au Québec (Pontbriand, Rousseau, Nadeau et Johnson-Lafleur, soumis) et des usagers (Nadeau, Johnson-Lafleur, Jaimes, Rousseau et Pluye, soumis).

1. Cerner le champ de la santé mentale jeunesse

Mondialement, les problèmes de santé mentale des jeunes représentent le plus grand fardeau en santé pour ce groupe d’âge (Patel, Flisher, Hetrick et McGorry, 2007). La prévalence de ces problèmes est souvent estimée à environ 20 % (Brauner et Stephen, 2006 ; Kessler et al., 2005 ; Lesage et Émond, 2012). Ces troubles comprennent les problèmes intériorisés comme l’anxiété, le plus fréquent (Franz et al., 2013), et la dépression, les problèmes extériorisés qui incluent les troubles d’attention avec hyperactivité (TDAH), les troubles oppositionnels et de conduite, et d’autres troubles moins fréquents mais plus sévères comme la psychose. L’Enquête québécoise sur la santé des jeunes du secondaire (Institut de la statistique du Québec, 2013) révèle que 28 % des filles et 14 % des garçons rapportent un niveau élevé de détresse psychologique. Des symptômes d’anxiété, de dépression et de troubles alimentaires affectent 15 % des filles et 9 % des garçons. Ces derniers rapportent cependant plus souvent un TDAH diagnostiqué (16 %) que les filles (9 %). Les comportements agressifs sont fréquents (38 % des jeunes), de même que la violence au sein des relations amoureuses (25 %). L’ensemble de ces problèmes est associé significativement au décrochage scolaire.

Apparemment simple, la définition du domaine de la SMJ devient complexe lorsqu’elle est opérationnalisée en termes de services. Ainsi, pour l’OMS (WHO, 2012), les troubles de développement, qu’ils appartiennent au spectre de l’autisme ou à la déficience intellectuelle, sont un des défis majeurs de la SMJ à cause de leur prévalence croissante (Baird et al., 2006) et de la fréquence des comorbidités qui augmentent considérablement la complexité des suivis (Simonoff et al., 2008 ; Totsika, Hastings, Emerson, Lancaster et Berridge, 2011). Or, pour l’instant au Québec, même si la pédopsychiatrie participe à poser le diagnostic d’autisme, les services à cette clientèle ne sont pas considérés comme faisant partie de la SMJ, ce qui crée un vide relatif et des difficultés d’arrimage entre les services de réhabilitation et ceux qui ciblent les dimensions émotionnelle et comportementale de ces troubles. De même, les troubles extériorisés sont dans l’ensemble pris en charge en première ligne par les équipes Jeunes en difficulté (JED) des centres de santé et de services sociaux (CSSS), en partenariat avec les services de deuxième ligne des centres jeunesse qui ciblent les troubles de comportement. Pour beaucoup de jeunes cependant, troubles extériorisés et intériorisés coexistent (Dougherty et al., 2013), et la division entre les équipes de soins en fonction des caractéristiques majeures de la symptomatologie s’avère souvent insatisfaisante, quand elle ne devient pas une forme subtile d’exclusion de clientèles multiproblèmes vivant une précarité psychosociale extrême, devant lesquelles les services peuvent se sentir impuissants. Enfin, l’arrimage entre la SMJ et les équipes qui s’occupent de la petite enfance et détectent les problèmes précoces d’attachement et de sous-stimulation, dont les conséquences sont bien documentées, laisse encore à désirer.

