Les hallucinations constituent sans doute une expérience des plus perturbantes pour l’être humain. Elles peuvent conduire la personne à adopter des conduites inappropriés, quand elles ne sont pas dangereuses pour elle ou pour autrui, qu’elles soient vécues de façon négative ou agréable. Faut-il alors supprimer les voix parce qu’elles aboutissent en général à des conduites socialement peu acceptables ou faut-il changer la société pour qu’elle soit davantage tolérante face à une expérience humaine finalement assez répandue ? Si les arguments proposés par St-Onge et Provencher pour répondre à cette question sont en grande partie recevables, la manière de les présenter nous paraît manquer de nuance et risquent de conduire selon nous à des idées fausses à leur sujet. St-Onge et Provencher affirment que « certaines personnes partageant ces croyances construisent parfois un système rigide de pensées les amenant à des réactions fortes qui, pour certaines, seront tournées vers l’intérieur d’elles-mêmes (psychose) et pour d’autres vers l’extérieur (comme des actes terroristes socialement cautionnés par des groupes politiques extrémistes) ». À notre avis il n’est pas judicieux de comparer le « système de pensée rigide » des personnes atteintes de psychose avec celui de terroristes : c’est inciter à penser que les terroristes sont des psychotiques qui s’ignorent ou vice-versa que les psychotiques sont des terroristes en puissance. Voilà qui npas de quoi rassurer les gens par rapport à une maladie dont la dangerosité n’est pas statistiquement supérieure à celle des personnes tout venant. Ceci dit, plus fondamentalement, le concept de « pensée rigide » pose problème. Les croyances que les patients développent au sujet des voix ne sont pas forcément rigides. Elles peuvent fluctuer sensiblement dans le temps. En second lieu, les hallucinations auditives ne s’accompagnent pas obligatoirement d’idées délirantes ou de croyances particulières. Associer rigidité de la pensée et hallucinations n’est donc pas pertinent. Le fait que des interventions pharmacologiques ou psychologiques permettent de modifier assez rapidement les contenus délirants de la pensée incitent plutôt à l’envisager comme plus instable qu’elle n’y paraît de prime abord. Il est largement démontré que certaines personnes peuvent intégrer leur expérience hallucinatoire de façon socialement admise en adoptant des modèles de compréhension basés sur la biologie, la psychologie ou la religion. Souvent les personnes qui ont réussi à intégrer leurs expériences hallucinatoires ne consultent pas pour des troubles psychiques. On peut donc légitimement se poser la question s’il est méthodologiquement correct de comparer les comportements ou attitudes des personnes qui arrivent dans les services de psychiatrie à celles qui ne consultent pas. Il est certainement très différent d’intégrer ses hallucinations auditives quand on souffre d’une schizophrénie que de les entendre à la suite du décès de son conjoint. Nous estimons donc exagérée l’idée de St-Onge et Provencher qu’il n’est pas nécessaire de supprimer les voix sous prétexte que d’autres s’en accommodent très bien. Dans le même ordre d’idées, ce n’est pas parce que des sous-groupes de patients composent habilement avec un problème de santé que celui-ci n’a plus besoin d’être traité. Nombre de diabétiques parviennent à équilibrer leur glycémie, cela ne signifie pas pour autant qu’il faille arrêter la recherche de nouveaux traitements pour cette maladie. En fait, il serait utile de poser la question aux personnes qui souffrent d’hallucinations auditives : préfèrent-elles faire de leurs voix des alliées ou ne plus en avoir ? Une autre façon d’aborder le problème des voix est, comme St-Onge et Provencher le proposent, de le définir essentiellement comme un problème de manque d’acceptation et de tolérance sociales. Le trouble psychiatrique n’existerait qu’à travers une définition sociale d’une communauté cherchant à se débarrasser de personnes dont le vécu …
Parties annexes
Références
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