La définition du champ de la SMJ interroge donc directement l’organisation des services pour les jeunes au Québec. Il importe de se demander dans quelle mesure la multiplicité des équipes jeunesse, organisées autour de mandats différents, favorise le développement d’expertises ciblées et complémentaires ou/et devient une source de fragmentation qui réduit l’accessibilité des services et contribue à un travail en silo peu favorable à une prise en charge écosystémique (Pontbriand et al., soumis ; Rousseau, Ammara, Baillargeon, Lenoir et Roy, 2007). Si certaines équipes SMJ ont développé des modalités organisationnelles qui permettent un réel travail de collaboration interéquipe, d’autres, en raison de lourdeurs administratives (par exemple de pressions associées au besoin de fermer des dossiers ou de cloisonnements liés à l’organigramme) ou de réticences cliniques, perpétuent encore un modèle de prestation de services en parallèle ou encore séquentiel. Cet état des choses pose des enjeux importants en termes de continuité des services offerts aux jeunes et aux familles, ce que soulignent plusieurs intervenants rencontrés dans le cadre d’une recherche évaluative sur les effets du PASM pour les jeunes dans la région montréalaise. Ces cliniciens souhaitent que l’organisation des services jeunesse favorise une meilleure fluidité entre les différents acteurs impliqués et, autant que faire se peut, évite une association linéaire entre les services et des catégories uniquement diagnostiques qui ne tiennent compte ni des enjeux familiaux et environnementaux ni du handicap associé aux symptômes (Pontbriand et al., soumis).

2. Repenser les liens entre l’attribution des ressources et les stades de développement de l’enfant

Plusieurs grandes priorités établies en SMJ concernent des groupes d’âge spécifiques. Ainsi, il existe un consensus autour de l’importance de la prévention précoce (pour les zéro à cinq ans) et de la promotion d’un environnement favorable au développement cognitif et émotionnel des jeunes enfants (McGoron et al., 2012). De même, on reconnaît de plus en plus le fait que les adolescents constituent un groupe relativement difficile à rejoindre qui doit être priorisé, sachant que cette période du cycle de vie est celle durant laquelle beaucoup de troubles de santé mentale se manifestent pour la première fois (Merikangas et al., 2010).

En ce qui concerne l’intervention précoce auprès des enfants de zéro à cinq ans, elle appartient pour le moment beaucoup plus au domaine de la santé publique qu’à celui de la SMJ ce qui a l’avantage de promouvoir des perspectives populationnelles et intersectorielles. La documentation souligne l’importance de la compétence parentale et les effets délétères des mauvais traitements et des carences chez le jeune enfant (Jonson-Reid et al., 2010 ; Rutter, Kumsta, Schlotz et Sonuga-Barke, 2012). Ainsi, dans le cadre d’une vaste étude prospective, Jacka et collègues (2013) ont démontré que l’alimentation durant la grossesse et les premières années de vie influençait significativement (et indépendamment) l’apparition de troubles émotionnels et de comportements à l’âge de cinq ans.

Au Québec, les programmes SIPPE et OLO soutiennent des femmes identifiées comme étant vulnérables durant la période périnatale. Les critères de vulnérabilité sont cependant établis à partir de la population québécoise dans son ensemble et ne représentent pas nécessairement adéquatement les profils de risque de communautés vulnérables spécifiques, par exemple les communautés issues de l’immigration (Hassan, 2013).

Les services aux adolescents et jeunes adultes, quant à eux, posent la question de la transition entre les services pour les jeunes et ceux qui s’adressent aux adultes. Ces transitions, qui concernent aussi les soins physiques, sont des processus complexes qui idéalement devraient permettre un passage en douceur, sans interruption de services, vers des soins adultes qui tiendraient compte des enjeux développementaux pour cette population (Hamdani, Jetha et Norman, 2011 ; Pediatrics, 2002). Certaines initiatives, en particulier le projet Headspace en Australie (McGorry et al., 2007), proposent des services faciles d’accès aux jeunes de 11 à 25 ans qui favorisent un continuum de soins entre les difficultés normales inhérentes au développement et les problèmes sévères et persistants. Ces programmes visent à éliminer la barrière plus ou moins artificielle de la majorité qui ne correspond pas à une césure développementale.

Or, si la prise en compte des particularités de certains groupes d’âge est essentielle dans la planification des services, elle peut aussi multiplier les sources de fragmentation qu’elle vise à limiter en créant de nouveaux seuils. De plus, l’équilibre entre les ressources dédiées à la prévention-promotion et celles attribuées à l’intervention est difficile à établir sans une solide concertation entre les secteurs de la santé publique et de la santé mentale. À cause des sentiments d’urgence et de crise générés par la pénurie relative de services, les investissements pourtant essentiels dans le domaine de la prévention passent souvent au second plan (Pontbriand et al., soumis).

3. Quand et comment intervenir ?

Un certain nombre d’interventions en SMJ sont reconnues comme efficaces et ont fait l’objet d’évaluations (Miller, Wampold et Varhely, 2008). Ces interventions répondent le plus souvent à des problèmes spécifiques de santé mentale (catégories diagnostiques) et ont en général été étudiées dans des contextes contrôlés en milieux spécialisés (hospitaliers), en excluant souvent les cas de comorbidités. Parmi ces interventions, on retrouve les thérapies psychologiques recommandées pour le traitement de la dépression, de l’anxiété et du trauma. Dans le cas de la dépression, la thérapie cognitivo-comportementale (TCC), la plus largement étudiée, est reconnue comme efficace (Weersing, Iyengar, Kolko, Birmaher et Brent, 2006 ; Weisz, McCarty et Valeri, 2006) et la thérapie interpersonnelle (TIP) est considérée comme efficace chez les adolescents (David-Ferdon et Kaslow, 2008 ; Mufson et Sills, 2006). Dans le champ de l’anxiété, la TCC a aussi été assez largement étudiée et est recommandée pour l’anxiété généralisée et sociale, les phobies simples, le syndrome de stress post-traumatique et le trouble obsessif-compulsif (Action AACAP Official, 2007 ; Silverman et al., 2008). Des données probantes appuient maintenant aussi la thérapie psychodynamique pour les troubles émotionnels et internalisés (Midgley et Kennedy, 2011). Les interventions utilisant la médication psychotrope constituent un autre grand pan de la documentation en SMJ. Quoique très utilisés, les antidépresseurs ne sont pas recommandés en première instance pour la dépression ou l’anxiété chez les adolescents ou les enfants, mais peuvent être utilisés dans certaines conditions (Sparks et Duncan, 2013). Au Canada, les antipsychotiques sont utilisés relativement souvent pour les troubles de comportement, bien que les données probantes au sujet de leur efficacité soient encore limitées et que les risques associés à leurs effets métaboliques importants invitent à leur préférer des interventions psychosociales reconnues (Olfson, 2012 ; Pringsheim et Gorman, 2012). Les psychostimulants sont reconnus efficaces dans le traitement du TDAH (Brault, 2012 ; Pliszka, Carlson et Swanson, 1999), bien qu’un traitement multimodal soit recommandé parce qu’il donne des résultats supérieurs (Molina et al., 2009). Par ailleurs, des données récentes au sujet de l’augmentation alarmante du nombre de jeunes qui utilisent des psychostimulants sans indication médicale, et qui sont maintenant aussi nombreux aux États-Unis que les utilisateurs ayant recours à une prescription, invitent à repenser la place de ces médicaments en SMJ (McCabe et West, 2013). C’est dans le domaine des troubles du comportement que les interventions multimodales sont le plus étudiées et reconnues efficaces (Eyberg, Nelson et Boggs, 2008 ; Henggeler, 2011 ; Webster-Stratton, Reid et Hammond, 2004), mais elles sont aussi recommandées dans le traitement de l’anxiété (Kendall et Hedtke, 2006) et de la dépression, ajoutant en particulier une composante parentale à la TCC (David-Ferdon et Kaslow, 2008) ou à la thérapie psychodynamique (Abbass, Rabung, Leichsenring, Refseth et Midgley, 2013 ; Midgley et Kennedy, 2011). Les interventions familiales ne sont pas utilisées de façon uniforme par les différents milieux de pratique, ce qui témoigne de cultures de services différentes et du fait que le vieux débat autour de la place d’une intervention auprès des parents en SMJ (Ruberman, 2009) demeure d’actualité. Leur contribution reste à mieux définir et évaluer. Elles sont toutefois particulièrement reconnues pour des problèmes comme l’anorexie nerveuse (Findlay, Pinzon, Taddeo et Katzman, 2010).

Peu d’études ont évalué l’utilisation des thérapies dans un contexte de soins primaires. Un ensemble de recherches a cependant abordé le transfert de thérapies conçues dans un milieu contrôlé vers les milieux de soins primaires. Certaines de ces études suggèrent qu’après un tel transfert, les thérapies n’ont pas la même efficacité que dans les milieux spécialisés (McLennan, 2012 ; McLennan, Wathen, MacMillan et Lavis, 2006), alors que d’autres indiquent que le transfert peut être réussi, comme dans le cas de la TIP pour adolescent implantée dans une clinique en milieu scolaire (Mufson et al., 2004), ou du multisystemic treatment pour jeunes avec troubles de comportement (Henggeler, 2011 ; McCellan et Werry, 2003). Ces divergences pourraient être attribuables au processus d’adaptation associé au transfert.

Déjà en 1999, Jensen et collègues (1999) soulignaient l’importance de ne pas transférer telles quelles, vers la communauté, des interventions élaborées dans des conditions expérimentales contrôlées, invitant plutôt à travailler de concert avec les familles, écoles et milieux communautaires pour adapter les approches en SMJ. Dans la mouvance d’études récentes documentant les processus d’adaptation des thérapies aux soins primaires (Henggeler, 2011 ; Weisz et al., 2012) en les inscrivant dans un modèle socioécologique (Henggeler, 2011), Trickett (2009) souligne l’importance que les interventions soient pensées en collaboration et adaptées aux communautés et aux cultures locales. L’OMS (Measurement and Evidence Knowledge Network, 2007) insiste sur le fait que l’efficacité d’une intervention est souvent dépendante du contexte et de la culture des sujets à qui l’intervention est destinée. Les interventions reconnues efficaces ne sont pas nécessairement généralisables à des contextes différents, ce qui est le cas notamment des soins aux populations immigrantes et réfugiées (Pottie et al., 2011), ou pour des populations vivant une très grande précarité socioéconomique.

Le et collègues (2010) proposent des processus de développement de données probantes qui tiennent compte des voix des usagers, praticiens et communautés dans les contextes d’interventions adaptées à la diversité. D’autres études ont également souligné l’importance de s’assurer que les mesures d’évolution clinique tiennent compte des points de vue de plusieurs informateurs pour en assurer la validité (Bickman, Kelley, Breda, de Andrade et Riemer, 2011). Ces efforts d’adaptation sont prometteurs et constituent un premier pas vers une reconnaissance du vaste domaine des interventions de type psychosocial qui misent sur les particularités de l’environnement social (Del Barrio, Corin et Poirel, 2001 ; Pumariega et al., 2013).

Certaines approches multimodales, mentionnées plus haut, intègrent des éléments d’intervention psychosociale, en incluant notamment des interventions auprès de la famille ou de l’école. Dans le cadre d’un essai randomisé, Pineda et Dadds (2013) ont montré qu’une intervention familiale était efficace pour des enfants suicidaires. L’apport global des interventions de type psychosocial (systémique, communautaire ou familiale), bien que ces dernières soient largement utilisées par les milieux de soins primaires, demeure cependant encore sous-étudié. L’association de traitements standardisés et d’approches psychosociales qui est susceptible de croître dans un contexte de soins en collaboration a aussi été peu étudiée. Barwick et collègues (2005) notent que les connaissances et les ressources manquent pour mesurer l’efficacité d’interventions développées sur le terrain, bien qu’elles soient prometteuses. Une autre limite importante provient du fait que l’ensemble des données scientifiques disponibles n’arrive pas encore à expliquer les liens complexes entre les facteurs associés aux problèmes de santé mentale et l’évolution clinique de ceux-ci, notamment en tenant encore peu compte de l’expérience du patient (Del Barrio et al., 2001). Un autre enjeu concerne la durée de l’intervention offerte. Certaines études ont montré les bienfaits d’interventions à long terme, particulièrement pour des familles vulnérables vivant une détresse multifactorielle, et lorsqu’il y a une problématique d’attachement pour l’enfant (Dumaret et Picchi, 2005). Reid et collègues (2006), dans une étude ontarienne, rapportent qu’un cinquième des familles utilisent de façon continue et chronique les services de santé mentale, ce qui semble associé à la fois à la sévérité de la psychopathologie, à des comorbidités éventuelles et à la précarité psychosociale de ces familles. Bien que des données quantitatives ne soient pas encore disponibles à ce sujet, cette proportion correspond à l’évaluation clinique des intervenants de SMJ au Québec, ce qui soulève des questions importantes pour l’organisation des services en SMJ, qui mise essentiellement sur des interventions brèves (Pontbriand et al., soumis).

Une recherche auprès de familles usagères de soins de collaboration en SMJ (Nadeau et al., soumis) fait ressortir les priorités de celles-ci. Ces familles insistent sur l’utilité d’un travail thérapeutique intégrant les parents et sur l’importance de la continuité des services et d’un cadre de soins sécuritaire des points de vue de la communication, de la confidentialité et de la collaboration. Les familles apprécient la diversité des modalités d’intervention et soulignent l’importance des interventions qui soutiennent le fonctionnement familial. L’espace clinique est perçu comme un lieu de médiation, en particulier lorsqu’il y a mésentente ou difficulté de communication avec l’école ou la protection de la jeunesse.

4. L’organisation des services

Un ensemble de recherches récentes suggère que les contextes organisationnels qui encadrent les services influencent à la fois la façon dont les interventions sont mises en place et leurs résultats cliniques (Aarons et al., 2012 ; Woolston et Hamilton, 2005). Aux États-Unis, dans le cadre d’un essai randomisé de grande envergure, Glisson et collègues (2013) ont dénoté qu’une intervention qui améliorait le climat organisationnel des équipes en SMJ avait un effet significatif sur l’évolution clinique des jeunes suivis par ces équipes. Au Québec, les fréquents remaniements des structures de services en santé mentale et des centres jeunesse semblent historiquement avoir surtout contribué à perpétuer la fragmentation que ces réformes voulaient corriger (Rousseau et al., 2007). Le PASM 2005-2010 se voulait intégrateur et misait résolument sur le développement d’un partenariat interinstitutionnel solide et sur la collaboration interdisciplinaire. Des recherches portant sur l’implantation du PASM en SMJ ont montré que cette réforme a eu un effet mobilisateur, même si elle a aussi soulevé des résistances importantes (Nadeau et al., 2012).

Une recherche menée en partenariat avec les équipes SMJ de trois CSSS de la région montréalaise a montré que l’élaboration d’une vision commune entre les différents niveaux de soins, hôpitaux et CSSS constitue l’un des grands défis de la réforme (Nadeau et al., 2012). Il est apparu que la collaboration et le partenariat sont soutenus par une harmonisation des priorités administratives et cliniques, par la disponibilité d’espaces de discussion clinique partagés et par la présence de pédopsychiatres répondants impliqués avec les équipes de première ligne. Les négociations entre institutions sur les rôles et mandats de chacun et les relations interdisciplinaires restent toutefois difficiles, ce qui a aussi été documenté dans d’autres contextes en santé (Nugus, Greenfield, Travaglia, Westbrook et Braithwaite, 2010).

En 2007, le groupe de travail sur la santé mentale des jeunes, mis sur pied par le Comité de la santé mentale du Québec, soulignait le rôle de la flexibilité dans le succès des expériences novatrices dans ce domaine. Cette flexibilité permettait d’aménager des espaces de soutien, d’expression et de créativité pour les intervenants qui mobilisaient ces derniers (Rousseau et al., 2007). Dans la même optique, l’intervention organisationnelle préconisée par Glisson et collègues (2013) favorise une structure de gestion flexible qui engage les intervenants en favorisant une appropriation du pouvoir, tout en minimisant les sources de stress au travail.

En 2005, une réforme du système de santé a créé les CSSS et uniformisé l’organisation des équipes au sein de ces institutions. Subséquemment, c’est au sein de cette nouvelle structure de services que sont apparues les équipes SMJ, ce qui a entraîné une modification du rôle des intervenants en première ligne. Plusieurs années après leur mise en place, ces équipes sont encore aux prises avec un processus de définition de leur rôle et de clarification de leur mandat. Une recherche réalisée auprès de sept institutions montréalaises offrant des services en SMJ en première ligne à Montréal (Pontbriand et al., soumis) rend compte des enjeux qui accompagnent la construction de cette identité au sein des équipes SMJ qui sont constituées de professionnels ayant travaillé dans la première ligne, de professionnels provenant des milieux hospitaliers en pédopsychiatrie et de jeunes recrues n’ayant encore aucune expérience de terrain. Pour l’instant, c’est en grande partie le cadre institutionnel proposé par chaque CSSS qui va soutenir la définition des limites de leur mandat et les choix des modalités d’intervention à mettre en place pour y répondre. Les résultats de cette recherche indiquent que ce processus permet le développement d’une culture d’intervention hybride qui emprunte à la fois à l’intervention communautaire, aux approches familiales et systémiques et à une pédopsychiatrie biomédicale (Pontbriand et al., soumis). La recherche d’un équilibre parfois fragile entre le soutien direct aux familles et le rôle de consultation-liaison est au coeur des réflexions qui entourent la mise en oeuvre des modèles d’organisation de soins situés dans l’interface entre les soins primaires et les services spécialisés (Macdonald et al., 2004).

On peut donc penser que les dimensions organisationnelles, intra et interinstitutions, jouent un rôle clé dans le succès relatif du PASM en SMJ. Plusieurs modalités paraissent contribuer à la création de liens transversaux. Ainsi, afin de relever ce défi, sept établissements de la région de Montréal offrant des services de première ligne en SMJ ont mis en place une communauté de pratique dont l’objectif est de mettre en réseau les professionnels et leur offrir un espace permettant interactions, soutien mutuel et mise en commun de ressources entre les équipes (communaute-smj.sherpa-recherche.com). La mise en commun des expertises entre professionnels et entre établissements au moyen d’une communauté de pratique est reconnue comme une stratégie efficace pour faire évoluer les pratiques, particulièrement dans un champ d’intervention en transformation ou en développement. À cet égard, l’évaluation d’un projet pilote menée dans le cadre de l’implantation d’une communauté de pratique réunissant des infirmières travaillant dans les nouvelles cliniques des Groupes de médecine familiale (GMF) a démontré que la communauté de pratique a permis aux cliniciennes de clarifier leur rôle, de briser leur isolement et d’acquérir des bases plus solides dans l’exercice de leur rôle et la consolidation de leur identité (Hagan, Mathieu, Talbot et Landry, 2006). Une recherche en cours permettra d’établir si c’est également le cas en SMJ. Par ailleurs des modalités de formation continue, prenant la forme de séminaires interinstitutionnels de discussions de cas cliniques, semblent également contribuer à réduire la fragmentation des services en consolidant les liens interinstitutionnels, en soutenant les intervenants et en favorisant un partage des savoirs faire (De Plaen et al., 2005 ; Rousseau et al., 2005).

Ces initiatives coïncident avec l’objectif premier du PASM qui vise à augmenter « la force des liens » entre les différents acteurs impliqués en santé mentale sur le terrain. Elles ne sont pas isolées et la deuxième phase du PASM qui s’amorce devra miser sur la richesse des pratiques qui sont en train d’être développées un peu partout au Québec en SMJ.

Conclusion

Le domaine de la SMJ est en plein essor, et ce dynamisme constitue sans aucun doute un atout pour le développement d’actions concertées allant de la santé publique aux services spécialisés, autour du rôle central de la première ligne. Les questions qui demeurent et dont nous avons esquissé certaines des implications pour le Québec doivent cependant appeler à une certaine retenue relativement à la généralisation de modèles ou de protocoles d’intervention dans des contextes divers. Ces questions doivent soutenir à la fois l’établissement d’espaces de réflexion rassemblant les différents acteurs dans ce domaine et le développement de recherches évaluatives autour de l’efficience des modèles administratifs et cliniques mis en place qui tiennent compte des spécificités populationnelles des jeunes desservis.

Dans ce processus, la prise en compte, parfois difficile, des voix des familles et des jeunes des diverses communautés qui composent la société québécoise devrait être une priorité.